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Thérapie génique : succès contre une maladie du sang héréditaire

Sandrine Cabut, Le Monde du 20 avril 2018

 

L'essai a été pratiqué sur des patients atteints de bêta-thalassémie 

Ne plus se rendre à l'hôpital chaque mois pour une transfusion sanguine ; ne plus ressentir la fatigue et l'essoufflement dus à l'anémie… Bref, découvrir une nouvelle vie, une existence normale de jeune adulte qui se consacre à ses études, à des activités sportives. C'est ce dont témoignent deux patients traités en France par une thérapie génique, dans le cadre d'un essai international dont les résultats sont publiés dans le New England Journal of Medicine daté du jeudi 19  avril.

Menée aux Etats-Unis, en Australie, en Thaïlande et en France, l'étude a inclus un nombre de volontaires significatif pour ce type d'essai, vingt-deux au total, âgés de 12 à 35 ans, atteints d'une forme héréditaire d'anémie, la bêta-thalassémie. L'article est signé par quarante-sept auteurs dont les Français Philippe Leboulch, inventeur du vecteur de cette thérapie génique (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, CEA), et Marina Cavazzana (Institut Imagine, Inserm, hôpital Necker, AP-HP) qui est l'investigatrice principale du volet hexagonal de l'essai, portant sur quatre patients.

Anémie plus ou moins sévère

Maladie génétique parmi les plus fréquentes, la bêta-thalassémie touche environ 300 000 personnes dans le monde, avec quelque 60 000 nouveaux cas chaque année. Elle atteint surtout les individus originaires d'Afrique, d'Asie, du Moyen-Orient ou du pourtour méditerranéen.

La bêta-thalassémie est due à une mutation sur le gène de la bêta-globine (plus de 200 ont été décrites), ce qui perturbe la production de l'hémoglobine, la molécule de transport de l'oxygène dans les globules rouges sanguins. Il en résulte une anémie plus ou moins sévère. Dans les formes majeures, des transfusions mensuelles sont nécessaires, auxquelles il faut ajouter un traitement, dit chélateur, pour lutter contre la surcharge en fer de l'organisme -induite par les transfusions répétées. Jusqu'à récemment, la seule option pour guérir de cette maladie handicapante était une allogreffe de cellules de mœlle osseuse à partir d'un donneur familial compatible. Mais celle-ci n'est possible que chez environ un patient sur quatre, et n'est pas exempte de risques (rejet de greffe, toxicité des chimiothérapies…).

Les bons résultats de l'approche de thérapie génique pourraient bien changer la donne. En  2010, Marina Cavazzana et Philippe Leboulch avaient annoncé dans la revue Nature un premier succès clinique dans la bêta-thalassémie chez un jeune homme. Les résultats publiés cette semaine dans le New England Journal of Medicine confirment la pertinence de cette stratégie chez un plus grand nombre de malades.

Avec plus de deux ans de recul en moyenne, et près de quatre ans pour certains, douze des treize patients de l'essai avec l'une des formes les plus fréquentes de bêta-thalassémie ont été " libérés de leurs transfusions ". Le taux d'hémoglobine s'est totalement normalisé chez plusieurs d'entre eux. Quant aux neuf malades avec des atteintes encore plus sévères de la maladie, la fréquence et le volume annuel de transfusions ont été diminués des trois quarts, et trois d'entre eux ne sont plus transfusés.

Pour cette thérapie génique, qu'on peut aussi qualifier d'autogreffe, les chercheurs prélèvent des cellules-souches sanguines des patients. Puis ils les modifient avec un vecteur appelé LentiGlobinBB305, qui permet d'apporter un gène substitutif de bêta-globine avec l'aide d'un vecteur lentiviral (comprenant un petit fragment d'ADN de VIH inactivé). Les cellules sont ensuite réinjectées par voie veineuse, après une brève chimiothérapie pour " laver " la mœlle osseuse.

" Une vie normale "

Au cours de l'essai, aucune complication liée à la thérapie génique n'a été relevée. " On ne peut pas cibler exactement l'endroit où va s'insérer le vecteur, mais il a été optimisé pour avoir le moins d'effets délétères potentiels sur les gènes alentour, souligne Philippe Leboulch. Le risque qu'il active des oncogènes – facilitant le développement d'un cancer – est très faible. " Au total, les patients de cet essai seront suivis pendant treize ans, mais le chercheur espère bien que les résultats se maintiendront " à vie ". " Il faut rester prudent, on ne peut pas parler de guérison, mais aujourd'hui nous n'avons aucune raison de penser que la rémission complète de leurs symptômes ne persiste pas ", estime la professeure Cavazzana, qui se réjouit que les quatre patients traités en France aient " une vie normale ". De nouveaux essais cliniques (phase 3) sont en cours dans plusieurs pays, et la société américaine Bluebird Bio, qui développe le vecteur, espère déposer une demande d'autorisation de mise sur le marché en Europe dès 2018, puis aux Etats-Unis.

D'autres approches de thérapie génique pour la thalassémie font l'objet d'études cliniques, notamment en Italie, à des phases moins avancées. Ce même vecteur est efficace pour la drépanocytose, une maladie cousine de la bêta-thalassémie qui se caractérise par une anémie avec des crises extrêmement douloureuses. Plus de 380 000 nouveaux cas sont enregistrés chaque année dans le monde. En  2017, l'équipe de -Marina Cavazzana a annoncé des résultats très positifs chez le premier drépanocytaire traité par cette approche, un adolescent âgé de 13  ans.

Pour Philippe Leboulch, l'aventure de la thérapie génique a commencé il y a une vingtaine d'années, au Massachusetts Institute of Technology, puis à l'université de Harvard. Ses travaux se poursuivent ensuite en France comme professeur de médecine à Paris et chef d'institut au CEA. Un chemin semé d'obstacles. Le chercheur raconte : " L'un des défis est la rareté et la fragilité des cellules souches sanguines. Il fallait trouver un vecteur permettant un niveau élevé d'intégration dans ces cellules, tout en permettant de produire la protéine thérapeutique en grande quantité dans les globules rouges et pas dans d'autres cellules. "

Au début des années 2000, il publie les premiers succès de cette approche pour la bêta-thalassémie et la drépanocytose chez des souris. Puis il fonde la société Bluebird Bio, pour continuer à améliorer le vecteur et pouvoir passer à une production à plus grande échelle. " Aujourd'hui, le taux de transfert du gène modifié dans les cellules souches est de 50  %, dix fois plus que lors des premiers essais ", précise M. Leboulch.

Si les bons résultats cliniques se confirment, reste à savoir quelle place prendra la thérapie génique dans le traitement de ces maladies de l'hémoglobine. Pourra-t-elle être proposée à  des patients plus jeunes, dès le diagnostic, voire devenir le traitement de référence devant la greffe de mœlle ? L'avenir pourrait aussi passer par des stratégies d'édition du gène, comme CRISPR-Cas9.

Un premier essai clinique avec ces ciseaux moléculaires est attendu pour la bêta-thalassémie en  2018. " CRISPR-Cas9 permet de corriger une mutation donnée, mais dans la bêta-thalassémie plus de 200 ont été décrites. L'avantage de la thérapie génique est d'être plus universelle, quelle que soit la mutation " relève Philippe Leboulch.