Hommage à Constant Burg
Inserm actualités mai 1998
CLAUDE GRISCELLI, directeur général de l’Inserm
Cette édition d'Insem actualités est dédiée à la mémoire d'un homme qui fut un très grand directeur de notre Institut : Constant Burg. De nombreux chercheurs m'ont fait part de leur tristesse à l'annonce de son décès et tous se joignent à moi pour témoigner à sa femme et à l'ensemble de sa famille le souvenir de son action fondatrice qui permit à l'Inserm d'acquérir sa place en France et, ce qui lui tenait tant à coeur, une notoriété scientifique internationale incontestable. Ce fut le fondement de son action constante. Nombreux parmi les directeurs d'unités ont eu l'expérience personnelle de le rencontrer, soit dans son ancien bureau de la rue Léon Bonnat, soit au siège actuel de l'Inserm. Tous se souviennent, comme moi aujourd'hui, de son regard attentif et scrutateur face au jeune chercheur qui venait lui présenter un nouveau projet pour fonder une unité de recherche. Cette expérience, je l'ai eu, quand de retour des Etats-Unis, tout juste nommé Chef de clinique assistant, je suis allé le voir. Il avait une obsession pour l'Inserm, celle de la recherche compétitive de très haut niveau qui ne pouvait s'évaluer autrement qu'à l'échelle des publications dans les grandes revues internationales. Ce langage était compris de la nouvelle génération, dont j'étais, et lui savait que nous forgerions la communauté de l'avenir. Constant Burg a su donner leur chance aux jeunes et le cadre exigeant dans lequel il les a responsabilisé a été un creuset magnifique et une pépinière de talents dont de nombreuses personnalités sont issues. C'est sans surprise que je pus tout autant admirer l'incroyable énergie qu'il investit dans la présidence de l'Institut Curie. Constant Burg savait prendre des risques, avec la rigueur qui le caractérisait, et c'est avec ce sens de l'innovation qu'il réussit à entreprendre une véritable oeuvre de bâtisseur. je laisse la parole au Doyen Gaston Meyniel, son ami et son compagnon de route de toujours, et à Pierre Tambourin qui ont souhaité rendre hommage à cet homme exceptionnel, à ce «grand patron» de la recherche française, et je les en remercie. Comme eux, j'ai été témoin de la volonté de Constant Burg d'aller jusqu'au bout de sa tâche malgré la maladie qui le frappait gravement. Toute la communauté scientifique et médicale française se joint à moi pour le saluer et saluer son oeuvre une dernière fois.
GASTON MEYNIEL, ancien président de la Conférence des doyens des facultés de médecine de France, ancien président du conseil scientifique de l’Inserm , ancien vice-président du Conseil d’administration de l’Institut Curie
Constant Burg était mon ami. C'était une amitié vivifiante, valorisante, née de communes aspirations dans les années 1950. Curieux, attachant, passionné, pourtant réfléchi et très rationnel, il avait une foi inébranlable dans la recherche. Il avait pu s'y adonner dès son arrivée à Nancy où, attiré par le Doyen Parisot, il avait créé un service de médecine nucléaire, organisé un «enseignement interactif» conçu pour dialoguer avec les étudiants, grâce à une électronique inédite, et obtenu, dès 1958, une unité Inserm. La recherche, pour aussi rationnelle qu'elle soit, est aussi émotionnelle et passionnelle et s'enrichit de la permanente confrontation internationale. Constant Burg rêvait de mettre des qualités et un talent exceptionnels au service de son organisation et de sa promotion. En 1969, alors que j'étais consultant pour la médecine auprès de Robert Galley, ministre de la recherche, ce dernier me fit part de la prochaine vacance de la direction de l'Inserm. Je lui suggérais le nom de Constant Burg. Dès le lendemain, au cours d'un déjeuner au ministère, il put découvrir, jauger celui auquel il envisageait de confier l'Inserm. Avec son étonnante aptitude à apprécier les hommes, il proposa, dès le soir même, au général De Gaulle, la nomination de Constant Burg. L'histoire personnelle de Constant Burg est liée à une intelligence incisive, aux multiples facettes, à une curiosité toujours en éveil, qui contribua à forger sa réputation d'un visionnaire mû par une puissance de convictions et le goût de l'action. Originaire d'Alsace, enrôlé de force dans l'armée allemande, il tenta une évasion. Repris, il récidiva et, par la Suisse, il put gagner le maquis du Vercors. Il ne garda pas de cette dramatique expérience que des souvenirs négatifs. Il avait su apprécier certaines qualités de ses proches voisins rhénans, mesurer l'intérêt de la confrontation anatomoclinique, ainsi que la place des laboratoires dans la médecine allemande. Plus tard, lorsque , en 1958, le professeur Robert Debré fit le constat que la médecine clinique française, qui avait été l'une des plus prestigieuses du monde, vivait un certain déclin pour ne pas avoir perçu que la biologie dessinerait la biomédecine du siècle à venir, Constant Burg adhéra d'emblée à cette idée. Il était clair pour lui, comme pour le génial fondateur des CHU, que l'Inserm devait aussi accomplir une grande mutation. Conçue par d'éminents universitaires, résistants, autour du professeur Robert Debré, elle fut conduite par le professeur Louis Bugnard qui sut sélectionner une pléiade de jeunes chercheurs qui, grâce à des bourses de l'Inserm, purent découvrir l'attrait de la recherche anglo-saxonne et se familiariser avec un autre univers.
Si Louis Bugnard avait innové une dynamique internationale, il revint à Emile Aujaleu de structurer, de construire et d'initier l'essaimage provincial. Lorsque Constant Burg en prit la direction, l'Inserm s'appuyait sur un nombre limité de personnalités éminentes, essentiellement parisiennes. Conforté par les renoncements financiers consentis pour accéder à la direction de l'Inserm, animé par une volonté inflexible, il jeta les bases de l'internationalisation de notre recherche, en instituant l'évaluation des chercheurs et des laboratoires, ainsi que l'exigence de publication dans des revues internationales à comité de lecture. Dès lors, il favorisa la promotion d'une pléiade de jeunes chercheurs brillants formés à l'étranger, impatients de se savoir reconnaître une existence et une identité. Constant Burg sut les responsabiliser, leur allouer des dotations personnalisées sans s'aliéner la considération et le respect de ceux qui jusqu'alors détenaient les moyens sans partage. L'extrême concentration de laboratoires à Paris fut une autre de ses préoccupations, avant que ne s'ébauche une politique de régionalisation. En prenant la décision de favoriser l'émergence de nouvelles équipes en province, il initia une mutation dont on peut aujourd'hui mesurer l'ampleur et le succès. La réussite d'une telle politique, courageuse et ambitieuse, dépendait de l'obtention de budgets conséquents. Connaissant l'inflexibilité et la rigueur du ministère du budget, la préparation annuelle des confrontations fut pour lui une exigence lancinante. Il savait que la progression des dotations dépendrait de la novation, de la rigueur et de la cohérence de programmes scientifiques facilement évaluables par les publications et les brevets. J'ai partagé ses angoisses, ses soucis avant chaque bataille budgétaire. J'ai pu aussi mesurer, après chacune d'elles, son immense soulagement lorsque sa compétence et sa rigueur étaient reconnues. Etre directeur de l'Inserm, c'est connaître les angoisses du mercredi matin. C'est tisser des liens de confiance avec les responsables gouvernementaux. Constant Burg entretenait d'exceptionnelles relations avec Madame Simone Veil, alors ministre de la santé. Il participait assidûment à la vie du cabinet, avait une grande admiration pour la compétence et la rigueur morale de son ministre qui ne cessa de lui manifester son soutien et son estime.
Après une décennie, pensant que le temps pouvait le fragiliser, Simone Veil tint à lui proposer un poste de conseiller d’Etat que le Président de la République voulait, pour la première fois, confier à un médecin. Elle connaissait l’attachement viscéral de Constant Burg à l'Inserm et son identification à l'organisme. Elle me demanda de lui formuler officieusement cette flatteuse proposition avant de lui en faire part officiellement. Malgré l'aura et l'attraction du Conseil d'Etat, les premières années furent rudes car elles impliquaient une formation aride au droit et une succession d'affectations formatrices avant de pouvoir accéder à son domaine privilégié, celui des affaires sociales. Juriste autodidacte, il acquit une vraie compétence et mit dans son action au Conseil d'Etat le même engagement total, celui que je lui ai toujours connu. Le Conseil d'Etat fut le tremplin de son accession à la présidence de l'Institut Curie, qui occupa désormais une part privilégiée de sa pensée et de son énergie. En retrouvant le domaine électif de la recherche, sa première préoccupation fut de restructurer l'institut en deux sections : l'une médicale vouée aux soins et à l'enseignement ; l'autre de recherche, regroupant l'ancienne section de biologie et de physique. Ayant doté l'Institut de nouveaux statuts, il rêvait de faire de ce site historique de Curie le creuset d'une recherche biologique d'excellence qu'il sut valoriser et dynamiser en créant l'Association de la Montagne Sainte-Geneviève regroupant des grandes écoles, des universités et l'Institut Curie. Son espoir était que Curie, qui avait été le phare de la recherche nucléaire mondiale, retrouve par la biologie une prééminence qu'il faudrait disputer aux anglo-saxons. Pour lui, l'ère de la biologie, qui devait être désormais le moteur essentiel des grandes mutations de la société moderne, était venue. Pour ce site privilégié où Antoine Becquerel, Pierre et Marie Curie, Irène et Frédéric Joliot-Curie avaient forgé tant de prix Nobel, il nourrissait le rêve d'une distinction semblable pour la biologie. Bâtisseur, rénovateur de l'hôpital Claudius Regaud et des laboratoires, il s'attacha surtout à promouvoir la recherche, les biotechnologies et à les valoriser en favorisant les transferts industriels. Il sut préserver et mettre en valeur les sites témoins de l'épopée des Curie. La réussite d'un projet aussi ambitieux nécessitait non seulement des femmes et des hommes exceptionnels et une volonté inflexible mais, par-dessus tout, d'importants moyens financiers garants de ce renouveau inédit. Il s'était investi lui-même dans la gestion financière des fonds, hanté par le souci de dégager les considérables sommes nécessaires, en préservant non seulement le capital, mais aussi en le faisant fructifier. Accompagner un tel président dans sa quête perpétuelle d'innovations ne pouvait qu'engendrer la rigueur intellectuelle et l'orthodoxie financière. C'était pour les directeurs de la section de médecine et de la recherche enrichissant, enthousiasmant, mais angoissant, parfois désarçonnant, car si Constant Burg savait déléguer, il exigeait en contre partie de tout savoir, de tout comprendre.
Homme de convictions, il aimait les combats. Il en est un qui domina toute sa vie. C'est celui qu'il mena afin que soit préservée l'indépendance énergétique de la France, qui avait su se doter d'une industrie nucléaire lui ayant permis de se hisser au niveau des grandes puissances mondiales. Il était et demeura un militant de l'atome pacifique, s'investissant dans les batailles qu'il jugeait essentielles comme celle des normes. Il pensait, fort des résultats de la radiobiologie moderne, en particulier de ceux acquis à Curie, que l'abaissement de celles-ci était inutile pour la santé publique et contraire à l'intérêt économique de la France et à son indépendance politique. Pendant près d'un demi-siècle, nous nous retrouvions, d'abord à l'Inserm, puis à Curie. Longtemps, nous nous sommes réunis au «Port Saint-Germain» avec F. Cabanne et J. Samaille. Nous aimions confronter nos points de vue, car nous exercions les uns et les autres des fonctions de responsabilités électives dans différents domaines de la médecine. Nous admirions l'art qu'avait Constant Burg de concilier une grande liberté d'action avec les règles strictes de la morale pour servir l'Etat. Ni Constant ni moi ne partagions la philosophie politique et les opinions de Philippe Lazar. Pourtant, Constant Burg, le jour de sa nomination, me confia qu'il éprouvait un certain soulagement car il savait que, au-delà des divergences fondamentales, il y aurait une pérennité dans la conception du service de l'Etat.
Constant Burg était d'une grande exigence envers lui même et envers ses amis, ne s'accordant jamais de détente la veille d'un événement majeur car il estimait que cela aurait été une forme de trahison vis-à-vis de sa charge. Lors des moments de détente que j'ai partagé avec lui, on découvrait un autre homme qui, malgré son fond naturel de pessimisme, savait être gai, enjoué, disert, toujours attentionné avec ses amis, plein de prévoyance et de délicatesse. Je garde un merveilleux souvenir, partagé avec nos épouses, d'une croisière sur le Rhin, la découverte de la Loreleï, des soirées folkloriques dans les «keller». Il maîtrisait la langue allemande, aimait nous faire découvrir certaines qualités d'un peuple que nos pères et nous-mêmes percevions de manière frileuse à travers les redoutables épreuves endurées. Il appréciait leur décentralisation poussée grâce à leurs «länders». Il souhaitait que l'Europe permette un rapprochement qui devait, d'après lui, renforcer nos économies et éloigner le spectre de tout conflit. En tant qu'ancien marin, je partageais avec lui l'attrait et le respect de la mer. J'admirais en lui le marin autodidacte qui avait trouvé là une autre façon d'entreprendre, de se surpasser, d'exprimer sa force et son intelligence. C'était un vrai marin, qui éprouva un profond déchirement lorsqu'il dut se résoudre à vendre son bateau. Au cours de la dernière décennie, nous avions pris l'habitude de nous réunir pour Noël, dans le Cantal. Il y a trois ans, il est arrivé, comme à l'accoutumée, en milieu d'après-midi, transi et les doigts bleuis par le froid. Nous avons été impressionnés par ses difficultés à se réchauffer et à récupérer malgré sa volonté. La soirée fut chaleureuse, gaie, enjouée. Nous la débutions par les considérations œnologiques sur les cépages, les terroirs, la vinification, précédant naturellement des dégustations. Nous aimions nous congratuler sur nos caves respectives, j'admirais son savoir concernant les vins d'Alsace et de Bourgogne, alors qu'il appréciait en moi une certaine connaissance du vignoble bordelais. Une fois encore, il était reparti dès le lendemain matin. Il ne voulait pas prolonger les instants de détente, ce qui aurait été pour lui une manière de banaliser les moments de joie partagée et d'amitié cultivée dont nous appréciions l'un et l'autre l'intensité. Ce n'est que quelques mois après, un soir «Au vieux Paris», qu'il me fit part de ses appréhensions et de ses doutes sur son état de santé. Très rapidement, il me confirma la gravité de son état. Entre deux cancérologues, les échanges furent ce jour-là brefs, mais je n'oublierai jamais la lueur de détresse, vite maîtrisée, qui traversa son regard. Je ne fus pas surpris de le voir maintenir son rythme de travail et rester entièrement impliqué dans la réalisation des projets de l'Institut. Ce n'est que très rarement qu'il m'a demandé de le remplacer à la présidence du conseil d'administration de Curie dont j'étais un des vice-présidents. Il sortait de moins en moins, soucieux d'éviter les infections, mais nous nous téléphonions presque chaque jour. Il supportait les cures de chimiothérapie avec courage, connaissant parfaitement la chronologie de leurs effets bienfaisants ou délétères. Il était remarquablement accompagné et au cours de rémissions prolongées, il laissait percer l'espoir d'une possible guérison que nous savions pourtant impossible. J'ai décidé très récemment, de mettre fin à mon mandat au conseil d'administration, espérant l'entraîner dans cette voie mais l'Institut Curie était devenu pour lui une drogue aux effets bienfaisants. Nous, ses collaborateurs, ses secrétaires, ses amis, étions atterrés et émerveillés par tant de courage lucide et de calme apparent.
Quelques jours après, il s'éteignait, accompagné jusqu'à sa fin par une épouse discrète, délicate, attentionnée, dévouée, qui avait supporté toute sa vie ses absences, ses impatiences, conforté ses espérances, consciente d'avoir eu le privilège de partager, pour le meilleur et pour le pire, la vie d'un homme exceptionnel.
PIERRE TAMBOURIN, directeur de recherche à l’Inserm, chargé de mission au Génopôle d’Evry, ancien directeur de la section biologie de l’Institut Curie
C'était un soir de juin 1974, vers 19 heures, si je me souviens bien. Jeune élu du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS) dans les nouvelles instances scientifiques de l'Inserm, je m'étais élevé avec force contre les mesures que le directeur général souhaitait prendre. Constant Burg ne répondit pas immédiatement. De ce regard si particulier, pénétrant mais bienveillant, il écoutait avec beaucoup d'attention, la tête légèrement baissée, se mordillant en permanence l'index droit. Il évitait l'affrontement et, en particulier, il ne cherchait jamais à ridiculiser. Il me répondit avec beaucoup de courtoisie. J'appris plus tard que cette attitude était à ses yeux un devoir, une marque élémentaire de politesse et de respect qu'il se devait de témoigner à tous les membres de commissions officielles. Cela ne l'empêchait nullement ensuite de pester en privé, parfois avec force, contre ces syndicalistes dogmatiques et doctrinaires qui ne comprenaient ni les enjeux, ni ses véritables desseins. Constant Burg était un homme de droite. Il ne s'en cachait pas mais, en vrai gaulliste, il n'hésitait jamais à travailler avec tous ceux qu'il estimait capables de défendre à ses côtés l'intérêt général. Ce soir là, donc, Constant Burg me demanda de venir le rejoindre dans son bureau. Quelle surprise pour un jeune chercheur ! C'était déjà rue de Tolbiac, encore au 5ème et non au 10ème étage ! Nous eûmes une longue discussion, assez inattendue où il me livra, sans retenue aucune, sa vision des problèmes de l'Inserm.
De quoi s'agissait-il au fait ? A l'époque, il y a 25 ans, il avait simplement fait savoir, et peut-être écrit, qu'aucun attaché de recherche de l'Inserm (les CR2 d'aujourd'hui) ne passerait plus chargé s'il n'avait dans son dossier scientifique au moins (sic) quatre articles publiés ou acceptés dans des revues à comité de lecture. Quand on songe au dossier qu'il faut aujourd'hui pour qu'un jeune chercheur ait une chance d'être recruté à l'Inserm ou au CNRS, on a parfois du mal à se remémorer ces périodes. Il m'expliqua alors que, jamais, il n'appliquerait vraiment cette mesure mais qu'il l'avait édictée pour obtenir des chercheurs et, surtout, des directeurs d'unité et des commissions scientifiques une prise de conscience et donc un sursaut face au niveau, à ses yeux bien trop faible, des publications scientifiques de l'Inserm. Il avait créé un bureau qui tenait un tableau de bord des activités de publications des unités et des chercheurs. Ainsi, conclut-il, «l'Inserm deviendra enfin un grand organisme, de niveau international, meilleur que le CNRS, et les chercheurs s'imposeront naturellement comme directeurs d'unité», situation qui, à l'époque, restait encore exceptionnelle.
Des épisodes de ce type, j'en ai connu beaucoup, tant à l'Inserm qu'à l'Institut Curie, où il me fit venir plus tard. J'ai choisi celui-là parce qu'il me paraît résumer presque complètement la personnalité et les valeurs de cet homme à qui j'ai toujours voué un très profond respect (ce qui n'empêcha pas des affrontements parfois très durs et toujours passionnels). Constant Burg aimait profondément la recherche et encore plus les chercheurs. Il vouait à l'Inserm, auquel il consacra toutes ses forces, une forme de culte. Il n'eut de cesse de vouloir placer les chercheurs à leur juste place dans la vie de l'organisme. Il offrit ainsi aux plus jeunes la possibilité d'obtenir des financements directs pour leur permettre de s'émanciper d'une tutelle hospitalo-universitaire qu'il jugeait à l'époque encore trop pesante, aliénante, en un mot trop mandarinale et, de toute façon, contre-productive. Il défendit, durant toutes ces années avec conviction, parfois avec véhémence, l'Inserm contre le poids du CNRS qu'il jugeait excessif et, surtout, bien trop dispendieux dans cette propension à développer des très grands équipements pour la physique dont il jugeait le coût exorbitant et peu compatible avec le développement des autres disciplines et, notamment, les sciences du vivant. Particulièrement sensible aux efforts considérables et au budget consacrés, aux Etats Unis, aux sciences biologiques et médicales, il défendait avec acharnement l'Inserm pour essayer de sauvegarder l'essentiel. En même temps, ayant siégé au comité national de la recherche médicale dans les commissions biomédicales, il avait pu mesurer les limites de la rigueur de l'évaluation lorsque les pesanteurs socioculturelles peuvent s'exprimer pleinement !
En dix années de Direction générale, il chercha donc à impulser à l'Inserm des principes qui conciliaient rigueur, démocratie (il ne remit que très rarement en cause les avis des Commissions scientifiques spécialisées), ambition et élitisme. Ces ingrédients placèrent l'Inserm au rang des organismes internationalement reconnus, dont les unités, bien structurées, étaient régulièrement évaluées. Il cultivait, avec intelligence et un soin qu'on ne pouvait soupçonner de prime abord, une image de provincial peu au fait de certains dossiers et surtout des écosystèmes mondains parisiens. Malheur à celui qui se laissait prendre à ce jeu car il était un très fin et très rusé politique, qui avait une connaissance souvent fort précise de nombre de dossiers. Par exemple, il avait une excellente connaissance de celui de l'énergie nucléaire qui le conduisait à pourfendre avec force et qualité les irresponsables de tous bords, incompétents, doctrinaires, et autres écologistes, qui, par manque de clairvoyance, de sérieux ou de connaissance, desservaient les intérêts supérieurs du pays.
Plus tard, en jouant sur les registres qu'il affectionnait le plus, il transforma profondément l'Institut Curie. Il comprit immédiatement qu'il y avait dans cette institution un potentiel considérable lié au nom qu'il portait, à l'histoire et à la qualité des équipes scientifiques et médicales. Il sut créer les conditions d'un renouveau et d'un développement considérable qui modernisa la recherche de l'Institut Curie. Sa principale préoccupation était que les malades cancéreux puissent bénéficier le plus rapidement possible des acquis de la recherche. Il avait parfaitement compris, depuis longtemps, que pour qu'un institut comme l'Institut Curie prenne des initiatives de grande ampleur face aux révolutions apportées par les découvertes scientifiques les plus récentes, il fallait obtenir une parfaite osmose entre le monde médical et celui de la recherche. Mais, tant il est vrai qu'on ne modifie ni les hommes ni les mentalités aussi vite qu'on le souhaite, il ne put aller au bout de cette tâche qu'il jugeait essentielle.
Il restera dans nos mémoires un homme de grand talent, modeste et discret, auquel la recherche biologique et médicale française doit énormément.