Skip to main content

Entretien avec Alain Tedgui

V. Fafeur, S. Mouchet, J-F Picard, script K. Gay, 14 septembre 2018 (source : https://histrecmed.fr/temoignages-et-biographies/temoignages)

Tedgui ima

© Photo Inserm

Je suis un autodidacte de la biologie. Mes parents, juifs d’Algérie, voulaient que je sois médecin. Mon père a commencé à travailler à treize ans et ma mère qui était couturière avait quitté l’école à dix ans. Pour eux, l’aboutissement d’une vie était d'être médecin. Moi, ça me gonflait un peu. Il y a un proverbe yiddish qui dit qu’être adulte c’est savoir dire oui à ses parents même quand ils ont raison. Mais à l’époque, je n’étais pas très adulte et ils avaient raison, j’aurais dû faire médecine. En fait, j'étais bon en maths et je me suis retrouvé en prépa. Nous étions rentrés d’Algérie en 1962 et nous habitions à Vitry où j’ai passé mon bac en 1970. Vitry n’avait pas la réputation qu’elle a aujourd’hui et je suis entré à Louis-le-Grand d'où l'on venait plutôt de milieux sociaux très favorisés. J’ai demandé à mes parents : « qu’est-ce qui vous a pris de m'envoyer là?». Ils m’ont répondu que l’un de mes profs trouvait qu'étant très bon en maths et dans quelques autres matières, il leur avait conseillé de me mettre en prépa et c'est eux qui m’y ont inscrit. C’était la période post-68 et j’ai été pris dans pas mal de trucs politiques. J’étais très actif, plutôt dans la rue que dans la classe car on faisait un peu la révolution. Mais comme nous n'étions pas complètement idiots, on passait aussi les examens.

Cardiologie à Lariboisière

Puis, je me suis inscrit à la fac des sciences (DEUG, puis licence à Paris VI). Je n’avais pas envie de faire une école d’ingénieurs. Ce qui me branchait, c’était la recherche et plutôt la recherche biomédicale. Ayant fait des prépas, j’avais une bonne formation en maths et en physique et je me suis retrouvé directement en maîtrise de mathématiques appliquées. A l'époque, il y avait de la mécanique des fluides à Paris VI, un truc théorique donc, mais qui n’était pas des maths pures, et il y avait, en particulier, une petite option biomécanique, circulation sanguine. J’ai pris cette option et j'ai préparé une thèse de troisième cycle. C’est ainsi que j’ai commencé à m’intéresser à tout ce qui touchait à la circulation sanguine, la physiologie circulatoire, mais dans une approche biomécanique. Ma thèse de 3éme cycle a porté sur les vaisseaux sanguins élastiques collabables. J’ai alors rencontré Bernard Lévy, physiologiste et chercheur dans l'unité Inserm 141 à Lariboisière, qui m’a mis en contact en 1977 avec Daniel Durand, professeur de physiologie à l'hôpital Marie-Lannelongue. Là, je me suis intéressé à l'origine des bruits de Korotkoff (sons entendus par le médecin qui mesure la pression artérielle d’un sujet, grâce à un stéthoscope posé sur l'artère brachiale du patient). Lors de cette prise de tension, quand on gonfle le tensiomètre pour écraser l’artère et qu’on le dégonfle ensuite, la paroi se met à vibrer. Or le son émis au moment où la pression du brassard atteint le niveau de la pression systolique est différent de celui émis lors de la pression diastolique. J'ai obtenu sur ce sujet un diplôme d’études et de recherche en biologie humaine (DERBH), diplôme qui a complètement disparu aujourd'hui.

Le biologie de la paroi artérielle

En mai 1979, sur les conseils de Bernard Lévy qui m’avait orienté vers une équipe à cheval entre la mécanique et la biomédecine, je suis allé à l’Imperial College, à Londres, avec une bourse de la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST), dans le labo dirigé par Colin Caro, un cardiologue qui s’intéressait à la physiologie cardio-circulatoire. Celui-ci venait de mettre en évidence la localisation des plaques d’athérosclérose dans les zones d’écoulement perturbé. Il avait lancé des recherches sur la paroi artérielle et en particulier sur le transport de macromolécules, ce qui renvoie au problème de l’athérosclérose : la pénétration du cholestérol LDL (low density lipoprotein) dans la paroi artérielle étant le tout premier événement de cette maladie. C'était un problème à l’interface entre la physique et la biologie puisqu’il s’agissait de comprendre les problèmes de diffusion et de convection des macromolécules. A Londres, je me suis initié à la recherche expérimentale et je me suis retrouvé à devoir anesthésier des lapins, à isoler des artères, à les mettre en culture, à poser des cathéters, etc… On étudiait le passage d’albumine radio-marquée à travers la paroi artérielle, en fonction du niveau de pression et d’autres paramètres. Lorsque je suis revenu en 1981, j’ai obtenu une bourse de la Fondation pour la recherche médicale (FRM) et j’ai commencé à rédiger plusieurs papiers sur mes tarvaux à Londres. J'ai déposé un dossier à l’Inserm où j’ai été recruté en 1983 dans l’unité 141 dirigée par Rémi Saumont où travaillait Bernard Lévy.

A l'hôpital Lariboisière, aviez-vous des contacts avec les hématologues ?

Pas vraiment. A Lariboisière, il y avait l’école de Jacques Caen, avec ses élèves Sylviane Levy-Toledano et Jacques Maclouf, et il nous arrivait de collaborer, mais eux s’intéressaient au versant hémostase. Dans le laboratoire de cardiologie de Rémi Saumont, qu’avait lancé le professeur Yves Bouvrain dans les années 70, on parlait de cœur artificiel et de réanimation cardiaque. Pour eux, l'axe majeur c'était le cœur et la perfusion coronaire. Bernard Lévy s’intéressait au début à la physiologie de la circulation coronaire, puis par la suite il s’est orienté vers l’hypertension artérielle. C’est comme cela que le labo a pris une orientation en biologie vasculaire car qui dit hypertension artérielle dit vaisseaux. Mais quand je suis arrivé à Lariboisière, tout cela était balbutiant. Quant aux hématos au sens de l’hémato-oncologie, on n'avait aucun contact, c'était un autre monde.

Médecins et chercheurs à l'Inserm

Dans les années 1980, lorsque j'ai été recruté, le ratio de médecins-chercheurs était très faible à l'Inserm. A mes débuts, je collaborais avec les biomécaniciens français comme Christian Oddou à l’université de Créteil, et d'autres. Par rapport aux biomécaniciens américains, qui étaient des physiciens de formation, mais avaient acquis des connaissances en biologie et en physiologie, les biomécaniciens français sont longtemps restés très théoriciens. Ils avaient peu de notions de physiologie ou de biologie. Quant aux médecins attirés par la recherche, il faut se rappeler que les carrières offertes à des chargés ou des directeurs de recherche à l’Inserm offraient un niveau de salaire peu en rapport avec celui d'un PU-PH. Pour être médecin-chercheur, il fallait avoir la foi. L'unité Inserm 141 de physiologie appliquée à la réanimation cardiaque avait été fondée par Rémi Saumont, un médecin cardiologue comme Bernard Swynghedauw, qui a fait toute sa carrière à l’Inserm. Bernard Lévy qui avait commencé sa carrière comme chercheur Inserm a eu l’opportunité d’être nommé PU-PH plus tard. D'ailleurs, nombre de médecins-chercheurs de l'Inserm ont fini par passer PU-PH, mais en conservant la fibre de la recherche médicale.

Un problème de biomécanique

A l'Inserm, j’ai lancé mon propre projet de recherche, qui au départ était dans la lignée de ce que j’avais fait à Londres sur le transport des macromolécules à travers la paroi vasculaire. Ensuite, j’ai commencé à m’intéresser à l’athérosclérose. Je n’y connaissais rien. La réalité pathologique de l'athérosclérose, ce n'est pas l’albumine, ce sont les LDL (low density lipoproteins), le mauvais cholestérol. J’ai donc monté un programme où j’ai étudié le transport des LDL avec mon premier étudiant, Patrick Curmi, médecin qui était passionné par la biologie moléculaire. Rapidement, je me suis dit que l'on avait atteint les limites de compréhension du passage des LDL à travers la paroi artérielle et j’ai commencé à m’intéresser à l'effet des facteurs mécaniques, pression et flux, sur le remodelage vasculaire. C’est ainsi que j’ai démarré un programme sur la mécano-transduction. Cela me fascinait. La paroi artérielle est soumise à deux types de forces mécaniques, une contrainte qui provient de la pression artérielle, qui s’exerce dans la direction perpendiculaire et le flux qui exerce une contrainte de cisaillement dans le sens tangentiel à la paroi. La contrainte de cisaillement générée par le flux, s’exerce typiquement et uniquement sur les cellules endothéliales en contact avec le sang. La pression a pour effet de créer une contrainte dans la direction orthogonale. Cette contrainte se transforme en déformation de la paroi élastique, ayant pour conséquence d’étirer principalement les cellules musculaires lisses, le deuxième composant cellulaire principal de la paroi artérielle. Je me suis donc demandé comment on pouvait explorer cela. J'ai imaginé un modèle inspiré de ce que j’avais appris à Londres, à savoir extraire les vaisseaux d'un lapin dans des conditions qui maintiennent l’endothélium intact, et respectent les conditions physiologiques de pression et de flux.

La biologie vasculaire

Après le transport vasculaire, la deuxième étape de la recherche était la l’étude de la signalisation dans les cellules vasculaires par les facteurs mécaniques et c'est ainsi que l'on a évolué vers la biologie vasculaire. Il se trouve qu’en 1981 Robert R Furchgott publie dans Nature un papier sur le facteur relaxant dérivé de l’endothélium, (EDRF, pour Endothelium-Derived Relaxing Factor), qui est produit et libéré par l'endothélium pour favoriser la relaxation des cellules musculaires lisses vasculaires. On découvrira plus tard que l’EDRF n’est autre que l’oxyde nitrique ou monoxyde d’azote (NO). Robert Furchgott sera lauréat du prix Nobel en 1998 avec Louis J. Ignarro et Ferid Murad, pour leurs découvertes concernant le NO, une nouvelle molécule de signalisation dans le système cardiovasculaire. En fait, le NO franchit facilement les membranes biologiques et passe d'une cellule à l'autre, constituant un messager paracrine idéal des cellules endothéliales. Robert Furchgott, un pharmacologue (State University, New York), qui publiait très peu, travaillait sur le rôle de l’acétylcholine dans la contraction des vaisseaux sanguins. Or, l’acétylcholine était connue pour être vasodilatatrice in vivo et vasoconstrictrice in vitro. Mais on ne savait pas pourquoi. Pour tenter de comprendre, Furchgott travaillait avec une fidèle technicienne. Leurs expériences consistaient à prélever une artère et à la retourner, comme une chaussette. Un jour, sa technicienne lui dit : “ j’ai complètement oublié de faire la manip de retournement, mais l’acétylcholine ne contracte plus, mais dilate le vaisseau, c’est incroyable". Furchgott a évidemment réagi : “bon Dieu, c’est évident ! Il avait compris que l’acétylcholine agissait directement sur les récepteurs muscariniques présents à la surface des cellules endothéliales. Il a eu quelques difficultés à faire accepter son papier dans Nature, mais on a ensuite découvert le rôle joué par le NO et l'ERDF, ce qui a donné un coup d’élan fantastique à une discipline jusque-là inconnue, la biologie vasculaire, qui recouvre aujourd’hui de très nombreux domaines, dont l’angiogenèse, le développement vasculaire, avec toutes les ramifications dans le cancer, l’hypertension…

Paroi artérielle et facteurs mécaniques

Un matin, je me suis demandé comment étudier, dans une paroi artérielle en culture, des phénomènes biologiques qui demandent quelques heures, voire quelques jours, pour se mettre en place ?  Dans les années 1970-1980, un chercheur américain, Russell Ross (Cambridge Research Hospital), avait mis au point la culture de cellules musculaires lisses et de cellules endothéliales. Mais une paroi artérielle est constituée des deux à la fois, et leurs interactions sont essentielles à la biologie de la paroi. D’autre part, les facteurs mécaniques sont des acteurs importants de la réponse vasculaire. Donc, comment reproduire des facteurs mécaniques dans une boîte de Pétri ? Vers la même époque, Robert Nerem (Atlanta University) mettait au point le premier système de culture, où l'on pouvait faire passer un flux au-dessus de cellules endothéliales, en vue d'y reproduire des forces de cisaillement auxquelles sont naturellement exposées les cellules endothéliales en raison de la viscosité du sang. Je me suis dit alors, pourquoi ne pas opérer comme Ross, en utilisant les techniques des biologistes cellulaires. C’est-à-dire, avec des milieux de culture bien contrôlés, en mettant ça dans un incubateur avec de l’oxygène et dans des conditions stériles, je devais être capable de maintenir le segment artériel en culture pendant plusieurs jours. C’est comme cela que j’en suis venu à developper un modèle de culture organotypique de vaisseau que l’on pouvait maintenir en culture pendant plusieurs jours/semaines tout en contrôlant les niveaux de pression et de flux. Et l'on a obtenu nos premiers résultats que l'on a publié en 1997 avec un post-doc Russe, Konstantin Birukov, et une jeune post-doc canadienne, Stéphanie Lehoux, qui a été recrutée par la suite au CNRS (Birukov KG, Lehoux S, Birukova AA, Merval R, Tkachuk VA, Tedgui A. Increased pressure induces sustained protein kinase C-independent herbimycin A-sensitive activation of extracellular signal-related kinase 1/2 in the rabbit aorta in organ culture. Circ Res 81: 895-903, 1997).

Le mécanisme de l'athérosclérose

Dans les années 70-80, l'idée dominante était que l’athérosclérose était due à une effraction endothéliale, à une desquamation de l’endothélium, provoquant une prolifération anarchique des cellules musculaires lisses. Le génie de Russell Ross a été de vendre cette idée urbi et orbi, ce qui a conduit des générations de chercheurs dans une voie sans issue. En effet, à l'époque, les anatomopathologistes et en particulier l'un auquel je dois beaucoup, Seymour Glagov (University of Chicago), qui voyaient et analysaient tous les jours des plaques d’athérosclérose humaines, expliquaient que cette hypothèse n’avait aucun sens. Il voyait bien que l’endothélium était bien présent à tous les stades de la maladie.
Progressivement, l'on a fini par admettre que la réaction à l'origine de l’athérosclérose était de nature inflammatoire, déclenchée par l’accumulation du cholestérol dans la paroi, et que le cholestérol était un facteur nécessaire, mais pas suffisant à l’athérosclérose. En un mot, s’il n’y a pas de cholestérol, il n’y a pas d’athérosclérose. Mais pour un même niveau de cholestérol plasmatique, on peut développer des plaques d’athérosclérose de taille très variable, de très petite à très grosse. Mais, en revanche, si vous n’avez pas de cholestérol, en tout cas en dessous d’un certain seuil, vous n’aurez jamais d’athérosclérose. Voilà ce que les les « anti-cholestérol », ne comprennent pas. Les déclarations de gens comme Philippe Even relèvent de l’anti-science, et les journalistes qui leur donne la parole mettent malheureusement sur le même pied d’égalité la conviction de 99% de la communauté scientifique fondée sur des preuves à celle de moins de 1% d'irréductibles qui les contestent. Mais les médias aiment bien la polémique et ces types ont l'impression de soulever le tapis, de mettre en lumière des vastes scandales : “On vous a vendu le cholestérol, mais c’est pas vrai !". Le Monde a tout de même titré en 2013 : « Le cholestérol ne bouche pas vos artères » (15 fév. 2013)
Moi, ce qui m’intéressait c’était de comprendre pourquoi, une fois que le cholestérol s’est accumulé dans la paroi, celle-ci devient athéromateuse à certains endroits de l’arbre artériel. Et là, cela renvoie à la mécanique et à l’hémodynamique locale ; ensuite, ce cholestérol se comporte comme agent inflammatoire. Quand Ziad Mallat, jeune médecin cardiologue m’a rejoint pour faire son DEA, nous avons franchi une nouvelle étape. On a démarré un programme sur l’athérosclérose destiné à étudier les mécanismes liés à l’inflammation. En fait, j’ai associé différentes disciplines, en mettant en contact la mécanique d’où je viens avec la biologie vasculaire, pour aboutir à l'immunologie, et mieux comprendre l’athérosclérose comme une maladie inflammatoire. J’ai donc suivi le cours d’immunologie à Pasteur.
Nous avons aussi étudié les mécanismes en jeu dans la thrombose, suite à la rupture de la plaque d’athérosclérose (formation d’un caillot sanguin) génératrice de microparticules, formées par des débris cellulaires qui possèdent une forte activité coagulante (Mallat Z, Hugel B , Ohan J, Lesèche G, Freyssinet J-M, Tedgui A. Shed membrane microparticles with procoagulant potential in human atherosclerotic plaques. A role for apoptosis in plaque thrombogenicity. Circulation 99: 348-53, 1999). Certaines de ces microparticules sont maintenant dosées dans le sang circulant et utilisées comme bio-marqueurs du risque cardiovasculaire.

Athérosclérose et immunité

A la fin des années 1980, le groupe de Daniel Steinberg et Joseph Witztum (San Diego Unversity) a démontré que le LDL subit une oxydation de ses phospholipides et une modification de son apolipoprotéine, l’ApoB. Les lipoprotéines ne sont plus reconnues par leur récepteur naturel, comme cela se passe au niveau des hépatocytes (les cellules du foie) et elles perdent ainsi leur mécanisme de régulation. Dans la plaque d’athéroclérose, des monocytes/macrophages sont recrutés à partir du sang, là ou le cholestérol s’est accumulé. Et, malheureusement, plus il y a de LDL oxydé, plus il en entrera dans les macrophages, ce qui explique la formation de cellules spumeuses, qui sont à l’origine de cette boule graisseuse dans la paroi, qui constitue la plaque d’athérosclérose. A Lariboisière, j’avais commencé à travailler sur l’athérosclérose sur des modèles de lapin. Vers le milieu des années 1990, nous avons abandonné ce modèle d’expérimentation, pour adopter la souris beaucoup plus maniable, pour réaliser des manips plour mieux disséquer les mécanismes moléculaires et cellulaires. Quand on donne aux souris un régime enrichi en matières grasses, celles-ci développent des lésions d’athérosclérose qui présentent un phénotype très similaire à celui que l’on peut observer chez l’homme. C’est ainsi que nous avons pu découvrir le rôle protecteur de certaines cytokines anti-inflammatoires, comme l’IL-10 et le TGFb, ou pro-athérogène, comme l’IL-18. Puis on a étudié les mécanismes cellulaires, et en particulier le rôle de certaines cellules de l’immunité adaptative, comme les lymphocytes T et B. Nous avons découvert que les lymphocytes T régulateurs sont un frein au développment de l’athérosclérose (Ait-Oufella H, Salomon BL, Potteaux S, Robertson AK, Gourdy P, Zoll J, Merval R, Esposito B, Cohen JL, Fisson S, Flavell RA, Hansson GK, Klatzmann D, Tedgui A, Mallat Z. Natural regulatory T cells control the development of atherosclerosis in mice. Nat Med. 2006;12:178-80).

La gestion de la recherche à l'Inserm et au CNRS

De 1994 à 1998, j'ai été membre de la commission scientifique spécialisée de l'Inserm "Cardiologie, vaisseaux, hémostase, athérogenèse : mécanismes cellulaires et moléculaires normaux et pathologiques, physiologie et physiopathologie, recherche clinique et thérapeutique, innovation technologique". Puis j'ai présidé son conseil scientifique de 2013 à 2017. Au CNRS, en 2000, j'ai été membre de la section 'Physiologie et physiopathologie", qui de fait recouvre essentiellement le cardiovasculaire et la neurologie. Grosso modo, ce sont les mêmes personnes qui siègent dans ces instances, tout le monde se connait. Au CNRS, c'est vrai que l'on parle moins de pathologie, on s'intéresse surtout aux mécanismes de contraction ou de relaxation des vaisseaux sanguins d'un point de vue physiologique. Si on commence à parler d'athérosclérose ou d'anévrisme, on considère que c'est plutôt le travail de l'Inserm. J'avais une chercheuse qui travaillait chez moi sur la physiologie de la mécano-transduction, qui a été recrutée au CNRS sans problème, mais quand j'ai voulu y présenter une post-doc qui travaillait sur l'anévrisme, celle-ci s'est fait refuser ; elle s’est présentée à l'Inserm et a été recrutée. Cette séparation entre physiologie et physiopathologie est totalement arbitraire. Par exemple, entre une glycémie à jeun normale et une glycémie anormale, qui va donner le diabète, il y a un continuum ; on a abandonné l'idée qu’à moins de 1,1 g/L de glycémie, c'est normal est qu'à 1,2 g/L c'est pathologique.
Quant à l'Inserm, il n'a pas à rougir de la comparaison avec d'autres organismes. Si on divise son budget par le nombre de ses publications, on s'aperçoit que les publications de l'Inserm coûtent beaucoup moins cher que celles des National Institutes of Health (NIH) américains. Et c'est la même chose en termes de qualité. Dans le domaine cardiovasculaire, essentiellement représenté par l'Inserm

Maladies cardiovasculaires et recherche clinique

En 2000, alors que je succède à Bernard Lévy à la direction de l’unité Inserm 541, on vient me chercher pour me dire : « Alain, tu sais, il y a le projet d’ouvrir un bâtiment de recherche à l’Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP). Celui-ci venait d'ouvrir pour regrouper trois hôpitaux de l'AP-HP, Boucicaut, Laennec et Broussais. Ce bâtiment était prévu sur les plans. A l'époque, l'idée de Pierre Corvol était de faire venir des équipes de recherche d’excellence, en lien avec l’hôpital. Au départ, trois grosses unités Inserm étaient prévues, celle de Martine Aiach (unité 428 “Risque thrombotique et mécanisme de l'hémostase”), celle de Xavier Jeunemaître (unité 772 “Gènes et pression artérielle”) et la mienne. A cela, s’ajoutait un certain nombre de m2 prévus pour loger la Fondation Alain Carpentier, le chef du service de chirurgie cardiaque à Broussais. A commencé alors une petite bataille politico-scientifique pour déterminer si le bâtiment de recherche serait dédié spécifiquement au cardiovasculaire, à la recherche oncologique ou à une sorte de plateforme technique à usage des cliniciens. Ensuite, je n’ai plus entendu parler du projet, car le montage financier a traîné en longueur. Il a ressurgi en 2006 et un appel à candidatures a été lancé, pour trouver le directeur de ce centre de recherche. Les instances avaient décidé que le projet serait essentiellement cardiovasculaire, mais « non exclusivement » ! Je candidate et l'on me dit “Alain, il faut que tu laisses quand même de la place à d’autres”. Ce à quoi, j’ai répondu que je ne pouvais pas présenter un projet qui soit une sorte d'auberge espagnole faisant de ce bâtiment une sorte de plateforme “plateau technique”, le truc à la mode ! Et qui va faire de la recherche ? Pour ce genre de truc, on a besoin d’un secrétaire général, d’un manager de plateforme, mais certainement pas d’un scientifique...

....Et vous avez été entendu. D'où le PARCC

Début 2007, je suis nommé directeur par une lettre de mission signée du président de l’université Paris-Descartes Jean-François Dhainaut, du directeur de l'Inserm Christian Bréchot, de Benoit Leclercq, à l’époque directeur de l’AP-HP, et d’Alain Carpentier. En fait, ma lettre précise que je suis chargé de recruter les équipes pour créer un centre de recherche Inserm à l’HEGP, on l’apellera le Paris-centre de recherche cardiovasculaire (PARCC). Cela n’a pas été très compliqué ; au début, il y avait 7 équipes, aujourd'hui on en compte 14. Puis, on a accueilli de jeunes équipes ATIP/Avenir qui ont été pérennisées. On a grossi et maintenant le PARCC compte 300 personnes. Parmi les chefs d’équipe du PARCC, presque la moitié est constituée de chefs de service de l’hôpital et l'autre moitié de purs Inserm, des chercheurs non-médecins.

Vacciner contre les maladies cardiovasculaires?

Il se trouve qu'il y a une composante inflammatoire pathogène dans l'athérosclérose. Cette inflammation est contrôlée par le système immunitaire composé comme l'on sait de deux bras, l’immunité innée dont les cellules effectrices dans l’athérosclérose sont les cellules monocytes/macrophages et l’immunité adaptative, qui implique les lymphocytes T et B. Dans notre labo, avec Ziad Mallat, nous avions démontré que la réponse immunitaire, comme dans toutes les maladies auto-immunes, est contrôlée par une sous-population de lymphocytes T, les cellules T régulatrices, qui empêchent l’auto-immunité et ont un rôle protecteur dans l'athérosclérose. Alors, pourquoi parler de vaccin ? Simplement, parce que, si vous parvenez à éduquer votre système immunitaire pour qu'il sélectionne et fasse proliférer ces cellules T régulatrices spécifiques d’antigènes de la plaque d’athérosclérose, vous obtenez ce qui peut être qualifié de vaccin tolérogène.