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Entretien avec Alain Fischer *

Le 19 juin 2002 au CHU Necker, S. Mouchet, J. F. Picard. Texte relu et amendé par le pr. Fischer
(Source : https://histrecmed.fr/temoignages-et-biographies/temoignages)

Alain Fischer
Histrecmed

Voir aussi une notice de Pierre Joly le président de la FRM, 2019 et 'Evolution de la recherche médicale. Quelle organisation?' (Bull. Ac. nat. méd., 9. 194. 2010)

Dans une récente conférence sur les cellules souches, vous vous montriez prudent quant à la faisabilité des thérapies géniques

En matière de thérapies géniques, on a entendu deux sortes de propos caractérisés par leur excès. Il y a d'abord eu un discours fantasmatique de la part de scientifiques ou d'industriels qui, il y a dix ans, annonçaient pour l'an 2000 une commercialisation de médicaments pour la thérapie génique. On eu aussi le discours opposé, lequel prétend que la thérapie n'a pas de sens, que cela ne marchera jamais. Aucune de ces deux attitude n'est scientifique. Personnellement, j'essaye de défendre un point de vue intermédiaire. L'histoire montre qu'on a intérêt à être prudent, à ne pas raconter n'importe quoi car même ce qu'on a réussi peut se transformer en un demi-échec si au bout d'un certain nombre d'années, ce qu'on a observé perd de sa pertinence. Cela n'en prend pas le chemin pour le moment, mais ce n'est pas exclu, il faut donc être prudent. Au bout de trois ans et nous ne pouvons pas prétendre avoir guéri un malade car on ne sait pas ce qui se passera au bout de dix ans.

Dans votre labo de l'hopital Necker, vous avez pourtant réussi à traiter des 'bébés bulles' victîmes d'un grave déficit immunitaire

La raison de ce succès n'est malheureusement pas due à une percée technologique, ce que j'aurais évidemmment apprécié, mais au fait que nous avions bien compris le mécanisme d'une maladie donnée et que l'on a imaginé qu'une thérapie génique, aussi médiocre soit-elle, pourrait être efficace. Ce qui est important c'est d'avoir montré qu'il ne suffisait pas de penser à un vecteur pour faire une thérapie génique, mais qu'il fallait réunir des éléments de nature très différente. Le corollaire est qu'on ne peut pas généraliser ces résultats. Le nombre de maladies pour lesquelles ce concept s'applique est limité, ce qui signifie que la recherche a besoin de nouveaux progrès technologiques. Notre travail repose sur le concept d'un avantage sélectif conféré par l'expression d'un transgène. Donc, si une maladie s'y prête, on va peut-être pouvoir créer cet avantage sélectif en utilisant un second gène dont l'expression permettra une sélection des cellules transcrites. Cela donne une ouverture, mais pour en arriver là, il faudra du temps.

La thérapie génique, une thérapie parmi d'autres

Je pense qu'il faut rester mesuré et de continuer d'être critique sur une certaine vision de la thérapie génique, c'est-à-dire la considérer comme une discipline médicale comme les autres. Dans le passé, notamment chez les Américains, on avait une vision de la thérapie génique qui ignorait la maladie. On constatait qu'il y avait d'une part une maladie et d'autre part un gène dont l'expression pouvait avoir un effet thérapeutique, donc on l'utilisait pour soigner le malade. J'estime que cette démarche est non scientifique. À cela venait s'ajouter une certaine naïveté scientifique et l'interférence d'intérêts économiques. En réalité, la thérapie génique est une voie de la recherche thérapeutique envisageable parmi les autres. C'est une recherche intéressante, mais de là à la considérer comme la voie de la médecine du vingt et unième siècle, à mon avis on ferait un grave contre sens. On sait aujourd'hui qu'il y aura davantage de découvertes thérapeutiques en dehors de la thérapie génique que grâce à elle. Dire autre chose m'apparait malhonnête.

Le rôle des associations de malades

L'intrusion des associations de malades a été une véritable révolution dans le milieu de la recherche médicale. Aujourd'hui les malades et leurs représentants sont omniprésents, ils essayent de susciter des programmes de recherche, ils interviennent partout, ils assistent aux congrès, c'est parfois exaspérant, mais on ne peut pas être insensible à cette évolution tant il est vrai que ces associations arrivent parfois à soulever des montagnes. Confère le succès du `Téléthon'. On ne saurait rejeter ce genre d'entreprise au prétexte qu'elle serait trop médiatisée, tant il est vrai qu'il y a derrière une véritable humanité, beaucoup de souffrances et d'espoir de la part des familles, ce qui représente une motivation essentielle pour la recherche. Donc ce n'est pas le système idéal, mais il a au moins la vertu de fonctionner et il importe de le préserver.

Questions d'éthique

Désormais, les problèmes d'éthique sont ouvertement discutés sur la place publique, ce qui est normal car cela représente de très gros enjeux, mais à condition que les citoyens soient suffisamment informés pour pouvoir exprimer sereinement une opinion.La bioéthique doit être débatue au Parlement, même si on peut s'interroger sur le niveau de connaissance et de compréhension de ces questions par les parlementaires et même si - et c'est le cas par définition -, le milieu scientifique est divisé. C'est aux scientifiques d'essayer d'informer le plus objectivement possible le public. Il y a certes le danger que la société ne s'intéresse à ces questions que lorsqu'elles prennent un aspect polémique ou superficiel. Mais sans ce type de débat et malgré ses limites, je crois que la situation serait pire autrement. Ce que l'on peut regretter c'est que les choses se fassent si lentement, que la révision des lois de bioéthique s'effectue toujours en retard, ce qui bloque la recherche. Mais s'il faut chercher à améliorer le système, on ne saurait éviter le débat.

Vous-même, vous considérez vous comme un clinicien ou comme un chercheur ?

Je revendique les deux casquettes de chercheur et de clinicien. Mon activité de recherche rejaillit forcément sur mon activité clinique, mais, à l'inverse, mon activité de recherche qui part du malade va aussi parfois vers la connaissance pure. C'est le résultat d'un mariage incroyablement positif entre la recherche et les activités cliniques. Il n'y a pas beaucoup d'exemples de situations privilégiées de ce type dans le monde, même s'il y en a tout de même quelques-unes, en France par exemple à Nantes ou à l'hôpital Saint-Louis en hématologie, à la Pitié avec l'interaction des activités cliniques de neurologie et de la recherche en neurosciences. Cela étant, je pense qu'on pourrait faire mieux. À l'hôpital Cochin, par exemple, il y a certes de la très bonne recherche, mais sans interaction avec l'hôpital. De même à l'Institut Curie, on a le cas d'un hôpital qui soigne les malades atteints de cancers et d'un centre de recherche excellent dans certains domaines comme la biologie cellulaire, cependant l'Institut n'arrive pas à établir un lien entre les deux et leur recherche en biologie cellulaire est relativement déconnectée de la cancérologie. À l'Institut Pasteur, aujourd'hui, il n'y a plus de structure hospitalière, elle était trop petite et mal adaptée et elle a du être supprimée. C'est dommage, je pense que `Pasteur' aurait dû se reconvertir en installant un hôpital de jour ou en grand centre d'investigation clinique. La solution passerait peut-être par la prise de conscience mutuelle d'intérêts communs avec l'hôpital Necker par exemple.

Vous avez été conseiller auprès du ministre de la Recherche

En 1997, Vincent Courtillot m'a proposé d'être conseiller pour la recherche médicale au cabinet du ministre de la Recherche, Claude Allègre. Après quelques hésitation, j'ai refusé et je pense avoir eu raison. Cela représentait trop de sacrifices pour mes activités à Necker alors que je ne voulais abandonner ni la médecine, ni la recherche. Un an et demi plus tard, j'ai accepté de revenir parce que Vincent Courtillot me l'avait demandé dans des conditions beaucoup plus favorables. J'y ai beaucoup appris. En effet, il était intéressant de voir comment marchait un ministère. Le problème c'était l'extrême faiblesse de ses infrastructures administratives. Ce que j'ai constaté, ce n'est pas tant sa bureaucratie que la faible capacité d'action de son administration. Le ministère de la Recherche fonctionne avec un tout petit nombre de personnes, très souvent admirables de compétence, mais qui travaillent dans des conditions peu enviables. Je leur tire mon chapeau, mais je trouve cela scandaleux. À travers les différents EPST, la Recherche a théoriquement des outils pour faire une politique de la science. Mais, la faiblesse structurelle de son organisation face aux moyens d'orientation dont disposent les EPST et à leurs perspectives d'orientation qui ne tiennent pas compte de ce qui fait ailleurs, prive de facto le ministère des moyens réels d'exercer cette tutelle. Je pense que Claude Allègre avait des idées excellentes, mais il n'était pas `politique', il n'a pas su faire passer ses idées. En 1997, quand Lionel Jospin donnait la priorité à la recherche et à l'Education Nationale, c'était sous son impulsion, j'ai eu l'espoir de voir les choses bouger. J'ai pensé que la Recherche et l'Université allaient prendre une place plus forte dans la politique française, mais petit à petit et à cause de certaines maladresses d'une part, et de l'autre des résistances syndicales, le résultat fut plus mince que ce que nous espérions.

Selon vous, quels sont les problèmes de la recherche en France ?

Le premier est un manque de culture scientifique des politiques comme de la société en général. Je trouve que la place de la recherche dans la société française reste scandaleusement faible, ainsi avec le nouveau Gouvernement (J.-P. Raffarin) le ministre de la recherche n'est qu'un ministre délégué. En fait, nos politiques de la science ne font que refléter l'état de la société française. Pour contrebalancer cette tendance, il faudrait nommer un ministre de la Recherche en lui donnant des attributions plus larges, la logique étant de la lier à l'Enseignement Supérieur. On verrait ensuite comment cela se traduit dans les priorités budgétaires. Claude Allègre avait raison de dire que l'intelligentsia française est dominée par les grandes écoles ce qui, à quelques exceptions près, mène leurs élèves vers les métiers de décision politique et surtout économique. Globalement, on peut dire que les grands patrons français, même les polytechniciens qui ont une culture mathématique et physique, ont une expérience professionnelle limitée des activités scientifiques. Contrairement au monde anglo-saxon, il n'y a pas en France de cadres d'entreprise possédant une expérience de chercheur. Chez nous, le prestige est dans le management et malheureusement pas dans la recherche scientifique. Il en va de même en politique,sauf exception, les énarques ont une culture qui n'intègre pas la dimension scientifique. Pour les hauts fonctionnaires et les grands dirigeants de l'industrie, la science ne représente pas une dimension importante de leur mode de réflexion, c'est vrai tant au niveau des prises de décision (cf. le problème de l'analyse des risques par exemple) qu'à celui des grandes orientations à donner. 

 Voir aussi : 'Evolution de la recherche médicale. Quelle organisation?' (ANM, 7 déc. 2010)


Conférence sur les cellules souches donnée par Alain Fischer à l'Institut Jacques Monod (15 mai 2002)

(script Anne Lévy-Viet)

Les magnifiques propriétés des cellules souches peuvent permettre d'extraordinaires applications thérapeutiques dans le traitement d'un très grand nombre de pathologies ou il y a perte de tel ou tel type de cellules, par exemple pour le diabète avec la perte des cellules qui produisent l'insuline ou dans le cas de maladies neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer. L'enjeu médical est donc considérable, mais si la traduction d'une propriété d'une cellule souche capable de donner naissance à des cellules, filles avec éventuellement des capacités de transdifférenciation est un atout, il faut complètement maîtriser ce phénomène pour qu'on puisse le traduire en acte médical. Or, derrière le mot `maîtriser' intervient un nombre considérable de notions. Il faut être capable de les développer de façon reproductible et clairement définie, de passer par une phase d'expansion de la cellule en laboratoire, de contrôler les risques de développement de cellules tumorales - ce qui n'est pas un mince problème - ou d'autres événements néfastes.

Il y a plusieurs types de cellules souches qui peuvent, en principe servir à des applications thérapeutiques. Le modèle le plus connu depuis quarante ans chez l'homme est l'utilisation cellules souches hématopoïétiques pour traiter une grande variété de maladies des cellules sanguines (accessoirement pour la reconstitution de l'épiderme des grands brulés). D'autres possibilités existent comme l'utilisation de cellules souches adultes avec des phénomènes de trans-différenciations, l'obtention de cellules musculaires ou des neurones avec des cellules de la moelle osseuse, ou, à l'inverse, des cellules sanguines avec des cellules souches du système nerveux. On peut bien sur envisager l'utilisation de cellules souches embryonnaires puisque ces cellules générées par clonage thérapeutique sont par leur large pluripotence susceptibles, si on maîtrise le phénomène, de donner naissance à peu près à tous les tissus que l'on souhaite. Mais plutôt que de clonage thérapeutique, il vaut mieux utiliser les termes de transplantation nucléaire ou de transformation de noyaux somatiques.

On utilise les cellules souches hématopoïétiques soit de façon autologue dans le traitement de maladies malignes, soit de façon allogénique, c'est-à-dire d'un individu à l'autre, pour traiter toute une série de pathologies avec un certain succès. On peut trouver ces cellules dans la moelle osseuse, là où elles sont physiologiquement chez l'adulte. On peut les mobiliser pour qu'elles tiennent transitoirement dans le sang, ce qui peut faciliter leur obtention. 20% des greffes de cellules souches hématopoïétiques sont faites actuellement à partir de cette source. On peut aussi utiliser le sang du cordon car il contient un nombre assez important de cellules souches hématopoïétiques qui ont des propriétés relativement intéressantes.

Les progrès d'un certain nombre d'éléments, notamment en immunologie, font qu'on est capable aujourd'hui, dans une certaine mesure, de faire des greffes en traversant la barrière de compatibilité HLA. Cela dit, il reste que les succès obtenus en médecine avec les allogreffes de cellules souches hématopoïétiques, sont essentiellement constituées des greffes faites entre frères et soeurs qui ont hérité les mêmes antigènes issus des mêmes HLA ou, quelquefois de personnes qui, par chance, ont à peu près les mêmes allèles qu'un individu qui n'est pas de la même famille, ce qui permet de faire une greffe sans trop de conséquence. Voilà ce qu'on peut faire aujourd'hui, mais ceci est en train d'évoluer.

On découvre de nouvelles applications des greffes de cellules souches hématopoïétiques. On peut traiter quelques maladies héréditaires rares avec un certain succès dans le cas de quelques maladies, par allogreffe de cellules souches hématopoïétiques, soit en les utilisant comme source d'enzymes - c'est une façon assez élégante d'apporter une masse d'enzymes à un individu qui en est déficient - soit dans le premier cas avec un point d'interrogation parce que les choses sont loin d'être claires, pour traiter une maladie d'une cellule qui n'est pas d'origine hématopoïétique, l'ostéogenèse imparfaite, maladie des os de verre.. Les ostéoblastes qui ne sont pas des cellules d'origine hématopoïétique ont ce défaut. Bien que ces résultats doivent être pris avec une grande prudence et soient, à l'heure actuelle, l'objet de nombreuses discussions, il semble que chez quelques patients atteints de cette grave maladie osseuse, les allogreffes de cellules souches hématopoïétiques aient permis non pas une guérison mais une amélioration significative de l'état des os de ces enfants, ce qui suggère qu'il y ait eu éventuellement différenciation de cellules souches hématopoïétiques en cellules ostéoblastiques.

On peut utiliser les cellules souches hématopoïétiques puisque ces cellules sont facilement disponibles ou, en tous les cas, des pro géniteurs de la moelle osseuse qui donnent naissance aux cellules sanguines, pour transférer les gènes dans un but thérapeutique. Il y a quelques situations encore absolument exceptionnelles dans lesquelles ceci marche. Il s'agit de pathologies très rares, des maladies héréditaires du système immunitaire où il y a un défaut de développement des populations lymphocytaires. Ce sont des maladies extrêmement graves, des enfants naissant sans lymphocytes T ne peuvent pas vivre, ils sont très rapidement sujets à des infections très graves. Ce sont des maladies potentiellement mortelles en l'absence de traitement. L'idée des thérapies géniques est d'apporter dans les précurseurs une copie normale du gène de manière à pouvoir restaurer le développement des lymphocytes. C'est techniquement parlant relativement aisé. Un rétrovirus est rendu inoffensif, il est mis au contact de cellules prélevées de la moelle osseuse du malade. Les cellules vont être infectées par ce virus inoffensif qui va libérer son ARN qui est rétro transcrit en ADN. Cet ADN est susceptible d'entrer au contact du chromosome de la cellule et de s'intégrer à un chromosome de telle manière que le gène devienne un gène de la cellule parmi d'autres. Ce gène peut être transcrit en ARN messager. L'ARN messager est traduit en protéine qui est un récepteur membranaire peut aller à la surface et exercer sa fonction. Mais ce type de système marche très mal.

Actuellement les technologies dont nous disposons pour effectuer ces transferts de gènes sont très peu efficaces et nous n'arrivons à entraîner l'intégration du gène thérapeutique dans le noyau des cellules que dans une toute petite proportion des pro géniteurs. Les cellules matures ne nous intéressent pas beaucoup parce qu'elles vont mourir assez vite. Par contre les pro géniteurs qui nous intéressent s'infectent très mal et l'on sait qu'on est incapable d'obtenir de façon efficace l'infection de plus de quelques centaines de cellules, ce qui, à l'échelle de l'individu est ridicule. Les succès sont limités par ce facteur. A ce jour une dizaine de malades ont été traités et le traitement, pour ceux qui sont pour lesquels le recul est suffisant, a été efficace pour tous sauf un. Dans l'état actuel de la technologie de la thérapie génique, ce type ne peut s'affilier qu'a un tout petit nombre de maladies où il y a un avantage sélectif conféré aux cellules corrigées par l'expression du gène thérapeutique. Cet avantage est lié au fait que la fonction de la protéine permet aux cellules de survivre au lieu de mourir, et de proliférer. Elles vont proliférer avant de se différencier. C'est ce qui se passe pour le précurseur des lymphocytes T. Enfin, une fois différenciées, elles ont une très longue durée de vie et vont persister dans l'organisme des années, voire des dizaines d'années. Il faut que toutes ces conditions soient réunies en même temps pour que cela marche, ce qui, malheureusement, limite pour le moment l'application à un tout petit nombre de maladies. Néanmoins c'est une des applications de transferts de gènes associées aux utilisations thérapeutiques de cellules souches.

Pour les cellules souches d'organes, à part dans le cas de la moelle osseuse, les applications thérapeutiques sont très limitées pour le moment. L'identification des cellules souches de la peau permet de peut-être pouvoir envisager de faire pousser une peau complète à volonté, non seulement l'épiderme comme on sait déjà le faire, mais aussi le derme, mais le nombre de cellules est extrêmement limité pour tous les organes, la peau, le foie, le système nerveux, l'accès est difficile voire impossible. Compte tenu de ces difficultés, cette solution thérapeutique ne peut malheureusement pas s'envisager de façon raisonnable dans un avenir proche ni même semi-proche. D'où l'intérêt d'autres systèmes et, en particulier, de ces cellules susceptibles de transdifférenciation, comme les cellules souches adultes de moelle osseuse, où d'autres, qui éventuellement pourraient aussi peut-être donner naissance à des cellules nerveuses où, à l'inverse, d'une cellule souche nerveuse qui serait capable de donner naissance à des cellules souches hématopoïétiques et à des cellules sanguines. C'est le concept de transdifférenciation qui peut passer soit par une vraie transdifférenciation, soit par une dédifférenciation c'est-à-dire par une cellule quasiment totipotente qui ensuite se différencie en cellules souches hématopoïétiques.

À ma connaissance, on ne sait rien aujourd'hui sur les phénomènes de contrôle des programmes de développement d'une cellule qui encourent un changement de voies de différenciation. Néanmoins quelques résultats ont été obtenus sur le plan expérimental, mais rien sur le plan humain. Là où, à mon sens, la plasticité ou la transdifférenciation de cellules souches a été le mieux montrée dans des modèles animaux, c'est avec l'utilisation de cellules souches hématopoïétiques de la moelle osseuse donnant naissance à des cellules hépatiques. Il y a plusieurs résultats relativement convaincants, y compris dans des modèles de pathologie chez la souris. Il existe un modèle murin d'une maladie très grave qui existe chez l'homme, la tyrosinémie. Les patients atteints de cette pathologie sont susceptibles de mourir de défaillances hépatiques graves. Il a été montré récemment que chez la souris irradiée, si on remplace le tissu hématopoïétique, la moelle osseuse, par la moelle d'un autre individu ne portant pas l'anomalie génétique provoquant la tyrosinémie, on pouvait observer dans le foie l'apparition de cellules qui sont d'origine du donneur et contiennent l'enzyme déficient. Il semble donc qu'on puisse corriger la tyrosinémie, maladie du foie, chez la souris, par une greffe de cellules souches hématopoïétiques. Il y a donc une transdifférenciation des cellules de la moelle osseuse.

Des médecins suivant des patients ayant reçu des greffes de moelle osseuse pour traiter, telle ou telle maladie, se sont posé la question de savoir si, en dehors des cellules sanguines, on ne pouvait pas trouver des cellules provenant du donneur dans d'autres tissus. Ils ont regardé en particulier des épithéliums digestifs. Ils se sont mis dans les meilleures conditions, le receveur est du sexe féminin, le donneur de sexe masculin. Ils ont compté et, en fréquence, c'est quelque pour cent des cellules épithéliales de quelques individus testés sur lesquels on observe le phénomène qui suggère que des cellules hématopoïétiques, en tous les cas, celles qui proviennent de la moelle osseuse ont donné naissance à des cellules épithéliales. Ceci a aussi été démontré à un niveau clonal chez la souris, ce qui est assez important. Voilà donc une série d'arguments qui ne sont pas d'une force exceptionnelle mais qui suggèrent que ce phénomène de transdifférenciation puisse exister.

Ensuite, viennent les arguments contraires, comme la fusion cellulaire. Il y a une série de résultats très récents, de ces tous derniers mois, qui montrent que ces phénomènes de transdifférenciation semblent souvent liés à une fusion entre les cellules que l'on cherche à transdifférencier et des plateaux de cellules sur lesquels on a mis ces cellules en culture avant de les injecter aux animaux pour regarder leur différenciation. C'est un premier risque, le second est celui du faux positif, c'est la contamination des tissus. Si vous prenez notamment des cellules musculaires chez un animal, vous pouvez avoir dedans, par hasard, quelques cellules souches hématopoïétiques et si vous mettez en culture ces cellules musculaires et que vous obtenez des cellules sanguines, vous penserez que des cellules souches du muscle ont donné naissance à des cellules du sang alors qu'en fait c'est quelques cellules hématopoïétiques qui contaminent. Ce n'est pas une transdifférenciation mais une différenciation cellulaire. Récemment, un rapport du NIH aux Etats-Unis montre tout ce qui a été décrit comme pouvant être généré à partir d'une cellule hématopoïétique, des cellules musculaires, des cellules hépatiques, des cellules du cerveau, des cellules sanguines, des cellules adipeuses, des cellules du muscle cardiaque, des neurones, des cellules épithéliales etc. Ce n'est pourtant pas toujours exact, on ne peut semble-t-il malheureusement pas obtenir de cellules musculaires, en tous les cas très peu et peut-être même pas du tout à partir de cellules hématopoïétiques. Par exemple, traiter des maladies du muscle par greffe de moelle osseuse ne s'avère pas une hypothèse pertinente, bien qu'elle ait été envisagée. On ne peut pas obtenir de cellules sanguines à partir des cellules du cerveau. Pour le reste, il faut mettre des points d'interrogation partout.

Je peux me tromper et ne pas connaître certains résultats. Des suggestions ont été faites dans un contexte où des patients qui avaient eu des greffes de cellules souches hématopoïétiques, par malchance, s'avéraient plus tard avoir aussi une myopathie. La suggestion était que la myopathie avait peut-être été retardée. C'était une erreur parce qu'en fait, c'était des problèmes de mutation reverse. À ma connaissance, toutes les données publiées ou largement discutées au cours des deux ou trois dernières années qui suggèrent que des cellules souches hématopoïétiques puissent donner naissance, même en petite quantité à des cellules musculaires, ne sont pas suffisamment fortes pour qu'il y ait utilisation thérapeutique. Le problème est qu'on ne connaît pas encore les signaux de la différenciation cellulaire. On connaît toute une série de facteurs, de cytokines, qui permettent de favoriser le développement de telle ou telle type de lignées ou, une fois que celles-ci se sont différenciées dans une voie, de faire survivre et proliférer ces cellules (Ex : l'érythropoïétine). Par contre on connaît encore très mal les signaux qui permettent à une cellule souche qui dort de la faire proliférer et éventuellement s'engager dans une voie de différenciation. Le phénomène est très mal connu alors que c'est une étape clé de tous ces processus. Si on pouvait la maîtriser, on aurait un outil thérapeutique formidable, au moins dans le domaine de l'hématopoïèse.

Les cellules embryonnaires ont une pluripotence large et sont susceptibles, si on sait les manipuler au laboratoire de façon satisfaisante, de donner éventuellement à volonté des cellules d'un tissu donné. Actuellement on peut les obtenir essentiellement chez l'animal même si quelques travaux ont été faits avec des cellules souches humaines. Des cellules peuvent être mises en culture sur d'autres cellules et donner naissance à des cellules souches pluripotentes. Ce sont des systèmes de culture sur le principe d'isolement de cellules. Elles sont mises sur des tapis de cellules nourricières en présence de telle ou telle substance qui va soit favoriser, soit bloquer leur différenciation. On peut obtenir, en mettant en culture des cellules souches embryonnaires non différenciées, des boules de cellules non différenciées. Si on met ces boules dans certaines conditions, avec du `NGF' (un facteur de croissance), on peut obtenir des neurones qui sécrète de la dopamine, ce qui est très intéressant dans le cas de la maladie de Parkinson. Dans d'autres conditions, on obtiendra des cellules qui vont produire de l'insuline, ce qui est intéressant pour traiter les diabètes. Ce ne sont que deux exemples parmi d'autres applications. On sait le faire assez bien avec les cellules souches de certaines espèces de mammifères, il y a eu quelques résultats in vitro avec des cellules souches humaines, mais pour le moment on ne maîtrise pas le phénomène en termes d'efficacité et de reproductibilité en vue d'une utilisation thérapeutique. Il a été montré récemment qu'on pouvait utiliser des cellules souches d'origine embryonnaire pour les faire différencier en neurones dopaminergiques et, en les implantant dans le cerveau de rats parkinsoniens, corriger (au moins pour un certain temps) l'anomalie liée au trouble de l'équilibre de ces rats.

Il y a deux sources possibles pour ces cellules souches embryonnaires qui permettent d'envisager une application humaine. Des embryons congelés, sans projet parental, pourraient éventuellement être l'objet de recherche.La deuxième source est le clonage thérapeutique ou transplantation nucléaire dont le principe, de façon schématique, est de créer une cellule embryonnaire par l'implantation d'un noyau d'une cellule adulte (peut-être n'importe laquelle ?) dans un ovocyte énuclée, sachant qu'il y a, semble-t-il, au moins dans une certaine mesure, la possibilité de re programmation du noyau. On ne sait pas si ceci peut fonctionner chez l'homme mais cela a été démontré comme étant opérationnel chez un certain nombre de mammifères, même si le taux de succès est faible. La même technique peut être utilisée pour faire du clonage reproductif comme ce qui a été obtenu en France chez le veau, le lapin ou quelques autres espèces de mammifères. Si on faisait de la transplantation nucléaire ou du clonage thérapeutique à partir du noyau d'une cellule somatique implantée dans un ovocyte, on peut, in vitro, si on est capable de bien maîtriser le phénomène, obtenir des cellules pancréatiques, hématopoïétiques, cardiaques, neurones etc. Le but thérapeutique est de traiter potentiellement une grande variété de maladies. Une certaine faisabilité a été démontrée au niveau expérimental. Récemment, la première démonstration indiscutable que cette stratégie de transplantation nucléaire pouvait avoir un intérêt thérapeutique a été faite chez la souris. À partir de là, l'intérêt potentiel des cellules souches embryonnaires, qu'elles soient dérivées d'embryons congelés sans projet parental ou dérivées par transplantation nucléaire, est qu'on peut les faire proliférer et se différencier en toutes sortes de cellules. Cela a été démontré chez l'homme pour les neurones, les précurseurs hématopoïétiques, les cellules du muscle cardiaque. On peut les modifier génétiquement, elles n'ont pas besoin - s'il s'agit de cellules obtenues par transplantation nucléaire - des propres noyaux de cellules du même individu. Il n'y a pas d'immunologie, pas d'immuno-suppression, pas de rejet de greffe.

Par contre, pour les cellules de souche embryonnaire d'un embryon congelé, un problème se pose. On peut les conserver, les congeler, les utiliser plus tard, il y a donc des atouts potentiels pour l'utilisation de ces cellules. Mais, en dehors du rejet immunologique classique, se pose un autre problème lié au fait que le niveau d'expression de certaines molécules du système HLA est assez faible. Si bien qu'une autre catégorie de cellules du système immunitaire vont tuer ces cellules une fois qu'elles ont été implantées. Il est évident qu'à partir du moment où l'on envisage un projet thérapeutique avec des cellules embryonnaires qui ont une fantastique capacité de prolifération, si on n'est pas capable de maîtriser les risques inhérents au développement de tumeurs, l'affaire n'est pas envisageable.

Pour résumer les avantages et les inconvénients de ces différentes techniques, on dira que les souches adultes ne posent pas de problème de compatibilité, donc de rejet, puisque ce sont les cellules de l'individu. Mais des données très récentes viennent faire douter d'au moins une partie des résultats qui avaient été acquis sur les possibilités de transdifférenciation. Cela ne veut pas dire que cette piste doit être abandonnée mais elle a moins de probabilité aujourd'hui d'arriver à un succès qu'on ne le pensait au départ. Elle ne pose pas plus de problèmes de considérations éthiques que d'autres greffes classiques puisqu'il s'agit des propres cellules d'un individu. Concernant les cellules embryonnaires obtenues à partir d'embryons congelés sans projet parental, celles-ci posent un problème de compatibilité puisque, par définition, ces cellules sont génétiquement distinctes du patient que l'on chercherait à prélever. Le problème est le même que pour une greffe d'organe. La faisabilité pose moins de problèmes que celle de la transdifférenciation des cellules souches adultes.Les problèmes éthiques sont liés à l'aspect licite et raisonnable du fait d'utiliser des cellules d'embryons congelés sans projet surnuméraire. Quant à la transplantation nucléaire, elle ne pose pas de problème de compatibilité. La faisabilité est sûrement un peu plus douteuse que pour les cellules embryonnaires, mais elle n'est pas incertaine et les problèmes éthiques sont les mêmes que pour les cellules embryonnaires. Cependant, il est important de considérer en plus le fait que la technique qui serait utilisée pour faire une thérapeutique par transplantation nucléaire serait la même que celle du clonage reproductif que chacun condamne. De plus, sur un plan pratique, pour faire des transplantations nucléaires il faut des ovocytes qui sont limités et ne s'obtiennent pas facilement. On peut donc facilement imaginer toutes sortes de dérives, de trafics d'utilisation d'ovocytes. C'est donc un problème à considérer sérieusement.