Entretien avec Michel Fardeau
N. Givernaud, J-F Picard, le 20 novembre 2001 à la Salpetrière. Script Anne Lévy-Viet
(Source : https://histrecmed.fr/temoignages-et-biographies/temoignages)
Photo M. Depardieu Inserm
Une formation de médecin et de chercheur
Je suis entré à la Salpêtrière en tant qu'externe alors que je n'avais que dix huit ans. Cela fait donc plus de cinquante ans que je suis dans cet hôpital et je continue d'y être actif. Mais ma position a toujours été atypique et elle le reste. J'y ai passé toute ma carrière sous le feu des escopettes parce que j'étais à la fois médecin, directeur d'une unité Inserm et chercheur au CNRS, un organisme que j'ai dû quitter lorsque j'ai pris un enseignement au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM). J'ai une double formation psychiatrique et neurologique et j'ai eu la chance de faire mon internat en pédiatrie et en médecine adulte. Ensuite, j'ai fait ma thèse sous la direction de René Couteaux tout en travaillant dans le laboratoire de neuropathologie dirigé par Jean Labresle, c'est-à-dire dans l'orbite du service de monsieur Garcin. C'est ainsi que le premier groupe de neurochimie et de microscopie électronique, que nous avions formé avec Jean-Pierre Changeux, Jean Massoulier et d'autres représentants des futures neurosciences, a pu fonctionner en grande partie parce que nous bénéficions du rayonnement de René Couteaux. C'était un homme extraordinaire, extrêmement cultivé tant dans le domaine littéraire que scientifique. C'est lui qui, jeune chercheur, avait fait la découverte capitale de la structure de la jonction neuromusculaire.
Le laboratoire de neuropathologie de la Salpêtrière
À la Salpêtrière, nous nous étions orientés très tôt vers la pathologie héréditaire, ce qui est resté l'une de nos spécificités. Dans toutes les maladies musculaires, il y a une partie acquise qui est d'ordre auto-immunitaire et une partie génétique, beaucoup plus importante sur le plan quantitatif. Les maladies neuromusculaires constituaient alors un monde très compliqué sur lequel des étiquettes nosologiques avaient été mises à la fin du dix-neuvième siècle, mais dont plus personne ne se préoccupait. C'était donc un merveilleux champ de travail. Au laboratoire de neuropathologie, grâce à l'aide de la DGRST, j'ai créé en 1962 à la Salpetrière le premier service de recherche de microscopie électronique dédié à la biologie et la pathologie du tissu musculaire. Au départ, nous faisions tout dans le labo, aussi bien la peinture, l'électricité, la maçonnerie que la neurochimie Tout s'improvisait et se faisait dans la joie, sans aucun statut. Le groupe a grossi progressivement et nous avons été financés comme action concertée de la DGRST. Nous étions logés dans le grenier de la division Risler. La cholinergique, la structure du muscle, est sortie de ce groupe dont nous étions, Maurice Israël et moi, les deux leaders. Maurice s'occupait de toute la partie neuro-chimie-cholinergie et moi de la microscopie électronique. J'ai travaillé avec Maurice Israël jusqu'à ce qu'il rejoigne l'unité de Jacques Glowinski à Gif-sur-Yvette, chez Stanislas Touque, tandis que moi-même je m'installais au Fer à Moulin.
Le réveil de la neurophysio-pathologie
En 1956, il s'est produit une rupture dans la neurophysiologie avec l'irruption de nouveaux concepts et de nouvelles techniques. Des hommes comme Jean Scherrer, Bernard Halpern, Alfred Fessard et René Couteaux avaient compris que les choses étaient en train de changer en matière de recherche médicale et ils ont soutenu nos débuts à la Salpetrière (plus tard, en 1987 notre génération a subi le même choc avec la génétique moléculaire). En 1965 à Zurich, lors du premier congrès international de neuropathologie on a inscrit les maladies musculaires et nous étions cinq rapporteurs, trois personnes de la génération précédente et deux jeunes, un médecin américain, Eric Kandel, et moi. Je participais à ce congrès pour la microscopie électronique et lui pour la cytochimie mais entre nous et les trois autres personnes, il y avait un tel fossé de génération que cela a fait rire l'auditoire. Mon collègue américain a écouté mon intervention puis il m'a attendu et m'a dit "Nous n'avons rien à faire ici, allons discuter sur le lac". Nous avons alors commencé une collaboration qui ne s'est jamais interrompue et un an et demi plus tard je suis parti chez lui au NIH en 1967. Cette période a été très importante pour moi, j'ai découvert des façons de travailler très innovantes. J'échappais soudain à la pression du milieu, j'étais presque au paradis ! Quant au premier congrès international des maladies musculaires, il a eu lieu à Milan en 1969 et il a réuni la vingtaine de spécialistes qui existaient dans le monde, tous avec le même profil, c'est-à-dire une double formation de neurologie et de pédiatrie plus quelques généticiens.
Les événements de 1968
Quand je suis rentré des Etats-Unis en mai 1968, je me suis retrouvé plongé dans le mouvement contestataire. J'étais perçu comme la personne qui, de l'intérieur, pouvait s'opposer au mandarinat hospitalo-universitaire tandis que le groupe que j'avais créé avait déjà une certaine audience au point de vue scientifique. Quoique jeune chargé de recherche, j'ai été propulsé comme représentant du monde de la recherche au CHU Salpêtrière. J'ai aussi fait partie du comité d'action du CHU Saint-Antoine avec Philippe Lazar et nous avons commencé la rédaction du statut des travailleurs scientifiques que nous avons repris et fait aboutir en 1981. Il y avait aussi des gens comme Jean-Pierre Bonvalet ou François Kourilsky que j'ai retrouvés plus tard au conseil de direction de l'Inserm.
Le laboratoire du Fer à Moulin
En 1971 le groupe de la Salpêtrière est devenu l'équipe de recherche 107 du CNRS. Lorsque le neuropathologiste Jean Gruner a été nommé directeur de recherche, il a souhaité regrouper dans une même unité trois équipes qui lui semblaient prometteuses. Outre la mienne, Il y avait celle de Constantino Sotelo (désormais directeur de l'U.106) et celle de Jean-François Foncin, un neurologiste de l'Ecole des Hautes Etudes. En 1976 j'ai fait une demande d'unité Inserm qui a été acceptée (U. 106). Mais l'année suivante nous avons été chassés de la Salpêtrière parce que le plan directeur du CHU prévoyait la suppression de notre division pour construire à la demande de Jérôme Lejeune un institut qui devait s'appeler "de la Vie" (ou "de la naissance " ). Nous avons résisté deux ans, puis quand les canalisations de fluides ont été coupées, nous avons dû déménager. J'ai donc fini par accepter une unité que Constant Burg, le directeur de l'Inserm, me proposait d'installer au Fer à Moulin et, quoique chercheur CNRS, j'ai dirigé une unité Inserm ce qui m'a donné l'occasion de vivre les relations parfois délicates entre les deux établissements. Au Fer à Moulin, nos thématiques ont évolué au fil des années. L'unité que j'ai recomposée avec les chercheurs qui m'accompagnaient (d'appartenance CNRS ou Inserm) a grossi jusqu'à atteindre quatre-vingt personnes. Nous nous étions orientés vers les problèmes de cultures cellulaires, en particulier sur les cultures couplées, avec toujours le problème de l'identification des maladies musculaires. Notre orientation axée sur les relations nerf muscle était de nature physiopathologique. C'est à cette époque qu'ont commencés à être utilisés les modèles animaux. Nous avons fait les premières greffes cellulaires en 1983. Nous avons sans doute été parmi les premiers à montrer qu'on pouvait reconstruire du muscle à partir des greffes de cellules satellites. C'était une ouverture expérimentale, mais on ne pensait pas à une transposition immédiate aux pathologies humaines.
L'Association Française contre les myopathies (AFM)
Du fait de notre travail sur les maladies musculaires, nous avions des liens avec l'AFM qui était alors dirigée par le dr. Jean Demos. En 1978, après moult discussions, l'AFM cherchait à réorienter son soutien au profit de certaines formations de recherche. René Cadoret et Bernard Barataud, ses nouveaux responsables, ont alors contacté François Gros d'une part et moi de l'autre. Nous avons l'un comme l'autre été conquis par l'intelligence et l'altruisme de ces deux hommes qui, sans être des scientifiques, avaient compris que des percées scientifiques étaient porteuses d'un renouvellement complet de la prévention et, probablement, du traitement des myopathies. Si ni eux, ni leurs enfants ne pourraient en bénéficier, cela deviendrait vrai pour les générations suivantes expliquaient-ils de manière admirable. Sans nous connaître, François Gros et moi, nous avons réagi de la même façon en disant que nous étions d'accord pour travailler avec l'AFM à la condition qu'il y ait une réunification des différentes fractions de ces associations de malades. Il y avait entre eux et nous une véritable communauté de vue, peut-être parce que nous étions conscients de l'absence de responsabilité et de la perversité du système médical. Nous ne pouvions qu'êtres révoltés par ses carences, reflet du traditionalisme d'une médecine sans imagination qui ne cherchait pas à faire autrement que ce qui était écrit dans les manuels. Quand un enfant était atteint d'amyotrophie spinale, le conseil du médecin aux parents était d'être gentil avec lui et de le laisser mourir le plus vite possible. Il était entendu que cet enfant devait mourir avant deux ans, qu'un autre atteint de myopathie de Duchenne allait mourir à 14 ou 15 ans. Personne ne s'interrogeait sur les causes ou l'évolution de ces maladies.
Améliorer la qualité de vie des handicapés
Au tournant des années 1980, les enfants atteints de maladies de type Duchenne mouraient d'asphyxie progressive entre 15 et 18 ans. Gérard Gatin qui a été mon élève à La Salpetrière et au Cnam avait en charge de jeunes myopathes pour leur assurer une forme de scolarisation et d'insertion professionnelle. Un jour, alors que l'un de ses pensionnaires allait brutalement mourir d'asphyxie il a eu le réflexe de l'intuber et de le trachéotomiser. Le jeune myopathe s'en est sorti et s'est considérablement amélioré. Il a proposé au frère du jeune homme de la trachéotomiser à l'avance puis progressivement cela s'est répandu en France. Mais, à l'étranger, il y a toujours très peu d'enfants trachéotomisés parce que c'est une grosse responsabilité que de permettre de vivre à de jeunes adultes qui vont finir tétraplégiques, qui n'auront pratiquement plus de fonctions motrices mais qui garderont leurs fonctions intellectuelles tout en restant complètement dépendants de leur entourage. Aujourd'hui, en France, le fait que 70 à 80% des enfants atteints de cette maladie subissent une trachéotomie les délivre de la hantise de l'asphyxie progressive. Ils vivent maintenant comme vivaient les polios dans les années 1960, certains travaillent à l'AFM, quelques-uns uns dans des entreprises. Pour que ce bouleversement soit possible, il a fallu que des médecins prennent conscience du bénéfice de cette technique d'assistance respiratoire non invasive dans les maladies neuromusculaires.
Les moyens orthopédiques
De même, sur le plan orthopédique, Bernard Glorion qui par la suite a dirigé le Conseil de l'Ordre et Jean Dubousset qui est toujours chirurgien orthopédiste à Saint-Vincent de Paul ont été les premiers à régler les interventions orthopédiques pour les dos, les bassins, les pieds. C'est-à-dire pour mettre les malades dans des positions de confort. D'autres tentatives ont existé dans ce domaine à l'étranger, mais c'est en France que se sont faites les premières prises en charges orthopédiques bien réglées ce qui a transformé l'état des enfants et leurs espérances de vies. Aujourd'hui certains sujets atteints de la maladie de Duchenne sont des adultes parfois âgés de plus de trente ans et leurs problèmes de vie ont évolué puisqu'ils concernent la recherche d'un emploi ou leur sexualité. À l'étranger, on a cherché des solutions pharmacologiques, on a fait des essais thérapeutiques classiques pour tenter de prolonger la période ambulatoire de l'enfant. À l'inverse, en France, on a pris le parti de maintenir la vie et l'autonomie avec la meilleure qualité de vie possible, mais je pense qu'il faudra faire un jour des comparaisons au niveau européen entre les groupes mis en place en France et ceux qui existent en Grande-Bretagne par exemple.
Avec François Gros au comité scientifique de l'AFM
L'AFM a d'abord été animée par un comité de coordination très `soixante-huitard'. Puis, malgré certaines difficultés, nous avons créé son conseil scientifique qui s'est réuni la première fois à l'Institut Pasteur dans l'amphithéâtre Charcot. J'ai présidé ce conseil pendant quatre ans, puis François Gros a pris sa présidence. À partir de 1987 l'association qui était pauvre a vu ses moyens augmenter considérablement grâce au Téléthon et l'entreprise a changé d'échelle avec le 'Généthon', la construction de l'institut de biologie, d'un réseau de consultation en France, etc. En fait, le Généthon a été monté en parallèle avec le conseil scientifique de l'AFM. Ses initiateurs sont outre Bernard Barataud, Jean Dausset, Daniel Cohen et Jean Weissenbach. Je n'ai pas très bien connu Daniel Cohen, par contre j'ai été plus proche de Jean Weissenbach qui a été l'initiateur du Généthon sur le plan conceptuel et sur le plan technique.C'est une personnalité très différente de celle de Daniel Cohen qui a une vision plus manageriale de la recherche en même temps que d'étonnantes qualités d'ingénieur.
Les thérapies géniques
Au conseil scientifique de l'AFM, à l'origine, ni François Gros ni moi n'envisagions la possibilité des thérapies géniques. Plutôt que de génétique on évoquait la biologie du développement avec tous les facteurs de détermination biogénique (travaux de François Gros et Margaret Buckingham), les capacités de production de cellules satellites, l'hétérogénéité des myopathies, etc. Le champ de réflexion des maladies héréditaires s'ouvrait à d'extraordinaires perspectives expérimentales. La génétique moléculaire qui était déjà un instrument, est devenue la technique de base dans le courant des années 1980 et nous avons commencé à parler des possibilités d'application des greffes cellulaires. Il me semble que la question des thérapies géniques a commencé à être évoquée au début des années 1990. Sans doute, cela se fera-il un jour, mais ce sera alors l'une des parties de la thérapeutique pour traiter ces maladies. Le fait que l'on puisse envisager de jouer directement sur le génome, s'il est évidemment porteur d'espoir, relève de progrès qui seront très difficiles et très lents. Dans dix ou quinze ans, nous aurons vraisemblablement tout un panel de thérapeutiques dont certaines seront plus palliatives que d'autres. On développera les greffes cellulaires. On aura sans doute fait des progrès sur la pharmacologie du gène et de ses différentes cascades intracellulaires, ce qui permettra certainement beaucoup de choses. Mais la thérapie génique restera une voie parmi d'autres.
Le Groupement de recherche pour l'étude des génomes
Au début des années 1990, j'ai participé à quelques réunions du GREG, mais je ne m'y suis guère investi. Je sais qu'il y a eu des conflits. J'ai très souvent entendu Bernard Barataud dire qu'il se fichait de la mitochondrie et de la levure, qu'il représentait une association de malades menacés de mort et que ce qui l'intéressait, c'était les pathologies. De fait, je pense que dans les négociations qui ont pu avoir lieu avec Hubert Curien ou certains membres du gouvernement, il y avait l'idée implicite que les développements de la génétique devaient avant tout servir à l'élucidation de maladies musculaires humaines. Mais j'ajoute que la partie fondamentale de la recherche ne doit jamais être oubliée parce que tout ce que nous avons fait en matière de recherche médicale vient de la recherche fondamentale. Cela dit, il fallait que les crédits soient ventilés de façon à ce qu'un certain nombre d'équipes plus proches des versants pathologiques soient aussi alimentées.
Les relations de l'Inserm et de l'AFM ne semblent pas avoir été exemptes de nuages
En tant que membre du conseil de direction de l'Inserm, le CODIS, j'étais le seul à pouvoir témoigner de la réalité et à dissiper un certain nombre d'idées et de fantasmes qui tournaient autour de l'AFM. À l'époque, certains considéraient l'association comme le diable. Si on avait perçu que cette association grâce à la puissance qu'elle avait acquise allait modifier les équilibres à l'intérieur de la communauté scientifique, les directeurs de l'Inserm ou du CNRS savaient pertinemment que l'une de leurs principales difficultés était liée à l'extraordinaire inertie de leurs établissements, comme à leur faible marge de manoeuvre en termes budgétaires. Or, avec l'AFM, il y avait soudain une possibilité de donner un coup d'accélérateur considérable dans un secteur non seulement très porteur, mais aussi riche d'une nouvelle problématique dans l'approche des maladies rares. François Gros et moi en étions convaincus, mais pas Philippe Lazar ou Jean-Pierre Bonvalet qui représentait la rigueur du service public et qui se méfiant de toute dérive, d'une médiatisation qu'ils jugeaient inopportune. Je n'ai jamais réussi à convaincre Philippe Lazar de notre point de vue. Cela étant, nous avons assez d'estime réciproque pour savoir que nous n'agissons ni l'un ni l'autre par intérêt personnel. Au Codis, nous avions la volonté de ne pas interférer avec le conseil scientifique de l'Inserm. Nous fonctionnions comme un cabinet de 'brain storming', une instance de réflexion. Au CODIS, lorsque Philippe Lazar exposait une idée qu'il voulait mettre en forme, nous trouvions les arguments contraires puis, dans un deuxième temps nous tentions de dégager les éléments qui pouvaient structurer cette affaire. C'était très agréable, nous travaillions dans une ambiance amicale et détendue. Les positions des uns et des autres traduisaient parfois leurs engagements politiques ou syndicaux, mais un certain nombre des autres membres avaient une position extérieure, de sage comme Pierre Corvol, Josué Feingold ou Jean-Claude Brouet qui essayaient de voir ce qu'il y avait de solide ou non dans les positions des uns et des autres.
La recherche médicale et les problèmes des handicapés
En 1980, mon fils aîné, médecin et économiste, à été victime d'une très grave encéphalite herpétique alors qu'il travaillait en Tunisie sur les maladies musculaires. Il est resté quatre mois dans le coma. J'ai alors découvert ce que c'était que de vivre la cassure qui provoque des déficiences graves. Dans les premières discussions au CODIS, chacun a évoqué les ouvertures ou les carences dans le système de recherche médical ou de recherche en santé et parmi ces carences, il était question de l'ensemble des recherches dédiées aux problèmes des handicapés. Avec la bénédiction de Philippe Lazar, j'ai organisé une concertation sur les axes de recherche à développer dans ce domaine. Au départ, nous étions un petit noyau de personnes avec qui j'ai des affinités, de l'amitié puis progressivement cela a pris du volume. L'Inserm a créé des postes d'accueil, des unités de recherche dans le domaine des sciences sociales puis, en 1985, j'ai rédigé un rapport (titre : "réduire les handicaps") dans lequel je proposais la création d'un enseignement dédié aux problèmes de la prise en charge des personnes handicapées. Jusque-là, cela manquait en médecine. Le mot handicap n'étant même pas référencé dans la table des matières des traités médicaux. En 1990, après le premier 'Téléthon', le directeur de la Salpetrière que je connaissais bien et qui était soucieux du problème des personnes handicapées a accepté ma proposition de négocier avec l'AFM l'installation d'une consultation à l'hôpital. Cela m'a permis de reprendre mes consultations à la Salpêtrière et j'ai alors partagé mon temps entre l'hôpital et le Fer à Moulin.C'est ainsi qu'en 1996, nous avons pu créer l'Institut de myologie, un centre de référence pluridisciplinaire regroupant des chercheurs et des cliniciens qui nous a permis de mettre en place un cursus d'enseignement.
L'Institut de myologie de l'hôpital de la Pitié Salpétriêtre en 2004 par Michel Fardeau
L’Institut de Myologie a 8 ans… Souvenons-nous. Avant 1996, avant la naissance de cet Institut, tous les services nécessaires à la prise en charge des personnes atteintes de myopathie étaient géographiquement dispersés : la consultation clinique était installée dans la Division Risler, l’unité de recherches et le traitement des biopsies se situaient rue du Fer à Moulin, les consultations cardiologiques se faisaient à Cochin, les scanners en ville, la spectroscopie RMN à Orsay, quand ce n’était pas à Dijon… Pas simple de s’y retrouver pour les médecins, d’organiser les rendez-vous pour le secrétariat, surtout itinéraire long et épuisant pour les familles, les patients, qui venaient de pratiquement toute la France et parfois de beaucoup plus loin... L’ouverture de l’Institut a tout changé... Consultations cliniques, explorations cardiologiques et respiratoires, imagerie et spectroscopie RMN étaient réunies en un même lieu, à proximité immédiate de l’Unité de recherche. On pouvait enfin développer les études physiologiques, organiser des consultations pluridisciplinaires, avoir des chambres pour que les personnes, les familles puissent se poser, se reposer entre les examens. Les médecins engagés dans l’activité de recherche n’avaient que quelques dizaines de mètres à faire pour aller de la consultation à leurs labos, les lames des biopsies étaient immédiatement consultables pendant les consultations.. Les épreuves d’effort, les examens en spectroscopie RMN pouvaient être réalisés sur place. Tout cela conformément au projet formé aussi bien par les familles que par les médecins depuis tant d’années. De nouveaux programmes de recherche pouvaient se développer... dans les dystrophies musculaires, les myopathies congénitales, les atteintes métaboliques, les cardiomyopathies, les syndromes myasthéniques congénitaux, grâce à cette proximité et au "frottement" intellectuel quotidien… Enfin, il était possible d’organiser un enseignement spécifiquement dédié à la myologie ; cet enseignement a aussitôt connu un vif succès à l’échelle nationale, succès redoublé au niveau international par la création d’une École d’Été sur le même modèle, mélant enseignement biologique fondamental et formation clinico-pathologique. Cependant, tout n’était pas toujours simple... Le nombre de médecins en charge de la clinique était très réduit, leur statut souvent précaire ; devant l’afflux de patients, les délais de rendez-vous ou de consultations pluridisciplinaires s’allongeaient de plus en plus ; le développement des programmes de recherche se heurtait aux murs de l’unité ; il fallut rouvrir Risler pour y installer le laboratoire de morphologie. L’arrivée de protocole de recherche clinique augmentait notablement la pression de travail sur l’ensemble de l’Institut. Malgré ces contraintes, les résultats majeurs se succédaient... Découverte de l’implication du gène de la lamine A/C dans les cardiomyopathies de type Emery Dreifuss de transmission dominante, l’implication des canaux potassiques dans les arythmies cardiaques avec QT long, celle du gène RYR1 dans les "Central Core Diseases" - en collaboration avec nos collègues grenoblois – l’implication du gène de l’ÉøÉ¿crystalline dans les cardiomyopathies avec surcharge en desmine – en collaboration avec une équipe voisine du CHU Pitié-Salpêtrière – la découverte de l’implication d’une nouvelle classe de protéines, les sélénoprotéines, dans les Rigid Spine Syndromes et myopathies de type multiminicore, etc. Des progrès substantiels étaient réalisés... dans l’analyse des myopathies métaboliques et des maladies mitochondriales, grâce à la proximité et l’implication des équipes de physiologie et de spectroscopie RMN. Surtout, des protocoles thérapeutiques nouveaux s’installaient, en particulier les greffes des myoblastes squelettiques dans les lésions ischémiques du myocarde, et un premier protocole de thérapie génique de phase I dans les dystrophies de Duchenne/Becker, avec un plasmide-dystrophine. Je n’ai volontairement cité aucun nom... tant la liste de ceux et celles qui ont contribué à ces résultats est longue. Toutes et tous ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour la réussite de cet Institut. Tous et toutes sont cependant bien conscients qu’après huit années, il faut repenser bien des choses pour son développement. Il faut pouvoir faire face à la demande croissante de consultations, d’examens, et surtout à la multiplication et à la complexité croissante des protocoles de recherche clinique et des nouvelles pistes thérapeutiques. Le périmètre de l’Institut devra sans doute s’agrandir pour permettre le développement des voies innovantes et affermir l’implantation de l’Institut sur le site de la Pitié-Salpêtrière. Il faut penser à redéfinir certaines fonctions de l’intérieur même, et à la tête, de l’Institut. Avec les années, on ne perçoit peut-être plus avec la même acuité combien cet Institut a innové, combien important a été et reste le lien direct, quotidien, établi entre ceux qui cherchent, ceux qui soignent, et ceux et celles qui sont frappés par la maladie. Cet esprit a, heureusement, aujourd’hui tendance à diffuser. Difficile cependant de ne pas voir que dans ce sens, l’Institut de myologie a été, à bien des égards, exemplaire. Les missions de l'Institut Depuis sa création en 1997 par l'Association française contre les myopathies (AFM), création rendue possible grâce au succès du Téléthon, l'Institut de myologie a centré son développement autour de son objectif qui était d'être un centre d'expertise dédié au muscle et à la fois : un centre de référence pour le diagnostic, la prise en charge et le suivi des malades neuromusculaires . une plate-forme de recherche clinique et fondamentale un centre de formation et de diffusion de la myologie.
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