Entretiens avec Thierry Damerval
les 3 février et 10 avril 2015, P. Griset, S. Mouchet, J-F Picard, script K. Gay (source : https://histrecmed.fr/temoignages-et-biographies/temoignages)
Des débuts dans la recherche
Sorti de l'ENS Saint-Cloud en 1983, après avoir passé l'agrégation de sciences naturelles, j'ai commencé à faire de la recherche à l'Institut Pasteur où je travaillais sur la régulation de l'expression génétique chez les cyanobactéries, sur la photo régulation de l’expression génétique et le contrôle de la différenciation cellulaire; soit de la biologie moléculaire tout à fait classique. J’étais dans le laboratoire de Roger Stanier, l'homme qui a démontré l’absence de noyaux chez les procaryotes. Stanier était venu à Pasteur dans les années 1970 pour prendre la succession de François Jacob et il avait rapatrié la collection de cyanobactéries de Berkeley (beaucoup plus tard dans les années 2000, la collection a été transférée au Museum). Son labo était installé dans le bâtiment de biologie moléculaire où il y avait Georges Cohen, Antoine Danchin, Philippe Marlière qui est parti ensuite à Evry où il a créé 'Global Bioenergies', une société qui se consacre à la création de voies métaboliques nouvelles chez les bactéries. Je suis arrivé au CEA en décembre 1992 à l'instigation de Michel Suscillon qui avait des contacts avec Pasteur et qui venait d'installer la Direction des sciences du vivant au Commissariat.
Assistant d'André Syrota à la Direction des sciences du vivant (DSV) du Commissariat à l'énergie atomique (CEA)
André Syrota est nommé à la nouvelle Direction des sciences du vivant (DSV) en juin 1993 et il m'a proposé de devenir son assistant. Il venait du service hospitalier Frédéric Joliot, chef du 'Département de recherche en imagerie pharmacologie et physiologie' (DRIP) du CEA. A la DSV, il m'a donné la responsabilité du segment "organisation des fonctions cellulaires" qui comptait des recherches de très bonne qualité menées par André Sentenac, Roland D'aoust, Pierre Ligney etc. Mais le reproche qui nous était fait était : « pourquoi fait-on ce type de recherches au Commissariat? ». La DSV était de création récente puisqu’il y avait eu initialement une direction déléguée aux sciences et technologies du vivant, mais simplement une direction de programmes. L'Administrateur général, Yannick d’Escatha, se consacrait à l’analyse stratégique. Il avait fixé une quarantaine d'axes d’analyse stratégique qui s’appelaient des 'segments de programmes'. Au niveau des SDV, on était concernés par cinq 'segments', le premier, le plus gros regroupait à peu près 170 personnes et s’appelait 'organisation des fonctions cellulaires', un deuxième était 'radiobiologie', un troisième 'ingénierie des protéines', un quatrième 'imagerie médicale' et un cinquième portait sur l’’ environnement'. En fait, la DSV était une direction opérationnelle constitué à partir d’ensembles qui avaient chacun une histoire propre. Au CEA, un premier ensemble était le Département de biologie qui relevait de l’institut de recherche fondamentale de Jules Horowitz avec les centres de Saclay, d'Orsay et de Cadarache. Grenoble avait un département de recherche fondamentale propre fortement lié à l’université. La troisième entité était Fontenay avec un ensemble qui relevait de l''Institut de recherche et de sureté nucléaire' (IRSN), mais dont une partie avait rejoint la DSV pour former le 'Département de pathologie et toxicologie expérimentale '.
La réorganisation des sciences du vivant au CEA
Lorsque André Syrota a été nommé directeur, l'une de ses premières actions a été de créer une identité commune à cet ensemble hétérogène. Ce n'était pas gagné pour autant. Il a rencontré les directeurs de labo très régulièrement, en particulier à Grenoble où il y avait de très bonnes équipes scientifiques avec Roland Douce, Pierre Vignais, etc. mais où les chercheurs CEA étaient plutôt minoritaires, face à beaucoup de chercheurs Inserm, CNRS et universitaires, donc avec des cultures différentes. L'autre ensemble était Fontenay où on faisait de la dosimétrie appliquée avec des gens qui ne publiaient pas dans les meilleurs revues. Puis, il y avait Cadarache qui était à l’origine le service de radio agronomie. Mais c'est pareil, ça ne publiait pas dans les meilleures revues.
Le deuxième objectif d’André Syrota était d’inciter les laboratoires à publier peut-être moins, mais mieux. Autrement dit de veiller à publier dans de très bonnes revues donc d'ouvrir les laboratoires du CEA. A Grenoble, c'était déjà très ouvert aux partenariats Université - CNRS - Inserm. Saclay en partie aussi, comme Orsay où il y avait déjà une unité CNRS. Mais l'une des actions rapidement mise en place était de faire venir un groupe CNRS à Fontenay et de créer une unité en radiobiologie fondamentale, ce qui a été fait avec Serge Boiteux avec l’aide de Pierre Tambourin, directeur du département des sciences de la vie du CNRS. De même plus tard à Cadarache avec le recrutement comme chef de département de Jean-Jacques Leguay qui venait du CNRS, puis qui a dirigé les biotechs de Sanofi à Labège.
André a donc demandé qu’un état des lieux de l’ensemble des équipes travaillant dans le domaine de la radiobiologie et de la radiopathologie en France. Cela lui a permis de convaincre le ministère de mettre en place début 1994 des 'Actions concertées coordonnées en sciences du vivant' (ACCSV). De mémoire, il devait y en avoir une dizaine. L'une s’appelait 'biopathologie des prions' pour laquelle il avait largement œuvré et dont la coordination a été confiée au CEA . Une deuxième s’appelait 'effets biologiques des rayonnements ionisants'. Il y en avait une aussi en imagerie, mais ce n’était pas le CEA qui l’avait coordonnée. Ces actions nous ont permis d’avoir des crédits incitatifs destinés à mobiliser les équipes. L'objectif d’André était de faire de la DSV l'un des quatre acteurs des sciences du vivant avec le CEA, l’Inserm, le CNRS et l’Inra, de le positionner comme un acteur incontournable de toute la politique sciences de la vie en France. Cela s'est très bien passé avec Pierre Tambourin au CNRS puisqu’il a favorisé l’implantation d’équipes à la fois à Fontenay et à Cadarache. Avec l’Inserm, on est passés à la transformation d'unités qui cessaient d'être ' propres' pour devenir ' mixtes'. Enfin il a impulsé des partenariats avec les universités par le biais d'un accord cadre CEA-CPU en 1998, ce qui s'est traduit par l’accueil de post_docs avec affiliation de laboratoire au niveau des écoles doctorales.
Auparavant le soin des recrutements était laissé à chaque département et André a voulu introduire un recrutement centralisé à la DSV. Il s'agissait d'obtenir un niveau de recrutement homogène, que ce soit les ingénieurs ou les chercheurs. C’est vrai qu’il n’y a pas cette distinction au CEA, mais on fait quand même des recrutements sur profil chercheur et sur profil ingénieur avec une commission ad hoc. Il n’y avait pas de texte, mais elle a très bien fonctionné. Sa préoccupation était d’avoir un processus d’évaluation par les conseils scientifiques internationaux et de recrutements avec des commissions purement scientifiques.
Les critiques du ministère de la Recherche
En 1997, cette démarche d’analyse stratégique imaginée par Yannick d’Escatha, le haut administrateur du CEA, a été fortement interrogée quand Claude Allègre lorsqu'il est arrivé à la Recherche. Je me souviens de quelques matinées passées avec André pour préparer des argumentaires dans la perspective des réunions du lendemain au ministère. La DSV-CEA était très critiquée… C'était : « vous faites n’importe quoi, il n’y a pas de direction, d’axe majeur dans vos objectifs». Dans le segment 'organisation et fonctions cellulaires' où l'on avait de très bons labos, André Sentenac sur la transcription, Didier Job sur le cytosquelette, des équipes sur le cycle cellulaire, mais il fallait les connecter à des problématiques liées aux effets des rayonnements ionisants. Pour le cycle cellulaire c'était évident, la réparation de l’ADN idem, etc. Or tout ceci n’était pas connecté et il a fallu réorienter progressivement la recherche en ce sens.
Cela a donné lieu à l’établissement d’un gros document sur l’état des recherches en radiobiologie qui a été mené jusqu’en 1998. Les laboratoires se sont réorientés vers des problématiques tels que le cycle cellulaire et les problématiques de radiobiologie, la réparation de l’ADN, etc. Ainsi, on a pu démontrer assez rapidement qu’il y avait des spécificités CEA, que cette recherche fondamentale de qualité permettait de renforcer l’expertise en radiobiologie, en radio toxicologie. La deuxième phase a été plus ou moins concomitante : « OK, il y a des spécificités, mais démontrez que c’est de la bonne recherche », ce qui a constitué l’apport des conseils scientifiques, de l’évaluation bibliométrique. André avait tenu à ce qu'un bilan bibliométrique de la production de DSV soit effectué régulièrement.
En 1999, la troisième critique était : « vous êtes bon, mais il est facile d’être bon quand on est riche ». C'est alors que la Cour des Comptes s'est penchée sur la DSV pendant dix huit mois, pour conclure que, compte tenu des spécificités liées à l’imagerie et aux autres programmes, il n’y avait pas eu de moyens disproportionnés mis en œuvre, en tout cas pas supérieurs à ce que coûtait une unité Inserm par exemple. Finalement, l'ensemble de ce processus a été formalisé lors d'un séminaire des chefs de département et de la direction du CEA qui a eu lieu en mai ou juin 1999. C'est là qu'André Syrota a eu cette formule ' par et pour le nucléaire ' pour résumer l’activité de la DSV. 'Par le nucléaire', c’est l’utilisation des outils isotopes, rayonnements issus du nucléaire. 'Pour le nucléaire', c’est une expertise et des recherches en biologie moléculaire et cellulaire pour répondre à des questions de radiobiologie, donc l'effet des rayonnements. Il y a aussi la radio toxicologie qui était peu présente jusque là et qui a été fortement développée en portant sur les effets moléculaires plutôt que ceux des rayonnements.
En 2001, lorsque je suis devenu directeur de la stratégie, j’ai pu constater qu’il n’y avait plus au CEA d’interrogations concernant la place qui devait revenir à la biologie. La déclinaison de 'par et pour le nucléaire' avait joué son rôle. La DSV avait trouvé toute sa place et représentait même une dimension stratégique pour l'organisme. Au Commissariat, les directions opérationnelles (DEN pour l'énergie nucléaire, DRT pour la recherche technologique, DAM les applications militaires) détenaient la responsabilité des centres, Marcoule, Cadarache et Saclay pour l'énergie nucléaire, Fontenay et Grenoble pour la recherche technologique et la DAM. Mais deux directions n'étaient pas apparues suffisamment mûres pour prendre la responsabilité de centres, le DSM (sciences de la matière) et la DSV (sciences du vivant) qui étaient trop recherche fondamentale, trop politiques, pour qu’on leur en confie la responsabilité. En fait, la DSV est devenue suffisamment adulte lorsqu'en en mai 2005 le centre de Fontenay-aux-Roses lui a été transféré et elle est donc devenue une direction à part entière.
Les grands axes de recherche à la DSV
En 1990, la biologie structurale et l'ingénierie des protéines se développent tous azimuts. Le CNRS lance le programme 'Imabio' avec la création de plusieurs centres de biologie structurale à Montpellier, Strasbourg. Il devait y avoir aussi Marseille et en partenariat avec le CEA, Grenoble. 'Imabio' était organisé pour la biologie structurale, installation d’outils de RMN (résonance magnétique nucléaire) et de cristallographie. Au CEA, 'Protéines 2000' était basé à la fois sur de la biologie structurale à Grenoble et sur l’ingénierie des protéines à Saclay avec André Menez. Quand l’Institut de biologie structurale a été créé à Grenoble, Jean-Pierre Ebel devait en être le directeur. Il était à Strasbourg, mais il est décédé juste avant ou juste après sa prise de fonction. Donc la difficulté a été de trouver un directeur pour lui succéder. Au CNRS, c’était la chimie qui pilotait l’IBS et Paul Rigny qui était directeur du département des sciences chimiques a eu de grosses difficultés à identifier la personne adéquate. In fine, c’est Michel Van der Rest, qui était au Canada, qui a pris la direction de l’IBS. André lui a confiée la direction commune de l’IBS et du département de biologie moléculaire et structurale de Grenoble pour reconfigurer l'ensemble. Ensuite, Van de Rest est devenu directeur du département des sciences de la vie au CNRS puis ensuite du Synchrotron Soleil. Lors de la création de l’'Institut de biologie structurale' (IBS) à Grenoble, la position de Philippe Lazar avait été de dire d'accord pour y mettre des équipes Inserm, mais André Syrota avait été très ferme, d'accord pour la mixité, sinon rien. Et c'est ainsi que l'IBS s’est créé en mixité CEA-CNRS-université Joseph Fourier, mais pas Inserm. A l’époque, l'Inserm considérait ses laboratoires comme des laboratoires propres, quel que soit leur lieu d’implantation. J’ai regardé ce week-end dans mes cahiers et j’ai vu que c’était en 1998-1999, lorsque Claude Griscelli est devenu DG de l'INSERM, que l’on est passé à une vraie mixité et non pas à une simple juxtaposition.
Pour moi un des points majeurs c’est le positionnement du CEA, dans le domaine de la radiobiologie par exemple, là ça a été de redonner un niveau d’expertise à la France auprès des instances internationales qui soit basé sur une recherche moléculaire et cellulaire très forte. Alors ça avait été l’arrivée de Bernard Dutrillaux à Fontenay, et là on est plutôt sur le volet radiobiologie, ce sont des rayonnements, on a évoqué tout à l’heure rapidement la toxicologie avec le lancement, ça devait être en 1999, du programme de toxicologie nucléaire qui mobilisait non seulement des équipes du CEA, mais plus largement d'autres de l'extérieur. Il reste que le CEA a vraiment joué un rôle central pour redévelopper une communauté scientifique en France sur cette problématique.
Et puis, il y a eu l'affaire des prions. Dans les années 1960, Raymond Latarjet avait démontré qu’il existe ces agents transmissibles non conventionnels qui ont la particularité d’être extrêmement résistants aux radiations ionisantes, d’où la constitution d’un groupe mixte CEA-Service de santé des armées pour comprendre les raisons de cette radiorésistance. Ce fut l'affaire du Médecin général Louis Court, puis de Dominique Dormont, avec le groupe mixte CEA-Service de santé des armées. Après on a compris pourquoi c’était particulièrement radio résistant puisque il s'agit d'une protéine qui n’a donc pas d’acide nucléique et la radiorésistance vient de la nature de l’agent. Mais on pouvait se poser la question du maintien de cette activité au CEA et André Syrota avait décidé, compte tenu de son intérêt biologique alors qu'on était avant la crise de la vache folle, de maintenir et même d’investir dans un P3 à Fontenay. En 1996 arrive la crise de la vache folle et là évidemment, la questions s'est posée de savoir quelles étaient les équipes en France qui disposaient d’une expertise sur la physiopathologie des prions? En dehors de Dormont, il n’y avait pas grand monde. Ensuite, Christian Vincent qui était spécifiquement en charge des partenariats à la DSV a mis en relation Jean-Philippe Deslys, le bricoleur de génie côté prions et Jacques Grassi qui était l’expert côté test diagnostic.
L'imagerie médicale est le domaine où je suis le moins intervenu. On avait un noyau de base, le Service Hospitalier Frédéric Joliot qui est quand même tout à fait inédit parce qu’il n’y a pas beaucoup de services hospitaliers conventionnés avec l’AP-HP en dehors des CHU. Le premier rôle était tenu par Claude Kellershohn, avec le premier cyclotron puis avec la RMN 3 Tesla. Donc un service à la fois à la pointe sur le plan de l’instrumentation et sur les problématiques abordées, principalement axées sur la cardiologie et la neurologie. Construite autour du SHFJ, la force de l’imagerie, c’était l’unité d’infrastructure et une collaboration avec la plupart des services hospitaliers de France, ce qui a d'ailleurs permis à André Syrota de connaître tout le monde quand il est parti à l’Inserm. J'ajoute le choix qu’il avait fait de l’imagerie à une époque, fin des années 1970 début des années 1980, où la physiologie et l’approche intégrée n’étaient pas ce qui était le plus à la mode, contrairement à la biologie moléculaire et aux techniques de clonage et de séquençage. Cela explique aussi le positionnement unique du SHFJ. La mise en place des neurosciences et de Neurospin, cela remonte à la fin des années 1990 avec la mise en relation d’équipes de la Direction des sciences de la matières (DSM-CEA) sur les aimants supraconducteurs. Cela reposait sur le développement de nouvelles technologies et il fallait oser se lancer. Or lancer les choses avant d’avoir l’accord du conseil d’administration du CEA comme l'a fait André Syrota, c'est exceptionnel. De même, il a fait venir Denis Le Bihan du NIH et il a permis le maintien de Stanislas Dehaene en France. L’autre grand développement c’est Fontenay avec l’IRSN qui est une installation en imagerie primate et infra humain parfaitement unique où André Syrota avait convaincu Christian Bréchot d’être partenaire. L’IRSN est 30 % Inserm et le reste CEA, un centre mixte assez unique en son genre.
La DSV et la génomique
Les techniques de séquençage se sont développées à Evry en raison du choix de l’Association française contre les myopathies (AFM) d'y implanter le Généthon dans d'anciens locaux de la SNECMA. Il n’y avait donc pas de base scientifique à l’implantation à cet endroit. Après, il y a eu la phase d’analyse pour la création d’un Centre national de séquençage (CNS) pour lequel Jean-Marc Egly avait rédigé un rapport destiné au ministre François D’Aubert. La décision d’implantation se produit juste après la création du Centre national de génotypage (CNG), l’arrivée de Claude Allègre à la Recherche, la création Génopole et la transformation de l’Université d’Evry où l'on introduit la biologie. Auparavant, il n'y avait pas de sciences de la vie puisqu'elle était orientée sur les matériaux en relation avec le CEA. Mais Yannick d’Escatha qui était le président du comité d’orientation de l’Université, et Claude Allègre demandent au Commissariat d’accompagner l’Université dans le développement d’une filière en biologie. L’AFM et le Généthon considéraient qu’ils avaient lancé les choses avec la cartographie génétique (la cartographie physique Jean Weissenbach et Daniel Cohen) mais ils envisageaient la suite en considérant que le Généthon devait se consacrer aux stratégies de thérapie génique avec le développement des vecteurs indispensables. De son côté, au Centre national de séquençage (CNS) Jean Weissenbach considérait que la France, compte tenu de ses moyens, pouvait contribuer par le séquençage du chromosome 14, mais que pour continuer à être en pointe comme on l’avait été avec la carte génétique et la carte physique, il fallait quelque chose de différent. Il a décidé de séquencer le 'zebrafish', ce qui lui a d'ailleurs permis de démontrer que le nombre de gènes humains n’était pas de 120 000, mais plutôt de l'ordre de 30 000. Or, Bernard Barataud le président de l'AFM considérait que le séquençage du 'zebrafish' ne présentait pas le moindre intérêt pour Généthon. Mais comme le Génopole était dirigé par Pierre Tambourin, André a décidé d'y implanter un laboratoire CEA, le 'Service de génomique fonctionnelle' s’y est installé dans le même bâtiment que le Centre national de génotypage (CNG). Donc le CEA a soutenu le développement d’une activité de recherche avec des recrutements, l'ouverture d'un laboratoire de bios puces, etc. Plus tard en 2007-2008, la mission confiée à André Syrota a consisté à analyser le devenir des deux Groupements d'intérêt public (GIP) dont dépendaient le CNS et le CNG. Par définition, un GIP a une durée de vie limitée. Il y a du personnel et il fallait réintégrer ces deux entités dans un organisme de recherche. Lequel? Plusieurs éléments sont intervenus : le statut du personnel puisque les deux GIP relevaient de la convention nationale de l’industrie pharmaceutique et donc le statut du CEA permettait de mieux y répondre que celui d'un établissement public de recherche (EPST).
Les relations recherche - industrie
Au CEA, cela marche très bien entre des entités qui ont la même logique de fonctionnement, c’est-à-dire entre la direction des sciences du vivant (DSV) et celle des sciences de la matière (DSM). Par exemple, pour le développement de la RMN destinée à Neurospin. C’est beaucoup plus compliqué avec la Direction de la recherche technologique (DRT), compte tenu de son modèle économique. A la DRT, il n’y a pas de recherche sans un financement industriel. Bien entendu, il y a des choses intéressantes au LETI avec un dispositif que Bernard Bigot avait mis en place sous le nom de 'programme de couplage' car il est dégagé de l'obligation de cette recherche de financement. Le modèle économique de DRT est donc sans aucun doute un frein à des innovations de rupture. A chaque fois il lui faut faire la démonstration qu'un projet est économiquement viable. Je me souviens que l’inspection générale des finances avait fait en 2007 ou 2008 un rapport sur la valorisation de la recherche française en étudiant le niveau des redevances de la recherche publique entre 1995 et 2005. Globalement cela devait être de 100 ou 110 M€, ce qui n’est pas énorme. Il n’avait d'ailleurs pas tellement augmenté, mais en 1995 ces brevets techniques étaient à 90 % d'origine CEA. Changement complet de configuration en 2005, la grande majorité venait des sciences du vivant avec le sida (Pasteur), des prions (CEA) et du Taxotère (CNRS).
Pour l’’ intéressement aux redevances des chercheurs des EPST, il y a eu les décrets d’octobre 1996, mais le CEA n’était pas concerné. Au CEA, il y avait une logique d’entreprise, une prime de rédaction et une prime de brevet fixe. Je me disais que si jamais on a une invention dans un labo mixte avec un chercheur Inserm et un chercheur CEA, on va se retrouver dans une situation difficile à gérer. L’un aura un intéressement et pas l’autre. Donc il y a un régime d’intéressement mis en place à partir de 1999-2000. Le gros déposant de brevets au CEA c’est DRT (recherches technologiques). Ils font peu de licences et c'est le brevet qui donne de la valeur à leurs contrats de recherche. Ils protègent une idée et ensuite ils la développent avec un industriel. Ils ne concèdent pas de licence, mais comme ils ont l’idée et la propriété ils font payer le développement à l’industriel. Donc ils augmentent leur portefeuille ce qui valorise leurs contrats. A l’Inserm on n’augmente pas le portefeuille, la politique est de déposer précocement et de se donner 18 mois d’analyse avant les phases d’extension. C'est une logique de licences. Enfin, il y a une troisième logique en train de se mettre en place en France avec les sociétés d'accélération du transfert technologique (SATT) qui dépose des brevets quand on a la démonstration qu’il y aura une licence.
Du CEA à l'Inserm avec André Syrota
Au CEA, j'ai travaillé avec André Syrota jusqu’à fin 1999. Quand il a été question qu’il vienne à l’Inserm en 2008, il m’a proposé de l’accompagner et j'ai d'autant plus accepté que le job m'intéressait. Dans sa lettre de mission, le rôle de coordination confié à l’Inserm sur la recherche biomédicale et les sciences de la vie était clairement établi. La mission était donc de faire des propositions pour renforcer la coordination entre les sciences de la vie et la santé. Auparavant, il y avait eu plusieurs étapes. D'abord la création du 'Comité de coordination des sciences de la vie' (CCSDV) à la Recherche. Parallèlement il y avait aussi un 'Comité de coordination des sciences et technologies de l’information' (CCSTI), mais avec beaucoup de monde autour de la table. Il y avait des scientifiques, des représentants des institutions, un mélange qui ne faisait pas forcément quelque chose de très opérationnel. Après, en 1998, il y a eu une organisation un peu plus souple imaginée par Claude Griscelli, donc endogène par rapport au ministère, avec 'RIO' (Réunions Inter Organisme) qui réunissait les responsables de l'Inserm, de l'Inra, du CEA et du CNRS.
Instituts thématiques et Alliance pour les sciences de la vie et de la santé
Dès sa prise de fonction à la tête de l'Inserm, André a mis en place huit instituts thématiques avec pour objectif de faire un état des lieux de la recherche dans leurs domaines respectifs (neurosciences, microbiologie, maladies infectieuses, cancer, etc.), d’animer les communautés scientifiques et de faire des propositions en terme de programmation pour l’Agence nationale de la recherche (ANR). C'était basé sur un constat, on sait qu’en France, on est en quatrième ou cinquième position au niveau mondial selon les domaines, mais dans celui du Sida on est en deuxième position, que ce soit en recherche fondamentale, en recherche clinique ou en en partenariats avec les pays du sud. L’hypothèse était de se dire que ce bon positionnement était lié à l’existence d’une 'Agence nationale de la recherche sur le sida' (ANRS) qui avait apporté des financements, mais aussi qui avait joué un rôle d’animation des communautés scientifiques, tissant des liens entre le fondamental et la clinique, une réussite. Avril 2009 voit ainsi la création formelle de l’alliance pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN) sur un schéma de base d’organisation d'instituts thématiques qui reste viable aujourd’hui. C’est là que les 'Institut thématique multi organismes' (ITMO) sont nés. Après des discussions avec le CNRS qui ont duré plusieurs mois, on a abouti à la création à deux instituts supplémentaires, 'Bases moléculaires et structurales du vivant' et 'Biologie cellulaire, développement et évolution' afin de couvrir l’ensemble des activités en sciences de la vie et en santé. Puis, très vite, il y a eu des discussions avec les hôpitaux, la question étant de savoir quelle structure pouvait intervenir au même titre que la CPU représentant les universités. Il existe un 'Comité national de coordination de la recherche clinique' (CNCRC), il y a la 'Conférence des directeurs généraux de CHU' qui dont devenus des membres fondateur de l'Alliance.
A la base de cette organisation, on trouve les structures labellisées Inserm, soit 270 unités mixtes de recherche (UMR), les centres d'investigations clinique (CIC), quelques unités mixtes de services (UMS), et quelques Instituts fédératifs de recherche (IFR), etc. Nos structures Inserm sont essentiellement des UMR, CIC et UMS. Mais il faut y ajouter les conseils d''Idex', de 'Labex' et d''Equipex', les Instituts hospitalo-universitaires (IHU), comme 'Imagine' dédié aux maladies rares à l'hôpital Necker, les Instituts de recherche technologique (IRT), etc. Si l'on fait le recensement des instances diverses dans lesquelles on est censé être représenté, on en est à 450.
Animer la recherche
A l’Inserm, il y avait un « Département d’animation et du partenariat scientifique » qui disposait d’un certain nombre de moyens pour faire de l’animation scientifique, pour soutenir des réseaux, etc. Donc, on l’a mis dans le pot commun pour que les ITMOs disposent d’un peu de moyens pour faire de l’animation scientifique. Les budgets sont donc fixés par établissement (les EPST), même s’il peut y avoir une consolidation par l'Alliance. Donc la tutelle budgétaire reste largement le ministère de la recherche puisque, hormis les 'Merri' qui dépendent de la Santé, ils relèvent du programme 172 de la Recherche. L’articulation en terme de gouvernance est très simple. Tous les mois il y a un conseil de l’Alliance qui réunit les ITMOs avec les responsables opérationnels de chaque entité, l'enceinte décisionnelle, avec un suivi par le bureau qui se réunit chaque quinzaine. Donc pas de structure juridique, pas d’administration propre, mais de la coordination et des propositions et actions conjointes. Ca a débouché sur quoi ? D'abord sur une problématique du soutien aux jeunes chercheurs, autrement dit on n'a plus eu d’un côté l’INSERM avec son action 'Avenir' et de l’autre le CNRS avec ses 'Atip' (actions thématiques et incitatives sur programme). Cette fusion a très bien marché. L'intérêt du regroupement en ITMOs, c'est de donner une bonne vision de ce qui se fait. C’est ensuite la capacité de mobiliser très vite les chercheurs concernés. Le fait de tenir des réunions régulières des directions de chaque établissement permet de faire remonter l’information. On peut comprendre que quand un directeur d’établissement apprend qu’un de ses chercheurs à été contacté directement, il peut le prendre mal. Mais comme on se voit tous les quinze jours, il y a désormais beaucoup plus de fluidité dans la circulation de l’information.
Développer un lobbying à l'international
Autre exemple des animations effectuées par l'Alliance : notre capacité d’influence, pour ne pas dire lobbying, à Bruxelles. On choisit un thème, il y avait les cellules souches, l’année d’après c’était vaccins. Ainsi, il y a un groupe Aviesan-Europe qui se réunit régulièrement pour promouvoir ce genre d’opération. Il y a aussi un groupe Aviesan-international pour la constitution de groupements de recherches internationaux. Aviesan-sud qui s'occupe du réseau des Instituts Pasteur, avec l’IRD, et le 'Cirad' (l'organisme de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes) qui a rejoint l'Alliance comme membre associé mais qui est très actif, l’INSERM et l’ANRS. Quant à la visibilité internationale, on a pris contact avec les responsables du classement de Shanghaï pour voir quel mode d’affiliation permettait à chacun de garder sa visibilité. La solution, c’était le multi lignes. Mais l’évolution des outils d’interrogation, des moteurs de recherche, bibliométriques, etc. fait que maintenant il est possible, à partir du moment où l’INSERM figure dans une publication, de l’identifier clairement et l'on est donc en train de revoir la charte d'AVIESAN pour aller vers du mono ligne.
Assurer des relations avec l'industrie
Autre action rapidement mise en place, la relation avec les industriels. La visibilité a été donnée par des rencontres internationales organisées conjointement par AVIESAN et l’'Alliance pour la recherche et l’innovation des industries de santé' (ARIIS). Avant c’était éclaté, il y avait le LEEM (Les Entreprises du Médicament) pour la partie médicament, le 'Snitem' (Syndicat national de l'industrie des techniques médicales) pour les dispositifs techniques, il y avait le vétérinaire, le diagnostic, l'imagerie, etc. Or, les besoins des industriels ont changé compte tenu de l’évolution de la biologie, tout ce qui est 'big data', séquençage du génome, etc., on entre dans l'ère du combinatoire. Les industriels savent que ce n’est plus avec leurs propres centres de recherche qu’ils vont pouvoir innover et ils se tournent vers des partenariats. Ce qui est intéressant est qu'il ne s'agit plus de partenariats comme on les connaissait ces dernières années où on venait chercher une prestation de recherche ou de service, désormais les chercheurs de l’industrie et ceux du public identifient leurs besoins ensemble. J’ai un bel exemple avec le Centre d'immuno de Marseille Luminy (CIML), un joyau de la recherche fondamentale, mais où les discussions avec les chercheurs de Sanofi ont permis d'identifier des projets de recherche nécessitant l’acquisition de connaissances nouvelles. Ce partenariat mis en place il y a cinq ans, vient d'être renouvelé à la satisfaction des partenaires. Le principe de ces rencontres est simple. On définit un thème, neurosciences, maladies infectieuses, inflammation, cardiométabolisme. Les prochaines de juin 2015, c’est maladies rares et pour cela, on a introduit le système d'analyse 'SWOT' (strengths, weaknesses, opportunities & threats) dans la recherche scientifique. Dans la logique de l'Alliance et des ITMOs, quelle que soit leur appartenance institutionnelles, on réunit les très bons chercheurs du domaine. Le matin ce sont des exposés, avec un aspect vitrine de la recherche française et l’après-midi on organise des rencontres en tête à tête entre industriels et chercheurs. Il y a un gros travail de préparation fait avec ARIIS, mais ça fait venir les responsables R&D monde entier. Ainsi, il y a eu de gros partenariats qui se sont montés avec GSK (Glaxo Smith Kline).
ANRS, INCA, IRSP, Neurosciences...
En fait la relation AVIESAN-ITMOs a été finalisé en juin 2010, se traduisant dans la programmation des différentes entités. Pour l'Agence nationale de la recherche sur le sida (ANRS) c’est très simple. Un directeur de l’ITMO, Jean-François Delfraissy et devenu aussi directeur de l’ANRS avec une thématique bien ciblée. Cette cohérence de programmation par thèmes a conduit l’ANRS qui était un GIP a devenir en 2012 une agence autonome au sein de l’Inserm. Ce faisant, je crois que l’on a démontré que cela s'est fait sans empiéter sur la cohérence de l'Agence, tout en simplifiant quand même le paysage. Le deuxième cas de figure est le cancer. Là, c’est un peu différent, parce que l’Institut national du cancer (INCA) n’est pas spécifiquement dédié à la recherche, mais dispose d'un volet de prévention, de dépistage, d'organisation de soins qui représente la moitié de son activité, donc hors recherche. En revanche ce qui a été mis en place par convention c’est la partie recherche validée par le conseil scientifique de l’Institut national du cancer (INCA) ainsi que les mesures nouvelles incluses dans le Plan cancer 2 soient confiées à l’ITMO cancer. La partie santé est financée par le ministère de la Santé et la partie recherche abondée avec 30 M€ par celui de la Recherche. Quant à l'’institut de recherche en santé publique (IRSP), il réunit les mutuelles, la Caisse nationale d'assurance maladie etc. qui abondent l'ITMO à concurrence de 6 M€ par an, ce qui n’est pas négligeable. La Fondation Alzheimer pour sa part est liée à l’ITMO neurosciences et est localisé dans les locaux de l’Alliance. En gros, l'Alliance a abouti à la simplification de notre coordination, avec une meilleure visibilité que ce soit au niveau européen ou vis-à-vis des industriels. Elle a porté ses fruits en terme d’attractivité et de gros partenariats. AVIESAN a été la première alliance, en avril 2008 et elle a été suivie par quatre autres alliances, mais je crois que parmi les autres alliances, c’est elle qui marche le mieux.
Relations avec l'Agence nationale de la recherche (ANR)
On a assez vite conclu un accord avec l’Agence nationale de la recherche en disant que les ITMOs seraient à la source de sa programmation de la recherche. Ceci est formalisé, puisque que dans le nouveau décret d'organisation de l’ANR, les présidents des alliances sont membres de son conseil d’administration. Cela n’est pas écrit comme ça puisque les alliances ne sont pas des structures juridiques, mais c'est ainsi que cela fonctionne dans la pratique. C’est une évolution majeure, d'autant que les ressources et les recettes externes de l’Inserm sont passées en moins de dix ans de 50 à 350 M€. Certes il y a l’ANR d'un côté, mais il y a aussi l’Europe et l’industrie etc. L’ANR ayant aussi une part prépondérante pour les contrats européens, l'un des enjeux pour AVIESAN à été d'y avoir sa place ce qui lui permet de participer à la définition des orientations de la recherche.
Relations avec la clinique, la recherche translationnelle
Parmi les derniers développements au printemps 2015, il y a une mission donnée conjointement au ministre de la santé et à celui de la Recherche concernant la recherche en santé. Traditionnellement, les sources de financement concernant la recherche clinique et la recherche translationnelle relevaient du 'programme hospitalier de recherche clinique' (PHRC). On a donc bâti un programme ANR de recherche translationnelle avec la Direction générale de l'offre de soins (ex-DGS), l’ANRS, l’INCA, l’Agence de biomédecine et l’Etablissement français du sang… Si l'on fait la somme, cela représente quand même plus de 200 M€. Ce n’est pas rien, mais réparti en 'x' agences, chacune avec sa propre programmation. Donc on a proposé au ministère de présenter un opérateur d’appel d’offres unique, un calendrier commun, des formulaires uniques d’appels à projets, des modes d’évaluation communs, un portail pour faire en sorte que les chercheurs qui postulent à ce programme puissent disposer d'un point d’entrée unique, d'un calendrier, des procédures, de formulaires de dépôt identiques…
L'évaluation de la recherche
L'Agence d'évaluation de la recherche et de l'Enseignement supérieur (AERES), elle a été créée par la loi de 2006 comme une autorité administrative indépendante. Aux débuts, il était prévu qu’elle faisait les évaluations elle-même ou selon des procédures qu’elle validerait. Mais lors de sa mise en œuvre, le poids de la Conférence des professeurs d'université (CPU) qui ne voulaient pas que les unités mixtes soient évaluées uniquement par l'INSERM ou le CNRS. Cela a conduit à ce que l’AERES prenne en charge toute l’évaluation, même si nous statutairement les EPST continuent à avoir besoin de l’avis des 'commissions scientifiques spécialisées' de l'INSERM, ne serait ce que pour créer les labos. La difficulté rencontrée vient de ce que, lorsque les Commissions scientifiques spécialisées de l'Inserm (CSS) évaluaient il n’y avait pas plus de 10 % d'unités classées 'A+', premières sur une échelle de cinq, or avec l’AERES on est passés à 35 %. Les raisons pour lesquelles il y a eu aussi peu de discrimination m'échappent un peu, mais il y a probablement l'effet d’harmonisation entre disciplines. Guy Aubert, un ancien DG du CNRS, l'expliquait parce qu'en physique, on faisait le nettoyage avant le passage en commission. Bref, aujourd'hui, on n’a plus de note AERES et on est revenu cette année à un classement à cinq niveaux (comme l'AERES) mais effectué par les commissions scientifiques de l'INSERM dans lesquelles on peut avoir des membres étrangers, mais en quantité limitée.