Inserm actualités n° 148 - octobre-novembre 1996
Editorial de Claude Griscelli, directeur général
Les pivots des orientations stratégiques de l’Inserm
Je viens d'entrer dans le deuxième trimestre de mes fonctions de Directeur général de l'Inserm. Pour prendre contact avec l'Institut, j'ai tenu à entamer un tour de France (que je compte terminer en janvier prochain) des Administrations déléguées régionales (ADR), Comités scientifiques consultatifs régionaux Inserm(CSCRI), Instituts fédératifs de recherche (IFR), unités de recherche et services communs, contrats jeunes formation (CJF), contrats de recherche Inserm (CRI), centres d'investigation clinique (CIC), autant de maillons d'une organisation fonctionnelle riche, sans laquelle l'Inserm ne serait pas ce qu'il est, une institution remarquable, aux compétences confirmées, aux structures solides, aux procédures rigoureuses. C'est dire que j'ai pris la mesure de l'ampleur de ma tâche, tâche que j'aborde avec sérénité et confiance dans les hommes et les femmes qui m'accompagneront.
Un constat: la nécessité de clarifier les structures pour assurer une continuité entre toutes les composantes de nos recherches. En premier lieu, je souhaite rendre hommage à l'excellence des instances d'évaluation de l'Inserm, dont j'ai d'ailleurs pu moi-même apprécier le sérieux lorsque je présidais l'une d'entre elles. Connues et reconnues de tous nos partenaires nationaux ou internationaux, publics ou privés, ce sont elles (qu'il s'agisse du Conseil scientifique, des Commissions scientifiques spécialisées ou des Intercommissions) qui font la force et le renom de l'Inserm. Je tiens donc à saluer la qualité de leurs travaux d'évaluation et m'engage à les respecter.
En second lieu, j'ai été frappé, lors de mes visites, par la complexité des relations que les différents niveaux structurels entretiennent entre eux. A cet égard, les ADR, les CSCRI et les IFR, qui constituent, à mon sens, le principal triptyque sur lequel doit s'appuyer l'évolution de la stratégie de l'Inserm, appellent une réflexion de la part de l'ensemble de notre communauté. En ce qui concerne les ADR, elles apparaissent comme un puissant outil de gestion humaine et financière, souple et rapide, capable de représenter et de relayer efficacement l'Administration centrale sur le terrain. Elles réalisent déjà un travail de grande qualité, mais il faut s'attacher maintenant à adapter leur fonctionnement à la diversité des environnements locaux. En effet, je souhaite qu'un plus grand parti soit tiré des étroites relations de terrain qu'elles ont su tisser et qu'il convient de développer encore. Cette observation m'amène à envisager de préciser les rôles respectifs de l'Admi-nistration centrale et des ADR, en cherchant à mieux organiser les appuis du Siège de l'Inserm sur ce réseau de correspondants régionaux. Le processus est entamé puisqu'un Comité de pilotage a déjà été créé pour faire des propositions sur le rôle des ADR. le conçois cette étape comme un premier pas vers ces acteurs de proximité, dont j'ai ressenti la légitime aspiration à mieux adapter leur action régionale. La réflexion sur les CSCRI doit aller dans le même sens. Interlocuteurs régionaux privilégiés pour les autres organismes de recherche, les universités, les hôpitaux, les collectivités locales et les industriels, ils ont un rôle de premier plan à jouer dans l'élaboration et la mise en place des politiques régionales, en harmonie avec la politique nationale de l'Institut.
Enfin, les IFR appellent aujourd'hui une clarification de leur fonctionnement et de leur mission. C'est d'ailleurs là l'effet d'une évolution naturelle prévisible et prévue. Il s'agit, en effet, d'organiser ces regroupements d'unités juxtaposées, de taille et de masse critique hétérogènes, de façon à mieux les armer pour faire face aux nouveaux besoins et aux nouveaux enjeux de la recherche, et à mieux les implanter dans leur écosystème environnemental. Or, la condition pour y parvenir est d'assurer une véritable continuité depuis la recherche biologique et biomédicale d'amont, libre de ses choix, jusqu'à la recherche en santé publique ancrée dans les enjeux de société, en passant par la recherche médicale et la recherche clinique. Or, c'est bien la structuration concertée d'une politique de site cohérente qui pourra assurer ce continuum qui, s'il est globalement présent à l'échelle de l'Inserm, doit être identifié et efficient à l'échelle d'un site. Aussi, je souhaite qu'une réflexion soit engagée dans chaque IFR sur les éventuelles «pièces manquantes» permet-tant de constituer ce dispositif d'ensemble, cohérent et adapté aux nouvelles exigences de la recherche. En ce sens, les IFR, situés dans un environnement hospitalo-universitaire, doivent être des creusets où de jeunes équipes médicales pourront trouver un accueil naturel à leurs projets. Enfin, il est souhaitable que les IFR réorganisent leurs moyens et leurs ressources. Qu'observe-t-on, en effet ? D'abord, sur le plan scientifique, la cohabitation au sein des IFR d'équipes d'origines institutionnelles différentes et/ou de thématiques complémentaires a favorisé l'émergence de recherches nouvelles: on ne peut que se féliciter de ces synergies, les amplifier et les encourager. En revanche, sur le plan technique, force est de constater que l'intégration des besoins et des méthodes n'a pas été suffisamment déclinée pour que les ingénieurs et techniciens coordonnent leurs activités au sein d'un même IFR. Le moment est donc venu de structurer et de rassembler ces compétences techniques selon des modalités qu'il conviendra d'élaborer. On peut même imaginer, lorsque le contexte local s'y prête, d'étendre cette coordination aux personnels universitaires et hospitaliers eux-mêmes, et de mettre réellement en commun, au sein des IFR, des moyens et des compétences techniques. Cette démarche répond avant tout à l'enjeu, décisif pour l'avenir de l'Inserm, d'une plus grande valorisation de ses activités dont la technicité va croissant. C'est pourquoi, ce processus devra nécessairement s'accompagner de formations visant à optimiser l'utilisation des techniques nouvelles.
A l'issue de ce tour d'horizon de la trilogie cons-tituée par les ADR, les CSCRI et les IFR, il semble qu'une réflexion approfondie s'impose aujourd'hui, clarifiant leur rôle respectif sur l'échiquier de la recherche nationale et au sein de l'Institut.
Un objectif: la mise en place d'une stratégie répondant aux besoins de notre société. Une préoccupation guidera notre action: la prise en compte des grandes priorités qui s'imposent maintenant avec l'émergence de nouveaux besoins, de nouvelles contraintes. Deux méthodes seront prises en compte dans cette stratégie d'ensemble: le développement d'une politique de site, tel que je viens de le définir; la mise en oeuvre des grandes orientations énoncées par le Comité interministériel de la recherche scientifique et technique (CIRST) et la définition de nos objectifs propres.
Concernant ce second plan, le CIRST, qui s'est réuni le 3 octobre dernier, a présenté les grandes orientations de la politique française de recherche. Celle-ci s'inscrit aujourd'hui au carrefour de trois préoccupations majeures: l'excellence scientifique, la demande sociale et la capacité des partenaires à valoriser leurs innovations. Sept thèmes priori-taires ont été retenus. L'Inserm est directement concerné par la priorité «Recherche médicale», au sein de laquelle le cancer, les maladies infectieuses (y compris le SIDA), les maladies cardiovasculaires, dégénératives et neurosensorielles (portant, en particulier, sur la vue et l'audition) représentent des actions sectorielles, la génétique, la microbiologie et les biothérapies des actions transversales. L'Inserm est également concerné par les thèmes prioritaires suivants: environnement et cadre de vie, sciences de l'innovation des produits et des procédés. A cette mobilisation sur des thèmes de recherche prioritaires, font écho quatre programmes fédérateurs stratégiques parmi lesquels le programme «Biotechnologies» dans le domaine de la santé et de l'environnement, le programme «Microbiologie» et le programme «Séquençage des génomes». Ces programmes s'entendent pour l'ensemble des organismes de recherche, le monde hospitalier, les universités et le secteur industriel. A cet égard, je tiens à souligner que le fonctionnement et le travail du programme spécifique de recherche sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les prions 1, coordonné par l'Inserm, est particulièrement exemplaire et pourrait constituer un exemple d'organisation pour la mise en place de ces programmes concertés. Sur ce nouveau mode de fonctionnement, l'Inserm sera appelé à jouer un rôle stratégique de tout premier plan, et ce, d'un triple point de vue: en incarnant une force de proposition capable de dégager les problématiques de demain dans le cadre de ces orientations; en impulsant, entre tous les partenaires concernés, la dynamique indispensable à une recherche structurée et coordonnée; en mettant toute sa logistique à disposition de la mise en oeuvre matérielle des projets.
Par ailleurs, et c'est là un aspect auquel je tiens tout particulièrement, l'objectif de l'Inserm sera, également, de soutenir certaines de ses thématiques propres. Deux me semblent d'ores et déjà se dégager: les recherches tournées vers les thérapeutiques, y compris les essais cliniques ; les recherches en santé publique. Notre action passera d'abord par l'évaluation et la structuration de nos compétences dans ces deux champs, puis par le dégagement de ressources propres et par la recherche de nouveaux moyens. Il me paraît également important de mettre en place des actions transversales, en cherchant à rapprocher les secteurs de recherches complémentaires, dans le but de favoriser l'émergence de nouvelles pistes. Cette démarche stratégique repose sur la mise en place et l'alimentation d'une veille permanente des grands courants de recherche, des nouveautés scientifiques, des innovations médicales et des grands problèmes de santé publique. Elle nécessite la mobilisation des instances scientifiques (Conseil scientifique, Commissions scientifiques spécialisées, Intercommissions) au cours de leurs sessions, associant les comités d'interface entre les sociétés de spécialités médicales et l'Inserm, et en élargissant le champ d'action actuel de l'Expertise collective.