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Entretien avec Michel Fougereau

 2 juin 1992 à Marseille Luminy, M. Connat, J.-F. Picard, script MLP (source: https://histrecmed.fr/temoignages-et-biographies/temoignages)

 Fougereau
DR

Voir aussi : La reconnaissance immunitaire, La Recherche, n° 237, nov. 1991

Avant d’arriver à Marseille, j’étais dans un laboratoire de recherche vétérinaire à Grignon, qui comportait deux laboratoires : un laboratoire de virologie et un laboratoire d'immunologie. Ce qui se faisait n'était pas mauvais, il y avait des bons laboratoires et il y en a toujours, et on avait des moyens financiers pour travailler. Mais c'était trop isolé du point de vue intellectuel, c'était loin d'Orsay, loin de Paris, et il n'y avait pas suffisamment de stimulations. Je souhaitais me rapprocher d'une filière un peu plus fondamentale. L'Institut de recherche agronomique (INRA) avait une vocation en principe plutôt de recherche et développement. Cela impliquait donc pour moi de regarder vers l'université et le CNRS. Alors là, en revanche, effectivement, quand je suis arrivé à Marseille, il n’y avait vraiment pas d'immunologie du tout, à part un enseignement d'immunologie en médecine qui était un enseignement de deuxième cycle assez classique, mais il n'y avait pratiquement pas de recherche. Il n'y avait pas de tradition à Luminy, on a importé l'immunologie sur le campus.

L’origine du centre Inserm/CNRS de Luminy

En 1969, j'ai démarré dans un centre de biologie moléculaire. Moi-même, je travaillais en immunologie, mais sur des aspects de structures de protéines et de biologie moléculaire. J’ai développé un sujet qui était assez biochimique, et puis petit à petit les choses se sont développées. La biologie moléculaire à Marseille était représentée par Meunier à l'époque. C'était curieux car, quand Luminy a été créé, Meunier avait un poste de professeur à la faculté Saint Charles. Il m’a rejoint à Luminy, et c'est moi qui ai pris son poste. C'était en biologie moléculaire. Au début, dans mes charges d'enseignement j'avais 2/3 de biologie moléculaire et un petit tiers d'immunologie et puis, peu à peu, l'immunologie est devenue prépondérante.

J’avais rencontré François Kourilsky quand j’étais thésard aux États-Unis, au début des années 1960. Kourilsky est à l’origine du chemin intellectuel qui a abouti à la création d’un laboratoire d’immunologie. Il souhaitait devenir autonome et créer une unité Inserm. L'Inserm a lancé un appel d'offres et Kourilsky s'y est intéressé pour implanter une unité d'immunologie dans laquelle il pensait faire venir des gens de sa mouvance, de Paris et, éventuellement, de Lyon. Il est donc venu à Marseille pour avoir des échanges de vue préliminaires avec un certain nombre de collègues et, comme je vous le disais tout à l'heure, il s'est trouvé qu'à ce moment-là, il y avait la possibilité de créer quelque chose du côté du CNRS. J’avais l’idée, à la suite d’une proposition de Claude Levi, de m'installer sur le campus de Luminy dans des bâtiments que le CNRS avait récupérés de l'université. C'est à partir de la mise en commun de ces deux projets que, finalement, nous sommes arrivés à la notion d’un centre d'immunologie mixte Inserm/CNRS. Cela s'est fait avec la participation de chercheurs venant de Marseille, la plupart venant de chez Denuelle (l'équipe de Michel Delaage qui était une grosse équipe) et avec mon équipe, qui a constitué un apport marseillais assez important. Kourilsky est venu de Paris, Claude Mawas également, et Pierre Golstein d’Angleterre. Les choses ont démarré ainsi, et elles se sont étoffées petit à petit. On a commençé d'ailleurs tous ensemble dans le bâtiment Inserm. Au départ, je crois que nous étions une trentaine en tout, toutes catégories de personnel confondues. Le CNRS a commencé ses aménagements entre 1977 et 1980 ; le bâtiment où nous sommes actuellement n’était qu’une carcasse à l’origine et, petit à petit, on a ouvert les locaux CNRS pour arriver à la superficie complète. Maintenant c'est quand même un institut qui doit rassembler 130 personnes, il y a une quinzaine d'équipes, c'est devenu assez important.

Il fallait que Luminy soit autonome, pour moi c'était tout à fait évident. Si je devais m'impliquer dans le développement et l'autonomie de Luminy, je jouerais la carte d'une université de troisième cycle, comme les Graduates américaines, mais cela ne va pas dans le sens du vent actuellement. Je crois qu'on est quand même bien placé à Luminy, tout cela fait un ensemble qui n’est pas mal, entre la biologie, l'informatique et la physique qui se développent bien.

L’immunologie et les grandes figures de l’immunologie

En immunologie fondamentale, la grande figure de la recherche française, depuis les années 1920, c'est Jacques Oudin. C'est probablement celle qui se détache le plus puisque Oudin fait partie de ces rares scientifiques qui ont fait une découverte, c'est-à-dire qui ont introduit finalement une nouvelle façon de voir, des concepts nouveaux. Il y en a très peu. Mais Oudin en a fait trois. C'est étonnant. Tout d'abord il a apporté la méthode d'analyse par immunoprécipitation en milieu gélifié, la possibilité de séparer les constituants lorsqu'il y avait ensemble plusieurs antigènes et plusieurs anticorps. C'est une découverte absolument fondamentale, qu’il a faite d'ailleurs à peu près en même temps qu’Ouchterlony. Ensuite, sa deuxième contribution a été l’allotypie c'est-à-dire la démonstration que les immuno globulines pouvaient exister sous plusieurs formes alléliques et que l'existence de ces différentes formes représentait un type de reconnaissance antigénique qui caractérisait un groupe d'individus au sein d'une espèce animale. Enfin, la troisième découverte qui était peut-être la plus importante sur le plan conceptuel, c'est l'idiotypie, c'est-à-dire la découverte selon laquelle des anticorps peuvent eux-mêmes se comporter comme des antigènes, et induire la production de deuxièmes anticorps. Ceux-ci se démultiplient dans l'organisme pour aboutir à un réseau idiotypique, ce qui fait que, maintenant, on conçoit l'ensemble des réactions immunitaires par les anticorps comme un réseau complexe d'interactions et non pas comme une réaction très simple entre un antigène et un anticorps. C’est comme une somme d'interactions entre beaucoup d'anticorps qui se parlent entre eux. Ce sont les trois grands apports d'Oudin, qui aurait dû avoir dix fois le prix Nobel, s'il avait eu 1/10ème du pouvoir médiatique de certains de nos collègues. C'est tout à fait clair.

Quant au travail de Jean Dausset, en fait, il repose sur une idée assez simple qui était de penser qu'il existait des groupes sanguins sur les globules blancs de la même façon qu'on avait décrit des groupes sanguins sur les globules rouges. Les globules rouges c'est le système ABO. La démarche de Dausset a été de dire que ce devait être la même chose pour les globules blancs. Il y a effectivement l'expression de molécules qui se sont révélées plus tard des molécules codées par ce qu'on appelle le complexe majeur d'histocompatibilité, et qui sont régies par un petit nombre de gènes. Pour chacun des gènes il y a un très grand allélisme qui fait qu'il y a une diversité extraordinaire, qui se ventile au niveau des cellules de l'organisme, qui régit ce qu'on appelle les bases de la reconnaissance du soi. Alors effectivement ça a donné lieu aux travaux que vous connaissez sur les compatibilités de greffes et la découverte du HLA.

Recherche clinique et recherche fondamentale

Il est clair qu'il y a tout un courant de l'immunologie française après la Seconde Guerre mondiale qui doit beaucoup à des cliniciens qui ont été confrontés à des problèmes cliniques, thérapeutiques, les greffes etc... et ces médecins qui font de la recherche immunologique se rapprochent des fondamentalistes qui eux, dans leurs laboratoires, étudient les phénomènes de l'immunologie au niveau cellulaire. Je crois que les choses ne sont pas tellement cloisonnées finalement. Nous, dans mon équipe, nous travaillons en immunologie humaine, nous travaillons sur la différenciation des lymphocytes B chez l'homme, donc on est en plein dans un problème d'interface avec la clinique. L'interface se présente de deux manières si vous voulez : on peut d'abord le voir comme une demande des cliniciens qui ont un problème précis de pathologie à poser et qui essayent de comprendre ce qui se passe. Alors ils tentent de le résoudre eux-mêmes, avec d'autres collègues, ou ils peuvent faire appel à une approche plus fondamentale.

Jean-François Bach, comme tous ceux qui sont en milieu hospitalier, ou en tout cas ceux qui font de la recherche, ont cette attitude. Donc, une des premières orientations consiste à essayer de résoudre des questions qui se posent à partir de la pathologie. La deuxième chose c'est que le matériel humain, à la différence du matériel animal, est un matériel très spécial avec lequel on ne peut pas expérimenter de la même manière qu'avec des souris. Autrement dit, chez les souris, on peut induire des maladies, on peut induire des cancers, par exemple, alors que chez l'homme, on subit la pathologie, c'est la pathologie qui apporte spontanément des modèles. Elle nous apporte des modèles de leucémie, des modèles de déficit immunitaire, des problèmes liés aux greffes de moelle etc... . Ainsi, par exemple, dans le domaine qui nous intéresse, l'ontogénie et la différenciation des lymphocytes B, si vous travaillez sur la souris, vous allez essayer d'isoler des cellules de la moelle osseuse de celle-ci et de les transformer avec des virus. Vous avez les différents stades de maturation et puis vous allez tenter une approche un peu réductionniste. Dans une approche d'immunologie humaine, vous allez d'abord être confronté à un problème de matériel. Comment se procurer du matériel fœtal ? Il faut alors être en relation avec une clinique obstétricale, avoir du matériel fœtal qui provient d'interruption volontaire de grossesse ou d'interruption thérapeutique de grossesse. C'est la partie matérielle à partir de laquelle vous pouvez faire à peu près ce que vous voulez, finalement.. Et vous avez des modèles pathologiques, par exemple, dans les leucémies. Il se trouve que, dans les leucémies, un certain nombre d’entre elles représentent la multiplication d'un clone de lymphocyte B ou d'un lymphocyte qui dérive de la voie de différenciation du lymphocyte. Vous pouvez donc sélectionner un clone à un stade de différenciation qui vous intéresse. Cela dans le cas où le matériel humain fournit non seulement le matériel, mais aussi, au delà du matériel, le modèle d'étude qui va vous permettre de travailler. À partir des petites choses que vous pouvez trouver, parce qu'en général on ne trouve jamais que des petites choses à la fois, vous pouvez obtenir en retour des informations sur la compréhension de la pathologie et de la physiologie et renvoyer l'ascenseur au clinicien qui peut, du coup, avoir une conduite thérapeutique différente, une conduite pronostique différente. Les choses se passent un peu comme une partie de ping-pong, la pathologie fournit des questions et des modèles d'étude qu'elle renvoie à une approche plus fondamentale qui essaye de donner des réponses et qui, du coup permet de relancer la question vers la clinique au niveau de l'intervention.

Les anticorps monoclonaux et Immunotech

Les anticorps monoclonaux ont été découverts en 1975 par Georges Köhler et César Milstein et cela a été une révolution technologique... César Milstein est un argentin qui vit à Cambridge. Il est anglais et Köhler est allemand. Ils ont fait cette découverte à partir d’une idée qui était finalement assez simple et pas du tout pour faire des monoclonaux dans le sens où on l'entend maintenant. Il s’agissait pour eux d’avoir un modèle d'étude simple de l'expression des gènes d'immunoglobuline. Car le problème c'est qu'un lymphocyte que vous prenez tout seul, vous l'isolez, mais en milieu de culture on ne sait pas en faire deux lymphocytes. On saura sûrement le faire un jour. Et la seule façon qu'on avait à ce moment là de le faire se diviser, c'était de l'associer à une cellule qui était déjà elle-même immortelle et qui appartient elle aussi à la lignée lymphocyte B. On peut faire une fusion entre un lymphocyte dirigé contre l’ovalbumine de l'œuf de poule, par exemple, et puis cette cellule immortelle..., on fait une fusion et, à ce moment-là, ça se multiplie de façon indéfinie. Donc c'était un moyen de multiplier des cellules et d'étudier à l'intérieur ce qui se passe sur le plan fondamental. Après cela a été l'explosion, enfin, la possibilité de disposer d'un réactif tout à fait ponctuel, précis, fiable, que l'on pouvait reproduire à l'infini etc... A ce moment-là, Michel Delaage est venu avec son équipe travailler sur des aspects un peu appliqués. Il travaillait en immuno-analyse, c'est-à-dire sur la mise au point de réactifs immunologiques pour doser de l'AMP cyclique, pour doser des hormones. C'était une préoccupation intéressante, mais qui n'était pas dans la ligne du centre d'immunologie qui faisait de la recherche fondamentale. Et l'équipe de Delaage s'est fait épingler très sévèrement par le conseil scientifique de l’institut, qui trouvait que cela n'avait aucune valeur sur le plan fondamental. Finalement, c'est une des raisons importantes, je crois, de la création d'Immunotech. L'autre raison c'est que, quand l'industrie des monoclonaux a commencé à se développer, évidemment on était de plus en plus sollicité pour faire des monoclonaux et on serait rapidement devenu un laboratoire de services si on avait accepté de répondre à la demande. Donc la création d’Immunotech correspondait à cette nécessité.

La recherche n'a jamais vraiment été programmée. Il y a bien une programmation, mais qui est bidon, c'est pour faire bien vis-à-vis des organismes. Mais enfin il faut être sérieux, si les chercheurs ont une satisfaction et une liberté c'est quand même de choisir ce sur quoi ils veulent travailler. D'ailleurs ils ne choisissent, dans une certaine mesure, que parce que le choix que vous avez est largement soumis aux avancées qui se font par ailleurs. Vous êtes, dans le choix des sujets de recherche, tributaire de ce qui se fait à droite et à gauche de l'autre côté de l'Atlantique ou de l'autre côté de la Manche.

A la fin des années 1970, François Kourilsky s'est intéressé aux problèmes des monoclonaux. Il a même essayé, quand il a commencé à constituer son équipe ici, de faire des monoclonaux chez l'homme. C'est une chose qu'on ne sait toujours pas faire. Il avait essayé de faire cela avec le virus de la mononucléose qui a la possibilité de transformer des cellules de la lignée et dont on sait précisément qu'il fabrique des anticorps. Cela n'a pas marché et cela ne marche toujours pas. C'est de cet ensemble qu'Immunotech est sorti... et a quitté le campus de Luminy.

Recherche clinique et recherche expérimentale

Au moment de la création de l'INH, 80% des boursiers étaient des médecins et aujourd’hui Philippe Lazar m'a expliqué que le flux d'embauche à l'Inserm, qui a pris la suite de l'INH en 1964, était en 1991/1992 de 25% de médecins et 75% de chercheurs. Il y a quand même, dans cette approche scientifique du mécanisme de la vie, au chapitre immunologie, une espèce d'évolution inéluctable, me semble-t-il, qui passe par ce que l’on peut appeler le réductionnisme, par la recherche fondamentale. Mais je crois qu'il faut quand même ne pas perdre de vue l'homme ou l'animal entier, ou si vous voulez l'organisme entier. Je crois que c'est quand même extrêmenent important.

Il n'y a pas un comportement de cliniciens. Il y a des comportements cliniciens. Il y a les cliniciens qui sont purement cliniciens, c'est à dire qui voient des patients, qui les soignent et qui s'arrêtent là, ça existe, et puis c'est bien pour les patients, il en faut beaucoup, c'est le choix que font nombre d’entre eux. Et puis vous avez des gens qui s'intéressent à essayer de comprendre ce qui se passe sur le plan moléculaire, sur le plan glandulaire et, à ce moment là, on peut bâtir des choses en collaboration. Ces gens là sont totalement coopératifs.

Pour être tout à fait caricatural, le médecin très clinicien voit l'individu un petit peu comme un tout. Le chercheur est à l'autre bout avec son bout de molécule dans un petit machin très localisé qu'il comprend à fond. Mais si vous essayez de voir comment il peut prendre conscience de la façon dont cette molécule s'intègre dans la vie d'une cellule, puis de plusieurs cellules, puis d'un organe, puis d'un organisme, on constate que tout le monde ne fait pas le passage. Cela est vrai aussi. Je pense que de toute façon le réductionnisme, encore une fois, est une voie de passage obligé. On ne peut pas en faire l'économie actuellement, cela n’est pas possible. On ne peut pas avancer en termes de compréhension, si on n'est pas capable de manipuler les outils moléculaires.

Mais il ne faut pas perdre de vue le reste, l'ensemble, il faut être capable de temps en temps de repenser, ne serait-ce que pour avoir un peu de bon sens, si vous voulez, du bon sens paysan, carrément. Je crois qu'une formation médicale ou vétérinaire comme la mienne constituent des formations qui sont tout de même intéressantes, parce que quand on a vu un malade ou quand on a vu une vache, on n'a pas le même comportement que quand on travaille sur des molécules, parce que finalement les molécules, on ne les voit pas, on ne décèle leur présence qu'à travers des réactifs ou alors on peut les voir en microscopie électronique dans certaines circonstances.

On a cherché à savoir, au cours du développement fœtal, à quel moment le système immunitaire commençait à fonctionner, à quel moment il commençait à fabriquer des anticorps, et à quel moment les lymphocytes B se différenciaient. On a besoin de savoir si ç'est à un mois, à deux mois ou à trois mois. On a montré qu'à la septième semaine de gestation il n’y a pratiquement rien, à la huitième semaine il y a déjà beaucoup de choses, à la onzième semaine il y a tout. Donc, ça va très vite. On peut l'expliquer très simplement par les multiplications cellulaires. On a montré l'expansion cellulaire : en huit jours, vous pouvez passer d’une cellule à un ou dix millions de cellules. Bon, ce genre de cinétique est assez facile à approcher. Mais, par exemple, on s'aperçoit qu'il y a un problème qu'on appelle le problème du répertoire, c'est-à-dire la possibilité de fabriquer des millions de molécules différentes qui peuvent reconnaître des millions de molécules d'antigènes différentes. C'est le problème fondamental du répertoire, pour les lymphocytes B aussi bien que pour les lymphocytes T. C'est un problème qui est résolu sur le plan génétique. C'est tout de même un des grands apports de l'immunologie dans les années 1980, et donc après, ce qu'il faut essayer de comprendre, c'est la régulation de ce système. À partir du moment où toute la plomberie est en place, il faut comprendre comment sont régulés tous les flux. Alors là, le modèle humain est tout à fait apte à donner des réponses, soit à travers des modèles de leucémie, soit à travers des modèles de déficit immunitaire. C'est-à-dire que quand vous suivez par exemple la différenciation des lymphocytes B au cours de l'ontogenèse, c'est-à-dire la façon dont on passe de la cellule souche de la moelle osseuse aux lymphocytes B pleinement actifs, on passe par un certain nombre d'intermédiaires que l'on peut identifier par des marqueurs moléculaires, par l'activation de toute une série de gènes qui vont fonctionner d'une façon séquentielle. Il y a un gène qui s'active, il va fabriquer un produit. Ce produit a généralement deux rôles, il va fermer l'action du gène qui vient de lui donner naissance et il va activer un autre gène qui va être codé pour le produit suivant de la séquence. Ce nouveau produit va faire la même chose, il va bloquer le gène qu'il vient de produire et il va activer le suivant. Une réaction comme cela, en chaîne, permet d'expliquer les différentes étapes de maturation. Et c’est vrai pour l'embryogenèse, pour la fabrication du système immunitaire, pour tout ce qui touche à la biologie du développement d'une façon générale. Alors, vous voyez que si on regarde les étapes précoces pour le lymphocyte B qui va fabriquer des anticorps, si on est très près de la cellule souche, on va voir des étapes intermédiaires avec une cellule qu'on appelle un lymphocytes pré-B, pour bien montrer qu'elle n'est pas encore mature, et il y a une partie seulement de la machinerie moléculaire qui va marcher. Et pour passer au stade mature, il va falloir qu'il acquiert un certain nombre d'autres stades. Si vous isolez des cellules à un stade de différenciation, vous allez voir quels gènes fonctionnent et quels gènes ne fonctionnent pas encore. Et si vous prenez un modèle pathologique de déficit immunitaire, vous allez trouver des exemples naturels dans lesquels le développement du système immunitaire est justement bloqué à ce stade là. Donc toutes les cellules de cet individu là vont fonctionner comme une réplique d'un stade précoce de la différenciation et vous comprenez du coup, lorsque vous regardez en détail les cellules du déficit immunitaire de ce jeune bébé, que ça colle tout à fait avec un blocage des stades précoces de la différenciation. Vous apportez la réponse au clinicien : et bien voilà, c'est bloqué à ce stade là.

Nous avons travaillé en particulier avec une équipe qui est très spécialisée dans les déficits immunitaires, celle d'Alain Fisher à Necker qui crible tous les déficits immunitaires en France et même au-delà. On s'intéressait à un type de déficit à propos duquel on avait des arguments pour penser qu'il devait se passer quelque chose à un stade précoce. Ils nous ont envoyé des cellules de deux petits malades parfaitement identifiés avec un diagnostic parfait, et nous avons travaillé sur ces cellules, nous avons regardé à l'intérieur ce qui se passait, où c'était bloqué. Et en liaison avec eux on discute des suites à donner, qu'est-ce qu'on peut faire, qu'est-ce qu'on peut faire d'autre pour aller plus loin dans la compréhension ? Donc il y a un échange d'informations et de matériel, à tous les niveaux.

Conclusion

Le rôle des grandes écoles dans la recherche en France est souvent très modeste et médiocre, même si cela est entrain de changer. La recherche est faite par une partie des universitaires et par les chercheurs professionnels, qui se retrouvent dans les laboratoires des différents organismes. Il y a deux ans le ministère a fait un petit effort en faveur de la revalorisation des traitements des universitaires. Il a créé des contrats qui reviennent finalement à donner aux universitaires en gros un treizième mois. On a décidé de donner des contrats d'encadrement doctoral aux professeurs et aux maîtres de conférences qui ont une activité de recherche, c'est-à-dire qui peuvent justifier de publications régulières, de formation de jeunes, et d'encadrement de thèses. Tous les universitaires avaient la possibilité de demander un tel contrat, ça ne veut pas dire que tout le monde l'aurait eu. La demande se fait sur dossier, elle est examinée bien entendu par des commissions nationales qui examinent l'activité scientifique. À peu près 1/4 à 1/3 des universitaires ont envoyé une demande de contrat, ce qui veut dire qu'il y a déjà une autocensure, il y a à peu près 2/3 de nos collègues qui considèrent qu'ils ne font pas de recherche. C'est une situation tout à fait scandaleuse.