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Entretien avec Michel Suscillon                 

Réalisé le 19 novembre 2014 par O. Frossard (arch. CEA-FAR)
Transcription et   intertitrage par J-F Picard, texte validé par le témoin sept. 2015

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 Voir aussi : Physique et recherche médicale, le CEA et l'instrumentalisation des sciences du vivant (Histrecmed 2017)

Je suis né le 21 juin 1936 à Annecy dans une famille paysanne dont j'étais le dernier des huit enfants. Je n'avais aucune idée du métier que je ferais plus tard, mais je savais déjà que je voulais commander. J'ai commencé par devenir le chef des enfants de cœur de ma paroisse. Mes parents étaient des humanistes. Ils considéraient qu'il n'y avait que deux ou trois métiers qui méritaient que l'on s'y consacre qui, disaient-ils, ont une utilité pour la collectivité, instituteur ou médecin. Après mes études secondaires, je me suis inscrit à l'Ecole de médecine de Grenoble, mais je me suis arrêté en troisième ou quatrième année, lorsque je me suis aperçu que médecin de campagne, c'était bien, mais que faire de la recherche permettait non seulement de les soigner les gens, mais surtout de prévenir les maladies et je me suis réorienté vers des études scientifiques.  A l'époque, je me souviens d'avoir entendu Frédéric Joliot dire que le plus grand bénéfice à tirer de l'énergie nucléaire concernait la biologie, que grâce aux radio-isotopes on pouvait étudier le métabolisme des êtres vivant... La biologie cessait de n'être que descriptive pour devenir dynamique. On passait de la photo au cinéma en quelque sorte! Cela m'avait fortement intéressé. Je suis donc allé voir les gens du CEA et j'ai été reçu par le grand chef du CEN-G, le professeur Louis Néel, un personnage considérable. Lorsque le Haut commissaire à l'énergie atomique de l'époque, Francis Perrin, venait le voir, il devait annoncer sa visite à l'avance. Le CEN-G apparaissait comme cette sorte de village gaulois, ce qu'il est d'ailleurs resté parait-il.

Le Centre d'étude nucléaire de Grenoble (CEN-G)

Le CEN-G a été créé en 1956 par Louis Néel. Pour l'installer il avait négocié avec la Défense nationale la mise à disposition du polygone d'artillerie désaffecté. Mais il n'en voulait qu'un petit morceau car au début on ne pensait qu'à une affaire d'environ trois cent personnes. Or on lui a dit, c'est tout ou rien et il a décidé de tout prendre. Il a bien fait, puisqu'aujourd'hui on y trouve aujourd'hui outre le CEN-G, l'Institut Laüe-Langevin (ILL), le synchrotron, et tout un tas de laboratoires. Tout ceci a fait grand bruit à Grenoble et comme j'avais dans l'idée de participer à des choses d'avenir, je me suis dit que c'était là qu'il fallait travailler. Grenoble a toujours été très ouvert sur le monde universitaire. A l'époque, on parlait des 'trois Louis' : Néel le patron du CEN-G, Weil le créateur du campus universitaire et Merlin, le patron de l'industrie électrique. Pour décider des programmes de recherche du CEN-G, les trois Louis ont décidé d'installer un conseil scientifique composé de moitié de gens du CEA (des pontes venus du siège), moitié de Grenoblois, des industriels et des chercheurs universitaires. C'était une manière de faire totalement inédite qui a surpris les grands chefs du Commissariat, mais Néel leur a dit que c'était à prendre ou à laisser.

Clandestinité de la recherche biologique

J'ai donc demandé de faire ma thèse au CEA. Lorsqu'il m'a reçu en 1960, Louis Néel m'a dit qu'il voulait développer la biologie, mais qu'il n'avait pas grand chose à me proposer, juste un peu de radioprotection et de biologie végétale. La biologie végétale ne me disait rien, quant à la radioprotection, j'y ai passé une petite année, mais c'était le zéro pointé, et au sortir de mon année à la radioprotection, je suis retourner le voir pour lui expliquer que je ne pouvais pas continuer ma thèse dans ces conditions. Il me dit : "vous n'êtes pas le premier à me dire ce genre de chose. Bon, nous allons faire un deal : je vous donne deux techniciens et un peu de matériel. Vous installez un petit labo et vous faite votre thèse". J'ai beaucoup cotoyé Louis Néel, notamment quand je suis monté à Paris et qu'il habitait à Meudon où il avait pris sa retraite. Il m'a raconté que lorsque nous nous étions rencontrés les premières fois, il a tout de suite pensé 'tiens voilà un jeune type qui va secouer les deux mandarins que j'ai fait venir, Renaud Rinaldi et Paul Ozenda qui représentaient la vocation reconnue, un peu enkystée au Commissariat, de la radioprotection et les effets des rayonnements sur les organismes vivants. Sur ce est arrivé de Lyon un jeune médecin des hôpitaux, Daniel Hollard (aujourd'hui décédé) auquel j'ai à mon tour proposé un deal : "tu viens comme conseiller scientifique au CEN-G, cela te permettra d'ouvrir le labo dont tu ne disposes pas à l'hôpital" et c'est comme ça que l'on a monté le troisième laboratoire d'hématologie. Avec Hollard qui voulait faire une forme de biologie nouvelle, puis Néel a fait venir Pierre Vignais (Université Joseph Fourier), un biochimiste et Pierre Mouriquand qui faisait de l'histologie génétique. Voilà les trois pionniers de la nouvelle biologie à Grenoble. Les effectifs ont ensuite grossi jusqu'à atteindre près de 300 personnes, mais - et j'insiste sur ce point - cette recherche biologique était clandestine!

Hématologie et cancérothérapie

Lorsqu'on a créé le labo d'hémato avec Hollard, il s'agissait de travailler sur la structure des protéines de la coagulation. Ce sont les seules molécules intelligentes du vivant. Les sucres, c'est du carburant, les lipides de la structure. Les seules protéines dont le rôle est inscrit dans le programme d'ADN, ce sont les fibrinogènes. Si vous vous faites une blessure, vous avez remarqué que le sang véhicule des plaquettes lesquelles s'agglutinent pour former une gelée qui appelle d'autres molécules, la prothrombine, le précurseur de la thrombine la protéine de la cicatrisation. Le rôle de cette protéine est essentiel, si elle fait défaut vous faites des phlébites, des accidents vasculaires cérébraux. Bref elle est là pour colmater les plaies. De là, on a mis en évidence que le sang contenait des cellules souches, i.e. des cellules embryonnaires totipotentes, aptes à donner des cellules cardiaques, nerveuses, osseuses, etc. C'est à Grenoble que l'on a commencé à isoler les premières cellules souches sanguines, en général prélevée sur des cordons ombilicaux de nouveaux nés. L'idée était de lutter contre les leucémies. On a coopéré avec le pr. Melvin N. Grumbach de l'Université de Californie à San Francisco et on a décidé de tenter les premières opérations. Dans les années 1970, on a commencé sur de gros animaux, des veaux sur lesquels on pratiquait une dérivation carotide jugulaire de façon à faire une dérivation extra corporelle qui permettrait de passer le sang dans une bombe au cobalt. Il s'agissait de tester la sensibilité des cellules sanguines circulantes en vue de chimiothérapies. On a réussi à traiter certains malades avec ce dispositif, en particulier des femmes enceintes auxquelles on ne pouvait pas faire de chimiothérapie, ni de radiothérapie globale. Mais on s'est arrêté  après que le ministère ait découvert que l'on avait introduit, sans autorisation officielle, des bombes au cobalt à l'hôpital de Grenoble. Dommage, l'idée était intéressante. En fait, elle consistait à traiter non le corps entier d'un patient, mais seulement les tissus qui posait le problème. Donc, de la recherche fondamentale à l'origine, mais avec l'idée d'applications rapides de l'autre, en l'occurrence à la clinique humaine.

Une activité hors organigramme...

Aux débuts, la biologie ne figurait pas dans les organigrammes du CEN-G. Pourquoi? Parce que les parisiens, Jean Coursaget le patron du Département de biologie et Henri Jammet celui de la radioprotection disaient : " la biologie au CEA, c'est nous!".  Ce à quoi nous les Grenoblois répondions : "vous savez, la Révolution française a commencé à Grenoble et si vous en voulez une nouvelle, on va la faire!" Nous sommes donc restés dans la clandestinité pendant vingtaine d'années, de 1960 à 1980 à peu près, sans visibilité dans l'organigramme du Commissariat. On avait autant de chercheurs du CNRS, de l'Inserm ou de la fac qu'on voulait, mais on restait une sorte d'ectoplasme. Cela n'avait pas que des avantages, notamment pour les agents sur postes CEA. Quand on faisait remonter une demande de promotion à Paris, Coursaget disait : "monsieur untel, il est à Grenoble? Connais pas!"  Quand nos recherches ont commencé à bénéficier d'une notoriété internationale, quand il fallait signer une publication, on devait préciser 'ingénieur CEA'. Du coup, j'ai décidé que les gens qui étaient C1 - C3, obtiendraient l'équivalence chargé de recherche - directeur de recherche. Bien entendu la direction du CEA a voulu me remonter les bretelles. J'ai dit OK, revenons à l'ancien système, mais vous me faites une lettre que je me réserve de communiquer aux journaux et je n'en ai plus entendu parler.

...mais des opportunités d'ouverture

En revanche, notre situation présentait un énorme avantage. Elle nous a obligés à nous ouvrir sur l'extérieur ce qui a été propice à un extraordinaire bouillonnement intellectuel et nous a conduits à chercher des crédits auprès d'autres institutions. Voilà qui explique pourquoi les quatre premiers labos installés au CEN-G ont été des unités Inserm ou CNRS. Nos gens bénéficiaient ainsi d'une expertise extérieure, ce que n'avaient pas ceux de Saclay. A la fin des années 1970, on a accueilli à Grenoble une première unité Inserm qui a accepté notre système d'expertise. En fait pour nous, le label CNRS ou Inserm constituait une reconnaissance. On a donc installé des conseils scientifiques dans chacun de nos labos et on a développé nos relations avec les autres labos du CEN-G, le LETI (laboratoire d'électronique et de technique de l'information) par exemple qui a conçu le premier scanner, la première caméra à positons ou qui a pu développer la microscopie électronique à haute résolution. Le LETI s'appelait au départ le 'laboratoire de contrôle et de réparation du matériel électronique'. On y allait quand on avait un PH-mètre qui ne fonctionnait pas, et c'est son premier patron qui a dit "tout cela est très bien, mais on pourrait faire tellement plus de choses". Et c'est comme cela que le LETI a fabriqué du matériel pour les gens de Saclay qui n'avaient pas su le développer chez eux. Louis Néel a toujours été soucieux du transfert de techniques des méthodes de la physique vers la biologie, mais aussi que la biologie apporte de nouveaux thèmes de recherche intéressants et l'on a eu des physiciens qui se sont intéressés au micro-squelette cellulaire avec des méthodes que les biologistes n'avaient pas imaginées. Je rappelle que c'est nous qui avons créé les premières 'start up' en biologie, alors que cela ne s'appelait même pas encore comme cela. Nous étions devenus véritablement pluridisciplinaires et comme Grenoble représentait un pôle alléchant pour la recherche en sciences de la vie, de plus en plus de gens du CEA ont demandé leur mutation dans cet espèce d'ectoplasme grenoblois.  A Grenoble, on n'a jamais voulu rentrer dans la distinction recherche fondamentale - applications. C'est ainsi que les premières start'up de  biologie ont été montées au CEN-G, créées par des chercheurs qui s'intéressaient aux applications de leurs travaux, il y en a encore quatre ou cinq qui fonctionnent toujours. Voyez aussi toutes les applications développées avec le LETI qui ont ensuite irrigué le secteur industriel. Un bon exemple du caractère artificiel de cette distinction entre recherche fondamentale et applications est, à mes yeux, celui du pr. Alim-Louis Benabib qui est devenu un ami, un neurochirurgien de réputation internationale (prix Lasker 2014). Monsieur Benabib a arrêté deux ans ses activités médicales pour faire un master de physique et une thèse de sciences au LETI avant de monter 'Clinatec' (un centre de transfert des techniques innovantes en neurochirurgie).

D'une menace de démission à la direction du CEN-G

En 1970, quand Jules Horowitz a installé le Département de recherche fondamentale du CEA, il a pensé qu'il serait intéressant d'y insérer les Grenoblois. Le directeur du département, Bernard Dreyfus, m'a dit :" tu as créé une sorte de fédération des laboratoires de biologie (USTMG : 'Université Scientifique, Technique et Médicale de Grenoble'), accepterais-tu de devenir mon adjoint pour essayer de faire entrer la biologie dans cet institut de recherche fondamentale?" Mais il y a eu des tiraillements du coté d'Horowitz et le projet a explosé. Dreyfus a démissionné de son poste de chef de département et j'ai démissionné avec lui. On a été convoqué par le patron du CEA, André Giraud (AG 1970-1978) lequel nous a passé un savon : "jeune homme, quand on est au CEA, on ne démissionne pas!
- Navré, mais nous, on a démissionné". Point final.
Dreyfus qui était physicien, ancien directeur adjoint de l'ILL, est retourné faire de la recherche fondamentale.  Quant à moi le chef du CEN-G m'a dit de me trouver un adjoint pour ouvrir le centre à son environnement, tous secteurs confondus. J'ai fait ce travail pendant un an et demi. C'était un peu particulier, je n'arrêtais pas de recevoir des courriers comminatoires du siège parisien. J'avais publié un fascicule sur le thème 'Qui fait quoi au CEA?'. On l'avait diffusé auprès des industriels et c'est comme cela que l'on a travaillé pour Teraillon, un fabricant de balances intéressé par les capteurs de pression que nous avions mis au point.
En 1983, Gérard Renon (AG 1982-1986) me dit que Louis Néel s'en allait et il ajoute : "j'aimerais que vous preniez la direction du CEN-G". Important changement de situation! J'ai répondu OK. Cela correspondait bien à mes aspirations de jeunesse et je suis devenu directeur du CEN-G. J'ai commencé à essayer de réunir Grenoble avec Cadarache, Saclay et Fontenay aux Roses. A l'époque, Saclay parlait peu avec Fontenay car Jammet et Coursaget ne s'entendaient pas. Sur ce, Jean-Pierre Capron est nommé administrateur général (AG 86-89)  et il me dit : " j'ai récupéré un gars du ministère, le professeur Jacques Latrille de Bordeaux et je lui ai donné le poste de directeur des sciences et techniques du vivant. Je ne veux pas le rattacher à Jules Horowitz pour éviter qu'il ne soit phagocyté et je lui ai demandé de me faire des propositions sur ce qui se faisait dans les différents centres du CEA en matière de biologie". J'ai donc été rattaché à l'institut de recherches technologiques et de développement industriel (IRDI-CEA), et à l'instigation de Yannick D'Escatha (dir. de Technicatome et du Centre de Cadarache) et de J.-P. Capron, on a installé un petit comité chargé de restructurer cet ensemble pour faire un bilan de nos compétences et  préciser nos objectifs. C'est là que l'on a créé ces nouvelles directions opérationnelles disposant de tout pouvoir en matière de programmes, de contrôle, d'évaluation et de personnel.

Synchro-cyclotron et structure des protéines

Simultanément, je suis allé voir J.-P. Capron pour lui dire que je souhaitais lancer un programme en ingénierie des protéines et j'ai réussi à organiser une rencontre avec lui et Horowitz pour leur exposer mon projet. En 1984, Hubert Curien alors ministre de la Recherche avait décidé que le futur synchrotron européen (ESRF) s'installerait à Strasbourg. Nous évidemment, nous nous bâtions pour qu'il le soit à Grenoble. J'avais pour allié Jules Horowitz et bien sur tous les politiques locaux, Louis Mermaz, Alain Mérieux et surtout les gens de l'Institut Laue Langevin. Nous disions : "vous voulez mettre le synchrotron à Strasbourg, bon très bien, mais vous n'avez pas toute la base scientifique. Quand on veut faire un plongeoir, il vaut mieux le mettre là où il y a une piscine ". Finalement on a eu l'ESRF à Grenoble. Puis, on a dressé les plans d'un Institut de biologie structurale (IBS) destiné à réunir les biologistes et les cristallographes avec les rayons X, les spectromètres, et les lignes de lumière produites par l'ESRF. Fort de mon expérience grenobloise, il s'agissait de bâtir une structure mixte, CEA, CNRS, Université. Je me suis tourné vers Claude Paoletti (DSV-CNRS) et Philippe Lazar (DG Inserm). Le CNRS nous a dit qu'il soutiendrait quelques équipes associées, mais Lazar ne répondait pas. Je l'appelle pour lui dire que Paoletti a donné son accord et il me dit : "soit, mais je te réponds non. Quand l'Inserm est quelque part, c'est moi le patron". Moralité, quand il y a plusieurs crocodiles dans le même marigot, les choses se compliquent. Bref, L’Institut de Biologie structurale a été crée en janvier 1992, par le CEA le CNRS et l'université Joseph Fourier et aujourd'hui, deux équipes de l'IBS travaillent sur les lignes de lumière du synchrotron dédiées au domaine médical.

La direction des sciences du vivant

En 1991, la création de la Direction des sciences du vivant (DSV) représente un changement de pied important par rapport à l'organisation précédente. Auparavant Horowitz venait nous voir à Grenoble en tant que patron de l'Institut de recherche fondamentale (IRF) alors que la solution des problèmes rencontrés par le CEA dont les pouvoirs publics souhaitaient la restructuration consistait à mettre en place des directions opérationnelles. Ainsi, avait-il créé la Direction des sciences du vivant (DSV), celle des technologies avancées avec Yannick d'Escatha, celle de la physique et de la chimie avec Robert Aymar, des réacteurs avec Jacques Bouchard, etc. Elles étaient dirigées par des directeurs de rang 'un' avait décidé Philippe Rouvillois (AG 89-95), des gens qui siégeraient tous les vendredis à la direction du CEA.  Nommé à la DSV, j'ai décidé de regrouper Saclay et ses filiales, Grenoble, Fontenay aux Roses et Cadarache en créant un certain nombre de départements. J'avais un département à Orsay, très singulier par rapport à ce que l'on faisait ailleurs. Un département de radioprotection au sens large du terme, avec Roland Masse, un département de biologie végétale... Quand j'allais voir les gens de Cadarache, je leur avais dit qu'ils étaient de véritables agriculteurs. Ils avaient des charrues, des tracteurs, etc., ils travaillaient en pleins champs. Bon ce qu'ils faisaient n'était pas mal, mais j'estimais que  ça relevait plutôt de l'INRA. Donc je leur ai dit : "si vous voulez rester chez nous, il faudrait faire venir des équipes davantage portées sur la recherche fondamentale, quitte à utiliser le savoir faire des autres équipes du CEA". C'est ainsi que l'on a installé un département dirigé par Bassem Salem, un grand département de biologie de trois cent personnes à Grenoble dirigé par madame Benabib et à Saclay un département dirigé par Daniel Comar. Mon premier souci fut d'organiser un conseil scientifique comme on en avait un à Grenoble avec le CNRS, l'Inserm, etc. Je pensais qu'il n'y avait rien de pire pour un petit pays comme la France de continuer à faire des doublons entre équipes travaillant sur le même sujet.  Restait à régler le problème de Fontenay aux Roses et de Saclay. Je suis allé les voir et j'ai eu des discussions avec Christian de Rouffignac (service de synthèse des protéines du Département de biologie) que j'ai profondément vexé en lui disant : "ce que vous faites n'a pas trop à voir avec ce que fait le CEA". En fait je voulais provoquer un choc psychologique. Il est clair que si Coursaget et Jammet étaient restés dans le paysage, l'affaire aurait été plus compliquée, mais il se trouve qu'ils partaient à la retraite. J'ai donc pu nommer des nouveaux chefs de départements et André Syrota est devenu chef de son département, sans filiation avec Saclay. Cadarache qui était la maison secondaire de Saclay est devenu indépendant, mais à la condition qu'ils acceptent de se restructurer. C'est ainsi que la biologie est passée de la clandestinité au rang 'un' des activités du Commissariat et l'on peut dire que les racines de cette Direction des sciences du vivant sont bien grenobloises.

Pérennité de la biologie au CEA

Personnellement j'étais et je suis toujours resté sur la ligne Joliot - Néel : le CEA aura deux grands objectifs, l'énergie et la biologie. Quand l'affaire est revenue sur le métier dans les années 1990, j'ai demandé à Néel qui était à l'Académie des sciences de remonter au créneau. J'ai toujours dit que cela serait une énorme erreur de retirer la biologie du CEA. Pourquoi? Parce que le CEA est le seul organisme réellement interdisciplinaire. Bien sur Kourilsky au CNRS ou Lazar à l'Inserm me disaient : "mais nous aussi...". A chaque fois je leur répondais : "par rapport à vous, nous sommes immergés en permanence dans la pluridisciplinarité". André Syrota me disait encore récemment qu'à l'Inserm, quand il voulait bouger un truc, il avait aussitôt les ministères et les commissions sur le dos, alors qu'au CEA :"on décidait et on faisait". Quand le ministre de la recherche, Claude Allègre (de 1997 à 2000) a dit qu'il ne voulait plus de biologie au CEA, j'avais répondu qu'il était parfait de réunir des équipes de l'Inserm, du CNRS à Grenoble, mais qu'il ne fallait surtout pas exclure les équipes du CEA de cette coopération, le risque étant de priver la recherche de sa substantifique moelle. Que l'on crée un grand institut, je n'y voyais pas d'inconvénient puisque j'étais partisan de rassembler les gens pour qu'ils puissent travailler ensemble, mais si c'était pour appauvrir la recherche, ce serait bien dommage. Bref, on peut dire que le Commissariat n'a pas dilapidé l'héritage, c'est-à-dire l'ensemencement des sciences du vivant grâce aux moyens du nucléaire. Une autre de nos réussites est la faculté de médecine. Au départ à Grenoble, il n'y avait qu'une école de médecine et les étudiants étaient obligés d'aller à Lyon pour terminer leur cursus. Aujourd'hui c'est la fac de Lyon qui envie celle de Grenoble, ce qui ne se serait pas fait si le CEN-G n'avait pas entrainé toute l'affaire.