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Entretien avec Roger Monier 

Le 12 juin 1996, O. Dargouge, J. David & J.-F. Picard  (source : https://histrecmed.fr/temoignages-et-biographies/temoignages)

Roger Monier
DR

Pourriez-vous évoquer le début de votre carrière monsieur Monier ?

Je sors de l’Agro et je faisais partie de la première promotion à qui on offrait (sans obligation) de faire une troisième année. Maintenant on fait au moins trois ans, c’est la règle dans pratiquement toutes les écoles à l’exception de l’École Polytechnique comme vous le savez. Je voulais travailler en laboratoire et parmi les options offertes à ceux qui voulaient faire une troisième année, il y avait une option "Laboratoire", qui était en principe fondée sur l’appartenance au laboratoire de biochimie de l’Agro. J’ai quitté rapidement ce laboratoire de l’Agro car je me suis aperçu que cela ne me mènerait pas très loin. Un de mes bons amis Nigon m’a conseillé de rencontrer Claude Fromageot qui venait d'être nommé à Paris et de lui faire part de mon envie de travailler dans son laboratoire. J’y ai fait ma thèse et je suis resté encore un certain temps chez lui. En 1955, notre ami Raymond Latarjet venait de prendre la direction de l’Institut du radium succédant à Antoine Lacassagne et il cherchait un biochimiste, il en a parlé à Fromageot qui m'a proposé ce poste ; j’ai donc quitté le laboratoire de biochimie de la faculté des sciences pour aller m’installer à ce que l’on appelait à l’époque la Fondation Curie. Ce n'était pas encore l'Institut Curie, c'était une histoire très complexe entre la Sorbonne, Pasteur, etc., il y avait un Laboratoire Curie et un Laboratoire Pasteur, et ce dernier faisait partie à la fois de la Sorbonne et de l’Institut Pasteur... Quand on a créé l’Institut du radium, on l’a fondé en deux parties, une partie que l’on a appelée plus tard le Laboratoire Curie (qui était confié à Marie Curie) et l’autre partie qui avait pour vocation de s’occuper de biologie et que l’on a nommé Laboratoire de l’Institut Pasteur. Antoine Lacassagne l'a dirigé jusqu’en 1954-55 et Raymond Latarjet a pris la suite. Je suis arrivé à ce moment, mais pas dans le Laboratoire Pasteur proprement dit, dans un bâtiment qui se trouve au fond, à côté de l'École de chimie et que l’on appelait le bâtiment de la Fondation. J’y suis resté jusqu’en 1960, entrecoupé d'un long séjour aux États-Unis... Desnuelles qui avait la chaire de chimiologie à Marseille cherchait un maître de conférence et m'a écrit aux États-Unis pour me proposer d’occuper cette maîtrise de conférence, j’ai alors quitté Raymond Latarjet.

A Curie quel était votre programme scientifique ?

J’ai commencé à travailler sur deux choses : la première en relations assez directes avec Raymond Latarjet consistait à travailler sur les problèmes de radiobiologie et plus spécifiquement la radio-chimie des acides nucléiques, à l’époque c’était très à la mode d’irradier des acides nucléiques et de constater qu’il se formait des peroxydes, etc., l'effet des rayonnements sur les macro-molécules. Donc, j’ai fait un certain nombre de publications sur les peroxydes qui sont produits par l’irradiation des bases pirégmétiques en particulier la cytosine latimique, et puis en même temps j’ai commencé à travailler sur les tumeurs et sur les sarcomes de Zastella (?) en particulier qui était un modèle tumoral très à la mode. Puis je suis parti aux États-Unis dans le laboratoire de Paul Zamecnik (professeur de biochimie) en 1958 à Harvard, mais à l’époque son activité scientifique majeure était l’étude des mécanismes biochimiques de la synthèse des protéines, c’est lui qui a découvert le rôle des ribosomes, le rôle de l'ARN, le rôle des enzymes d’activation, etc. J’ai commencé à travailler sur ce problème et plus particulièrement j’ai mis au point une méthode à partir de la levure qui permettait la préparation en grande quantité d'acides ribonucléiques de transfert, que l’on appelait à l’époque les acides ribonucléiques solubles. On ne parlait pas encore d'ARN. Pierre Desnuelle m’a fait revenir à Marseille où je suis resté jusqu’en 1972, alors au début on a commencé à travailler sur les ARN avec Roland Roussec (Agro) qui avait été mon premier thésard à Marseille, après nous avons évolué vers la structure des ribosomes et puis on a fait de la génétique des ribosomes (acides Ribonucléique).
J’avais déjà reçu divers sollicitations pour quitter Marseille, vous savez comment cela se passait à cette époque ; on était nommé en province et puis on revenait rapidement à Paris. On m’avait donc proposé de revenir sur Paris, on m’avait aussi proposé d’aller à Strasbourg (ce qui m’aurait d’ailleurs beaucoup plus intéressé), mais je me suis entendu avec mon regretté ami Jean-Pierre Ebel (?), pour que ce soit plutôt lui qui prenne cette chaire de chimie-biologie à Strasbourg et je suis donc resté à Marseille jusqu’en 1972, mais comme j’étais parisien dans l’âme... Par ailleurs j’aimais beaucoup Marseille, mais enfin en dehors des Calanques il n’y avait pas grand chose à y faire, sauf bien sûr sur le plan scientifique, cela marchait pas mal.

Vous avez précédé François Kourilsky ?

Oui, je l’ai même précédé sur place à la fin de mon séjour à Marseille en 1968 ; on avait monté une opération très intéressante avec Daniel Kastler (le fils d’Alfred) qui est professeur de physique théorique à Marseille et quelques autres. Kastler avait réussi à convaincre notre ministre de l’époque, Alain Peyrefitte, qu’il y avait à Marseille la possibilité de développer sur le domaine de Luminy une expérience nouvelle de formation – on était en fait les uns et les autres très inspirés naturellement par les structures d’enseignement américaines et on voulait essayer de les introduire. Peyrefitte avait donné son accord et cela allait marcher quand 1968 est arrivé, nous avons été transférés tout de même à Luminy et on a essayé effectivement de lancer un type d’enseignement nouveau avec une modification complète du premier cycle, qui aurait été un premier cycle unique en fait pour différentes disciplines, etc., on reparle d'ailleurs de cela maintenant mais à l'époque nous étions des précurseurs. Mais naturellement comme 68 était passé par là et que Peyrefitte n’était plus là pour nous aider, l’affaire a marchée mais enfin elle a finie par être absorbée par la faculté de médecine et je suis parti en 1972 puisque on me proposait à ce moment là de revenir à Paris pour occuper une chaire à Paris VI.
Entre temps Claude Lévi (qui dirigeait le Département des Sciences de la Vie) cherchait un successeur à André Lwoff et là on revient à l’histoire de Villejuif : Villejuif s’est parti de ce qu’est aujourd’hui l’Institut Gustave Roussy ; on a créé un laboratoire CNRS qui était destiné à Charles Oberling qui avait fait venir de Strasbourg Éliane Le Breton. Il comptait développer avec elle un grand laboratoire de recherches sur le cancer, puis finalement cela s‘est très mal passé entre eux, de sorte que le CNRS a été contraint dans la pratique de créer deux autres laboratoires, un laboratoire pour Éliane Le Breton et un laboratoire pour Charles Oberling. Néanmoins Éliane avait obtenu la construction d’un bâtiment qui était destiné à son usage par le CNRS, elle avait dressé les plans et avait fait toutes les installations et tout ceci sans que Charles Oberling n’en soit tout à fait conscient et au milieu du gué quand Charles Oberling a appris – lui étant logé à ce moment là dans des locaux anciens qui étaient des structures hospitalières – que le CNRS se proposait d'ouvrir un laboratoire pour Melle Le Breton, il a vivement protesté auprès du directeur général et ce dernier a changé complètement la destination du laboratoire, plutôt que de le confier à Éliane, il l’a confié à Charles Oberling. Alors, c’est un peu dans ce contexte que les opérations CNRS sur la recherche sur le cancer à Villejuif se sont amorcées et il a subsisté pendant de nombreuses années deux laboratoires, un qui était dirigé par Charles Oberling et l’autre qui était dirigé par Éliane Le Breton sur le même campus et bien sûr inutile de préciser qu'ils ne s'adressaient plus la parole... Charles Oberling est décédé à la suite d’un cancer du poumon (il fumait beaucoup) et le CNRS lui a cherché un successeur et a trouvé Pierre Grabar (Pasteurien) immunologiste respecté à l’époque mais qui est resté à cheval entre le laboratoire à Villejuif dont il reprenait la suite et son laboratoire à Pasteur. Il dirigeait donc d’assez loin... C’est là dedans que s’est glissé l’ineffable Jacques Crozemarie, il avait déjà un emploi au CNRS et comme il y avait deux laboratoires, on avait droit à un administrateur. Le CNRS a nommé Jacques Crozemarie administrateur du groupe de laboratoires du CNRS de Villejuif et à ce moment là la Ligue Nationale Française contre le Cancer était puissamment dominée par Antoine Lacassagne, qui n’exerçait plus à la fin les fonctions de Directeur de l’Institut Curie, mais qui était toujours là comme président du conseil dans le milieu de la Ligue et qui avait une nette tendance à privilégier Curie plutôt que Villejuif. Les gens de Villejuif disaient qu'ils ne recevaient rien de la Ligue, ce qui était en partie exact puisque qu'ils ne recevaient que des fifrelins. Paul Denoix (chirurgien, spécialiste du cancer du sein) qui dirigeait l’Institut Gustave Roussy et Maurice Tubiana son associé, mais qui avait réussi à se créer son petit domaine – il avait été l’introducteur en France de la stratégie d’utilisation des radios éléments en particulier dans le domaine médical, de la médecine nucléaire et il avait été le premier Français à aller faire un séjour aux États-Unis pour apprendre à se servir en particulier de l’iode, etc.

Tout à l’heure vous avez évoqué le nom de Gustave Roussy à propos de l’Institut. Ce nom ne dit pas grand chose aux français d'aujourd’hui

Oui, mais si ça leur dit quelque chose il vaut mieux qu’ils oublient ! Il s’est suicidé à la suite d’un scandale dont il n’était pas responsable. Non, mais ce n’est pas pour minimiser le rôle que Gustave Roussy a pu jouer lui même avant la fin de sa vie en tant qu'initiateur dans le domaine des centres de traitements des cancers et notamment de Villejuif. C’est lui qui a fait de l’Institut Gustave Roussy ce qu'il était quand Pierre Denoix l’a repris avec Tubiana. Dans le milieu cancérologique quelques uns se rappellent de Gustave Roussy ; ou des historiens comme vous, mais le public ne sait absolument pas qui il était ou quand par hasard il le sait, il ne se rappelle que de son suicide à la suite d’une situation – on ne parlait pas de fausses factures à l’époque, mais ça y ressemblait – c’était une histoire sordide dont il était totalement irresponsable mais il a été tellement ulcéré par les reproches qu’on lui faisait, la menace sous laquelle il était placé, qu’il a fini par se suicider... Tous les gens de cette origine qui se sont amusés à construire des trucs auraient mieux fait de rester tranquilles, parce-que l’Institut de Gustave Roussy actuel, bâtiment qui a été conçu et réalisé sous la houlette de Pierre Denoix, je vous assure que c’est une pure catastrophe.
C’est l’hôpital qui est catastrophique, car comme beaucoup de constructions françaises conçues à une époque et réalisées au moins dix ans plus tard, après des luttes assassines et invraisemblables qui ont d’ailleurs amenées Denoix pendant un certain temps à quitter la direction de l’Institut de Gustave Roussy pour prendre la direction Générale de la Santé, en faisant garder son fauteuil au chaud par Yves Cachin (c’est le père de Françoise Cachin). Cachin est un homme maintenant à la retraite mais il a été un très grand chirurgien ORL, un type fantastique, qui a assuré pendant un certain temps d’une façon intérimaire la direction de l’Institut Gustave Roussy et en a d’ailleurs profité pour créer un Conseil scientifique dont il m’a confié la présidence. Vers 1962, les gens constatant que la Ligue cela ne marchait pas pour Villejuif, ils ont voulu créer une association locale et à ce moment là c’est Grabar qui leur à dit : "Mais il y a Monsieur Crozemarie, l’administrateur du CNRS, qui est plein de bonne volonté et qui ne demande que cela, confions-lui la réalisation de cette association", voilà comment cela a commencé en 1962.

Quel jugement porté vous sur Charles Oberling, sur son œuvre scientifique ?

Elle est considérable à la base, parce qu’il a largement contribué à la classification des tumeurs, c'était quelque chose de majeur tant qu’on ne disposait exclusivement que du microscope de savoir diagnostiquer à quoi on avait à faire. A partir de cette approche morphologique, il est passé de la microscopie optique à la microscopie électronique et il a su faire venir à Villejuif un personnage tout à fait remarquable, qu’était Vi(u?)laine Bernard, qui a été un grand microscopiste électronicien au milieu des années 50. En fait la microscopie électronique tout compte fait n’a pas apporté grand chose à la cancérologie : on n'a pas pu en utilisant la microscopie électronique faire progresser le diagnostic. On utilisait la microscopie électronique pour identifier l’existence de virus dans les tumeurs, ce qu'ils n’ont jamais fait d’une certaine façon dans les tumeurs humaines, mais ils ont beaucoup travaillés. Vulaine Bernard en particulier a beaucoup travaillé sur ce qu’on n'appelait pas encore les rétrovirus à l’époque parce qu’on n’avait pas encore découvert la transcriptase inverse, mais Oberling a créé la classification encore aujourd’hui utilisable des rétrovirus traditionnels du style virus du sarcome de Rous qui l’a appelé les virus ‘C’, sur des bases purement morphologiques.

Cette recherche d'un agent infectieux, il s'agit plutôt d'une démarche de médecin qu'une démarche de biologiste ?

Cela aurait pu être une démarche de médecin si l'hypothèse s'était révélée accessible à l'époque. Tout découlait du travail (vers 1908) de V. Ellerman et O. Bang, des Danois qui ont été les premiers à montrer que la leucémie de la poule pouvait se transmettre par un filtra, par un virus. Puis il y a eu Peyton Rous qui vers 1913-1914 a décrit pour la première fois la transmission d'une tumeur solide chez le poulet, le sarcome de Rous par un virus. Ultérieurement dans les années 30, il y avait eu aussi la découverte du facteur de Bitner qui est en réalité le virus de la tumeur mammaire de la souris. Toutes ces découvertes orientaient la recherche virologique dans une certaine direction, on ne savait pas encore à cette époque qu'il y avait des virus ARN et ADN (les premiers découverts étant les virus ARN). Il se trouve que dans l'espèce humaine les virus ARN (en dehors du HTLV qui provoque la leucémie adulte T et qui est spécialement répandue dans le Sud-ouest du Japon et un peu aux Caraïbes, ce virus n'est d'ailleurs pas un problème de santé majeur ), on n'a pas encore réussi à montrer qu'il existe de véritables rétrovirus, des virus ARN (sauf dans des domaines différents qui ne sont plus des rétrovirus mais qui sont liés au virus infectieux du foie) qui soient responsables d'une tumeur chez l'homme. Le premier virus responsable d'une tumeur chez l'homme c'est le virus ADN ; c'est le virus d'Epstein-Barr le premier pour lequel il a été vraiment fait la démonstration d'une étiologie virale d'une tumeur humaine (la tumeur de Burkitt), mais les gens qui s'appuyaient sur les travaux antérieurs de V. Ellerman, O. Bang et Rous étaient conduit en fait dans une voie de garage, car pratiquement dans toutes les espèces animales on trouve des rétrovirus qui sont capables de déclencher des apparitions de tumeurs, même chez la vache (Bovin tumor virus), il y a également des virus chez le chat, le rat et même chez les singes, cela a un petit peu entraîné les gens sur des pistes qui n'étaient pas exploitables immédiatement en matière clinique...
Tout cela finit par se retrouver au bout du compte. En dehors encore une fois de la découverte par Robert Gallo, du HTVL-1, en même temps qu'Hinuma au Japon, la stratégie de recherche sur ces virus là n'a pas conduit à des débouchés médicaux importants, parce qu'il se trouve qu'actuellement chez l'homme il n'y a pas de virus en dehors de l'HTLV-1 qui soit impliqué dans la génération d'un cancer.... Oberling n'était pas le seul à poursuivre cette recherche, quand je suis arrivé chez Raymond Latarjet, j'étais plus chimiste que biologiste et Latarjet était aussi un adepte des virus cause des cancers et en fait une des raisons pour lesquelles il était très orienté vers cette recherche venait de la découverte récente d'un nouveau virus chez la souris, le virus de Gross ; le premier virus murin qu'on a découvert comme responsable d’étiologie d’une leucémie et qui était transmissible dans la lignée 'AKV', parce-que le rétrovirus fait partie du génome et qu'il est transmis de génération en génération. Cette nouvelle découverte redonnait tout un lustre à la notion de virus cause des cancers, mais c’était une notion qui était extrêmement combattue.

Les premiers cancers radio-induits cela se situe quand sur un plan expérimental ?

C’est très ancien, à partir de la découverte par Röntgen il y a un siècle des rayons X, on a commencé à en faire tout et n’importe quoi et très rapidement on a vu apparaître chez les manipulateurs divers types de pathologies néoplasiques... Les vrais travaux biologiques, intelligents, ce sont les généticiens qui les ont menés. C’est Herman Muller dans les années 30 qui a fait la démonstration que l’irradiation des drosophiles était capable d’action mutagène, de faire muter le génome. On a vraiment réalisé l’importance des radiations non pas simplement en tant qu’agent curatif éventuel, mais aussi en tant qu’agent iatrogène pas avant pratiquement Hiroshima, avant l’énergie nucléaire... Raymond Latarjet a fait les premières manipulations avec Salvatore Luria en Californie en utilisant les radiations pour induire la production de virus par des bactéries lysogènes, il travaillait sur lambda à l’époque, les virus bactériens étaient devenus l’outil des médecins (Luria était médecin) mais en même temps des physiciens (comme Max Delbrück et quelques autres) qui avaient décidé qu’il n’y avait plus grand chose à découvrir en physique, mais qu'il fallait utiliser la démarche rigoureuse de la physique pour faire de la biologie. Ils ont alors cherché un objet relativement simple sur lequel on pouvait également se poser des questions simples et pour lequel on pouvait espérer obtenir des réponses. Ils se sont donc intéressés au bactériophage et en particulier ils ont redécouvert une chose qui avait été découverte à Pasteur pendant la guerre de 14 par François D’Hérelle qui était l’existence des bactéries lysogènes, c’est-à-dire des bactéries dans lesquelles il y a un pro-virus intégré dans le génome mais qui peut se réveiller justement quand on tape sur la bactérie.

Mais il ne s'agit pas de la mutation ?

Oui et non, quand on déclenche le système SOS chez une bactérie, on stimule à ce moment là la réplication du virus qui quitte le navire entrain de couler. C’est le phage lambda découvert par D’Hérelle et qui a fait ensuite la gloire des premiers éléments de travaux d’André Lwoff et François Jacob (Prix Nobel de médecine en 1966)... Le problème est d’avoir un modèle qui vous permet de faire quelque chose de très précis. L’utilisation des bactériophages, des virus bactériens par l’équipe Luria, Delbrück, etc., (l'école du Phage) a eu pour mérite de fournir des modèles dans lesquels il était possible de faire vraiment du quantitatif et le système lambda avait cet avantage – lambda est un pro-virus qui intègre son génome dans le génome de la bactérie comme un rétrovirus va intégrer son génome dans le génome d’une cellule qu’il transforme, mais alors que dans le rétrovirus il n’y a généralement pas de spécificité d’intégration (cela s’intègre un peu n’importe ou par une recombinaison illégitime), au contraire dans le cas d'Escherichia coli et du phage lambda, il y a un site extrêmement spécifique qui est reconnu par le pro-virus et le pro-virus va s’intégrer là et pas ailleurs. Il y a un seul site où il peut s'intégrer, il peut y avoir des variations là-dessus ; on peut jouer pour qu’il s’intègre ailleurs, mais en fait le vrai virus s’intègre à un seul endroit et il reste là et n’exprime rien de son génome, sauf ce qui lui faut pour se réprimer lui-même, c’est-à-dire ne pas s’exprimer et c'est un passager en quelque sorte, il fait transporter et maintenir en existence son information génétique par la bactérie.

C’est ce que vous appelez une recombinaison illégitime ?

Non, là ce n’est pas une recombinaison illégitime, c’est une recombinaison spécifique avec reconnaissance de séquences. Et tout ceci se passe très bien, jusqu’au moment où vous allez chatouiller la bactérie de façon qu’elle crève, alors à ce moment là cela déclenche en particulier ce que l’on appelle le système SOS, qui permet la dégradation du répresseur de l’expression du phage lambda qui se met alors à s’exprimer et qui fout le camp ; il se transforme en virus infectieux, de façon qu’il puisse infecter une autre bestiole qui va lui permettre de survivre... Système SOS, c’est le modèle de réponse des bactéries et d’ailleurs il n’y a pas que les bactéries, maintenant on sait que cela existe partout. Quand une cellule est atteinte dans son génome et qu’on fait quelque chose à son ADN, il y a toute une foison d’enzymes et de systèmes protéiques qui savent reconnaître cela et qui arrêtent les frais en réparant. Puis si on a réparé, on restitue du même coup l’information génétique, quelque fois ça bave un peu, par conséquent on fait une mutation quand même, parce-que rien n’est jamais parfait dans ce bas monde... l’évolution sinon n’existerait pas. Mais, d’un autre côté, il y a un autre système de protection des organismes supérieurs en particulier chez les bactéries quand il n’y a pas eu réparation des lésions, il y a un système SOS qui se déclenche et se met à permettre la réplication du génome sans réparation, c’est donc un système mutagène. Maintenant on sait que chez les organismes supérieurs qui sont pluricellulaires, il n’y a pas simplement un contrôle au niveau du génome lui-même dans une cellule, mais il y a un contrôle au niveau du tissu dans les cellules c’est-à-dire que quand ça va mal et bien à ce moment là on déclenche des réactions qui tuent la cellule, de telle façon que si jamais il y avait des dégâts transmissibles, ils disparaissent en même temps que la cellule . Tout le système des virus de ce genre là a été à la base du développement de ce que l’on a appelé plus tard la biologie moléculaire. Et à ce moment là, si vous voulez, les gens qui travaillaient sur les idées, comme François Jacob et Elie Wollman, ont reçus le prix de la Ligue Nationale contre le Cancer pour leurs travaux sur la lysogénie. Les gens étaient très influencés et André Lwoff lui aussi, (il est ensuite devenu le directeur de l’Institut de recherches scientifiques sur le Cancer de Villejuif) par l’existence de virus capable de déclencher des tumeurs chez l’animal, de déclencher aussi des leucémies et puis d’un autre côté, ce que l’on apprenait sur les systèmes bactériens, sur les modèles, sur les phages, sur lambda, etc. et il avait un peu tendance à tout mélanger et à dire qu’au fond si un virus déclenche quelque chose dans une cellule ; il y a deux possibilités : l’une, c’est le système qu’on appelle en anglais ‘Shit and Run’, l’autre ‘Hit and Stay’. L’information virale reste dans la cellule, comme le modèle lambda, c’était précisément un cas comme cela où il y a une information virale qui vient se coller dans une bactérie. Cela influençait beaucoup la réflexion sur tous ces modèles là, ce n’était pas faux d’ailleurs, mais on avait néanmoins du mal à comprendre à l’époque – c'est en 1970, que David Baltimore et Howard Temin ont découvert la transcription réverse de l’ARN mais jusque-là on ne savait pas comment interpréter le maintien possible d’une information rétrovirale, parce-que là on savait que c’était une ARN ce virus.

A l’époque en France, le CNRS appelle cela 'biologie cellulaire'; c’est le nom de la section du Comité National, qui s’intéresse à l’affaire

Oui, effectivement il y avait la biochimie (Jacques Monod faisait partie de la commission de biochimie et j'ai siégé avec lui pendant des années) et puis il y avait la biologie cellulaire.

La question renvoie un peu à l’organisation du CNRS

Il faut distinguer la signification de la sémantique de cette affaire ; c’est vrai que quand le terme biologie moléculaire a vraiment fait son apparition dans les années 50 entre 1953 et 1954 quand est sortie la note de Jim Watson et Francis Crick sur la structure de l’ADN et l’année 1960 où est sorti le grand travail dans ‘the Journal of Molecular Biology’ de François Jacob et Jacques Monod sur l’induction du prophage et la régulation de l’expression génétique. L’entrée de la biologie moléculaire proprement dite, stricto sensu avec armes et bagages dans la cancérologie, cela date des premiers travaux de Renato Dulbecco sur l’induction des tumeurs chez la souris. Et cela se situe dans les années 1955-56-58, quand Gross a découvert pour la première fois le virus de la leucémie murine, il avait l’habitude de faire des extraits de ses souris pour transmettre le virus, etc., puis un beau jour en faisant ce genre de manipulation, il s’est aperçu qu’il transmettait aux souris de l’expérience, non pas la leucémie mais des tumeurs solides qui se développaient un petit peu n’importe ou, c’est pourquoi on a fini d’ailleurs par donner au virus qui est responsable ce phénomène de nom le polyome (poly). Au début Gross n’a pas compris cela et c’est Alexandra Stewart qui travaillait à ce moment là au NIH qui a fait avec une autre dame dont j’ai oublié le nom, la découverte que dans les préparations de Gross qui transmettaient pas seulement la leucémie mais aussi des tumeurs solides, il y avait un autre virus qui était un virus ADN et pas un virus ARN. Et ce sont elles qui ont montrées qu’il s’agissait de ce virus et on l'a appelé le virus polyome, puis Renato Dulbecco qui faisait un petit peu partie de la génération de Luria s’est emparé du problème et il a été le premier à faire la démonstration que dans le cas du virus polyome, on avait d’une certaine façon une situation qui rappelait lambda, c’est-à-dire que l’on pouvait démontrer que le virus quand il transformait une cellule pour provoquer à partir d’une tumeur intégrait au moins une partie de son information générique par une intégration tout à fait illégitime, il intégrait son génome dans le génome cellulaire. Cela a redonné évidemment un tonus terrible, en plus à partir de ce moment là il est devenu possible de commencer à faire de l’expérimentation moléculaire sur ces modèles là – dans cette affaire il n’y a pas seulement un problème de concept ; il y a aussi un problème de méthode, un problème de moyen et un problème de stratégie technique et on avait beaucoup de mal. Entre les années 1960 et 1970 il est apparu quand même des méthodologies qui permettaient de commencer à travailler sérieusement sur les acides nucléiques, c’est à ce moment là par exemple que Frederick Sanger a découvert une méthodologie assez complexe d'ailleurs mais enfin quand même très efficace (il avait d’abord en 1952 été le premier à décrire la structure primaire de l’insuline, j’ai assisté au Congrès de Paris international où on voyait Sanger qui alignait les acides affinés sous forme de petits cartons sur la paillasse à la Sorbonne, c’était assez impressionnant) pour pouvoir décrire la séquence des nucléotides dans un petit acide ribonucléique et là je suis très fier de moi, parce-que le premier modèle qu’il est utilisé c’est mon ARN 5S, ce qui a fait ensuite qu’on a beaucoup travaillé d’ailleurs sur la séquence du 5S dans différentes sections. A partir de moment là, il a décrit des techniques qui permettaient de commencer à regarder quel était un petit peu l’enchaînement des nucléotides dans un ARN, plus tard vers 1974-1975 il a décrit la première technique, une des premières techniques, celle qui est utilisée universellement aujourd’hui pour faire très facilement la structure de l’ADN.

Pour l'ARN, c’était totalement différent ?

Oui, c’était tout à fait différent parce qu’il fallait faire des marquages très chaud au phosphore, on en a fait tous et on a dû en prendre du phosphore ! On ne faisait pas tellement attention ! Enfin on était supposé le faire, on avait des écrans, etc. Il y avait une technique qui commençait à être au point pour ça. Les gens ont commencé à faire de la génétique mais aussi un peu de structure physique des acides rivo-nucléiques et ça a commencé comme ça. L’idée que je voulais introduire dans cette présentation qui est complètement cafouilleuse... La contribution de la rétrovirologie au domaine du cancer, ce n’est pas d’avoir découvert des virus qui provoquent des cancers sur l'homme c’est d’avoir découvert les autres gènes et c’est devenu possible à partir du moment où il y a eu des rétrovirologistes comme Peter Popt (?) Peter Diusberg (qui depuis est devenu complètement déconnant), ... Tous ces gens là ont travaillé sur la structure physique de l’ARN du rétrovirus de Rous et ils ont réussis en joignant des démarches purement génétiques – c’est-à-dire qu’ils recherchaient des mutants du virus qui n’étaient plus capables de provoquer l’apparition des tumeurs et ils ont fait le rapprochement entre ces mutants et ce que l'on commençait à pouvoir décrire de la structure physique du génome. Ils se sont aperçus à ce moment là qu’il y avait un gène spécifique responsable de la sarcomatogénèse, c’est pour ça qu’on l’appelait le gène sarc (?) (gène universel dans toutes les espèces animales) il se trouvait à l’extrémité de la molécule d’ARN du virus. Parce-que il y avait Frederick Sanger, il a été possible de commencer à faire une relation entre la structure physique du génome et la notion de gène définie par la génétique...
On aboutit dans les années 1970, d'ailleurs quand je suis arrivé à Villejuif on s’est rapidement détourné des ribosomes pour s’occuper du virus SV 40. Donc il y avait toute une stratégie possible de travail sur les virus ARN grâce à la méthodologie de Sanger et à la génétique et cela a permis de définir dans le virus du sarcome de Rous – avec en plus une chance absolument extraordinaire qu’on doit à Rous, c'est le hasard mais il se trouve que le virus du sarcome de Rous est le seul rétrovirus oncogène aigu (quelque chose que vous injectez et trois semaines après vous avez une tumeur, les oncogènes lents sont des trucs que vous injectez et six mois après vous avez une leucémie ou une tumeur). La chose extraordinaire c’est que le virus du sarcome de Rous était dans la souche que Rous lui-même avait isolé, et il est le seul rétrovirus oncogène aigu dans lequel l’introduction d’un gène cellulaire qui est le parent du gène sarcomatogène s’est faite à " l’extrémité 3’ " du génome sans faire perdre au génome virale aucune des fonctions qui sont nécessaires pour sa reproduction. C’était une chance absolument inouïe parce-qu'à l’époque on ne savait pas cloner (c’était vraiment très compliqué) et si il n’y avait pas eu cette situation, il aurait fallu attendre d’autres choses avant de pouvoir déboucher sur cette idée et sur la découverte des oncogènes. Il y a un gène spécifique dans le virus du sarcome de Rous, on pouvait faire reproduire ce virus sans ce gène, il continuait à se reproduire et à se multiplier, alors que dans les autres systèmes où il y a un rétrovirus aiguë qui a incorporé un gène cellulaire, il a en même temps perdu des fonctions virales qui sont nécessaires à sa reproduction, donc il est devenu défectif ; vous pouvez toujours le multiplier dans une culture de cellules, mais vous ne pouvez le multiplier qu’en présence d’un virus assistant et à ce moment là vous ressortez jamais un virus pur mais vous ressortez toujours un mélange.

Est-ce que cet événement peut être caractérisé comme l’arrivée de la biologie moléculaire dans la recherche médicale ?

Absolument, dans la recherche cancérologique, parce qu’il y a d’autres aspects de la recherche médicale où la biologie moléculaire s’est introduite aussi. Dans la cancérologie, la vraie biologie moléculaire s’est introduite par le biais des virus ; les virus s’étaient des modèles sur lesquels on pouvait faire des choses. Après la découverte du virus polyome, virus ADN, la découverte de Dubelcco que ce virus lui aussi arrivait à intégrer son génome dans la cellule, les virus ADN sont devenus aussi des modèles d’études,– avec des difficultés supplémentaires par rapport à l’ARN car à ce moment là au début des années 1970, on savait faire la séquence au moins de fragments de molécule de l’ARN à condition qu’elle ne soit pas trop longue, mais on ne savait absolument pas faire la séquence des ADN, (cela a pris plusieurs années avant qu’on sache le faire). On avait quand même là des modèles viraux en plus du modèle polyome qui est un modèle extrêmement intéressant, mais finalement l'autre modèle qui a peut être été plus important pour la découverte ultérieure, c’est le virus simien 40. C’est aussi un truc assez extraordinaire, il ne faut pas perdre de vue que quand on a commencé à préparer des vaccins en utilisant des cultures cellulaires en particulier le vaccin Salk (contre la polio), qu’est-ce qu’on a fait ? On est allé chercher des reins de singe et en les utilisant pour fabriquer des cultures cellulaires sur lesquelles on fabriquait le vaccin, on s’est aperçu que ces reins étaient alors très fréquemment contaminés par des virus, (qui n’était pas celui naturellement qu’on voulait reproduire). Virus simien 40, cela veut dire que c’est le quarantième virus que l’on a identifié de cette façon. Quand on l’a identifié, ceux qui s’en sont occupés, ont immédiatement essayé de l’injecter à des rongeurs (en particulier aux hamsters) et ils se sont aperçus que ce sacré foutu virus simien 40 provoquait des sarcomes... Entre-temps on avait vacciné des millions de jeunes américains avec des préparations de vaccin Salk qui renfermait du virus simien 40, on est donc sûr que le SV 40 cela ne doit pas vraiment être dangereux parce qu’on n’a jamais vu de cancer, sauf peut être chez les Pasteuriens.
Le SV 40 c’était un virus qui transformait les cellules, un virus ADN facile à produire en culture cellulaire, à ce moment là est apparu sur le marché des techniques les enzymes de restrictions. Les enzymes de restrictions qui découlaient du travail d’Harber (?) (qui travaillait en Suisse) sur un problème à nouveau de virus bactérien, il s’intéressait à un problème qui est devenu depuis monumental dans ses conséquences, mais à l’époque personne ne croyait un mot de ce qu’il racontait, ça n’intéressait personne. Il avait montré en étudiant les virus ADN des bactéries – on s’était aperçu que quelque fois quand on essayait d’infecter une bactérie vierge avec un virus cela marchait très mal, il y avait juste quelques particules virales qui étaient produites et si on récoltait ces particules virales là et qu’on les remettaient sur la même bactérie alors il y avait une bonne reproduction du virus. C’est cela qui a permis la découverte de ce qu’on appelle les enzymes de restrictions, la bactérie vierge est équipée pour détruire les ADN qui rentrent chez elle. Mais un ADN qui a été produit chez elle a subi des modifications chimiques, et n’est donc plus reconnu par les enzymes de restrictions, quand vous réinfectez la même bactérie avec ce virus qui est sortie d’elle-même, il devient totalement infectieux. Il est devenu possible, non pas de faire la séquence d’un ADN comme le DNA de SV 40 ou de polio, mais il est devenu possible de le découper en petits morceaux d’une façon très spécifique avec des enzymes, et de pouvoir interroger de manière précise telle où telle partie du génome et construire une carte physique du génome. On a commencé là encore à rapprocher des propriétés biologiques, la réplication du virus, son aptitude à induire la transformation cellulaire de fragments de l’ADN, de régions dans l’ADN et on a décrit les régions précoces, les régions tardives, etc. On a commencé à faire là de la virologie moléculaire avec SV 40, avec les adéno virus, c’est comme cela qu’on a construit la génétique moléculaire, parce-que à partir de ce moment là qu'en particulier Paul Berg a eu l’idée de construire un recombinant in vitro complètement aberrant en associant dans la même molécule d’ADN en cercle, l’ADN de lambda et l’ADN SV 40.
C'était déjà quelque chose qui était extrêmement présent dans la réflexion de mon prédécesseur André Berkaloff. Lévi aussi, mais c'était quand même assez différent, parce-que Lévi c’est un homme du Muséum de l’histoire naturelle. Revenons maintenant à ma position au CNRS et à la façon dont j’ai essayé de gérer le département des Sciences de la Vie. Cette façon de le gérer résultait naturellement de mes propres convictions sur la démarche scientifique et de ce que j’avais pu apprendre en essayant de faire de la recherche puis en même temps sur une certaine connaissance du milieu universitaire en général. Il ne faut jamais oublier que le milieu français, quel qu’il soit d’ailleurs est un milieu très conservateur ; on a mis très longtemps en France à comprendre que la génétique mendélienne cela signifiait quelque chose – à titre d’anecdote je vous rappellerais que quand j’ai été élève à l’Institut national agronomique, j’ai eu le bonheur de bénéficier d’un enseignement de génétique formelle qui était donné par un monsieur tout à fait remarquable qui s’appelait Bœuf, (qui avait travaillé pendant des années à Tunis pour sélectionner des blés durs pour faire des pâtes) – la génétique mendélienne n’était franchement acceptée dans le milieu scientifique français (seul exception M. Cuénot) que par des gens qui s’en servait d’une façon pratique pour améliorer les plantes et un petit peu les animaux mais là c’était plus compliqué, mais les plantes cela marchait.

Donc, la génétique végétale ?

Oui et le seul cours formel d’enseignement de génétique en 1945 qui existait à Paris c’était l’enseignement de Bœuf à l’Institut national agronomique, il y en avait nulle part ailleurs. La première chaire de génétique a été créée en 1947 à la Sorbonne au bénéfice de Boris Ephrussi. La génétique était enseignée en Californie à la suite de Thomas H. Morgan depuis trente ans. Elle n’est d'ailleurs presque pas enseignée en Faculté de médecine ; on a fait tout un rapport récemment à l’Académie de médecine que Jean Dausset a rédigé et la conclusion est qu'il faudrait quand même faire un effort... On entend parler de cela autour de qui ? Autour de la descendance de Jérôme Lejeune et de deux ou trois zèbres comme cela – je ne parle pas de la fille de Jérôme Lejeune... Nous arrivons à la biologie moléculaire qui a été pratiquée initialement d’une façon très limitée par quelques Pasteuriens, mais pas tous les Pasteuriens : Lwoff, Monod, etc., et ceux qui étaient autour de ces gens là, le reste de Pasteur – j’aime mieux vous dire en particulier que quand la virologie était entre les mains du père Lépine, on était bien loin de la biologie moléculaire ! Il y avait ce groupe absolument extérieur aux structures de l’enseignement – parce-que Jacques Monod avait été assistant chez Marcel Prenant à la Sorbonne, (il a été aussi au Parti, il était devenu communiste à la suite de son association à la Résistance pendant la guerre) et il a fait sa thèse sur la croissance bactérienne et tous les biologistes dans l'environnement de Prenant disaient : " Mais, qu'est-ce que c'est ce connard qui travaille sur les bactéries ! ". Pas Prenant directement parce que c'était quand même un homme d'une grande qualité intellectuelle et Monod est parti et a trouvé refuge à Pasteur. La biologie moléculaire a pris quasiment le même retard en France que la génétique, pas tout à fait parce-que il y a eu, Dieu merci, la DGRST et la Commission de biologie moléculaire.

Oui, mais à  la DGRST c’est Jacques Monod qui a pratiquement exigé la fameuse action concertée biologie moléculaire

Je suis tout à fait d’accord et c’est bien pour vous dire que tout est parti d’un noyau extrêmement restreint, complètement marginal par rapport aux structures de l’enseignement, aussi bien de l’enseignement scientifique que de l’enseignement médical et qui a eu énormément de peine finalement et qui a fini par obtenir parce-qu'il y a eu une dynamique de la recherche scientifique.

Qu’est-ce que vous en donneriez comme explication ?

Pourquoi a t-on été obligé de créer le CNRS nom d'une pipe ? Et pourquoi ne faudrait-il pas recréer le CNRS encore – c’est trop tôt – c’est quand même parce que l’université n’a jamais rempli les fonctions qu’elle remplit en Allemagne, en Angleterre et aux États-Unis, c’est-à-dire à la fois distribuer une formation et faire marcher la France... L’introduction de la biologie moléculaire s’est faite grâce en particulier à l’action des Pasteuriens soutenue par la DGRST, encouragée et financée par la DGRST et c’est cela qui a permis le développement dans certains laboratoires des approches de biologie moléculaire : à l’Institut de biologie physico-chimique, à l’Institut Pasteur et en Province dans l’environnement de Paul Mandel, à Strasbourg de Jean-Pierre Ebel, de Chambon, etc., et tout cela s’est déroulé dans une atmosphère générale d’hostilité, non pas de la part des chimistes, parce-que les biochimistes se sont très rapidement convertis au moins en partie à la biologie moléculaire.

La biochimie en France n'existait pas non plus dans les universités ?

Cela existait et cela a commencé à se développer vraiment avec l’introduction de la réforme du directeur de l'Enseignement supérieur Gaston Berger, etc. C’est cela qui a permis un premier développement de la biochimie qui oscillait entre faire partie des disciplines biologiques ou faire partie de la chimie. Il ne faut pas négliger ce qu’il y a eu en médecine, il y avait Polonovski à Paris avec son élève Gert, qui ont fait des choses honorables, même très honorable dans le domaine des stéroïdes ; il y avait au Collège de France des chimistes qui travaillaient (mais qui étaient plus chimistes que biologistes) eux aussi sur les stéroïdes, sur les hormones stéroïdes (c’est l’école du père Lépine et de leurs descendants). J’étais très orienté vers la chimie pour toutes sortes de raisons, un peu familiale, de relations, etc., j’ai appris la chimie organique sous la houlette d’un monsieur qui s’appelait Vavon qui était d’ailleurs un excellent pédagogue et qui m’a appris la chimie organique sans prononcer une seule fois le nom d’électron ! On n’en était plus à la nomenclature de Berthellot mais c’était tout juste ! J’ai appris la chimie organique, sans qu’on me dise ce qu'était un électron de valence ! C’était la réalité de 1945. Vavon enseignait à l’Agro, mais il n’était pas qu’à la Sorbonne... J’ai toujours retenu ce que j’ai appris de Vavon ; le simple problème c’est qu’il ne m’a pas appris ce qu’était un électron. Alors on est entrain de parler des retards en génétique, des retards en biologie moléculaire, mais on peut parler des retards en chimie également : c’est pareil – alors on ne va pas refaire l’histoire...
La biologie moléculaire commençait d’exister dans les conditions que l’on vient de décrire, elle était généralement mal reçue et mal perçue par tout un secteur de l’université dans les domaines de la biologie. Les biologistes traditionnels qui s’appelaient encore des zoologistes et des botanistes, etc., ne comprenaient pas la biologie moléculaire et cela les hérissaient complètement et puis certainement cela allait prendre des jobs et bouleverser les choses, enfin ils faisaient un barrage total – c’est ça la structure universitaire française, c’est la division, la division rigide entre les disciplines maintenues par le CSU, alors chacun garde son petit domaine. Aux États Unis c’est pas du tout comme cela : les gens qui ont fait les premières découvertes importantes sur la structure, sur les conséquences pratiques de la structure de J. Watson et F. Crick pour la biophysique de l’ADN, cela a été fait en particulier par un vieil ami à moi qui s’appelait Marmer dans le laboratoire de Paul Doty, à Harvard et il n’était ni professeur de biochimie, ni professeur de biologie, il était professeur de chimie. C’est lui qui avait la chaire de chimie de Harvard et c’est dans son laboratoire que Marmer a décrit la dissociation des deux chaînes de l’ADN quand on chauffe une solution ainsi que les enzymes de restrictions et c’est un des élément majeur des outils de la biologie moléculaire. En France un chimiste n’aurait jamais eu l’idée... Quand je suis arrivé à Marseille, sortait dans les débuts des années 60 les premières structures tri-dimensionnelles de protéines, décrit par Max Perutz et John Kendrew qui étaient les descendants des grands cristallographes de Cambridge en Angleterre. Il y en a un qui a battu l’autre, Kendrew a pris la mio-globine qui est une chaîne unique et puis Perutz qui était aussi astucieux que lui, mais qui était parti sur l'hémoglobine où il y a quatre chaînes a pris une longueur de retard parce-que c’était plus compliqué et puis Kendrew l’a coiffé au poteau. Vers 1961-1962, on connaissait les premières structures tri-dimensionnelles de la mio-globine et de l’hémoglobine... colossale découverte. J’avais comme ami, plus tard à Marseille, un remarquable cristallographe qui s’appelait Kern, qui venait de Strasbourg comme son nom l’indique, puis il est allé à Luminy où il a installé un grand laboratoire de cristallographie, j’ai fais sa connaissance vers 1968-69 non pas parce qu’il était cristallographe mais parce-que comme moi il aimait bien se balader dans les Calanques et il faisait partie du groupe de copains de l’université de la Fac de Médecine qui se retrouvait le dimanche aux Baumettes pour crapahuter. Une découverte que j’ai faite à propos de Kern, c’est quand 1970, donc huit ans après la description de la structure de l’hémoglobine et de la mio-globine, par Kendrew et Perutz, Kern a découvert avec un émerveillement colossal qu’on pouvait faire la structure tri-dimensionnelle d’une protéine parce qu’il s’est trouvé dans une réunion où pour une fois il y avait des cristallographes, des macromolécules qui racontaient leur histoire et il a été éblouie, mais en 1970, il n’avait pas conscience qu’on pouvait faire ça, alors ensuite il a créé un laboratoire dans son truc où les gens ont fait de la structure tri-dimensionnelle des protéines, mais pourquoi ? Parce-que la cristallographie dans la structure universitaire française, c’était le domaine des minéralistes, on faisait la cristallographie du chlorure de sodium, quelques molécules organiques, on était capable quand même d’aller jusqu’à des cristaux assez simple de molécules organiques, mais jamais il n’y a jamais eu d’inter-pénétration dans ces trucs là. Alors quand je suis arrivé à la direction des Sciences Scientifique du CNRS, je succédais donc à André Berkaloff qui était parfaitement convaincu de l’intérêt de la biologie moléculaire, de la génétique etc. C’est un homme d’un tempérament assez vigoureux, (encore que je l'ai vu dans certaines circonstances reculer et me charger du coup de résoudre des problèmes qui l'emmerdait), il pouvait être en apparence assez agressif et puis quand il s’agissait de prendre réellement une décision, hésitant, mais il avait un petit peu tendance (au fond peut être que ce n’était pas plus mal à l’époque) de prendre les gens à rebrousse poil. Et en particulier, d’être un peu agressif vis-à-vis de toute une série de biologistes dans les numéros les plus élevés des numéros de sections du CNRS.

Combien y avait t-il de sections ?

Du temps de Berkaloff il devait y en avoir dix, (en 1982, structure de biosynthèse inter-action, 23 biologies et physico-chimie de macromolécules, 24 génétiques et bio-cellulaires et 25 inter-actions, etc.). Ce que j’ai essayé au contraire c'est d’être persuasif vis-à-vis des collègues qui résistaient et de ne pas les prendre automatiquement à rebrousse poil ; j’ai plutôt essayé d’encourager, en particulier du côté du numéro le plus élevé qui était biologie des populations et des écosystèmes. Les bas numéros : la biologie moléculaire ne posait pas de problème majeur, et puis au fur et à mesure que l’on remontait vers la physiologie – ne parlons pas de la psycho-physio etc. Alors en fait, moi quand j’ai pris mes fonctions, cela c’est le Comité National, ce n’est pas celui là que j’ai trouvé dans les années 80 car il a été changé dans les intitulés. En particulier c’est moi qui est fait que la 31 se soit appelée biologie des organismes et biologie du développement, parce-que cela succédait à quelque chose dans lequel d’ailleurs notre ami Claude Lévi avait été longtemps président et qui s’appelait biologie animale et avant ça s’appelait zoologie. J’ai réussi à faire appeler ça biologie des organismes et biologie du développement et grâce en particulier à l’aide très affirmé de Nicole Le Douarin qui a bien voulu me rejoindre comme directeur adjoint, en même temps que Robert Naquet, on s’est efforcé de faire évoluer cela, qui était biologie animale très traditionnelle et il y avait beaucoup de travaux, il y avait des choses qui n’étaient pas inintéressantes, mais manifestement qui restaient très en marge de ce que l’on pouvait commencer à faire.

Ce qui est intéressant c’est d’avoir introduit le concept d’évolution dans l’affaire ?

J’ai essayé de faire avec un succès d’ailleurs plus où moins limité il faut bien en convenir, mais j’ai essayé de faire en sorte que l'on puisse encourager... par exemple il y avait biochimie et biologie végétale, alors c’est pareil initialement c’était la botanique. La biologie végétale c’est quand même quelque chose dans lequel la biologie moléculaire (un petit peu de la même façon que la génétique) s’est (quand même pour un certain nombre de laboratoires, avec des gens comme Ketier (?) etc.,) relativement introduite. On a essayé de favoriser cela, et de la même façon biologie des organismes et biologie du développement, on a essayé de pousser de plus en plus vers les démarches utilisant des techniques de la biologie moléculaire. Qu’est-ce qu’on reproche aux biologistes moléculaires ? C’est d'être réductionnistes, ce qui est une connerie monumentale – réductionniste qu’est-ce que ça veut dire ? Cela dépend de la question qu’on essaye de poser, avec les moyens dont on dispose et les réponses qu’on peut espérer attendre, si on se place dans la situation où le système qu’on étudie est tellement compliqué que même en posant toutes les questions nécessaires, on n'obtiendra jamais de réponses, c’est peut-être pas réductionniste mais c’est pas scientifique non plus et c’est de l’inutile ; tout ce que cela a conduit à faire ce sont des observations mais pas des explications. Or, dès l’instant qu’on est un vrai biologiste moléculaire, c’est-à-dire qu’on a intégré dans sa démarche toute la méthodologie que permet l’existence de la façon qu’on a de définir la structure des protéines, la structure des ARN, la structure des ADN, les enzymes de restrictions, le clonage, la recombinaison in vitro, l’ingénierie génétique, etc., tout cela c’est du bricolage, c’est de la technique et si on n'est pas conscient en même temps qu’on ne peut rien faire sans la génétique.... Il ne faut pas perdre de vue autre chose dans l’histoire du CNRS qui est importante : quand Claude Lévi a été le premier responsable du secteur, que l’on appelait le secteur des Sciences de la Vie, (à l’époque cela s’appelait secteur et pas département, c'est vers 1980-1981 qu’on a commencé à appeler les choses département), il y avait en tout et pour tout comme État-major, l’ineffable Dominique Lidoreau, sa secrétaire, qui avait 18 ans à l’époque et qui était vraiment charmante, qui est restée d’ailleurs charmante, je vous conseille de la rencontrer, c’est aussi une source d’informations très utile sur le département elle a assisté à la naissance du département.

Où est-ce qu’elle est à présent ?

Elle est en principe à Orsay dans l’ensemble de microbiologie et elle est chargée par le CNRS de s’occuper en grande partie du secrétariat des conférences Jacques Monod, (mais quand elle était la première secrétaire de Claude Lévi je vous assure qu’elle faisait sensation dans les commissions du CNRS !) Le département des Sciences de la Vie à l’époque ou le secteur cela se limitait à Claude Lévi et Dominique – à part ça, il y avait naturellement le service de Genviève Niéva qui s’occupait d’organiser les réunions des commissions etc., mais qui n’était pas plus Sciences de la Vie qu’autre chose, elle était tout ce qu’on veut. Quand je suis arrivé moi, il y avait André Berkaloff, Dominique que j’ai eu aussi pour secrétaire, une chargée de mission qui était à mi-temps, et qui est partie d’ailleurs assez rapidement et puis il y avait pour la physiologie, la neurobiologie de Michel Imbert, qui était plus où moins, mais qui n’avait pas vraiment le titre de directeur adjoint, mais qui en remplissait plus ou moins les fonctions, puis il y avait Coste le biochimiste de l’Agro, qui là encore intervenait un peu pour les histoires de biologie végétale et puis ça se réduisait un peu près à ça, il n’y avait pas de personnel, alors quand je suis arrivé, d’accord avec les responsables de l’époque, puisqu’il y avait un président, J. Thibaut, qui venait de l’Inra, physiologie de l’Inra. Il était professeur de physiologie, enfin moi en tant qu’Agro, je l’ai connu à travers l’Inra, il était chargé de la reproduction de biologie de la reproduction à l’Inra, et il a fait beaucoup pour l'insémination artificielle de la vache. Il y avait donc Thibaut qui était président et il y avait Ducuing, le physicien de l’école polytechnique, qui était directeur général, c’est eux qui mon fait venir à la direction du CNRS et dans un objectif stratégique on a décidé d'étoffer le département, il fallait commencer d’abord par m'adjoindre des directeurs adjoints et à ce moment là on a nommé rapidement deux directeurs adjoints, l’un qui était Robert Naquet et puis l’autre N. Le Douarin, qui a accepté d’être mon directeur adjoint pendant un certain temps. Cela ne s’est pas passé tout seul d’ailleurs, parce-que madame Saunier-Seïté qui régnait encore sur le ministère à l’époque, enfin plutôt son cabinet, s’est brusquement rappelé le jour même du conseil d’administration où on allait nommer N. Le Douarin directeur adjoint qu’elle avait fait parti autrefois du syndicat SNCS... alors ce n’était plus possible de la nommer ! On s’est retrouvé avec Thibeau et Ducuing à tourner en rond en se disant que si cela se passait comme cela, on était prêt a donner notre démission, et puis ça s’est arrangé et ils ont nommé N. Le Douarin. J’ai donc commencé à avoir deux adjoints et très rapidement j’ai réuni autour de moi un certain nombre de chargés de missions qui m’aidaient pour gérer d’une façon plus spécifique un certain nombre de commissions qui pouvaient présenter des problèmes plus où moins particulier. J’ai commencé à étoffer un État-major du département dans lequel j’avais Barbault qui s’occupait de l’écologie avec à l’époque et Zaher Massoud qui en est devenu le président, et puis en biologie c’était N. Le Douarin, Naquet pour tout ce qui était physio, psycho-physio et je m'occupais des sections médicales et pharmaceutiques parce-qu'à l’époque il y avait encore pharmaco et physio-pathologie.

Vos relations avec les médecins ?

Mes relations avec les médecins étaient excellentes, parce-que la physiopathologie humaine s’était largement réformée, elle avait introduit dans son sein de vrais biologistes moléculaires et il y avait les gens en particulier qui représentaient nos amis de Saint-Louis, des gens comme Michel Boisron, etc. Il y avait toute une série de gens dans cette section là qui avaient commencé à faire le ménage, alors il y avait encore des problèmes, des traces du passé, mais c’est une section qui avait très largement évoluée, et un des reproches majeurs que je peux faire à l’un de mes successeurs c’est d’avoir supprimé cette section.

Vous aviez le problème de la concurrence de relations avec l’Inserm ?

Ce n’était pas une raison pour fermer cette section... Cela c’était l’accord raisonnable – parce-que moi je gérais relativement bien mes relations avec mon vieil ami Philippe Lazar que je connais depuis qu’il était le statisticien du laboratoire de cancérologie chimique de l’IRSC, alors il n’est pas commode mais il est supérieurement intelligent et on a quand même réussi ensemble à résoudre tout un tas de problèmes. Ce n’est pas Lazar qui a fait fermer la deuxième section de médecine au CNRS, c’est Hubert Curien qui a poussé à ça et moi je ne me serais pas laissé faire. J’aurais pas laissé faire ce que mon successeur à fait, tout en conservant d’ailleurs la section de pharmacologie, qui est une section purement merdique! Entre nous, car elle est noyautée par les descendants de Gérard Millaud et compagnie... Bien sûr qu’il fallait de la taxico, mais bien faite ; si elle est faite par les pharmaciens français, elle ne vaut pas un clou. Il faut être clair... Les facultés en général ce n’est pas triste, mais la faculté de pharmacie c’est le désert total ! Alors en dehors de quelques géants du style Bernard Roque qui domine de la tête et des épaules la faculté de l'Observatoire et qui est un chimiste, un type d’une très grande classe, et puis il y en à quelques uns comme ça à l’Observatoire. Roque qui est un vrai pharmaco que les Américains reconnaissent comme un pharmaco, mais qui va faire confiance ou qui faisait encore il y a quelques années confiance à de la pharmacologie pratiquée en France ? Personne.

Mais vous avez un successeur qui est un pharmacologue ?

Claude Paoletti un pharmacien de formation, pharmacien militaire en plus ! Non, ce n’est pas une objection parce-que j’ai eu d’excellents amis qui étaient passés par Navale pour toutes sortes de raisons, mon très grand ami Serge Lissitzky à Marseille était ‘Navalais’, mais enfin il était médecin, il n’était pas pharmacien. Paoletti était un pharmacologue respectable et c’était aussi quelqu’un qui était ouvert à la biologie moléculaire, supérieurement intelligent (ne nous trompons pas sur ce que je peux dire), mais je me suis fâché avec lui, d’une façon radicale à cause de certaines attitudes qu’il a eu par rapport à son laboratoire, par rapport à Gustave Roussy, etc., mais c’est tout à fait secondaire – je me suis pendant des années très bien entendu avec lui, c’était un homme qui savait sentir les choses, et il avait des pharmaciens, ses collègues, une opinion extrêmement sévère. Mais ceci dit, il n'avait pas la façon de gérer ces situations là parce-que il aurait beaucoup mieux valu qu’il ne supprime pas, pour faire plaisir à Curien, la commission de médecine, qui était une commission qui marchait bien, qui ne supprime pas non plus d’ailleurs la commission des pharmacies... Quant à l’enseignement des facultés de pharmacies... sauf peut-être maintenant quand même, enfin ils sont en train d’essayer sous la force des événements, parce-qu'ils ne peuvent pas se laisser complètement larguer, il faut bien que l'agence du médicament existe ; il faut bien que l'on soit capable d’accorder une autorisation de mise sur le marché qui ne soit pas ridicule ; il faut quand même qu’on soit capable encore de sortir des toxicos qui soient pas complètement ignorés par les Américains, la FDA, ce qu’ils sont d’ailleurs en général quand même, ils revérifient tout. A l’époque, dans les années 1980, l’état des enseignements des facultés des pharmacies en général était très bas, Il y avait très peu d’évolution, il y avait quelques lumières comme mon ami Bernard Roque, mais en général ce n’était pas bon et c’était tout à fait dominé par un conservatisme à tous les égards, total. En médecine c’était complètement différent parce-que il y avait des gens qui avaient évolué, dans cette commission siégeait des gens comme Dominique Stehelin, Alain Sarazin, les gens de chez Ketty Schwartz (?) cela n’avait rien à voir avec l’atmosphère de la commission ou de la section de pharmacologie. Paoletti a maintenu contre vents et marées cette commission sous l’influence de Gérard Millaud ; qui est un personnage que je connais depuis fort longtemps, qui est sur le plan personnel, de temps en temps on considère qu’on est dans des relations plutôt amicales, c’est un homme d’une extrême intelligence, mais c’est un esprit pervers et faux qui a fait des dégâts absolument monumentaux, il a maintenu la section de pharmacologie avec l’aide de Giraud (La Timone, Marseille) avec l’aide d’un nombre de zozos... Bref, il y avait dans ce milieu là tout un tas de résistance à tout ce qui pouvait évoluer. Il ne fallait pas supprimer la section de pharmacologie, pas plus qu’il fallait supprimer la section de médecine.

Vous avez essayé d’introduire des chercheurs étrangers au CNRS ?

On a recruté des chercheurs étrangers en assez grand nombre , comme Couthino à Pasteur, et celui qui était cristallographe, qui est reparti d’ailleurs aux États-Unis, Argentin d’origine... c’est moi qui l'avait recruté, on a recruté des Belges aussi qu’on a mis chez Dominique Stehlin, des gens comme Stahl, etc. Il y a eu beaucoup de recrutements étrangers, quand à introduire des représentants étrangers dans les commissions à cette époque là, non. Où alors, c’était qu’ils travaillaient en France, ils étaient membre du CNRS. Ce qu’on a fait beaucoup, mais avec un succès pratique extrêmement limité, c’est qu’on essayait d'introduire systématiquement des étrangers dans les comités de directions des droits. Alors voilà ce que j’ai essayé de faire au CNRS avec plus ou moins de succès. J'ai essayé en utilisant les moyens qu’on avait dans le secteur à l’époque, parce-que on n’avait de l’argent à l’époque – je suis arrivé Dieu merci, sous la bénédiction du rapport du livre blanc sur la recherche biologique en France et qui avait été demandé par V. Giscard d'Estaing (Président de la République) à François Jacob, François Gros et Pierre Royer.

Vous avez dû pas mal utiliser le systèmes des ATP (actions thématiques programmées)

On avait le système des ATP, qui existait encore à l’époque, on avait une certaine souplesse budgétaire qui était fort bien gérée par Arigui, Simon Poli, la bande des Corses! Arigui, c’était un personnage extraordinaire et on gérait ça ensemble et on avait une marge, donc cela permettait selon les besoins de faire des interventions spécifiques, soit par le canal des ATP en orientant les ATP dans le sens qu'il nous paraissait souhaitable, soit en aidant à la création de laboratoire. C’est de mon temps qu’on a décidé la création du laboratoire de Michel Lazdunski par exemple à Sofia-Antipolis et il a été effectivement ouvert après parce-que quand on décide quelque chose en force, il faut plusieurs années pour que ça se réalise, on a passablement développé d’ailleurs les choses qui se passaient à Nice, on a aidé des laboratoires marseillais. On a créé avec l’Inserm le Centre d’immunologie de Marseille avec Michel Fougereau, que je connaissais bien, puisque on avait été ensemble chez Desnuelles où il avait été nommé après moi comme maître de conférence, lui était vétérinaire et il était passé par un laboratoire de l’Inra. Puis on a créé avec l’Inserm et cela a été une grande réussite le laboratoire d’endocrinologie de Montpellier d’abord avec Serge Jard comme directeur et aujourd’hui c’est Joël Bockaert qu’il le dirige, on est en train de l’élire membre correspondant de l’Académie des Sciences ces jours-ci. On a développé Toulouse, on a essayé de faire des choses sur la façade ouest, parce-que moi j’avais une politique régionale et mon principe aussi c’était à la fois : pas de querelles inutiles avec l’Inserm, réglons nos problèmes et avec ça je réglais les problèmes avec Philippe Lazar, avec le concours du côté de Lazar, de Jean-Paul Lévy, (qui est en train de nous foutre des responsabilités sur le dos à l'ANRS) et du côté CNRS Jean-François Bach. On se réunissait périodiquement tantôt au CNRS, tantôt à l’Inserm, pour discuter des problèmes qui nous séparaient ou qui nous unissaient, et puis on essayait de trouver des solutions, on avait mis sur pied un accord qui avait été signé par le directeur de l’époque Papon, entre le CNRS et l’Inserm en particulier pour définir qu’elles étaient les situations dans lesquelles on pouvait soutenir ensemble une unité, et c’est comme cela que l'on a largement renforcé Dominique Stehelin à Lille. J'essayais d’avoir une politique active, constructive et de coopération avec l’université, parce-que je crois quand même comme vous le dites que l’université n'est pas toute pourrie... On peut quand même en faire quelque chose, ce qu’il faut c’est aider ceux qu’ils veulent bien s’aider eux-mêmes, et c’est ce qu’on faisait....
A l’époque J’avais d’excellentes relation avec la DRED (Don. de la recherche et des études doctorales), c’est-à-dire, Bernard Descomps et c’est en particulier Jacques Dailly qui est devenu par la suite le directeur de la biologie à l’École Normale Supérieure à Lyon où il a créé une division de biologie et avec lequel on faisait beaucoup de véritables missions, c’était vraiment des terres de missions, on allait en Province tous les deux souvent et on organisait des réunions avec les présidents des universités et on essayait d’insuffler là dedans des moyens quand on voyait qu’il émergeait une volonté de développer ce qui nous paraissaient intéressant de développer régionalement, bien entendu, tout ça a donné beaucoup plus de résultats sur la façade est que sur la façade ouest. Mais cela est une vieille tradition historique, que mon confrère Pierre Chaunu m’a expliqué très en détails, d’ailleurs autrefois quand il était dans le Conseil Scientifique du CNRS, donc de Strasbourg à Lyon, à Grenoble, à Nice, à Marseille, à Montpellier et Toulouse, on peut dire qu’on a fait pas mal de choses, des choses éventuellement assez importantes, on a essayé de faire des choses à Rennes avec un succès plus limité, mais pas complètement négatif, pas complètement nul, on a moins bien réussi à Bordeaux (et pourtant je suis attaché à Bordeaux, j’y ai passé mon enfance), et puis dans le centre de la France alors là, je dois dire qu'en dehors d’Orléans, on a pas fait grand chose, mais on n’avait pas les moyens de tout faire. Il y a eu des trucs un peu ratés, comme des tentatives qu’on a pu faire à Dijon, qui ont pas franchement réussies, on est resté plongé dans la moutarde... Pendant ce temps là je présidais le Conseil Scientifique de l’Inra, alors on a fait des trucs aussi avec Poli le directeur de l’Inra à l’époque, on a créé un laboratoire commun à Toulouse en biologie moléculaire végétale, avec Dénarié. Puis j’ai essayé avec Poli de mettre des chercheurs CNRS quelque fois, d’aider un petit peu des différents secteurs de l’Inra, qui étaient ceux qui marchaient pas trop mal, à Jouy-en-Josas.

Vos relations avec l’Institut Pasteur ?

Pasteur en soit c’est un monde à part qui veut le rester, mais il n’en reste pas moins que comme j’ai toujours eu d’excellentes relations avec la plupart des Pasteuriens, en particulier leur directeur, puisque j’étais très bien avec Jacques Monod quand il était directeur, et surtout j’étais très intime avec François Gros, on a travaillé ensemble dans les années 60, quand je commençais à Marseille, mais que je ne pouvais pas faire ce que je voulais, alors je venais travailler à Pasteur. Puis j’étais très lié aussi avec le successeur de François qui était Raymond Dedonder, que je connaissais depuis l’Agro, il était dans un laboratoire de l’Agro, quand moi j’étais élève. François Gros a disparu assez vite du tableau, puisqu’il est devenu le conseiller du Premier ministre, il a dû abandonner ses fonctions de directeur général de l’Institut Pasteur, il aurait mieux fait de je ne sais pas quoi... plutôt que d’aller se foutre dans le sang contaminé, le pauvre. Alors, j’ai surtout collaboré avec Raymond Dedonder à Pasteur, on avait mis sur pied quand même un système avec Dedonder, qui faisait que le CNRS participait au conseil des départements de Pasteur. La relation du CNRS et des organismes en général avec les grandes institutions qui ont leurs personnalités.... J’ai appartenu à Curie, j’appartiens à l’Institut Gustave Roussy, je connais bien Pasteur, et toutes ces institutions là en France qui ont une personnalité, qui ont la capacité d’administrer et de régler un budget, enfin d’avoir une personnalité morale, toutes ces institutions là, c’est très difficile de régler leurs relations avec les organismes – les organismes travaillent à leur façon à travers des unités de recherche, des formules diverses, enfin le CNRS change d’ailleurs tous les ans sa nomenclature, l’important c’est qu’il y a des unités qui sont jugées en tant que telles et au fond sans relations nécessaires avec l’environnement qui est celui de l’institut dans lequel elles sont logées et moi personnellement je trouve ça déplorable. J’ai toujours essayé de faire en sorte et à Curie c’est pareil, j’ai essayé de le faire à Curie car j’étais représentant du CNRS au Conseil d’administration et je faisais parti d’autre part du Conseil scientifique de la section de biologie de l’époque. Donc, moi j’ai toujours essayé de faire en sorte qu’il y est quand même des structures d’interactions et des possibilités d’interactions et d’échanges d’informations entre ces organismes et entre ces institutions et la politique qui veulent suivre et que le CNRS approuve ou n’approuve pas ça c’est autre chose, mais au moins qu’on s’informe pour savoir dans quelle direction on se dirige.

L’affaire du Sida

Nous avons été les premiers au CNRS au département des Sciences de la vie à donner du fric à Montagnier. Luc Montagnier est un personnage complexe, qui a fait une grande découverte, il l’a très mal exploitée par la suite, soyons clair. Mais mon ami encore une fois, je le connais depuis les années 1955-56, quand il faisait sa thèse chez Jean-André Thomas – ce qui n'était pas une bénédiction pour Montagnier . Et c’est grâce à Latarjet, parce-que Jean-André Thomas était professeur à la Sorbonne et son laboratoire était logé dans le bâtiment de la fondation Curie, un accord dont je ne connais pas l’origine. Montagnier était là, ce qui l'a amené à prendre des contacts avec Raymond Latarjet, et c’est ce dernier qui l'a incité à aller travailler dans un excellent laboratoire de virologie en Angleterre (dont j’ai oublié le nom du directeur) ou il a commencé à apprendre la virologie. Il a été en fait à ce moment là le premier à faire la démonstration que c’était le virus de l’encéphalite murine, que l’on pouvait transmettre la maladie avec l’ARN nu de ce virus, cela venait d’être fait simultanément par Schram (U. Tübingen) et Fraenkel-Conrat en Californie sur le virus des plantes. Ils avaient montré qu’on pouvait transmettre la maladie avec l’ARN et Montagnier avec cet Anglais dont j’ai oublié le nom a fait la même chose, je crois avec le virus de l’encéphalite murine. Ce n’était quand même pas un travail inutile, et c’était la première fois qu’on montrait ça chez l’animal. Ensuite il est revenu de son séjour en Angleterre à Curie chez Latarjet et il a travaillé, c’est là qu’il a vraiment commencé à faire de la rétrovirologie dans l’environnement en particulier de quelqu’un qui s’appelle Philippe Vigier (à la retraite maintenant depuis longtemps). Il a acquis une certaine réputation en matière de rétrovirologie et effectivement il était un des rares virologiste français qui avait quelques compétences pour manipuler un rétrovirus. La virologie à Pasteur était tombée en-dessous du niveau de la mer, grâce à l’efficacité de monsieur Lépine qui était vraiment une catastrophe totale... (il a continué comme conseiller municipal de la municipalité Jacques Chirac d’ailleurs), les gens de Pasteur voulaient remonter la virologie et ils ont fait appel à Luc Montagnier et là ils ont fait une erreur énorme, parce-que Montagnier était un bon rétrovirologiste mais il n’était pas fait pour s’adapter au milieu Pasteurien qui est extrêmement spécial, ce qui fait que cela a été un échec. Et les Pasteuriens ont commencé en particulier les plus connus, les plus influents, ont commencé à considérer Luc Montagnier comme le dernier des crétins – ce qui est quand même très exagéré. Luc Montagnier a eu la chance d’être contacté par des médecins en particulier Rozenbaum dont quelque fois on dit qu’il est un peu fou, mais qui en réalité a joué un rôle très important dans cette affaire, et qui n’est pas si con que ça, et maintenant il est devenu à mon avis très raisonnable, Jean-Paul Lévy d'ailleurs le reconnaît. Mais c’est en particulier Rozenbaum et quelques autres qui ont mis Montagnier sur la piste, et pourquoi a-t-il réussi ? Parce-qu'il avait appris à maintenir des cellules T humaines en culture grâce à ce que Bob Gallo appelait à l’origine, le TCGF, en réalité c’est ce qu’on appelle maintenant interleukine-2.
En plus, c'était un vrai rétrovirologiste et il a su reconnaître qu’il avait entre les mains quelque chose qui précisément était .un rétrovirus au sens très large du terme, mais qui n’était pas un virus de type C, (pour revenir à la nomenclature de mon vieil ami Vulaine Bernard mais un anti-virus, il ne savait pas encore vraiment que c’était un anti-virus, mais il s’en doutait, parce-qu’il avait constaté que ça ressemblait beaucoup au virus de la je ne sais plus quoi, qui est un anti-virus. Bob Gallo ne voulait absolument pas en entendre parler, parce-que pour lui un rétrovirus humain, c’était forcément un virus de type C, cela ne pouvait pas être autre chose et c’était surtout quelque chose qui ressemblait au HTLV qui l’avait découvert trois ou quatre ans auparavant. Il était parti complètement à côté avec l’aide d'Essex et d’un certain nombre d’autres, il se gourait complètement, et c'est Montagnier qui avait raison, mais hélas il présentait ses résultats si mal, qu’il n’arrivait pas à être vraiment convainquant... il a fait d’énorme progrès depuis. Mais je me souviens d’une façon parfaite, d’une réunion de virologie organisée par Pierre Tiollet et Gérard Orth à Seillac au nom de l’Inserm, à laquelle Montagnier avait été invité à présenter ses résultats et c’était une des premières présentations qu’il faisait du thème, et il y avait naturellement Bob Gallo et Max Essex qui étaient invités. Bob Gallo était dans le fond de la salle qui n’arrêtait pas de dire : "bullshit, bullshit..."... Il y avait Françoise Haguenau (?) grande spécialiste (la cousine de Michel Debré, la grande famille Debré) qui à l’époque avait travaillée avec Vilaine Bernard et qui était une autorité dans la morphologie des virus, qui n'y croyait pas non plus, qui ne comprenait pas. Montagnier avait montré les premières images de son virus qui avaient été faites à Pasteur dans le département de microscopie électronique ; ses images étaient parfaitement claires, parfaitement crédibles et elles montraient qu'il ne s’agissait pas d’un virus de type C parce-que la morphologie en était complètement différente – mais comme tout le monde avait derrière la tête qu'un virus cela faisait forcément un virus de type C – même Françoise Haguenau qui n’était pas complètement crétine, dans les discussions qui se sont déroulées après, m’a dit qu'elle n'y croyait pas, parce-qu'elle n’avait pas voulu reconnaître qu’il avait mis la main sur un anti-virus et pas sur un rétrovirus. Jean Paul Lévy est virologiste (CHU Cochin), mais là c’est la même chose il a appris la virologie sur les rétrovirus de type C, et il était certainement à l’époque beaucoup plus influencé par ce que pouvait raconter des mecs comme Bob Gallo et Max Essex. Ils avaient la parole facile ; ils présentaient brillamment leurs résultats et qui de plus arrivaient avec l’auréole d’avoir découvert le premier rétrovirus humain responsable d’une leucémie... Alors c’était difficile de surmonter tout ça. Je connaissais Luc Montagnier depuis longtemps, je ne le considérais pas comme un super génie, mais je savais qu’il était un bon rétrovirologiste et je croyais ce qu’il racontait, c’est pour ça que moi j’ai été le premier à lui donner du fric.

En 1983, quand ils ont sorti leur papier, cela vous est apparu déterminant ?

Absolument et on a immédiatement décidé avec un de mes adjoints, Volfin, de débloquer cinq cent milles francs. Les Pasteuriens, ce n’était pas la peine de les convaincre. Ils ne voulaient rien savoir et ils continuent plus ou moins à ne rien vouloir savoir d’ailleurs, enfin ils sont obligés de mettre les pouces. Et c’est vrai que Luc Montagnier était un personnage très introverti au début mais il a fait d’énormes progrès quand son ego a été conforté. C’est le hasard des circonstances qui fait tout ça, si je n’avais pas connu Montagnier depuis l’enfance pour ainsi dire, mais je le connaissais donc j’avais quand même une certaine confiance en lui.

Vous avez ainsi participé à la lutte contre le Sida

Je suis entré dans le Conseil scientifique de l'ANRS dès sa fondation et je n'y suis plus parce-que j’avais dépassé le temps de mon mandat. Je suis toujours dans certaines commissions de l'ANRS, et je considère que depuis mon ami Jean-Paul Lévy a mené l'ANRS d’une façon remarquable et ce n’est pas l'Inserm qui l’aurait fait, malgré ce que raconte Philippe Lazar... Robert Gallo, je le connais depuis qu’il était étudiant en médecine à Harvard, où il venait en stage dans le laboratoire de Paul Zamecnik. C’est un type que j’admire beaucoup pour la vivacité de son esprit, à part ça il est passablement brouillon, il est m’as-tu vu, il est tout ce qu’on veut, il est très médiatique, mais ce n’est pas un crétin. En fait il a rendu possible la découverte du virus, parce qu’il avait découvert le TCGF et la méthode qui permet de cultiver des cellules in vitro – c’est un événement méthodologique majeur et Montagnier qui était à cette époque là en excellent terme avec lui, qui échangeait des trucs avec lui a utilisé la méthode de Gallo pour faire marcher son système... J’ai connu Montagnier parce qu’il faisait sa thèse dans le même bâtiment que moi quand j’étais chez Latarjet. J’ai connu Gallo parce qu’il était étudiant à Harvard, quand j’allais chez mon ancien patron Paul Zamecnik et dans les années où il avait découvert le virus du HTLV j’étais boursier du NIH et je passais tous les étés à partir de 76 au NIH, et en particulier je n’étais pas dans le laboratoire de Bob Gallo, j’étais dans le laboratoire d’un autre ami Norman Solsman (?) qui est aussi un virologiste mais justement un virologiste des virus ADN, ce qui m’intéressais à l’époque. Je passais mon été là dedans, mais je connaissais bien Bob, donc je passais une partie de mon temps dans son laboratoire et je savais ce qu'il s’y faisait, donc il s’est trouvé que moi, je savais des choses que peut-être d’autres ne savaient pas.

Au département SDV, vous avez été remplacé par Jacques Demaille ?

C’est moi qui est insisté pour qu'il soit nommé ; Pierre Papon n’en voulait pas et puis j'ai persuadé Curien (parce Demaille était au ministère chez Hubert Curien en réalité). Je voulais partir, quand je suis arrivé à la direction j’avais dit à Ducuing et Thibaut que j'en prenais pour cinq ans mais pas plus (à l’époque il y avait des gens qui faisaient sept, huit ans et même plus), maintenant c'est trois ans renouvelable. Mais à l’époque il n’y avait rien de défini, c’était à la bonne volonté du directeur général et éventuellement des autorités de tutelle. Dans ma quatrième année j’ai donc commencé à chercher à me trouver un successeur ; on était très en relation avec Jacques Demaille (que je connaissais d’ailleurs depuis très longtemps), en tant que responsable au ministère de la Recherche chez Curien, et on appréciait énormément son efficacité et la façon dont il nous aidait à régler les problèmes budgétaires du CNRS et on n’avait trouvé que c’était un monsieur qui savait ce qu’il faisait etc. Donc, je me suis dit voilà l’homme idéal et je l’ai fait nommé contre Papon, je suis allé trouver Curien qui m’a donné son accord. Je me suis gouré, non pas sur les qualités intellectuelles de Demaille qui sont considérables, mais sur sa capacité à réaliser qu'il ne pouvait pas avoir à la fois un avenir de président d’université à Montpellier et un avenir de directeur du CNRS à Paris !