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BRCA 1 et 2 dans les archives du Monde


Le dilemme des diagnostics de « prédisposition au cancer »

Des travaux sur un cancer rare de la rétine, le rétinoblastome, ont permis, au début des années 80, d'établir un lien entre une anomalie chromosomique et cette lésion. Le développement des recherches sur le génome humain n'a fait que confirmer l'existence d'un risque oncologique fortement majoré dans certaines familles. Le décryptage du patrimoine héréditaire humain permet aujourd'hui de penser que plusieurs catégories de gènes sont impliquées dans l'apparition des tumeurs. Ces découvertes enthousiasmantes à certains égards sont aussi inquiétantes sur le plan éthique. Dans l'état actuel des thérapies, quelle est, en effet, l'utilité pour les patients de savoir qu'ils ont des prédispositions à souffrir de lésions cancéreuses à plus ou moins long terme ? Les spécialistes qui se sont posé cette question au cours de la récente réunion de l'Association américaine d'oncologie (ASCO) à Los Angeles craignent que les avancées de la recherche diagnostique n'aboutissent à « ouvrir la boîte de Pandore ».

JEAN-YVES NAU, 1 juin 1995

Entre Hollywood et Malibu, monumental cocktail baroque fait de science, de médecine et d'industrie pharmaceutique, la réunion de l'Association américaine d'oncologie clinique (ASCO) constitue, chaque année, la principale rencontre internationale des médecins spécialistes de cancérologie (Le Monde du 25 mai). A la différence d'autres pans de l'activité médicale, cette discipline n'a pas encore véritablement bénéficié, d'un point de vue préventif ou thérapeutique, d'un apport massif de la biologie moléculaire. La thérapie génique n'en est qu'aux tout premiers stades de son développement ; la prévention et le dépistage des principales lésions malignes touchant le corps humain (celles du poumon, du sein, du col de l'utérus ou du colon) renvoient à des choix politiques sur lesquels les cancérologues ne veulent ou, plus précisément, ne peuvent guère peser.

En pratique, la majorité des travaux de recherche en cancérologie consistent toujours à comparer l'efficacité d'association de molécules anticancéreuses et à tenter, en augmentant l'intensité de cette chimiothérapie (associée à des greffes de moelle osseuse), de reproduire, pour d'autres localisations organiques, les remarquables succès obtenus dans la prise en charge de certaines leucémies ou de certains lymphomes. L'émergence croissante de la génétique dans le champ de la cancérologie est un phénomène à la fois enthousiasmant et inquiétant, comme en témoignent une série de communications présentées à Los Angeles. Le décryptage du patrimoine héréditaire humain permet aujourd'hui de penser que plusieurs catégories de gènes sont impliquées dans l'apparition des lésions cancéreuses. Il s'agit notamment des oncogènes et des antioncogènes, qui, respectivement, stimulent et inhibent les divisions cellulaires. Il peut aussi s'agir des gènes activant ou bloquant la mort programmée des cellules (apoptose) ou encore des gènes dirigeant la réparation de l'ADN.

Ainsi, pour le généticien, la survenue d'une lésion cancéreuse est-elle la traduction clinique d'une série de dysfonctionnements géniques : stimulation de la prolifération cellulaire (activation des oncogènes et inactivation des antioncogènes), résistance à la mort programmée, altérations croissantes de l'ADN dues à des anomalies dans les possibilités naturelles de réparation de la structure de cette molécule. Deux localisations dominent aujourd'hui dans le champ des cancers héréditaires : celles concernant le sein et le colon. Dans le cas du sein (25 000 nouveaux diagnostics annuels en France), on estime entre 5 % et 9 % la part de lésions malignes transmises sur le mode héréditaire. Il y a peu, une société privée réussissait, en liaison avec des chercheurs de l'Utah travaillant sur des familles de mormons dont les femmes étaient à haut risque, à cloner un gène sur le bras long du chromosome 17. Baptisé BRCA1, ce gène semble directement impliqué dans près de la moitié des cancers familiaux du sein ainsi que dans les cancers de l'ovaire. Plus récemment, plusieurs groupes de chercheurs réussissaient à localiser un second gène de susceptibilité, baptisé BRCA2, qui est apparemment en cause dans 25 % à 30 % des cancers du sein.

UN DÉBUT D'APPLICATION

On estime, par ailleurs, que 2 % à 6 % du total des cancers du colon sont de nature héréditaire, et plusieurs gènes ont, ces derniers temps, été mis en évidence tant dans la polypose colique familiale que dans les formes non polyposiques. La plupart de ces gènes interviennent dans les mécanismes de réparation de l'ADN. La principale hypothèse est que le colon serait très sensible aux dysfonctionnements de cette réparation, sous l'effet conjoint du renouvellement constant des cellules de la muqueuse digestive et de la présence de substances cancérigènes provenant de l'alimentation et de la flore microbienne digestive.

Voilà l'essentiel de la trame génétique tissée ces derniers temps dans le champ de la cancérologie. Ces données commencent à trouver un début d'application. La suite logique de l'identification d'un gène que l'on sait impliqué dans des processus cancéreux aussi fréquents que ceux touchant le sein, l'ovaire et le colon consiste, en effet, à rechercher la présence de ce dernier chez tous les membres des familles connues pour être à risque. La présence de ce gène engendre une très forte prédisposition de souffrir à court, moyen ou long terme de la lésion maligne correspondant au gène. Dans les faits, cette logique apparaît toutefois hautement problématique. Comme l'a souligné à Los Angeles Elisabeth J. Thomson, responsable du secteur « Implications éthique, légale et sociale » du projet Génome humain à l'Institut national américain de la santé, les chercheurs sont confrontés, plus que nulle part ailleurs en biologie ou en médecine, à l'abîme qui sépare le savoir du pouvoir, la connaissance d'une prédisposition et l'impossibilité pour les médecins d'agir de manière préventive.

Pour le professeur Simon Schraub (centre hospitalier de Besançon), il importe de comprendre qu'un diagnostic positif n'implique pas de manière absolue que l'on souffrira d'un cancer. A l'inverse, un diagnostic négatif ne fournit nullement la garantie définitive, pour la personne concernée, de ne pas en être victime, cette personne ayant le même risque que celui de la population générale. L'autre difficulté tient au fait que la médecine n'a rien ou presque à proposer aux patients chez lesquels on a identifié une prédisposition au cancer. Pour ce qui est du sein, on peut, au mieux, proposer aux femmes une surveillance rapprochée par mammographie, sans être certain de son efficacité. En ce qui concerne le cancer de l'ovaire, aucune mesure préventive ne peut être mise en oeuvre. Quant au cancer du colon, la faisabilité de la surveillance par coloscopie dès l'enfance apparaît, comme les mammographies très répétées, bien difficile à mettre en oeuvre. Certains ne craignent pas de préconiser, dans de telles situations, une chirurgie préventive : ablation bilatérale des ovaires et des seins dès le plus jeune âge, ablation du colon...

CHIRURGIE PRÉVENTIVE

La découverte de tels gènes de susceptibilité plonge souvent les personnes concernées dans le plus grand désarroi. Il leur faut apprendre alors à vivre avec une nouvelle menace, cette « séropositivité cancérologique » impliquant, par ailleurs, que d'autres membres de leur famille puissent être concernés, et notamment certains de leurs descendants. Des travaux américains présentés à Los Angeles, comme ceux du professeur Caryn Lerman (Georgetown University Medical Center), détaillent l'impact de telles informations, qui peuvent induire tout l'éventail des symptômes dépressifs ou anxieux, ceux de la « détresse psychologique », le tout empreint d'une forte sensation de responsabilité, voire de culpabilité.

Plusieurs questions, dès lors, peuvent être posées. Peut-on espérer améliorer la prise en charge des membres des « familles à cancer » et proposer, demain, d'élargir le champ des investigations génétiques à l'ensemble de la population ? Le corps médical peut-il à la fois inciter à la recherche de telles informations et, ensuite, aider à vivre avec elles ? Ne propose-t-on pas ici plus de mal que de bien ? A partir de quel âge peut-on autoriser la mise en oeuvre, chez les enfants, d'une telle recherche de prédisposition au cancer ? Est-il acceptable d'offrir (d'imposer) une recherche diagnostique dès lors qu'aucune vraie réponse thérapeutique ne peut être offerte ? La complexité est telle que certains médecins en venaient ouvertement à se demander, lors du meeting de Los Angeles, s'ils ne devaient pas, pour des raisons éthiques, ne pas donner à ceux qui se confient à eux des informations avec lesquelles ces derniers ne pourraient plus vivre comme avant. « La vraie vérité, résume le professeur Schraub, est que nous sommes sur le point d'ouvrir la boîte de Pandore. »

Une Française sur deux cents

22 décembre 1995

On recense chaque année en France environ 25 000 nouveaux cas de cancer du sein et 10 000 décès dus à cette lésion. La proportion de cancers du sein dits familiaux est de l'ordre de 5 %. Si l'on estime qu'une femme sur dix ou sur onze sera, au cours de son existence, victime de cette lésion, on peut conclure qu'une femme sur deux cents est potentiellement concernée par les formes familiales. Ces dernières se caractérisent par la multiplicité des cas dans la famille proche, la précocité d'apparition de la tumeur (avant quarante-cinq ans), la bilatéralité des lésions et l'association à un cancer de l'ovaire. La présence de mutation sur les gènes BRCA1 ou BRCA2 peut conduire à une augmentation très forte du risque, pouvant atteindre 80 % à l'âge de soixante-dix ans.

On sait d'autre part que la transmission se fait sur le mode autosomal dominant. Ainsi, dans ces familles, les filles d'une femme ayant souffert d'un cancer du sein bilatéral avant quarante ans ont-elles un risque de 50 % d'être porteuses du « mauvais » gène.

COMMENTAIRE CONFLITS D'INTÉRÊTS

JEAN-YVES NAU, 22 décembre 1995

Peut-on tirer profit de tout, y compris des informations contenues au sein du patrimoine héréditaire de l'espèce humaine ? Les travaux menés dans le domaine de la génétique du cancer du sein témoignent du large conflit qui oppose de plus en plus fréquemment deux conceptions de la recherche scientifique et médicale. Le gène BRCA1 avait, l'an dernier, été identifié et cloné par un groupe réunissant une université (celle de l'Utah), la société privée Myriad Genetic, la multinationale pharmaceutique Eli Lilly et une équipe de l'Institut national américain de la santé. Ce groupe avait alors cherché à breveter différents aspects de sa découverte. Certains, en France notamment, avaient alors dénoncé le caractère « biaisé » d'une compétition opposant des équipes académiques et des firmes privées dès lors que des investissements financiers considérables sont réalisés, compte tenu de la fréquence de la maladie et des perspectives de marché. Ils mettaient également en garde contre la promotion de la diffusion de tests prédictifs via les compagnies d'assurances et les systèmes d'assurance-vie. La découverte du gène BRCA2 concrétise un retour à une forme de « moralisation » dans ce secteur de la recherche. Elle est en effet le fruit d'un « consortium de type universitaire » qui entend faire en sorte que les contraintes financières ne conditionnent pas le développement des tests génétiques. Depuis leurs résultats sur la localisation du gène, les membres de ce consortium ne fournissaient plus, comme par le passé, d'informations scientifiques à leurs collègues de la firme privée. « Pour notre part, affirme le professeur Lenoir, si nous devons prendre des brevets, ce sera pour garantir la liberté de l'accessibilité à l'information génétique. »

 

Les prédispositions au cancer du sein vont pouvoir être dépistées

MÉDECINE Une équipe internationale de biologistes et de médecins annoncent, dans l'hebdomadaire scientifique Nature (daté du 21 décembre), avoir identifié le second gène impliqué dans la genèse des cancers du sein dits « familiaux ». CETTE DÉCOUVERTE ouvre la voie au dépistage systématique chez les femmes présentant, par leur histoire familiale, un très grand risque de souffrir de cette lésion maligne. On estime qu'une femme sur onze sera, au cours de sa vie, victime d'un cancer du sein, les cancers familiaux représentant environ 5 % de l'ensemble des cancers. NOUVELLE AVANCÉE de la génétique moléculaire, ce travail soulève les problèmes éthiques inhérents à la médecine prédictive. Il autorise aussi, pour la première fois, l'étude des bases biologiques de la prédisposition à l'un des cancers les plus fréquents et pour lequel on ne dispose d'aucune arme préventive.

JEAN-YVES NAU, 22 décembre 1995

QUARANTE SCIENTIFIQUES et médecins travaillant dans différents laboratoires de six pays d'Europe et d'Amérique du Nord annoncent, dans le dernier numéro de l'hebdomadaire scientifique Nature (daté du 21 décembre), avoir réussi à identifier le second gène de prédisposition aux cancers du sein dits « familiaux ». Cette forme de cancer concerne les femmes appartenant à des familles dans lesquelles on recense un nombre anormalement élevé de lésions malignes du sein ainsi que de l'ovaire. La découverte publiée dans Nature marque une étape importante dans le décryptage des mécanismes génétiques et moléculaires impliqués dans ces processus cancéreux. Elle ouvre de nouvelles perspectives dans le diagnostic prédictif et la prise en charge médicale préventive des femmes concernées.

La génétique moléculaire du cancer du sein apparaît depuis peu comme l'un des chapitres les plus riches quant à l'apport de la biologie moderne à la compréhension des mécanismes de la cancérogenèse et peut-être à la mise au point de nouvelles stratégies thérapeutiques. Dans les années 80, pourtant, ce thème n'était pas perçu comme pouvant être porteur. Très fréquent, et posant à ce titre un large problème de santé publique, le cancer du sein ne peut pas, à la différence d'autres lésions malignes (du poumon ou du col de l'utérus par exemple) être aisément associé à des facteurs de risques environnementaux clairement identifiés. Il ne permet donc pas de définir des campagnes de prévention primaire, pas plus que l'analyse des cellules tumorales ne fournit (comme dans le cas des hémopathies malignes par exemple) de véritables enseignements.

PATRIMOINE HÉRÉDITAIRE

Le seul acquis était d'ordre épidémiologique : l'existence de familles dont les femmes ont un risque très élevé d'être atteintes, et de mourir, de cette lésion. L'enquête pouvait dès lors être menée sur le patrimoine héréditaire de ces familles grâce aux outils de plus en plus puissants de la biologie moléculaire et de la cartographie génétique. Elle ne cesse de progresser. Il y a cinq ans, un travail publié dans l'hebdomadaire américain Science annonçait la localisation, sur le bras long du chromosome no 17, d'un gène de prédisposition baptisé BRCA1. Ce travail avait été mené grâce au concours del vingt-sept familles sélectionnées à partir du nombre élevé de cas dans chacune d'entre elles (de cinq à huit) et de l'âge précoce du diagnostic (trente-neuf ans en moyenne).

Quatre ans plus tard, au terme d'une patiente approche, une équipe américaine dirigée par Mark H. Skolnick (université de l'Utah, Myriad Genetics) révélait dans la même revue avoir identifié ce gène. On avait ainsi établi que les mutations survenant dans cette zone particulière du patrimoine héréditaire humain étaient associée à une forte probabilité de développer cette tumeur. Pour autant, on savait que BRCA1 n'était pas seul en cause et qu'il n'était impliqué que dans près de la moitié des cancers familiaux. L'enquête devait donc continuer. Elle s'achève aujourd'hui avec l'identification, sur le bras long du chromosome no 13, de BRCA2, second gène de prédisposition au cancer du sein.

Comme pour BRCA1, ce travail n'a pu être mené que grâce à la collaboration de nombreuses familles à haut risque. Alors que le premier gène découvert est également associé à un risque élevé de cancer de l'ovaire, le second apparaît impliqué dans le très rare cancer du sein masculin. La découverte de la présence de mutations sur ces deux gènes devrait rendre compte de la majorité des prédispositions génétiques majeures, même si certains pensent qu'il existe, peut-être, une « petite place » pour un possible BRCA3.

Que faire de ces découvertes ? « Cette étude marque la fin de la course aux gènes. Une nouvelle étape démarre. L'identification de ces deux gènes qui n'appartiennent pas à des familles de gènes connues va permettre aux chercheurs d'aborder la question des bases biologiques de ces prédispositions », a expliqué au Monde le professeur Gilbert M. Lenoir (Centre international de recherche sur le cancer, Lyon) qui, avec Richard Wooster et Michael R. Stratton (Institute of Cancer Research, Sutton), cosigne la publication de Nature. « Pourra-t-on contrecarrer le développement de ces cancers ? Que nous apporteront ces nouvelles informations dans la compréhension des cancers du sein dits sporadiques ? » Pour le professeur Lenoir, le rôle crucial joué par ces gènes, qui font que des mutations augmentent de manière considérable le risque de survenue d'un cancer, démontre qu'il existe là un mécanisme fondamental de contrôle de la prolifération des épithéliums mammaires et ovariens.

CHIRURGIE « PROPHYLACTIQUE »

Ces nouveaux résultats conduiront rapidement à ouvrir le débat sur ce que la médecine pourra ou devra proposer aux femmes « prédisposées ». Aux Etats-Unis, plusieurs équipes spécialisées, comme celle du docteur Henry Lynch (Creighton University School of Medicine, Omaha, Nebraska) proposent une chirurgie « prophylactique » consistant à réaliser à un âge précoce l'ablation bilatérale des seins et des ovaires. « Chez une femme indemne dans une famille à risque, lorsque le risque tumoral ne dépasse pas 45 %, la chirurgie prophylactique n'est, à l'heure actuelle, pas proposée dans notre pays, pouvait-on lire dans la revue Médecine-Thérapeutique datée juin-juillet 1995. Une surveillance mammaire annuelle, radiologique et échographique est proposée dès l'âge de quarante ans. Lorsque le risque tumoral cumulé au cours de la vie est supérieur ou égal à 90 %, la prise en charge est délicate. En fait, se pose le choix difficile d'une intervention radicale, mutilante et irréversible : la mammectomie bilatérale de prévention. »

Ce nouveau et croissant décalage entre la connaissance diagnostique et l'action thérapeutique ne va pas sans mal. Le dernier congrès de l'Association américaine d'oncologie clinique (Le Monde du 1er juin) a ainsi montré l'impact pathologique (syndromes dépressifs et anxieux, sensations de culpabilité) que pouvait avoir l'annonce d'une prédisposition génétique à un cancer d'origine familiale.


Le dépistage ne résout pas toutes les inquiétudes

BARBARA COHEN, 16 février 1996

CERTAINS EXAMENS permettent aujourd'hui de déterminer si un individu est porteur d'un exemplaire « défectueux » d'un gène déterminé et s'il est de la sorte plus exposé à tel ou tel risque pathologique. Quels seraient le coût et les bénéfices d'un dépistage de ce type organisé pour les porteuses potentielles d'un « gène de susceptibilité » au cancer du sein ? Si en Europe occidentale on peut estimer qu'une femme sur huit cent cinquante est porteuse d'une mutation du gène BRCA 1, la probabilité est beaucoup plus élevée pour les femmes ayant des antécédents familiaux de cancer du sein.

Un test diagnostic du BRCA 1 est actuellement développé par une société américaine et pourrait être mis sur le marché dès le printemps. Il consiste à déterminer s'il existe ou non des mutations sur la séquence d'ADN composant BRCA 1. Etant donné la grande taille du gène, le coût sera considérable, de l'ordre de 1 000 dollars (environ 5 000 francs) par test. En dépit du fait que les femmes, aux Etats-Unis du moins, seront probablement amenées à payer elles-mêmes cet examen, la firme américaine estime que la demande sera importante et qu'elle dépassera les seules femmes appartenant à des familles à risque.

QUESTIONS SUR LES TESTS

Cette nouvelle perspective soulève trois types de questions et d'inquiétude. Toutes les altérations visibles du gène ne pourront pas, selon toute vraisemblance, être reliées à un cancer à venir. Si ces altérations peuvent effectivement correspondre à une augmentation du risque, en l'absence de certitudes quant aux fonctions du gène, un dépistage à grande échelle est susceptible de découvrir de nombreuses et diverses mutations sans que l'on puisse prédire si elles augmentent, ou non, le risque de survenue d'un cancer du sein. Il y aura ainsi, outre les tests clairement « positifs », des tests « possiblement positifs », des résultats profondément inconfortables et sans valeur informative ni médicale.

Second sujet d'inquiétude : on ne sait pas quel bénéfice pourront tirer les femmes apprenant qu'elles sont porteuses d'une mutation d'un gène de susceptibilité comme le BRCA 1. Pour une femme issue d'une famille à antécédents de cancer du sein manifestement lié au gène BRCA 1, un résultat négatif apparaîtra comme un soulagement à la fois pour elle et parce qu'elle ne transmettra pas la mutation à sa descendance. Toutefois, le risque de souffrir de la maladie sera le même que dans la population en général. Pour une femme sans antécédents familiaux, un résultat négatif ne pourra guère être un motif de réconfort étant donné que 95 % des cancers du sein apparaissent de manière sporadique, conséquences de mutations géniques dans une seule cellule, puis de ses descendantes. Le test ne pourra donc pas prédire si ces mutations vont avoir, ou ont déjà eu lieu. Un résultat manifestement positif signifiera que la femme présente un risque très élevé (estimé à 85 % ou 90 %) de souffrir d'un cancer. Devant une telle situation, tout devra être fait pour détecter au plus tôt l'existence d'une tumeur. On sait qu'un dépistage précoce augmente de manière significative la durée de survie. En revanche, il est plus difficile de dire s'il faut ou non prendre des dispositions plus radicales. Malheureusement, aucun traitement ne prévient l'apparition de la maladie. Les ablations chirurgicales, plus ou moins mutilantes, ne font, pense-t-on, que réduire le risque. Des modifications du mode de vie doivent-elles être conseillées ? Il est clair que les femmes qui voudront subir le test devraient pouvoir bénéficier d'un conseil spécialisé, médical et génétique, afin de les aider, d'une part, à comprendre la signification du résultat et, d'autre part, à choisir la conduite à tenir, si tant est qu'il en existe une.

Le troisième sujet d'inquiétude qui concerne le dépistage génétique en général est la possibilité de discrimination offerte aux employeurs et aux assureurs. Une femme pourrait ainsi bientôt subir le test génétique prédictif, découvrir qu'elle est porteuse d'un risque plus élevé que la moyenne, et voir son contrat d'assurance-vie résilié au moment où elle en a le plus besoin. De telles éventualités concernent surtout les sociétés ne disposant pas de systèmes étendus de couverture sociale, comme la société américaine. Il y aurait pourtant quelque naïveté à sous-estimer les prochaines conséquences en Europe d'un dépistage des risques génétiques.

Le cancer du sein résiste à la génétique moléculaire

MÉDECINE En France, 25 000 femmes sont, chaque année, atteintes d'un cancer du sein et 10 000 en décèdent. Cette maladie demeure difficile à prévenir malgré les progrès réalisés dans le domaine de la biologie moléculaire. Des études ont mis en évidence qu'un petit groupe de femmes courent un risque plus important car appartenant à des familles où la prédisposition est héréditaire. LA TRANSMISSION entre parents et enfants d'un gène malade, dit « gène de susceptibilité », favorise l'apparition d'un cancer à un âge précoce. L'identification des individus concernés ne signifie pas qu'ils pourraient être mieux soignés. Actuellement, aucun traitement ne prévient l'apparition de la maladie. LA MISE EN OEUVRE répétée d'examens radiologiques demeure une nécessité, notamment en France, où les autorités tardent à appliquer une telle politique.

BARBARA COHEN, 16 février 1996

LES CELLULES du corps contiennent l'intégralité de l'information génétique de l'individu, et ce sous la forme de deux exemplaires de chaque gène. Tout enfant hérite de l'un des deux exemplaires de sa mère et l'autre de son père. Mais on sait aussi que les gènes sont situés les uns à la suite des autres sur de longues molécules d'ADN. Le processus complexe et dynamique qui organise la distribution des gènes paternels et maternels dans les cellules permet aux biologistes moléculaires de mesurer la distance entre deux gènes donnés et de déterminer l'ordre dans lequel ils sont disposés sur le chromosome. Une telle approche offre de nouvelles possibilités d'analyse du génome, notamment dans le cas de certaines affections cancéreuses.

C'est le cas du cancer du sein, pour lequel existe, dans certains cas, une prédisposition familiale. Cette prédisposition est transmise selon le mode dit « dominant », ce qui signifie que le gène malade s'exprime, même si son homologue, transmis par l'autre parent, est sain. La comparaison entre le matériel génétique des individus atteints et celui de leurs enfants indemnes permet de déterminer la localisation d'un gène lié à la maladie. Une fois le gène ainsi « cartographié », son isolement et la détermination de sa séquence d'ADN deviennent possibles.

Des études de ce type dites « études des groupes de liaison » ont été effectuées dans de nombreuses familles à cancer du sein, et deux gènes de susceptibilité, désignés par les sigles BRCA 1 et BRCA 2, ont été identifiés. Chacun d'entre eux serait, pense-t-on, responsable d'un grand nombre de cas familiaux de cancer du sein. Le BRCA 1 a été cartographié en 1990 et isolé quatre ans plus tard. L'isolement du gène BRCA 2 en décembre 1995 (Le Monde du 22 décembre 1995) a pris un peu plus d'une année. Les deux découvertes sont considérées comme des étapes majeures par la communauté scientifique.

SEULEMENT DES HYPOTHÈSES

L'identification de BRCA 1 et 2 nous aide-t-elle à comprendre les 95 % de cancers non familiaux ? Les études antérieures sur les autres formes de cancer ont montré que les gènes responsables de la prédisposition familiale sont également altérés dans de nombreux cas de cancers spontanés. Les scientifiques espèrent par conséquent que l'étude des deux gènes fourniront des pistes qui donneront plus tard accès à des traitements efficaces ou à la prévention de la maladie.

Dans certains cas, l'étude de la séquence d'ADN d'un gène qui dirige la synthèse d'une protéine suggère une possible fonction. Celle effectuée sur le BRCA 1 a suggéré que la protéine produite régulait peut-être d'autres gènes ; cette hypothèse n'est pas encore définitive. Jusqu'ici, on n'a pas détecté de mutations du gène BRCA 1 dans les cancers du sein sporadiques, ce qui conduit à se demander si ce gène est bien impliqué dans la majorité des cas de cancer du sein. Des travaux récents suggèrent d'autres mécanismes : la protéine codée par le gène BRCA 1 pourrait être impliquée dans l'apparition d'une tumeur. Aucune protéine n'agit seule, et sa fonction dans la cellule est sujette à de nombreux systèmes régulateurs. Les chercheurs concentrent actuellement leurs travaux sur la régulation de la protéine BRCA 1. Un groupe a rapporté que, dans les cellules normales, cette protéine est retrouvée dans le noyau, aux côtés du matériel génétique ce qui était prévisible, s'agissant d'un régulateur génique. A l'opposé, dans les cellules de cancers du sein sporadiques, la protéine BRCA 1 semble principalement se localiser à l'extérieur du noyau, dans le cytoplasme environnant. Un autre groupe de travail dispose d'indices préliminaires selon lesquels la protéine BRCA 1, présente dans les cellules normales du sein, serait absente des cellules de tumeurs d'apparition sporadique. Dans les deux cas, la protéine ne se situe pas dans le noyau, lieu de son activité présumée. Ces résultats contradictoires ont de quoi intriguer ; ils suggèrent qu'une meilleure compréhension de la protéine BRCA 1 pourrait finalement avoir des implications pour la plupart, sinon pour la totalité des cancers du sein. Mais jusqu'à ce que l'on connaisse exactement à quoi sert la protéine BRCA 1 dans les cellules normales, ces observations soulèvent plus de questions qu'elles n'apportent de réponses.

NOMBREUX CHERCHEURS EN LICE

Le gène BRCA 1 a livré ses secrets moins vite qu'on ne s'y attendait. Les chercheurs espéraient que le BRCA 2 serait plus facile d'accès et que son identification aiderait à comprendre rapidement les deux types de cancer du sein. Les premières informations disponibles semblent décevoir cette attente. Tout comme BRCA 1, BRCA 2 est un énorme gène et la séquence d'ADN incomplète dont on dispose aujourd'hui révèle peu de choses sur sa fonction. La protéine qu'il code ressemble vaguement à celle du BRCA 1, mais la signification de cette ressemblance est encore inconnue. La question la plus pressante à l'heure actuelle consiste à savoir si le BRCA 2 est, lui aussi, modifié dans les tumeurs malignes d'apparition sporadique. On ne connaît pas encore la réponse, mais de nombreux chercheurs sont en lice pour résoudre cette énigme.


Le test et l'interprétation du résultat

17 mai 1997

DANS L'ÉDITORIAL qui accompagne les articles sur le dépistage génétique du cancer du sein, publiés dans le dernier numéro de l'hebdomadaire américain The New England Journal of Medicine, le docteur Bernadine Healy (Université de l'Etat de l'Ohio) écrit notamment : « Les articles publiés [dans cet hebdomadaire] devraient alerter notre attention sur la pratique médicale, en pleine expansion, qui consiste à réaliser des tests génétiques prédictifs. Le problème n'est pas que ce type d'information ne soit pas précieux, mais bien plutôt qu'il risque d'être fort mal employé. (...) Il est clair que la chirurgie prophylactique ne devrait être réservée, avec les plus grandes précautions, qu'à des sous-groupes sélectionnés de femmes. Bien plus, aujourd'hui, cette technique ne permet pas de promettre de bénéfice individuel aux femmes concernées (...). » Il est trop tôt pour avoir recours, dans la pratique médicale quotidienne, au dépistage des mutations des gènes BRCA, dans la mesure où une telle attitude contreviendrait à une règle médicale de bon sens qui veut que l'on ne demande pas de test si vous n'avez pas les moyens d'en interpréter les résultats. Les médecins et leurs patients devraient prendre garde de ne pas en surestimer les bénéfices pour le patient et sa famille, dès lors qu'une information, en soi exacte, serait mal utilisée ou utilisée trop tôt. »

Cancer du sein : les dangereux mirages du dépistage génétique prédictif

JEAN-YVES NAU, 17 mai 1997

DOUCHE FROIDE. Contrairement à toutes les espérances, l'une des avancées scientifiques les plus prometteuses réalisées aux confins de la génétique et de la cancérologie se révèle n'être que d'un intérêt médical fort réduit, pour ne pas dire nul ou pire. En publiant quatre études et un éditorial sur les étroites limites de l'usage des tests de prédisposition génétique au cancer du sein, l'hebdomadaire américain The New England Journal of Medicine (daté du 15 mai) établit que le transfert des découvertes de biologie et de génétique moléculaires ne peuvent pas, contrairement à ce qui est généralement tenu pour acquis, trouver immédiatement leur juste place dans le champ médical. Pour autant, cela n'enlève rien à l'intérêt qu'il faut accorder à l'étude de la génétique moléculaire des phénomènes cancéreux, le cancer du sein étant à cet égard exemplaire.

La première découverte dans ce domaine remonte au début des années 90, avec la publication dans les colonnes de l'hebdomadaire américain Science de la localisation sur le bras long du chromosome numéro 17 d'un gène de prédisposition baptisé BRCA 1. Quatre ans plus tard, une équipe américaine annonçait avoir isolé ce gène (identifiable à partir d'une simple prise de sang) et il était établi que les mutations dont il pouvait faire l'objet étaient associées à une forte probabilité de développer un cancer du sein. Le puzzle, toutefois, n'était pas complet. En 1995, un second gène de prédisposition (BRCA 2) était identifié, marquant la fin de la compétition dans ce secteur et ouvrant la voie à la compréhension de la cascade des événements moléculaires se produisant entre la malformation génétique et la constitution de la tumeur cancéreuse (Le Monde du 22 décembre 1995).

L'identification de ces deux gènes de prédisposition (qui, outre le cancer du sein, peuvent être associés au cancer de l'ovaire) ouvrait également la voie à la mise au point et à la commercialisation de nouveaux tests de dépistage. Ceux-ci sont aujourd'hui largement utilisés, aux Etats-Unis notamment, chez les femmes connues pour avoir des antécédents familiaux de cancer du sein ou dans certaines communautés (celle des juifs ashkénazes notamment) présentant un risque accru. Ces tests sont-ils médicalement utiles ? C'est à cette question que cherchaient à répondre les études dont les résultats sont publiés dans le New England Journal of Medicine.

La première de ces études a été conduite auprès de 5 318 personnes juives vivant dans la région de Washington dans une population où l'on estimait généralement que la fréquence combinée de mutations de BRCA 1 et 2 est supérieure à 2 %. Les chercheurs, dirigés par le docteur Margaret A. Tucker (Institut national américain du cancer) ont identifié cent vingt personnes porteuses d'une mutation BRCA 1 et BRCA 2. « A soixante-dix ans, l'estimation du risque de cancer du sein chez les sujets porteurs était de 56 %, celui de cancer de l'ovaire de 16 %, écrivent-ils. Plus de 2 % des juifs ashkénazes sont porteurs de mutations sur BRCA 1 ou BRCA 2. Les risques de cancer du sein sont peut-être surestimés, mais ils sont bien inférieurs aux estimations précédentes basées sur des sujets issus de familles à haut risque. » En d'autres termes, on ne peut extrapoler à une population, même si elle est connue pour être a priori exposée, les données observées dans les familles à très haut risque. La seconde étude visait à situer la fréquence des mutations de BCRA 1 chez les femmes venant en consultation dans les services hospitaliers américains qui proposent une évaluation du risque de survenue du cancer du sein. Des informations cliniques, des renseignements familiaux et des prélèvements de sang pour analyse de l'ADN ont été obtenus chez 263 femmes présentant un cancer du sein.

PRÉDISPOSITION

« Des mutations du gène BRCA 1 ont été identifiées chez 16 % des femmes ayant des antécédents familiaux de ce cancer, expliquent les auteurs de ce travail dirigé par le docteur Barbara L. Weber (université de Pennsylvanie). Des mutations BRCA 1 ont été retrouvées chez 7 % seulement des femmes issues de familles avec antécédents de cancer du sein, mais sans antécédent de cancer de l'ovaire. En conclusion, chez Ies femmes avec cancer du sein et antécédents familiaux de cette maladie, le pourcentage de mutations du gène BRCA 1 est inférieur aux 45 % prédits. Ces résultats suggèrent que, même dans un hôpital spécialisé dans le dépistage des femmes issues de familles à haut risque, la majorité des tests de recherche des mutations BRCA 1 sera négative et, par conséquent, inutile. »

Une autre publication du New England Journal of Medicine va plus loin en analysant le bénéfice que peuvent tirer les femmes chez lesquelles on a fait un diagnostic génétique de prédisposition et chez qui on a procédé, à des fins préventives, à l'ablation bilatérale des seins (ou mastectomie). Selon cette étude réalisée par une équipe de l'institut de cancérologie Dana-Farber de Boston (Massachusetts), dirigée par le docteur Jane C. Weeks, les femmes porteuses de mutations sur l'un des deux gènes (BRCA 1 ou BRCA 2) et qui subissent une mastectomie avant l'âge de trente ans voient leur espérance moyenne de vie s'accroître de 2,9 à 5,3 ans selon l'âge qu'elles ont au moment de l'opération. Les femmes porteuses de mutations et qui choisissent l'ablation de leurs ovaires (par crainte de survenue d'un cancer de l'ovaire) peuvent, en moyenne, gagner 0,3 à 1,7 an d'espérance de vie. « Les résultats de notre étude offrent un cadre qui peut aider les femmes porteuses de ces gènes à choisir la stratégie préventive la meilleure pour elles », écrit l'auteur principal de l'étude, le docteur Deborah Schrag, qui se refuse à aller jusqu'à préconiser une telle ablation. Ces nouvelles données illustrent, comme en témoigne l'éditorial peu banal que consacre le New England Journal of Medicine à cette question (lire ci-contre) du croissant et fort dangereux décalage qui prévaut entre une possible connaissance diagnostique et une possible action thérapeutique de type préventif.

 

La France généralise le dépistage systématique du cancer du sein

ELISABETH BURSAUX, 13 mai 2001

LES BIENFAITS du dépistage du cancer du sein ne sont aujourd'hui plus à démontrer. Depuis dix ans, on sait qu'il permet d'abaisser la mortalité d'environ 30 %, avec un bénéfice maximal dans la tranche d'âge des femmes entre 50 et 70 ans. L'un des pionniers du dépistage, le professeur Tabar, de Falun, en Suède, rapporte dans le numéro du 1er mai 2001 de la revue scientifique américaine Cancer une analyse de ses résultats obtenus depuis 1988 : la mortalité par cancer du sein a diminué de 63 % chez les femmes se pliant au dépistage systématique, par rapport à celles étudiées avant qu'un dépistage soit disponible. Un cancer du sein peut prendre plusieurs années à se développer, et, faute d'un dépistage systématique, c'est souvent par hasard qu'on le découvre. En effet, ce type de cancer est rarement douloureux à ses débuts et n'attire donc pas l'attention. Seul un dépistage bien conduit permet de révéler des tumeurs de petite taille dont le pronostic est le plus souvent favorable.

EN AUGMENTATION RÉELLE

Le nombre des cancers du sein semble en augmentation réelle, indépendamment de diagnostics sans doute plus précis qui gonfleraient les chiffres récents. En 1987, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) rapportait 25 000 nouveaux cas par an et 11 000 décès ; en 1995, 34 000 nouveaux cas et moins de 11 000 décès. « L'histoire de la maladie n'a sans doute pas changé, mais l'effet du dépistage sur la taille des tumeurs lors de leur découverte joue un rôle majeur dans la diminution de la mortalité », précise le professeur Thomas Tursz, directeur de l'Institut Gustave-Roussy. La maladie, locale au début, ne le reste que pendant un temps. Le grand danger est la dissémination en dehors du sein, sous forme de métastases. Et cette extension du cancer survient d'autant plus que la taille de la tumeur est importante. « Au stade de cancer métastasé, les traitements actuels ne peuvent plus guérir définitivement », déclare Alain Fourquet, chef du service de radiothérapie de l'Institut Curie. Le but du dépistage est donc de repérer les premiers signes de changement qui peuvent laisser entrevoir la possibilité d'un cancer. En l'identifiant le plus tôt possible, on augmente considérablement les chances de le soigner et de le guérir avant qu'il ait disséminé. Le dépistage du cancer du sein est parfois obtenu avec la mammographie. Il existe, cependant, d'autres méthodes permettant la détection du cancer du sein : l'examen clinique des seins, qui consiste en l'inspection visuelle et en la palpation des seins réalisées par un professionnel de la santé, et l'auto-examen des seins, réalisé par la femme elle-même. Les méthodes cliniques, fondées sur un simple examen médical, ne peuvent permettre de découvrir une tumeur qu'au moment où elle est palpable ou visible, et donc potentiellement métastatique. Il faut toutefois noter qu'une étude américaine de deux groupes composés chacun de plus de 19 000 femmes âgées de 50 à 59 ans n'a trouvé de différence ni dans le nombre de cancers détectés ni dans la mortalité entre les groupes, dont l'un était suivi par mammographie systématique et l'autre par examen clinique et autopalpation. Le suivi était de treize ans en moyenne. « Pour être le plus efficace possible, il faut utiliser des techniques de diagnostic qui permettent de mettre en évidence des lésions précancéreuses, ou de déceler la tumeur à des stades infracliniques », insiste Alain Fourquet. La mammographie de dépistage consiste en une radiographie des seins. Les lésions décelées peuvent être très petites, certaines ne sont même pas palpables. Les plus fréquentes et les plus problématiques sont les microcalcifications de diamètre inférieur au millimètre. De 50 % à 70 % des cancers dits « in situ », qui n'ont pas infiltré le tissu du sein, se manifestent uniquement par des microcalcifications. « En 1980, 1 % des cancers du sein traités à l'Institut Curie étaient des découvertes de mammographie ; en 1996, grâce à l'extension du dépistage, ce taux était de 25 %, et, deux fois sur trois, les anomalies découvertes sont des microcalcifications isolées. » La plupart des lésions détectées ne sont pas cancéreuses, et l'on peut souvent l'affirmer au vu de l'image radiologique. Mais, lorsqu'une mammographie montre des signes anormaux ou incertains, il est indispensable de poursuivre les examens. Et, en premier lieu, de refaire une mammographie, non plus de dépistage mais à visée diagnostique. Le radiologue examine soigneusement la personne, multiplie les incidences des radiographies, complète son examen par une échographie des seins, examen très performant lorsqu'il est effectué par un spécialiste, « permettant même de mettre au jour des cancers invisibles à l'examen radiologique », confirme le docteur Philippe Vignal, gynécologue.

RÉSULTATS TRÈS CONTROVERSÉS

La mammographie est-elle aussi efficace pour réduire le nombre de décès dus au cancer du sein pour les femmes de quarante à quarante-neuf ans ? Les résultats sont très controversés, d'autant plus que les cancers sont rares à ces âges. Dans cette tranche d'âge, et même plus tôt, c'est pour les « femmes à risque » que le dépistage est important. Ce sont celles qui appartiennent à des familles où, à chaque génération, une femme sur deux, voire davantage, est atteinte de cancer du sein ou de l'ovaire, et surtout du sein et de l'ovaire chez la même personne. Il est à craindre qu'elles ne soient porteuses d'un gène de susceptibilité au cancer du sein BRCA. Les femmes qui sont porteuses de mutations dans ces gènes ont des risques importants de développer des cancers du sein et de l'ovaire, et plus tôt dans leur vie. Les femmes dont seule la mère ou une soeur a été atteinte ont, quant à elles, un risque multiplié par deux par rapport à la population générale. « Pour l'ensemble de ces personnes, la surveillance doit être différente, précise Alain Fourquet. A la fois à un âge plus jeune, de façon plus fréquente et par des appareils d'imagerie par résonance magnétique pour éviter les rayons X. » On peut aussi se demander pourquoi le dépistage systématique s'arrête entre soixante- dix et soixante-quinze ans, alors que le nombre des cancers y est plus élevé que dans les autres tranches d'âge. « Ce ne sont pas les mêmes cancers, d'une manière générale. Ils sont d'évolution beaucoup plus lente et très sensibles aux traitements hormonaux ; par le tamoxiphène, par exemple. Et les dépister précocement, constate le professeur Thomas Tursz, directeur de l'Institut Gustave-Roussy, n'apporte pas de gain thérapeutique. »

Front uni entre M. Kouchner, l'Institut Curie et les labos

8 septembre 2001

Le ministre délégué à la Santé, Bernard Kouchner, soutient la démarche de contestation du brevet, estimant « indispensable que les équipes françaises spécialisées dans le dépistage du cancer du sein puissent continuer (...), le dépistage et la prise en charge clinique étant intimement liés ». Les laboratoires français ne sont pas seuls à s'alarmer de ce monopole. La section allemande de l'association Greenpeace, soutenue par le corps médical allemand, prépare une plainte contre les brevets des gènes BRCA. Le laboratoire allemand d'analyses médicales Bioscientia a obtenu de la part de Myriad Genetics une forme de coopération : les échantillons à analyser seraient envoyés dans un premier temps à Salt Lake City. En cas de résultat positif, une deuxième analyse serait effectuée par Bioscientia. Le test reviendrait aux femmes allemandes à environ 10 000 euros - contre 2 750 euros aux Etats-Unis. Le test, en France, revient aujourd'hui à environ 750 euros, pris en charge intégralement par la Sécurité sociale.


La longue marche vers l'identification des mutations

12 mai 2001

LA RECHERCHE d'altérations génétiques favorisant l'apparition du cancer du sein reste un travail délicat et de longue haleine. Tout commence chez un spécialiste de la génétique du cancer - un oncogénéticien - par la reconstitution de l'arbre généalogique de la femme qui consulte. La présence de plus de trois cancers dans la famille suggérera, parmi d'autres critères, une prédisposition génétique, surtout s'ils sont survenus précocement. Si la femme le souhaite, une recherche des altérations de patrimoine génétique qui en sont responsables pourra alors s'engager. Les mutations de deux gènes BRCA, responsables de 70 % des formes familiales de cancer du sein, seront particulièrement recherchées. Comment savoir lequel des deux est impliqué ? "Certains signes guident notre recherche, explique Pascal Pujol, médecin à la consultation d'oncogénétique du CHU du Montpellier. La présence de cancer de l'ovaire dans la famille suggère une mutation de BRCA1, tandis que des cancers du sein chez l'homme suggèrent plutôt une mutation de BRCA2. Mais ce ne sont que des indications..." La recherche de mutations va alors pouvoir s'engager sur un échantillon d'ADN, obtenu par prélèvement sanguin. Il s'agit de lire la séquence, la suite de lettres chimiques (les nucléotides) des gènes, et de la comparer à celle d'un gène témoin. L'organisation complexe des gènes BRCA ne facilite pas la tâche : longs de plusieurs dizaines de milliers de nucléotides, ils sont fragmentés en plus de vingt régions codantes de petite taille séparées par de grandes régions sans fonction biologique connue.

Facteur aggravant, "les mutations peuvent surgir n'importe où, contrairement à d'autres cancers, comme celui de la thyroïde, où les mutations se concentrent dans des points particuliers", souligne Pascal Pujol. Les laboratoires d'analyse doivent donc commencer par dégrossir le terrain en comparant les tailles et les charges électriques des fragments codants du gène testé à ceux d'un gène témoin. Une éventuelle différence, indicatrice d'une mutation, sera ensuite confirmée par séquençage de la région. Le laboratoire américain Myriad Genetics, qui détient le monopole des analyses génétiques de cancer du sein aux Etats-Unis, pratique quant à lui le séquençage systématique de toutes les régions codantes des gènes BRCA. Coût de l'analyse : 2 700 dollars (3 040 euros), soit trois fois plus cher que celles réalisées dans les laboratoires français. De plus, "ce séquençage systématique loupe certaines grosses mutations qui se manifestent par la suppression de régions codantes, ou par leur duplication, remarque Dominique Stoppa-Lyonnet, chef du service de génétique oncologique à l'Institut Curie (Paris). D'autres techniques permettant d'avoir une vision panoramique de la totalité du gène sont alors nécessaires"

BASE DE DONNÉES

L'analyse génétique ne s'arrête pas à l'identification de la mutation. Il faut ensuite comprendre si elle est bien responsable de la prédisposition au cancer, et pour cela la distinguer des variations naturelles des séquences d'ADN d'un individu à l'autre, qui font que nous sommes tous différents. Là encore, les gènes BRCA posent des problèmes particuliers. "Dans deux tiers des familles souffrant d'un cancer du sein lié à une altération de BRCA1, on trouve une mutation qui n'a jamais été décrite auparavant. Et nous ne savons pas toujours prédire si cette nouvelle mutation est pathogène", constate Rosette Lidereau, directrice de recherche à l'Inserm, qui travaille au Centre René-Huguenin de Saint-Cloud. Cette chercheuse construit une base de données répertoriant les mutations des gènes BRCA trouvées dans la trentaine de consultations d'oncogénétique françaises. "Cette base, accessible aux seuls professionnels, sera un outil pour comprendre le sens des mutations que nous ne savons pas aujourd'hui interpréter", explique-t-elle. Cette longue marche vers la mutation portera cependant ses fruits lors d'analyses ultérieures. Si la première recherche prend quelques mois, la détection d'une mutation chez un second membre de la famille ne prend plus que quelques jours.

Nicolas Chevassus-au-Louis


Cancers héréditaires : le séquençage ne détecte pas toutes les altérations du gène

ELISABETH BURSAUX, 2 juin 2001

LE SERVICE de génétique oncologique de l'Institut Curie vient de mettre en évidence, une altération du gène BRCA1, dans une famille américaine présentant une hérédité de cancers du sein et de l'ovaire. Cette mutation de grande taille - qui n'avait pas été détectée par les techniques industrielles de séquençage de Myriad Genetics, une société américaine spécialisée dans les tests génétiques - a pu être décelée grâce au peignage d'ADN, une méthode d'analyse plus globale qui permet d'obtenir une sorte de « code-barre coloré » du gène. Publiée dans le Journal of Medical Genetics de juin 2001, cette étude conclut que pour avoir le plus de fiabilité possible, la recherche d'altérations sur le gène BRCA1 ne doit pas être effectuée par les seules méthodes de séquençage. Les travaux du service de génétique oncologique de l'Institut Curie, dirigé par le docteur Dominique Stoppa-Lyonnet, menés avec des équipes françaises et américaines, vont donc permettre une recherche plus efficace de mutation génétique dans les familles touchées par des cancers du sein ou de l'ovaire héréditaires. Les médecins et les chercheurs avaient en effet émis l'hypothèse de l'existence de mutations de grande taille, pouvant même affecter l'ensemble du gène. Ils ont utilisé le peignage d'ADN, qui en permettant l'analyse globale du gène, a donc révélé que dans cette famille américaine, un grand fragment d'ADN représentant 15 % de BRCA1 avait disparu. Cette perte, qui conduit à la synthèse d'une protéine anormale, serait à l'origine de la prédisposition au cancer dans cette famille. Ces résultats doivent inciter les généticiens, quels qu'en soient les premiers résultats, à ne pas se contenter des seules analyses issues des méthodes industrielles de séquençage focalisées sur la recherche de mutations ponctuelles - qui ne permettent en fait de détecter que deux tiers des mutations attendues -, mais à les compléter par des techniques plus globales. L'analyse des altérations des gènes BRCA1 et BRCA2, impliquées dans les cancers héréditaires du sein et de l'ovaire, devrait alors devenir plus fiable.

« CÉDER À CE MONOPOLE »

La société américaine Myriad Genetics, qui avait gagné la course à l'identification du gène BRCA1, a obtenu les brevets correspondants aux Etats-Unis et détient par ailleurs l'exclusivité de l'exploitation du brevet concernant le gène BRCA2. Alors que trois des quatre demandes de brevets pour l'utilisation diagnostique de ces deux gènes sont en cours d'examen à l'Office européen des brevets, Myriad Genetics a déjà anticipé ses revendications : l'entreprise américaine exige de réaliser, pour toute l'Europe, la première recherche de mutation familiale dans son « usine à tests » de Salt Lake City. La réalisation des tests par ce laboratoire entraînerait un surcoût important pour une sensibilité de détection qui n'est pas supérieure à celle des laboratoires français, soulignent ces derniers. En outre, « céder à ce monopole entraînerait une intolérable perte d'informations et d'expertise pour les laboratoires français », estime Dominique Stoppa-Lyonnet. A l'heure actuelle dix-sept laboratoires en France pratiquent ce diagnostic génétique et « engrangent une mine d'informations sur la modulation des risques tumoraux associés à des modifications non directement pathogènes du gène ». Leur analyse apparaît de plus en plus indispensable pour progresser dans la prise en charge des malades. Le brevet sur un gène risque de stériliser toute recherche ultérieure.

La mainmise d'une société américaine sur le dépistage génétique du cancer du sein contestée

L'Institut Curie s'apprête à engager une procédure d'opposition auprès de l'Office européen des brevets contre le monopole de la société de biotechnologie américaine Myriad Genetics sur les tests de dépistage du gène de prédisposition aux cancers du sein. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, soutient l'initiative des chercheurs français et souhaite légiférer afin de contourner les brevets lorsque la santé publique est en danger.

ELISABETH BURSAUX, 8 septembre 2001

L'INSTITUT CURIE est décidé à engager une procédure d'opposition auprès de l'Office européen des brevets (OEB) contre le monopole de Myriad Genetics, une société de biotechnologie américaine, sur les tests de dépistage de la prédisposition aux cancers du sein et de l'ovaire. Cette décision fait suite à la délivrance par l'OEB, le 10 janvier, du brevet EP 699 754. Un mémoire en opposition sera déposé avant le 9 octobre, date limite pour un éventuel recours contre le brevet auprès de l'OEB. L'Institut Curie entend contester sur le fond ce brevet qui couvre toutes « les méthodes diagnostiques d'une prédisposition à un cancer du sein ou de l'ovaire associé au gène BRCA1 ». Ce brevet s'assortit de l'obligation pour les médecins d'envoyer leurs échantillons d'ADN prélevés sur des personnes à risque dans « l'usine à tests » de Myriad, à Salt Lake City, où s'effectueront tous ces tests diagnostiques. « Un tel monopole freinerait le développement de la recherche, constituerait une entrave à l'accès aux tests et serait, de surcroît, contraire à notre conception de la santé publique fondée sur la prise en charge globale et pluridisciplinaire des personnes à risque », souligne le docteur Dominique Stoppa-Lyonnet, responsable de ces tests à l'Institut Curie, où une consultation spécialisée dans les cancers du sein et de l'ovaire familiaux est proposée. « Céder à ce monopole entraînerait une intolérable perte d'informations et d'expertise pour les laboratoires français, ajoute-t-elle. Nous avons, en outre, récemment montré que les méthodes utilisées par Myriad Genetics sont imparfaites et ne permettent pas de détecter de 10 % à 20 % des mutations attendues » ( Le Monde du 2 juin). A l'heure actuelle, dix-sept laboratoires en France pratiquent ce diagnostic génétique et « engrangent une mine d'informations sur la modulation des risques tumoraux associés à des modifications non directement pathogènes du gène ». Enfin, les coûts des tests ne sont pas les mêmes : 18 000 francs (2 750 euros) aux Etats-Unis contre environ 4 900 francs (750 euros) en France, pris en charge intégralement par la Sécurité sociale.

PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE

La mise au point de tests de diagnostic par les sociétés de biotechnologies comme Myriad repose presque toujours sur les résultats obtenus par les laboratoires publics après plusieurs années de travaux. En ce qui concerne les gènes de prédisposition au cancer du sein, la recherche a d'abord été développée par les laboratoires publics dans les années 1980, en particulier en France par Gilbert Lenoir, à Lyon, et par Dominique Stoppa-Lyonnet, à Paris. Elle a permis à l'Américaine Marie-Claire King, à Berkeley, de localiser sur le chromosome 17 un gène baptisé BRCA1. En 1994, s'appuyant notamment sur ces résultats, la toute jeune compagnie Myriad Genetics, installée à côté de l'université de l'Utah, a découvert la séquence du gène BRCA1 et déposé une demande de brevet. Si le brevet est finalement maintenu, les cliniciens-chercheurs français n'auront plus le droit de travailler sur ces gènes. « Le parallèle entre les controverses sur la brevetabilité des gènes humains aujourd'hui et celles sur la brevetabilité des médicaments au XIXe siècle fait ressortir de manière saillante la confrontation récurrente entre la propriété industrielle et la santé publique », rappelle Maurice Cassier, sociologue au Centre de recherche Médecine, sciences santé et société (Cermes). Déjà, lors des débats préparant la loi du 5 juillet 1844 qui, en France, a exclu de la brevetabilité « les préparations pharmaceutiques et les remèdes de toute espèce » pour plus d'un siècle, jusqu'en 1959 - date à laquelle ces brevets ont été autorisés mais sous un régime particulier - le député Félix Barthes avait noté l'impact négatif d'un monopole sur l'accessibilité des remèdes, d'une part, et « l'incompatibilité entre une composition pharmaceutique utile à l'humanité et une exploitation exclusive au profit d'un seul ».

Le ministre de la recherche, Roger-Gérard Schwartzenberg, soutient l'initiative de l'Institut Curie. Il considère que « le brevet délivré par l'Office européen des brevets à Myriad Genetics lui confère un monopole abusif ». Pour éviter ce type d'excès, le gouvernement prépare une loi de transposition de la directive européenne du 6 juillet 1998. Le ministre explique qu '« elle devrait modifier certains articles du code de la propriété industrielle afin de renforcer le système des licences obligatoires et des licences d'office ». Ces dispositifs permettent de contourner les brevets lorsque la santé publique est en jeu. « Désormais, avec le nouveau projet de loi, le régime des licences d'office sera étendu aux méthodes de diagnostic si l'intérêt de la santé publique l'exige et lorsque ces produits ou méthodes sont mis à la disposition du public à des prix anormalement élevés », précise le ministre.

L'Institut Curie espère obtenir gain de cause auprès de l'OEB en faisant valoir que le brevet de Myriad Genetics pèche par « défaut de nouveauté, défaut d'invention et insuffisance de description », qui sont les points indispensables pour qu'un brevet soit valide

Myriad Genetics contre l'Institut Curie

ANNIE KAHN, 29 janvier 2002

Les cancers du sein et de l'ovaire sont héréditaires dans 5 % à 10 % des cas. Pour être à même de prédire si l'on est, ou non, un sujet à risque, des tests ont été mis au point. Ils permettent de repérer des altérations de certains gènes, qui indiquent une prédisposition à ce cancer. En France, l'Institut Curie a développé ce type de tests. Mais depuis le 10 janvier 2001, lorsque cet Institut utilise son test basé sur les altérations du gène BRCA1 (BR pour Breast Cancer), il prend le risque d'être accusé de contrefaçon.

La société américaine Myriad Genetics a, en effet, obtenu la délivrance d'un brevet auprès de l'Office européen des brevets (OEB), qui couvre toute méthode utilisée pour comparer la séquence de ce gène chez une personne à risque avec la séquence de référence. Ce brevet empêche donc le développement d'autres tests, alors que sa fiabilité peut être mise en cause, estime l'Institut Curie (il ne couvrirait pas certaines altérations du gène). En outre, le test de Myriad Genetics coûte cher. Aux Etats-Unis le prix est de 2 680 dollars (3 057 euros) pour le premier membre d'une famille testée et de 295 dollars (336 euros) pour les suivants. A l'Institut Curie, un test coûte 700 à 900 euros environ. Pour l'instant un seul laboratoire européen, la société Bioscientia, basée à Ingelheim, en Allemagne, a négocié un accord d'exclusivité pour l'utilisation des tests de Myriad Genetics dans son pays, mais aussi en Suisse et Autriche. « Nous avons pris cette décision pour des raisons juridiques, parce qu'il faut respecter le brevet si on ne veut pas être poursuivi en justice. Mais aussi pour des raisons techniques, parce que le test de Myriad est le meilleur », explique le docteur Lentes, chef du département de biologie moléculaire de Bioscientia. Les prélèvements sont envoyés au laboratoire Myriad à Salt Lake City pour y être analysés, ce qui augmente encore le prix du test. « Quand nous aurons des clients en quantité suffisante en Europe, nous envisagerons la construction d'un laboratoire en collaboration avec une société publique ou privée », prévoit Bill Hockett, vice-président communication de Myriad Genetics. démarche d'opposition. Pour tenter de bloquer ce monopole, l'Institut Curie a engagé une procédure d'opposition auprès de l'OEB le 9 octobre 2001. L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et l'Institut Gustave-Roussy s'y sont associés. La Société belge de génétique humaine et deux laboratoires italiens se sont également opposés au brevet. Les ministères français de la santé et de la recherche ainsi que le Parlement européen soutiennent la démarche d'opposition de l'Institut Curie. Les principales raisons juridiques invoquées par l'Institut pour contester le brevet américain sont le « défaut de nouveauté » (des tests de prédispositions basés sur des méthodes indirectes existaient avant celui de Myriad), le « défaut d'invention » (Myriad a bénéficié de résultats de recherche d'un consortium de laboratoires publics rassemblant des Européens, des Américains et des Canadiens), et « l'insuffisance de description ». Ce qui n'a pas empêché Myriad de déposer entre-temps deux autres brevets, donnant alors la bonne description du gène et couvrant encore plus largement les applications diagnostiques et thérapeutiques associées. Selon Bruno Flesselles, avocat au cabinet Regimbeau, défenseur de Curie, « l'affaire ne se réglera qu'en 2005-2006 », compte tenu des recours possibles. « Nous avons de très bons arguments pour faire révoquer le brevet en totalité », estime-t-il. Mais, à Salt Lake City, on s'estime aussi « très confiant quant à la validité du brevet ».

Un brevet américain sur le dépistage du cancer du sein est contesté

Les instituts Curie et Gustave-Roussy dénoncent les dangers d'un monopole de Myriad Genetics.

J-Y Nau, 1 mars 2002

L'assistance publique-hôpitaux de Paris, associée aux Instituts Curie et Gustave-Roussy, a engagé, le 22 février, une action d'oposition devant l'Office européen des brevets (OEB) contre le brevet protégeant plusieurs méthodes de détection des prédispositions aux cancers du sein et de l'ovaire délivré par l'OEB à la société américaine Myriad Genetics. Les auteurs de cette initiative, qui dénoncent les prétentions monopolistiques de la société américaine, sont soutenus par le gouvernement français ainsi que par la fédération nationale des centres de lutte contre le cancer et la fédération hospitalière de France. Le brevet, qui avait été délivré à la firme de Salt Lake City par l'OEB le 23 mai 2001, concerne un gène dénommé BRCA1 dont certaines anomalies de structure ou certaines mutations augmentent le risque de survenue de lésion cancéreuse du sein ou de l'ovaire. La procédure française se fonde notamment sur un "défaut d'activité inventive"ainsi que sur un "défaut d'application industrielle""Les spécialistes avaient toutes les connaissances nécessaires pour isoler le gène BRCA1, précise-t-on à l'Institut Curie. Une fois la séquence connue, le fait de rechercher des mutations de ce gène chez des femmes à risque ne présente aucune activité intellectuelle." Pour les auteurs de la procédure, les tests commercialisés par Myriad Genetics ne permettent pas d'identifier toutes les mutations pouvant exister sur le gène BRCA1 - 10 à 20 % d'entre elles leur échapperaient. Ils dénoncent en outre le coût des tests américains (2 400 dollars l'unité), soit trois fois le prix des tests de conception française déjà utilisés par seize équipes, et mis au point grâce aux travaux conduits par Gilbert Lenoir (Centre international de recherche sur le cancer de Lyon) et Dominique Stoppa-Lyonnet (Institut Curie, Paris). Chaque année, 1 500 personnes ont, en France, recours à cette technique et les spécialistes estiment à 3 000 le nombre de tests qui devraient pratiqués annuellement. En cas de résultats positifs, une surveillance étroite est mise en œuvre.

"UNE ALTERNATIVE CONCRETE "

Une première opposition avait été déposée en octobre 2001 par les mêmes instituts français contre un premier brevet de la société américaine (Le Monde du 8 septembre 2001). A cette époque, la France s'apprêtait à adopter rapidement, par voie législative, un dispositif qui aurait permis de s'opposer à la stratégie de Myriad Genetics. Dans la pratique, il s'agissait de modifier quelques articles du code de la propriété industrielle et de renforcer le champ d'application des licences dites "obligatoires" ou "d'office" afin de contourner les règles des brevets lorsqu'il s'agissait d'un problème de santé publique. Initialement prévu dans le projet de loi destinée à transposer la directive européenne du 6 juillet 1998, ce texte a été finalement intégré dans le projet de loi de modernisation du système de santé avant d'en être retiré in extremis. "Il est fort regrettable que nous ne disposions pas, aujourd'hui, de cet outil législatif qui, face aux prétentions de Myriad Genetics, nous permettrait de disposer d'une alternative concrète affirme Roger Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. En toute hypothèse, nous ne pouvons désormais qu'attendre le vote par le parlement d'un projet de loi de transposition de la directive européenne de 1998."

La recherche "ethnique" face à ses critiques

Alexandre Piquard, 17 décembre 2003

"Créer une banque génétique va nous permettre de mieux guérir des maladies qui touchent les Noirs américains plus que les autres populations, comme l'hypertension, le diabète ou l'asthme." Georgia Dunston, directrice du service de microbiologie de l'université Howard de Washington, explique ainsi les raisons pour lesquelles cette institution a décidé, au printemps 2003, de lancer sur cinq ans la collecte d'échantillons de salive et de sang de 25 000 Noirs américains, invités en outre à remettre copie de leurs dossiers médicaux. Lorsqu'elle sera créée, cette biobanque sera la plus grande au monde consacrée à la population d'origine africaine. Baptisé GRAD (Genetic Research on African Diaspora), le projet de l'université Howard correspond à une nouvelle génération de recherches génétiques consacrées à une population spécifique. En Islande, en Estonie, au Royaume-Uni ou au Japon, des banques génétiques nationales sont constituées ou en projet. Mais, pour étudier la variation génétique, les chercheurs s'intéressent aux notions de groupes "ethniques", non sans éveiller de lourdes craintes. Aussi Georgia Dunston pèse-t-elle ses mots : "Aucun gène ne correspond à une catégorie raciale telle que nous les définissons, 'européen' ou 'afro-américain' par exemple. Mais certaines variations du même gène apparaissent plus fréquemment au sein d'une population donnée. Et ces variations influencent la façon dont les maladies nous affectent et la façon dont nous réagissons à un traitement."

Dans les années 1990, de vives critiques éthiques émanant d'ONG avaient fait avorter le Human Genome Diversity Project, un projet international de recherche anthropologique et génétique. Les populations étudiées, souvent choisies pour leur faible brassage génétique, craignaient que les résultats des recherches puissent être utilisées contre elles, et éventuellement remettre en cause l'histoire de leurs origines.

LA PLUS GRANDE BANQUE ADN DU MONDE

En novembre 2002, un projet international a été relancé, sous le nom de HapMap Project, avec pour but de dresser la carte des motifs de variations génétiques entre quatre populations : les Chinois Han, les Yorubas du Nigeria, les Japonais et les Américains d'origine européenne, à partir, pour ces derniers, d'une collection d'échantillons réunie dans les années 1980 par le Centre français d'étude du polymorphisme humain (CEPH). Au total, le sang de 270 personnes sera étudié par une trentaine de laboratoires dans le monde. Le budget du projet HapMap - 120 millions de dollars (96,9 millions d'euros) - est financé par le Canada, la Chine, le Japon, le Nigeria, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Pour le projet de Howard comme pour le HapMap, le sang des volontaires sera stocké aux Etats-Unis dans la plus grande banque ADN du monde : le Coriell Repository. Les échantillons du HapMap sont arrivés en septembre 2003 et ont été stockés à - 196 °C, dans les locaux de cette institution du New Jersey. Ceux du CEPH ont déjà été envoyés à dix des labos participant au projet dans le monde, pour qu'y soient identifiées les variations génétiques. Le sang des trois autres populations est en cours de traitement : Coriell cultive des séries de lignées cellulaires identiques et les stocke dans trois endroits différents, sur et hors site.

"CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ ET DYNAMIQUE"

Directrice de la banque Coriell, Jeanne Beck assure que la confidentialité sur l'identité des donneurs est strictement respectée. "Dans le cas du projet HapMap, nous avons délibérément choisi de ne collecter que le sexe et l'origine ethnique du donneur, à l'exclusion de tout autre élément identifiant. Comme nous avons aussi recueilli plus d'échantillons que nécessaire, les volontaires ne peuvent savoir si leur sang est réllement stocké à Coriell. Nous non plus", explique la chercheuse, qui revient d'une réunion de travail du HapMap au Canada et collabore régulièrement avec Georgia Dunston. Encore à l'état de projet, la banque de l'université Howard prévoit, elle aussi, de protéger l'identité des donneurs, grâce à une plate-forme sécurisée en ligne, développée par la First Genetic Trust. Cette société américaine assure que, grâce à un système de cryptographie, elle peut limiter et personnaliser l'information accessible à chaque partie impliquée dans la recherche, donneurs, médecins ou laboratoires. Son directeur, Arthur L. Holden, qui a dirigé un projet privé international de cartographie de variantes génétiques chez 24 populations (le Consortium SNP achevé en 2001), est enthousiaste : "Grâce à notre plate-forme, nous proposons une forme de 'consentement éclairé dynamique' qui implique le patient tout au long de la recherche. Utiliser la technologie de façon créative est vital car la majorité des biobanques du monde sont lourdement sous-utilisées, pour des raisons de responsabilité et de consentement qu'on ne peut obtenir de nouveau, faute de contact suivi avec les donneurs. Nous sommes à l'aube d'une nouvelle ère de la recherche, et nous avons besoin de données médicales pour comprendre ce que signifient les variations génétiques entre les populations." Dans le cas des recherches génétiques ethniques, obtenir le consentement des donneurs ne suffit pas tout à fait, car les recherches menées ont des implications sur tout le groupe concerné. "On a reproché au Human Genome Diversity Project de faire de la 'science par hélicoptère' : de l'extérieur, sans aucun lien avec la population", rappelle Jean McEwen, directrice des programmes de l'Institut national de santé, l'institution fédérale américaine qui coordonne le HapMap Project. En réponse, le projet HapMap a beaucoup réfléchi avant de lancer le concept d'"implication de la communauté" ("community engagement") : une combinaison de panels de patients (8 en Chine, par exemple), d'entretiens individuels (100 en Chine) et de réunions publiques, en partie interactifs. "L'idée est de laisser la population s'exprimer sur les enjeux, en fonction de sa culture propre. Et de faire émerger un groupe de conseillers légitimes qui puissent s'exprimer au nom de la communauté tout au long de la recherche", indique Jean McEwen. Dans les faits, les choses ne sont pas si simples. Outre sa banque ADN, l'université Howard pilote aussi les recherches au Nigeria dans le cadre du projet HapMap. Pour susciter l'"implication" des groupes visés, cette institution bénéficiera de son enracinement dans la communauté noire et de son réseau de milliers de médecins affiliés, dans la région de Washington et dans le monde. Mais au Japon, il a fallu adapter le concept en le renommant "consultation publique". Les chercheurs du Eubios Ethics Institute, l'organisme indépendant chargé de mener le processus sur place, racontent qu'ils ont eu du mal à susciter des vocations. Ils ont posé la question suivante : "Voudriez-vous donner du sang dont on pourrait extraire de l'ADN pour le placer de manière anonyme dans une banque ADN, afin que les chercheurs puissent étudier les variations génétiques humaines ? Cette recherche ne vous aiderait pas personnellement car l'échantillon est anonyme, mais servirait la recherche médicale en général." 44 % des 320 Japonais interrogés ont répondu "oui", 26 % "non", 28 % se disant "sans opinion". Un tiers des volontaires ont précisé qu'ils seraient d'accord à condition que l'échantillon ne soit stocké que de façon temporaire.

BIOPIRATAGE

Pour Barbara Koenig, spécialiste d'anthropologie médicale et ancienne directrice du comité de bioéthique de l'université Stanford, le processus du projet HapMap est imparfait : "Faire de la consultation publique ne résout pas tous les problèmes par magie. C'est en partie une imposture." Comme elle, d'autres soulignent qu'il est illusoire de vouloir s'adapter aux différences culturelles pour recueillir un consentement "informé", alors que les chercheurs eux-mêmes ne peuvent concevoir les conséquences des découvertes génétiques futures de leurs recherches. Malgré ses efforts, le projet HapMap peine à échapper aux critiques. On lui reproche de s'approprier les ressources génétiques des populations à leur insu, dans un échange inégal souvent qualifié de "biopiratage". Face à la question du partage de l'information, les chercheurs ont décidé de mettre en accès libre sur Internet leurs résultats, ainsi que la carte des schémas des variations génétiques de l'homme. Par ailleurs, le projet prévoit des formes de compensation pour les populations étudiées. Ainsi, au Nigeria, dans la région d'Ibadan, les horaires d'ouverture de l'hôpital ont déjà été étendus, et quelques centaines de personnes ont été vaccinées contre la malaria. D'autres "services" à la communauté doivent suivre.

Les sceptiques continuent de souligner que la question de l'appropriation des résultats n'est pas résolue. Si, grâce aux avancées permises par le projet HapMap, les chercheurs isolent des gènes impliqués dans une maladie, ils pourront déposer des brevets sur ces découvertes. Ainsi "privatisé", le résultat de la recherche, un outil de diagnostic ou à terme un traitement, ne bénéficierait pas plus à la population de départ qu'à une autre. Quant aux compensations prévues, négociées avec les communautés étudiées, elles restent ambiguës, au vu des inégalités économiques. Selon Barbara Koenig, de Stanford, "il y a un problème de réciprocité. On en revient à l'idée que les populations vendent leur sang, en espérant quelque chose en retour. Et il y a un flou entretenu autour des promesses de la recherche médicale de mieux soigner une population : ces bénéfices futurs ne sont que des hypothèses."

La crainte subsiste que la génétique "ethnique" entraîne des stigmatisations ou des formes de discrimination. Le risque existe, par exemple, qu'une pathologie particulière soit associée à un groupe, si elle présente un gène de prédisposition plus souvent que les autres. Ainsi en est-il de certaines formes du gène BRCA-1, associé au cancer du sein et lié à la population juive ashkénaze, selon un raisonnement très controversé aux Etats-Unis. De même, rappelle Georgia Dunston de l'université Howard, la population d'origine africaine est plus souvent porteuse du gène de l'anémie falciforme que les autres. Apparu dans les régions d'Afrique touchées par la malaria, ce gène déclenche la maladie s'il est transmis par les deux parents, les individus étant seulement porteurs, sans symptômes, s'ils n'ont qu'un gène "malade". Pour autant, lier le gène à la population est un raccourci scientifique erroné, tonne Georgia Dunston : "Il n'y a pas de médecine noire ! Le gène de l'anémie falciforme n'est présent que chez 12 % des Afro-Américains. Cela veut dire que la grande majorité de cette population ne le porte pas." D'autres craignent que les différences mises en évidence par l'étude des variations génétiques ne soient exploitées pour cibler une population spécifique. Les spécialistes reconnaissent qu'il est théoriquement possible de développer des armes biochimiques visant une ethnie particulière. En effet, comme l'affirme l'ONG Sunshine Project, qui lutte contre les dérives du programme de biodéfense américain, il est possible de "désactiver" un gène en le visant, et certaines variations d'un gène apparaissent chez une population et pas chez une autre. En cherchant dans la base de données publique du SNP Consortium, les chercheurs du Sunshine Project ont ainsi trouvé plusieurs exemples de variantes de gènes présentes chez une seule population, afro-américaine, caucasienne ou asiatique, à une fréquence supérieure à 20 %. Un taux suffisant pour causer d'énormes dégâts, si de telles armes non létales étaient développées et utilisées, soulignent les chercheurs. Pour l'ONG, les données ethniques utilisées dans les recherches doivent être réduites au minimum et le projet HapMap, qui prévoit à terme l'étude de dix populations, doit être réévalué.

Si les recherches en génétique des populations posent problème, c'est aussi parce qu'en se focalisant sur des différences existant entre ethnies, elles réveillent le spectre des "races". Certains s'inquiètent de la réapparition de ce concept dans le champ scientifique, notamment deux articles très remarqués, publiés en 2002 et 2003 dans les prestigieuses revues Science et New England Journal of Medicine. "Il y est question de groupements naturels, pas de race, mais l'idée est la même que pour des projets comme le HapMap : montrer que les populations sont très différentes alors qu'elles sont en réalité très similaires", déplore Barbara Koenig. Elle a lancé en 2003 un séminaire sur ces questions, dont le but est de rapprocher les généticiens, pour lesquels la race est un concept "neutre", et les chercheurs en sciences humaines, pour qui il est indissociable de l'idée de "hiérarchie".

UN MÉDICAMENT SPÉCIAL "AFRO-AMÉRICAINS"

Elaborer des stratégie de marketing pour des médicaments spécifiques à un groupe ethnique pourrait avoir des conséquences sociales néfastes, en renforçant l'idée que l'humanité est constituée de groupes distincts et "bornés". Les opposants réclament des règles pour encadrer la mise sur le marché de ces traitements : un médicament contre le glaucome "spécial Afro-Américains" a été récemment autorisé aux Etats-Unis. En étudiant la façon dont les populations réagissent aux maladies, les chercheurs pourraient créer de "nouveaux systèmes de classification des humains, plus ou moins exposés à certains risques médicaux", craint Troy Duster, professeur de sociologie émérite de l'université de Californie à Berkeley et de la New York University. "Aussi précautionneux et consciencieux que soient les chercheurs de l'université Howard dans leur façon de présenter les choses, leur projet, en ne collectant que de l'ADN d'Afro-Américains, laisse l'impression forte et peut-être indélébile que leur ADN a quelque chose de particulier", déplore Troy Duster. Il rappelle que des sociétés américaines comme DNAPrint proposent des techniques pour "déterminer" l'ethnie d'un suspect à partir d'un échantillon ADN, déjà utilisées pour un cas de viols en série cette année. "Ce projet, comme le HapMap ou les banques islandaise et estonienne, disent avoir un vocation purement médicale, ajoute-t-il. Cette aspiration est noble mais ces données seront utilisées à des fins qui dépassent largement la santé. Les chercheurs ne pourront contrôler ces utilisations." Les mises en garde ne suffisent pas pour que soient remises en cause les recherches génétiques ethniques en tant que telles. Pour justifier leur travail, les scientifiques invoquent une forme de devoir de recherche, au nom de la science, de la médecine et du bien-être des populations étudiées, qui seraient exclues du progrès à venir si elles étaient exclues de la recherche. "Le problème reste toujours le même : la connaissance est là, tout dépend de ce qu'on en fait, dit Georgia Dunston. Nous faisons tout pour prévenir les abus, et nous ne sommes pas contre une réglementation internationale. Mais on ne peut encadrer par la loi toute la nature humaine." Ainsi avance la science.


Environ 20 % des gènes humains sont brevetés

Les Etats-Unis ­ secteur privé et institutions publiques confondus ­ détiennent environ 78 % des brevets sur des séquences génétiques humaines.

Stéphane Foucart, 28 octobre 2005

Une étude dresse, pour la première fois, un état des lieux qualitatif et quantitatif des titres de propriété délivrés sur des séquences génétiques humaines. Selon des travaux publiés mi-octobre dans la revue Science , environ 20 % des gènes humains sont brevetés. Kyle Jensen et Fiona Murray, deux chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT), ont croisé la base de données de l'Office américain des brevets et celle du NCBI (National Center for Biotechnology Information), qui contient les séquences des 23 688 gènes humains documentés. Parmi ces derniers, 4 382 séquences sont brevetées, pour un total de 4 270 brevets. L'inégalité des deux chiffres est due au fait qu'un seul gène peut être couvert par plusieurs brevets distincts, pour peu que ces derniers décrivent des procédés (thérapeutique, biochimique, etc.) différents. A l'inverse, plusieurs gènes peuvent être couverts par un unique brevet si le procédé breveté fait entrer en ligne de compte plusieurs séquences génétiques.

PRÉDOMINANCE

La distribution de ces titres de propriété est inégalement répartie. Les Etats-Unis ­ secteur privé et institutions publiques confondus ­ détiennent environ 78 % des brevets sur des séquences génétiques humaines. Viennent ensuite l'Europe (6 %), le Japon (4 %) et le Canada (2 %). La nationalité d'environ 10 % des titulaires de ces brevets n'a pas pu être déterminée par Kyle Jensen et Fiona Murray. Par ailleurs, environ 63 % des titulaires sont des entreprises privées tandis que 28 % sont des institutions publiques (centres de recherche, universités, etc.). Là encore, 10 % des titulaires n'ont pu être classés dans l'une de ces deux catégories. A elle seule, la société Incyte détient des droits de propriété intellectuelle sur près de 2 000 gènes humains, selon les travaux publiés. De manière peu surprenante, ce sont les gènes associés à des maladies, prédisposant à certaines affections, qui paraissent intéresser le plus les industriels. Les deux gènes qui font l'objet du plus grand nombre de revendications sont ainsi BMP7 (impliqué dans l'ostéogenèse) et CDKN2A (un suppresseur de tumeur). Chacune de ces deux séquences apparaît ainsi dans une vingtaine de brevets. Le nombre de brevets enregistrés couvrant des séquences génétiques humaines paraît "considérable" à Michel Vivant, professeur de droit à l'université Montpellier-I et spécialiste de la propriété intellectuelle des créations immatérielles. "En Europe, nous avons la notion ­ – certes un peu vague – ­ de l' "effet technique'' que doit remplir une invention pour être brevetable, ajoute M. Vivant. Alors qu'aux Etats-Unis, il n'y a qu' "une exigence d'utilité''. Cette différence entre les politiques américaine et européenne est illustrée par le nombre de titres protégeant la séquence BRCA1, un gène de prédisposition au cancer du sein. Pas moins de 14 brevets américains couvrent ce gène, révèlent les auteurs de l'étude. En Europe, l'Office européen des brevets (OEB) avait délivré trois brevets à la société Myriad Genetics sur des produits ou des procédés incluant ce gène. Or, explique Florence Lazard, directrice de la valorisation et des relations industrielles de l'Institut Curie, qui avait engagé une procédure d'opposition contre Myriad Genetics, "l'OEB a révoqué le premier de ces brevets et a considérablement réduit la portée des deux autres" . "De manière générale la situation décrite par cette publication reflète plus les pratiques qui avaient cours dans les années 1990, lorsque l'Office américain des brevets délivrait ces titres avec moins de restriction qu'aujourd'hui quant aux conditions de brevetabilité, tempère Mme Lazard. Aujourd'hui, beaucoup de ces brevets ne seraient pas délivrés sous cette forme." Kyle Jensen et Fiona Murray suggèrent ainsi, en conclusion de leur recherche, qu'"il serait utile de savoir dans quelle mesure la pratique – de l'Office américain – a pu conduire à des attributions conflictuelles de brevets sur le même gène".

L'IRM permet un meilleur dépistage des cancers du sein

La combinaison de la mammographie et de l'imagerie par résonance magnétique (IRM) permettrait de dépister 94 % des cancers du sein chez les femmes appartenant à des familles à haut risque.

Paul Benkimoun, 25 mai 2005

La combinaison de la mammographie et de l'imagerie par résonance magnétique (IRM) permettrait de dépister 94 % des cancers du sein chez les femmes appartenant à des familles à haut risque. Une étude britannique, publiée lundi 16 mai dans l'hebdomadaire The Lancet, indique que, utilisée seule, l'IRM permettrait de détecter 77 % des tumeurs, et la mammographie, 40 % dans ce groupe très exposé. Parce qu'elles ont hérité de leur mère une prédisposition génétique, une petite proportion des femmes (1 %) présente un risque élevé de survenue d'un cancer du sein. Alors qu'une femme sans prédisposition sur dix est susceptible d'avoir un cancer du sein au cours de son existence, 85 % des porteuses de cette mutation seront atteintes. Qui plus est, chez les femmes porteuses d'une mutation d'un gène appelé BRCA1, les cancers du sein ont tendance à se développer très rapidement. D'autres mutations génétiques peuvent être en cause sur les gènes BRCA2 et TP53.

ABLATION PRÉVENTIVE

Aux Etats-Unis, l'importance du risque chez les femmes à très haut risque a conduit des chirurgiens à leur proposer un geste particulièrement radical : l'ablation préventive des deux seins, suivie d'une reconstruction mammaire. En France, cette chirurgie mutilante est rejetée. Tout repose dès lors sur la précocité du diagnostic de cancer chez ces femmes, afin de leur donner le plus de chances possibles de guérison. En complément de l'examen clinique, les programmes de dépistage du cancer du sein ont recours à la radiographie du sein, ou mammographie, pratiquée annuellement. En France, ce dépistage est effectué gratuitement chez les femmes de 50 à 69 ans. Pour les femmes ayant un risque très élevé, le dépistage par mammographie démarre au plus tard à 30 ans. L'équipe britannique de l'Institut de recherche sur le cancer a suivi de manière prospective 649 femmes, appartenant à des familles très touchées par le cancer du sein ou ayant une forte probabilité d'avoir une mutation sur les gènes BRCA1, BRCA2 ou TP53. Ces femmes ont bénéficié annuellement d'une mammographie et d'une IRM à contraste élevé pendant une période allant de deux à sept ans. Un total de 35 cancers a été découvert, dont 19 par la seule IRM, et 6 par la mammographie seule. Les tumeurs mises en évidence étaient plutôt agressives, mais le plus souvent de petite taille et sans être accompagnées d'un envahissement ganglionnaire. Commentant ces résultats, dans le même numéro du Lancet, deux spécialistes canadiennes soulignent que ce travail aboutit aux mêmes conclusions que des études menées dans d'autres pays. Elles signalent toutefois que, pour certains types de cancers, la mammographie paraît un examen plus sensible que l'IRM. Cela tient peut-être à la plus grande expérience qu'ont les radiologues de cette technique. Il reste encore à prouver que la détection par IRM est de nature à réduire la mortalité par cancer du sein chez les femmes à très haut risque. L'équipement en appareils d'IRM est nettement inférieur au parc de mammographes, qui sont beaucoup moins onéreux. L'examen par IRM coûte environ dix fois plus cher qu'une mammographie. De même faudra-t-il déterminer à partir de quel âge cette technique doit être appliquée aux femmes très exposées.

Prévention in vitro d'une prédisposition à des cancers

Pour la première fois, la technique du diagnostic pré-implantatoire (DPI), après une fécondation in vitro, a été autorisée dans un but de prévention d'une prédisposition à un cancer.

Jean-Yves Nau, 24 juillet 2007

Pour la première fois, la technique du diagnostic pré-implantatoire (DPI), après une fécondation in vitro, a été autorisée dans un but de prévention d'une prédisposition à un cancer. Dans son édition datée du 21 juillet, The Times révèle que la Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA) britannique a accédé à la demande d'un couple fertile de recourir au DPI pour sélectionner un embryon exempt d'un gène prédisposant au cancer du sein et de l'ovaire. Jusqu'à présent, le DPI, en Grande-Bretagne comme en France, n'était mis en oeuvre que pour prévenir les naissances d'enfants dont on savait avec une quasi-certitude qu'ils seraient victimes d'une affection de nature monogénique d'une particulière gravité, comme la mucoviscidose, l'hémophilie ou des pathologies neuro-musculaires. Le feu vert de la HFEA a été accordé à une équipe dirigée par le docteur Paul Serhal (University College Hospital, London). Pour ce praticien, cette décision fera date dans la mesure où le DPI pourra, désormais, être mis en oeuvre sur la base d'un risque estimé à moins de 100 %. Il se félicite aussi du fait que l'anomalie génétique pourra de la sorte être éradiquée dans les familles exposées au risque d'affections cancéreuses connues pour être génétiquement transmissibles. Dans le cas des cancers familiaux du sein et de l'ovaire, on estime que les mutations du principal gène impliqué (BRCA1) induisent un risque de survenue d'un cancer du sein allant de 60 % à 80 % et de 40 % pour le cancer ovarien. En France, certains spécialistes souhaitent aussi pouvoir utiliser le DPI dans le cas de couples exposés au risque de transmission d'une prédisposition à certaines affections cancéreuses. Mené sous l'égide de l'Institut national du cancer, le débat n'est toutefois pas tranché de savoir si les dispositions législatives le permettent.

Quatre gènes impliqués dans le cancer du sein ont été identifiés

Cette découverte, la plus importante depuis plus de dix ans sur le sujet, permettrait d'améliorer le diagnostic précoce de cette affection.

Jean-Yves Nau, 28 mai 2007

Une étape importante dans la compréhension des bases génétiques des différentes formes de cancer du sein vient d'être franchie grâce à une nouvelle technique d'exploration de la structure du génome humain. Travaillant dans le cadre d'une collaboration internationale, les auteurs de différentes publications scientifiques, rendues publiques, lundi 28 mai, par les revues Nature et Nature Genetics, annoncent avoir identifié quatre gènes dont les mutations sont directement impliquées dans la physiopathologie de cancers du sein. Un cinquième gène serait sur le point d'être identifié. Il s'agit de la découverte la plus importante depuis celle, faite en 1993 et 1995, des gènes BRCA1 et BRCA2, impliqués dans les formes familiales des cancers du sein et de l'ovaire. Elle pourrait conduire à améliorer le diagnostic précoce de cette lésion ainsi que la prise en charge thérapeutique des femmes concernées. Ce travail a été permis par les derniers développements des techniques d'analyses simultanées de la structure de régions entières du génome humain à partir d'une technique de puces ADN à haute densité. Les performances de cette nouvelle technique avaient déjà, il y a peu, permis de progresser dans l'analyse des bases génétiques du diabète (Le Monde du 13 février). Selon les auteurs de ces travaux, deux des quatre gènes découverts (FGFR2 et TNRC9) aggravent chacun de 20 % le risque de survenue d'un cancer du sein, ce risque augmentant de 40 % si la mutation existe sur les deux gènes présents dans chaque cellule. Les deux autres gènes découverts (MAP3K1 et LSP1) augmentent le risque de 10 % dès lors qu'il existe une seule mutation. Il s'agit de risques significativement plus bas que ceux - estimés à 80 %- auxquelles exposent les mutations des gènes BRCA1 et BRCA2. Pour le professeur Douglas Eaton, directeur de l'unité d'épidémiologie génétique du Centre britannique de recherche sur le cancer, situé à Cambridge, et l'un des responsables de ces travaux, les quatre gènes découverts sont directement impliqués chez 4 % des femmes chez lesquelles un cancer du sein a été diagnostiqué.

La question est désormais de savoir si cette découverte doit ou non conduire à la mise en place de campagnes de dépistage systématique. La forte probabilité de développer un cancer chez les femmes prédisposées à un cancer familial du sein ou de l'ovaire a justifié la recherche chez elles des mutations des gènes BRCA1 et BRCA2. Il n'en va a priori pas de même dans le cas des quatre nouveaux gènes, car cette probabilité est moindre. Les chercheurs estiment toutefois qu'à court ou moyen terme, les progrès accomplis dans l'exploration combinée du substrat génétique de cette affection permettra de développer une nouvelle approche diagnostique en calculant la prédisposition statistique pour une femme de développer ou non un cancer du sein durant son existence. Plus généralement, la technique ici mise en oeuvre pourra être utilisée dans l'identification de gènes impliqués dans d'autres affections de nature cancéreuse. Des travaux sont d'ores et déjà en cours pour identifier des gènes impliqués dans le cancer de la prostate. Au-delà de leur impact dans le domaine du diagnostic précoce et du dépistage, l'une des questions ouvertes par les publications de Nature et de Nature Genetics est de savoir si la compréhension de plus en plus fine de la génétique et de la physiopathologie moléculaire du cancer du sein permettra ou non d'améliorer de manière significative les stratégies thérapeutiques contre cette affection qui, en dépit des progrès accomplis, demeure une cause importante de mortalité prématurée chez la femme.

Débat sur le libre accès des individus aux tests génétiques

Le Conseil de l'Europe se prépare à adopter un nouvel instrument juridique international sur les tests génétiques, dont le projet vient d'être rendu public.

Paul Benkimoun, 3 octobre 2007

De plus en plus, il va être possible, via Internet notamment, de se procurer directement un test pour savoir si vous avez une prédisposition génétique à faire un accident cardiovasculaire ou un cancer du sein. Doit-on avoir un libre accès à ce type d'instruments, sans passer par un médecin, avec le risque de répercussions négatives que pourrait avoir un "mauvais" résultat ? Le Conseil de l'Europe se prépare à adopter un nouvel instrument juridique international sur les tests génétiques, dont le projet vient d'être rendu public. Le Conseil organisait, avec l'Agence de la biomédecine, un séminaire européen sur le sujet, mardi 2 octobre à Paris. Différents tests existent. Certains, confirmant l'origine génétique d'une maladie déclarée, sont des tests diagnostiques. D'autres, dits présymptomatiques, visent, dans le contexte d'une maladie génétique familiale, à mettre en évidence une mutation génétique avant que les symptômes apparaissent, par exemple dans le cas de la maladie d'Huntington. Quant aux tests de prédiction, ils informent sur la composante génétique d'un trouble multifactoriel, comme une mutation du gène BRCA1 ou BRCA2, qui augmente de 20 % à 40 % le risque de cancer du sein avant 50 ans.Les outils qui pourraient à l'avenir être proposés en accès libre sont avant tout les tests prédictifs d'une susceptibilité particulière à une maladie comme "le diabète, le rhumatisme articulaire, la dépression ou l'allergie", a expliqué Jean-Jacques Cassiman (université catholique de Louvain, Belgique). "En Europe, a-t-il indiqué, il y a 30 millions de clients potentiels."

DEUX CONCEPTIONS

Président de la commission nationale des dispositifs médicaux et du diagnostic in vitro à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, le professeur Marc Delpech parle d'un "marché faramineux". Il souligne qu'une mutation prédisposante ne veut pas dire que la maladie est inéluctable et, à l'inverse, que l'absence de mutation ne met pas à l'abri de la survenue de l'affection. Il craint que "la volonté du législateur de résoudre les problèmes posés par les tests génétiques soit submergée par Internet." Au niveau du Conseil de l'Europe, deux conceptions coexistent : une plus grande autonomie du patient pour pratiquer des tests ou le maintien d'un accompagnement médical. En cours d'examen, le protocole additionnel à la Convention européenne sur les tests génétiques à des fins médicales exclut de faire l'économie d'un suivi personnalisé pour les tests ayant "des implications importantes pour la santé des personnes concernées ou celle des membres de leur famille, ou ayant des implications importantes pour des choix en matière de procréation".

Cancer : plusieurs études prometteuses présentées à Orlando

Le week-end des 30 et 31 mai a été riche en publications sur le cancer, notamment en raison de la tenue, à Orlando en Floride, de la principale conférence mondiale sur le cancer.

Le Monde avec AP, AFP et Reuters, 31 mai 2009

Le week-end des 30 et 31 mai a été riche en publications sur le cancer, en raison de la tenue, à Orlando en Floride, du 45e congrès annuel de l'American Society of Oncology (ASCO), principale conférence mondiale sur le cancer.

  • Cancer du poumon : un traitement combiné retarde la progression
    Samedi,à l'occasion du congrès de l'ASCO, le Dr Vincent Miller, du Centre Memorial Sloan-Kettering sur le cancer à New York a présenté un essai clinique de phase 3 qui montre qu'un traitement avec une combinaison de deux anti-cancéreux a permis, après un traitement de chimiothérapie, de retarder la progression de cancers du poumon avancés. Les patients traités avec du Tarceva du laboratoire suisse Roche combiné à de l'Avastin, de sa filiale américaine Genentech, ont vu leur cancer progresser plus lentement que ceux du groupe de contrôle traités seulement avec de l'Avastin. Les patients soignés avec une combinaison de Tarcera/Avastin ont survécu en moyenne 4,8 mois avant que la maladie ne s'aggrave, comparativement à 3,7 mois pour le groupe témoin.
  • Cancer du poumon : 26 % de survie grâce à un traitement qui bloque la multiplication cellulaire
    Un second essai clinique international avec 663 patients atteints d'un cancer avancé du poumon a testé l'Alimta du laboratoire américain Eli Lilly qui bloque la multiplication cellulaire. Les résultats préliminaires montrent un gain général de survie de 26 % chez ceux ayant pris de l'Alimta comparativement au groupe témoin traité avec un placebo ou 13,4 mois contre 10,6 mois. Comme dans la première étude, tous les malades avaient déjà reçu quatre sessions de chimiothérapie standard. "Cette étude va changer les normes de soins" de ces cancers, a jugé le Dr Chandra Belani, directeur adjoint du Penn State Cancer Institute en Pennsylvanie, en présentant ces travaux à la tribune du congrès de l'ASCO.
  • Cancer du poumon : les traitements antiménopause augmentent le risque de mortalité
    Le Dr Rowan Chlebowski, un cancérologue du Los Angeles Biomedical Research Institute, en Californie, a présenté une analyse baptisée "Women's Health Intiative", visant à évaluer les effets du Prempro, une combinaison d'oestrogène et de progestine (forme synthétique de progestérone) commercialisé par le laboratoire américain Wyeth. Cette analyse a porté sur l'incidence du cancer du poumon le plus fréquent, et de son taux de mortalité durant une période d'environ cinq ans et demi de traitement hormonal, ou de placebo. Il n'y avait pas de différence significative entre les deux groupes dans l'incidence des cancers du poumon mais le taux de mortalité après le diagnostic était deux fois plus élevé chez les femmes qui suivaient une thérapie hormonale que chez les autres. En d'autres termes, les femmes ménopausées ayant contracté un cancer du poumon et qui prenaient des hormones avaient 61 % plus de risque de décéder de la maladie que les autres.
  • Cancer des testicules : identification de liens avec des variations génétiques
    Des variations génétiques liées au risque de développer un cancer des testicules viennent d'être identifiées pour la première fois, selon deux études publiées en ligne dimanche dans Nature Genetics. Michael Stratton (Institut de recherche sur le cancer, Royaume-uni), Katherine Nathanson (université de Pennsylvanie) et leur équipe ont comparé le code génétique de 730 hommes atteints de cancer des testicules avec celui d'hommes en bonne santé. Ils ont constaté que des variations dans les chromosomes 5, 6 et 12 étaient liées à un risque accru d'attraper la maladie. Pour peu que les chromosomes connaissent tous trois ces variations, le risque est multiplié jusqu'à quatre fois, soulignent les chercheurs. La tumeur des testicules est le cancer le plus fréquent chez les hommes entre 15 et 45 ans. Cinq fois plus courant chez les hommes d'origine européenne que chez ceux d'origine africaine, ce cancer est curable à 99 % s'il est soigné dans ses premiers stades.
  • Cancer du sein : une nouvelle thérapie ciblée prometteuse
    Deux petites études riches de promesses ont été présentées dimanche, sur une nouvelle thérapie ciblant la capacité des cellules cancéreuses à se réparer, qui neutralise une enzyme et l'empêche de jouer son rôle réparateur de l'ADN des cellules dans le corps. Tout comme les cellules saines, les cellules cancéreuses recourent à cette enzyme dite PARP (poly -ADP-ribose- polymerase) pour se régénérer quand elles subissent des dommages infligés notamment par des traitements de chimiothérapie. Les deux études ont examiné si en neutralisant l'enzyme PARP, les tumeurs du sein seraient plus sensibles aux chimiothérapies. Le premier essai clinique de phase 2 a été mené auprès de 116 femmes atteintes d'un cancer du sein dit triple négatif, des tumeurs particulièrement difficile à combattre. Après six mois, environ 62 % des patientes traitées avec le l'inhibiteur de PARP dit BSI-201 de la firme BiPar Sciences, filiale américaine à 100 % du laboratoire français Sanofi-Aventis, combiné à la chimiothérapie ont montré une amélioration clinique comparativement à 21 % dans le groupe témoin traité uniquement par chimiothérapie, a indiqué la Dr. Joyce O'Shaughnessy, du centre du cancer Baylor-Charles Sammons à Dallas, dans le Texas.
    La seconde étude clinique a porté sur 54 femmes souffrant d'un cancer du sein avancé ayant le gène de mutation BRCA1ou BRCA2 traitées avec l'anti-PARP olaparib du groupe pharmaceutique Anglo-Suédois AstraZeneca mais ne comportait pas de groupe témoin de comparaison. Les résultats de cet essai clinique ont montré que 40 % des patientes ayant pris la plus forte dose d'olaparib ont connu une réduction de leur tumeur, a indiqué le Dr Andrew Tutt, cancérologue au Kings College à Londres.
  • "Vaccin" curratif : premiers succès significatifs
    Après trente ans de faux-départs, des chercheurs ont fait état de premiers succès significatifs dans les tentatives d'utiliser le système immunitaire pour combattre le cancer. La méthode est appelé "vaccin contre le cancer", même si elle est utilisée pour traiter le cancer plutôt que de le prévenir. Selon les médecins, l'un de ces vaccins, produit par Biovest International Inc, permet d'éviter l'évolution négative d'un lymphome de type commun pendant plus d'un an en comparaison avec un traitement classique.
  • Cancer colorectal : pas d'avancées
    Déception concernant les résultats des études cliniques portant sur le cancer colorectal, quatrième plus fréquent (9,9 % des cas) aux Etats-Unis et second plus mortel, qui n'ont pas montré de gain de survie. Un essai clinique étendu de phase 3 conduit avec 2 710 patients pour évaluer l'Avastine en complément d'une chimiothérapie standard pour les malades atteints d'un cancer non-avancé du colon, n'a révélé aucune différence dans le taux de récurrence de la tumeur et la survie après trois ans en moyenne.


Peut-on breveter un gène ? Procès entre l'ACLU et Myriad genetics

Jonathan Parienté , 19 mai 2009

Peut-on breveter le vivant ? La question a souvent résonné dans les prétoires. Depuis le 12 mai, ce débat est au coeur du procès qui oppose la firme Myriad genetics et l'American civil liberties union (ACLU), accompagnée de dizaines d'associations et institutions représentant 150 000 personnes au total. Ils contestent la validité du brevet de Myriad sur les gènes BRCA1 et BRCA2 dont certaines mutations sont responsables de cancers du sein et des ovaires. Myriad a le monopole sur le test de dépistage qu'il facture 3 000$, pas souvent remboursés par les assurances. Alors que, comme l'expique Harry Oster qui dirige le programme de génétique humaine de l'Université de New-York dans le New-York Times, "plusieurs laboratoires sont capables de faire le test à un prix bien moins élevé". Pire, "3 000$, c'est la moitié du coût du séquençage du génome d'une bactérie", s'étouffe le blogueur Mike the biologist

Une des plaignantes, Genae Girard s'est vue refuser un deuxième avis médical après que Myriad a révélé qu'elle était porteuse des mutations en question. Ce brevet verrouille tout dépistage et toute recherche hors des clous. Rien n'est possible sans verser des royalties à Myriad. Dans leur plainte, les 150 000 personnes concernées emmenées par l'UCLA déplorent les droits de Myriad sur les gènes BRCA1 et 2. "Les brevets couvrent les gènes humains eux-mêmes. Ce qui inclut le gène "normal" et ses nombreuses mutations ; certaines ont été identifiées par Myriad, d'autres non. [Le brevet couvre aussi] les mutations qui n'ont pas encore été découvertes. Certaines de ces variations sont corrélées avec un risque accru de cancer du sein ou de cancer des ovaires. Certaines ne le sont pas. Les brevets couvrent toute les nouvelles méthodes d'investigation de ce gène humain qui pourraient être développées par d'autres, la possibilité de comparer un gène BCRA1 ou BCRA2 avec un autre gène BRCA1 ou BRCA2. (...) [Ces brevets violent la loi] qui interdit le brevetage des lois de la nature, des produits de la nature et des idées abstraites."

Il est en effet théoriquement interdit de breveter la nature. Mais, dans ce type d'affaires, les firmes attaquées estiment que le gène n'est plus tout à fait naturel puisqu'il est éloigné de son état premier... Dans les précédentes affaires – dont vous pouvez lire un historique dans l'article du site Double X – ces arguments ont été entendus par les tribunaux. Selon le National Institute of Health étasunien, 20 % du génome humain apparaît d'ores et déjà dans des brevets. D'après Double X, "53 % des laboratoires ont arrêté de proposer ou de développer un test génétique en raison des brevets et 67 % pensent que les brevets interfèrent avec la recherche médicale". Une étude publiée par le National research council conclue que : "les restrictions [imputables aux problématiques de] propriété intellectuelle ne sont que rarement un fardeau pour la recherche biomédicale. Il existe toutefois des raisons d'appréhender leur impact futur sur les avancées scientifiques dans ce domaine." Ces brevets remplissent allègrement les poches des laboratoires (d'où le sourire colgate de la femme qui trône en une du site de Myriad ?) Ils se justifient en expliquant que ces protections financent leurs futures recherches et tout le bien qu'elles feront à l'humanité. Economiquement, cette stratégie semble payante puisque Myriad vient d'annoncer de profits records. Selon le Salt Lake tribune, cela n'a toutefois pas calmé la "nervosité des actionnaires".

 

Une décision du tribunal fédéral de New York remet en cause la brevetabilité des gènes humains

L'affaire Myriad Genetics pourrait bouleverser l'économie du secteur des biotechnologies.

Yves Mamou, 1 avril 2010

Mardi 30 mars, le juge Robert Sweet, du tribunal fédéral du district sud de New York, a invalidé sept des vingt-trois brevets déposés par le laboratoire de biotechnologie Myriad Genetics et la Fondation pour la recherche de l'université de l'Utah sur BRCA1 et BRCA2, deux gènes dont les mutations sont associées à la présence d'un certain type de cancer du sein et des ovaires. Ces deux gènes sont désormais partiellement libres de droits. Si ce vide juridique est confirmé en appel - ce que les plaignants n'osent croire -, le modèle économique de la recherche pharmaceutique s'en trouverait bouleversé. La procédure a été engagée le 12 mai 2009 par la puissante Organisation américaine de défense des libertés publiques (ACLU) et la Public Patent Foundation, une association de juristes à laquelle s'étaient jointes des associations de patients et bon nombre de syndicats de médecins. Les plaignants affirmaient que les brevets en question violaient le premier amendement de la Constitution américaine dans la mesure où ils sont des "produits de la nature" et ne peuvent donc être déposés.

L'ACLU et ses avocats ont plaidé que la brevetabilité du génome "empêchait quiconque d'étudier, expérimenter, voire même observer un gène, ce qui a pour effet global de ralentir la recherche, de la limiter, voire de la bloquer en raison du droit de propriété".

En d'autres termes, ce sont les droits exclusifs de Myriad à commercialiser un test comme BRACAnalysis, qui sont contestés : ces tests sont capables de détecter un cancer héréditaire du sein et un cancer héréditaire des ovaires avec un taux de certitude de 82 % dans le premier cas et de 44 % dans le second. Les femmes qui auraient souhaité un test moins cher (BRACAnalysis coûte 2 000 euros environ) ou un contre-examen au moyen d'un test différent n'ont pas de liberté de choix, a plaidé l'ACLU. Quant aux chercheurs, ils doivent demander l'autorisation de Myriad pour explorer plus avant ces deux gènes. Chris Hansen, avocat de l'ACLU, a donc plaidé l'inconstitutionnalité des brevets de Myriad Genetics : "C'est comme si on voulait breveter E = mc2, le sang ou l'air que l'on respire." Rappelons que l'Office des brevets des Etats-Unis a accordé des milliers de brevets sur les gènes humains, au point que 20 % du génome sont aujourd'hui propriété privée.

Propriété intellectuelle

Myriad Genetics, de son côté, avait demandé à la cour fédérale de débouter les plaideurs, affirmant que le savoir-faire et les efforts humains et financiers qui avaient été mobilisés pour isoler l'ADN dans l'organisme justifiaient l'octroi d'un brevet. Depuis trente ans, ont-ils fait valoir, la Cour suprême a confirmé la possibilité pour des sociétés privées ou publiques de détenir des droits de protection de la propriété intellectuelle sur des organismes vivants. Myriad a "regretté" la décision du juge Sweet et annoncé qu'elle ferait appel. Peter Meldrum, son PDG, s'est dit convaincu que la cour d'appel fédérale annulerait le jugement initial, et même que ce dernier n'aurait aucun impact sur les affaires du groupe. Le titre Myriad a toutefois perdu presque 5 % dans la journée de mardi, même s'il a refait une partie du chemin mercredi. Les avocats de Myriad ajoutent que seize brevets sur les vingt-trois déposés sur BRCA1 et BRCA2 demeurent valides, ainsi que les seize brevets protégeant le test BRACAnalysis. La plupart des experts estiment que le jugement sera cassé en appel. Philippe Pouletty, directeur général de Truffle Capital, une société d'investissement spécialisée dans les biotechnologies, se dit lui aussi convaincu que cette décision est un événement qui demeurera sans conséquence.

Découverte du premier gène mutant clé dans le cancer hérité de la prostate

Après vingt ans d'effort, des chercheurs américains ont découvert la première mutation génétique majeure liée à une nette augmentation du risque de cancer héréditaire de la prostate.

12 janvier 2012

Après vingt ans d'effort, des chercheurs américains ont découvert la première mutation génétique majeure liée à une nette augmentation du risque de cancer héréditaire de la prostate, selon leurs travaux parus mercredi dans le New England Journal of Medicine. Ce gène mutant rare accroît de dix à vingt fois le risque de cancer de la prostate chez les hommes les plus jeunes dans les familles affectées. "C'est la première variante génétique majeure liée au cancer héréditaire de la prostate" que l'on découvre, souligne le Dr Kathleen Cooney, professeur d'urologie à la faculté de médecine de l'université du Michigan, l'un des principaux auteurs de cette étude parue le 12 janvier dans cette revue médicale. "On se doutait depuis longtemps que des cancers de la prostate sont héréditaires dans certaines familles, mais mettre le doigt sur la cause génétique sous-jacente a été difficile", explique le Dr William Isaacs, professeur d'urologie et de cancérologie à la faculté de médecine Johns Hopkins (Maryland), l'autre coauteur principal de l'étude. Il note que toutes les recherches précédentes avaient été infructueuses.

BÉNÉFICIER D'UN DÉPISTAGE PLUS PRÉCOCE

Même si elle ne concerne qu'une petite fraction de tous les cas de cancers de la prostate, la découverte de cette variante génétique pourrait apporter un éclairage important sur le mécanisme de développement de cette tumeur chez les autres hommes. Ainsi, ce gène mutant pourrait aider à identifier les hommes susceptibles de bénéficier d'un dépistage plus précoce ou supplémentaire à l'instar des mutations de gènes BRCA1 et BRCA2, qui accroissent nettement le risque de cancer du sein chez les femmes. Une tumeur cancéreuse de la prostate devrait être diagnostiquée chez quelque 240 000 Américains en 2012 provoquant 28 000 décès, selon les estimations officielles. Pour cette quête du gène mutant, les chercheurs ont séquencé l'ADN de plus de 200 gènes dans une région du chromosome humain appelée 17q21-22. Ils ont commencé à travailler sur des échantillons génétiques provenant de patients atteints d'un cancer prostatique dans 94 familles qui participaient à des études à l'université du Michigan et de Johns Hopkins.

MUTATION DU GÈNE HOXB13

Chacune de ces familles présentaient de multiples cas de cancer de la prostate parmi leurs proches, comme le père, les fils ou les frères. Les chercheurs ont découvert que des membres de quatre familles différentes étaient porteurs de la même mutation du gène HOXB13, qui joue un rôle important dans le développement de la prostate au stade foetal et son fonctionnement ensuite dans la vie. Cette mutation était présente chez les dix-huit hommes de ces quatre familles atteints d'un cancer de la prostate. Les auteurs de cette découverte ont ensuite recherché la même mutation du gène HOXB13 parmi 5 100 hommes traités pour ce cancer à Johns Hopkins ou à l'université du Maryland. Cette mutation a été découverte chez 72 hommes, soit 1,4 % des patients. Il est apparu également que ces mêmes hommes avaient plus de probabilités d'avoir au moins un parent au premier degré – père ou frère – diagnostiqué d'un cancer de la prostate. Cette mutation génétique a été découverte chez des hommes de descendance européenne tandis que deux autres variantes de ce gène ont été identifiées dans des familles afro-américaines.

Angélina Jolie et la médecine prédictive

Frédéric Orobon (Agrégé de philosophie en poste à l'Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Bourgogne)

Frédéric Orobon, 4 juin 2013

C'est dans un article qu'elle a publié le 14 mai dernier dans le New York Times, que l'actrice américaine Angelina Jolie (1975) a révélé avoir subi à sa demande une double mastectomie préventive. Elle explique avoir fait ce choix lorsqu'un test génétique, motivé notamment par le décès de sa mère par cancer de l'ovaire à l'âge de 56 ans, lui a appris qu'elle était porteuse d'une mutation du gène BRCA1 (un gène humain qui appartient à une classe de gènes suppresseurs de tumeurs), qui l'expose à un risque élevé de développer un cancer du sein. Selon les médecins qui ont assuré le suivi de l'actrice, celle-ci présentait un risque de développer un cancer du sein de 87 %, associé à un risque de développer un cancer de l'ovaire de 50 %. C'est donc bien, comme elle l'explique elle-même, une démarche de réduction du risque, et non une quelconque fascination pour le risque zéro, qui a motivé sa décision. La mastectomie préventive avec, dans le cas présent, conservation du mamelon et de l'aréole, consiste dans le retrait de la glande mammaire. Cette technique permet la meilleure préservation possible de l'étui cutané du sein. Comme, dans ce mode opératoire, le retrait intégral du tissu mammaire n'est toutefois pas possible, un risque résiduel de cancer du sein, qui ne devrait pas être supérieur à 5 %, dans le cas d'Angelina Jolie, demeure toutefois. La mastectomie préventive, comme toute opération chirurgicale lourde, n'est pas sans risque ni douleur, mais s'accompagne généralement d'une reconstruction rapide. Enfin, après cette mutilation interne, qui, comme toute perte brutale, n'est pas non plus sans souffrance, une perte de sensibilité des seins n'est pas non plus à exclure, ce qui n'est pas sans retentissement possible sur la vie sexuelle.

Tout en insistant sur le coût de ce dépistage génétique, d'un coût supérieur à 3 000 dollars, ce qui est hors de portée de nombre de femmes, le niveau de revenu étant un déterminant de santé majeur, Angelina Jolie encourage les femmes qui sont exposées à un risque héréditaire de cancer du sein et/ou des ovaires, à s'informer en vue de prendre pour elles-mêmes un décision éclairée. Dans le propos d'Angelina Jolie, il est question d'une réduction du risque lorsque de nouvelles explorations permettent un choix informé. Il s'agit donc d'une démarche de médecine prédictive, liée ici à une stratégie de prévention. Dans ce cas, ce sont des organes encore sains qui font l'objet d'une opération chirurgicale lourde et irréversible pour prévenir une terrible maladie qui peut aussi ne pas se déclarer. Néanmoins c'est ce risque de 87 % qu'Angelina Jolie juge d'autant plus insupportable qu'elle souhaite pouvoir accompagner ses enfants dans la vie le plus longtemps possible, en réduisant le risque de les priver de sa présence par la faute du cancer. Son opération lui permet d'échanger ce risque qu'elle juge insupportable contre un risque résiduel qu'elle jugera "acceptable", parce qu'elle devra s'en accommoder, de même que, sans que nous y pensions toujours, il nous faut bien nous accommoder du risque de mourir prématurément, comme de la certitude de mourir un jour. De plus, Angelina Jolie devra aussi s'inquiéter de savoir si ses trois enfants biologiques ont ou non reçu cette mutation génétique.

Le cas d'Angelina Jolie s'inscrit dans une démarche individuelle et ne procède pas d'une obligation. Il n'y a donc pas lieu de soupçonner à cette occasion la mise en place d'une quelconque "dictature génétique". Toutefois, ce cas s'inscrit également dans un contexte commercial où une compagnie privée souhaite que son contrôle du marché des niveaux d'incertitude soit consacré définitivement. La Cour suprême en décidera en juin. Néanmoins, il faut également comprendre que lorsque la technique autorise de nouvelles libertés, en nous permettant de nous dégager, autant que faire se peut, de contraintes naturelles, comme en préservant également la possibilité de les accepter en connaissance de cause, elle met aussi en évidence qu'il n'est pas facile d'être libre, non seulement si on n'en a pas les moyens, mais aussi lorsque la voie dans laquelle on s'engagera est sans retour possible. C'est parce qu'on ne voit pas cette difficulté, qui est tout simplement celle de la dimension tragique où toute existence s'inscrit, qu'on est tenté d'assimiler, de manière hâtive et irréfléchie, médecine prédictive et contrôle intégral de son existence.

Un diagnostic préimplantatoire contre le cancer du sein

En Belgique, une vingtaine d'enfants sont nés indemnes de mutations prédisposant à cette tumeur. Une technique qui fait débat

Marc Gozlan, 5 juillet 2012

Lors du congrès annuel de la Société européenne de reproduction humaine et d'embryologie (ESHRE) qui s'est tenu à Istanbul du 1er au 4 juillet, une équipe belge a rapporté avoir réalisé, chez 70 couples, un diagnostic préimplantatoire (DPI) pour éviter la transmission au nouveau-né d'une mutation génétique prédisposant, à l'âge adulte, au cancer du sein et de l'ovaire. Une vingtaine d'enfants sont nés après sélection d'embryons non atteints par l'anomalie génétique dont la mère ou le père étaient porteurs, dans respectivement 60 % et 40 % des cas. Il s'agit des résultats de la plus grande série de DPI réalisés chez des couples ne souhaitant pas transmettre à leur descendance une mutation du gène BRCA1 ou BRCA2 (BReast CAncer 1/2). Auparavant, six naissances après DPI dans ce contexte génétique avaient été rapportées à Londres, Adélaïde, Jérusalem et Barcelone. Dans la population générale, le risque pour une femme de développer un cancer du sein est de 10 %. Chez une femme porteuse de mutation de BRCA1, le risque de développer au cours de la vie un cancer du sein est de l'ordre de 80 %. Il est de 20 % environ pour le redoutable cancer de l'ovaire. En cas de mutation de BRCA2 chez la femme, ces chiffres sont respectivement de 60 % et 5 % pour le cancer du sein et de l'ovaire. Pour un couple à risque, la probabilité de transmission de la mutation à la descendance, via la mère ou le père, est de 50 %.

"Nous avons obtenu 42 grossesses chez 40 femmes, certaines d'entre elles ayant eu deux grossesses. L'âge moyen de la mère, comme celui du père, était de 29 ans. La procédure du DPI, pratiquée à Maastricht et Bruxelles, implique une stimulation ovarienne hormonale, une fécondation in vitro, l'analyse moléculaire d'une cellule de l'embryon, puis une implantation dans l'utérus au cinquième jour du développement", indique le professeur Willem Verpoest du Centre de médecine de la reproduction de l'Université libre de Bruxelles (VUB).

Demande croissante des couples

Parmi les 717 embryons obtenus in vitro et analysés au troisième jour de leur développement (au stade de huit cellules), 40,7 % d'entre eux, non porteurs d'une mutation BRCA1/2, ont été sélectionnés pour être réimplantés. "A ce jour, sur 26 grossesses menées à terme, nous avons eu des jumeaux, mais aussi un enfant mort très tôt après la naissance et un autre peu après. Ces décès ne semblent pas liés à la technique", précise le professeur Verpoest. Les conséquences à long terme d'une stimulation ovarienne pour fécondation in vitro (FIV) chez des femmes à risque de cancer du sein et de l'ovaire ne peuvent être négligées. Selon une étude néerlandaise, publiée en décembre 2011 dans Human Reproduction et portant sur plus de 19 000 femmes ayant reçu un traitement hormonal pour FIV entre 1983 et 1995, une stimulation ovarienne entraînerait une augmentation significative du risque de tumeurs ovariennes "borderline" (tumeurs à faible potentiel de malignité). En France, un rapport, paru en 2008 et rédigé par le professeur Dominique Stoppa-Lyonnet (Institut Curie, Paris), n'avait pas recommandé, sauf cas particuliers, le DPI dans les "formes héréditaires de cancer à révélation tardive", comme dans les cancers du sein et de l'ovaire liés à une mutation BRCA1/2 survenant à l'âge adulte. Récemment, une demande de DPI, jugée recevable à Lille, a, faute de moyens, été réalisée à Bruxelles. Deux demandes ont par ailleurs été rejetées. Publiée en mai dans Genetics in Medicine, une enquête, conduite par le docteur Claire Julian-Reynier (Inserm, Marseille) auprès de 460 femmes et hommes porteurs d'une mutation BRCA1/2, non atteints de cancer, a montré que 16,5 % envisageraient de recourir à un DPI dans l'hypothèse d'une future grossesse si cette procédure était disponible. Pour le professeur René Frydman (hôpital Antoine-Béclère, Clamart), la question de la pratique du DPI dans un contexte BRCA1/2 "n'est pas à l'ordre du jour en France" s'agissant de cancers à révélation tardive pour lesquels on ne peut prévoir aujourd'hui quelles seront les méthodes de prévention et de traitement utilisées dans trente ou quarante ans. Pour ce spécialiste, il importe de résoudre l'impasse actuelle pour le DPI des maladies génétiques graves et incurables de l'enfant (hémophilie, mucoviscidose, myopathies...) où l'on observe à la fois une demande croissante des couples, un manque de moyens et un important délai d'attente. "Pour ce DPI, il y a actuellement, à Paris, 288 couples qui attendent la consultation, ce qui signifie un délai d'attente de deux ans avant une prise en charge !", souligne-t-il.

Le récit de la double mastectomie d’Angelina Jolie

16 mai 2013

Sur la page d’accueil du Pink Lotus Breast Center, un message invite le visiteur à connaître les détails de la double mastectomie d’Angelina Jolie. C’est dans cet établissement médical de Beverly Hills, en Californie, que l’actrice américaine a été opérée, et le médecin qui l’a suivie, Kristi Funk, livre ici un récit détaillé de ses interventions. Il révèle également les médicaments multiples et les traitements que l’actrice a dû suivre après chaque opération, afin de réduire les risques d'infection, les nausées post-opératoires, l'enflure et les ecchymoses, ainsi que pour minimiser les cicatrices. On peut lire en guise de préambule : "Ce blog décrit les principales étapes de son traitement. Il est important de souligner que le cas de chaque femme est différent. La chirurgie ne sera pas forcément le bon choix pour tout le monde, et il existe des alternatives disponibles. Comme Angelina le dit dans sa tribune [publiée mardi par le New York Times], l'important est d'être conscient de vos options." Pas question pour le docteur Funk de verser dans le voyeurisme. Son billet vise au contraire, à travers le cas célèbre dont il s’est occupé, à donner des informations aux femmes porteuses des fameux gènes défectueux BRCA1 et BRCA2. Seule concession au glamour, ce commentaire : "Son partenaire [Brad Pitt] était sur place pour l'accueillir après la première anesthésie, comme il l'était lors de chacune des opérations." La double mastectomie s’effectue en effet en trois temps : la détection de potentielles cellules cancéreuses autour du mamelon, l’ablation des seins et la pose d’implants mammaires. Trois opérations pour réduire les risques de cancer de 87 à 5 %. Pour Angelina Jolie, la première intervention s’est déroulée le 2 février. Aucun signe de cancer n’est alors apparu. Quinze jours plus tard est survenue la mastectomie à proprement parler. Un chirurgien plastique a alors posé les tissus en vue de la reconstruction des seins. "Cette intervention supplémentaire permet de maximiser le flux sanguin de la peau du sein et du mamelon", explique le docteur Funk. Puis le 27 avril, Angelina Jolie a enfin reçu ses implants mammaires au cours d’une troisième et dernière opération, la "reconstruction", qui "s'est très bien passée, mettant un terme à son voyage chirurgical", écrit le docteur Funk. L’actrice est retournée travailler quatre jours après sa double mastectomie. Lors d’une visite de contrôle, le docteur Funk raconte que "tout le temps qu'elle parlait, six drains pendait à sa poitrine, trois de chaque côté, fixés à une ceinture élastique autour de sa taille". Ce billet de blog, intitulé "Le voyage d'une patiente : Angelina Jolie", a reçu l’approbation de la principale intéressée. Comme l'indique le Guardian, ce récit permet en effet aux femmes ayant comme elle un profil à risque de savoir à quoi s'attendre si elles optent pour une intervention chirurgicale plutôt que pour des analyses régulières et les médicaments préventifs.

La Cour suprême américaine a tranché : l'ADN humain ne peut être breveté

La séquence d'ADN n'est pas une invention mais "un produit de la nature", ont argué les juges. A l'inverse, les copies de synthèse de l'ADN peuvent faire l'objet de brevets.

Sylvain Cypel, 14 juin 2013

Il est peu fréquent qu'une décision de la Cour suprême américaine satisfasse les deux parties en litige. C'est pourtant ce qui est advenu, jeudi 13 juin. Soutenue par des organisations de médecins, de chercheurs, de malades, de personnes âgées et de défense des droits humains, l'Association de pathologie moléculaire aux Etats-Unis contestait devant la haute juridiction le brevetage par la société de biotechnologies Myriad Genetics du séquençage de deux gènes, le BRCA1 et le BRCA2, à l'origine de pathologies multipliant les risques de cancer du sein ou des ovaires.

C'est parce qu'elle en est porteuse que l'actrice Angelina Jolie a récemment indiqué avoir subi volontairement une double mastectomie. Myriad a déposé 9 brevets sur la base de sa découverte et exige de tout laboratoire le paiement de royalties pour travailler sur ces gènes. Les plaignants demandaient à la Cour de prohiber une pratique illégale portant atteinte à la recherche et restreignant l'accès des patients à la prévention. Le fond du débat a été traduit dans un échange entre Gregory Castanias, l'avocat de Myriad, et le juge John Roberts. "Une batte de base-ball n'existe pas sans avoir été isolée de l'arbre. C'est l'invention humaine qui décide où commence et où finit le bout de bois" servant à la fabriquer, a estimé le premier. Réponse du juge : "Il ne suffit pas de décider de couper le bois en deux endroits pour que la batte existe, il faut ensuite la créer."

LES PLAIGNANTS ONT SALUÉ CETTE DÉCISION

La séquence d'ADN à elle seule n'est donc pas une invention. C'est ce qu'ont affirmé les juges constitutionnels à l'unanimité. "Produit de la nature, un segment d'ADN ne peut faire l'objet d'un brevet pour la seule raison qu'il a été isolé", a écrit le rédacteur de l'arrêt, le juge Clarence Thomas. Et d'ajouter : "Myriad n'a ni créé ni altéré aucune information génétique encodée dans [ces deux] gènes." En d'autres termes, pas plus que d'autres éléments fondamentaux de la nature, l'ADN n'est l'objet d'une propriété intellectuelle. Les plaignants ont salué cette décision, qui annule le verdict d'une cour d'appel américaine qui avait donné raison à Myriad. Mary-Claire King, - cette généticienne de l'université de l'Etat de Washington qui a joué un rôle clé dans la découverte du fait qu'un gène défectueux peut augmenter le risque de cancer -, s'est réjouie. Grâce à la Cour suprême et à la mise en concurrence que sa décision va permettre, croit la scientifique, de nouveaux tests, "plus précis et moins coûteux ", seront sur le marché d'ici à deux ans. Actuellement, Myriad commercialise le test de dépistage environ 3 000 dollars (2 250 euros). En revanche, la Cour a estimé que les copies d'ADN (cDNA, pour "complementary DNA", ou encore "DNA like", selon la terminologie des chercheurs), qui sont des protéines de synthèse, constituent bien le résultat du travail de l'homme. N'étant "pas produites naturellement", elles peuvent être brevetées. Les adversaires du brevetage du génome, qui contestent cette vision, ont perdu sur ce point.

ÉCHEC POUR LE LOBBY DU SECTEUR BIOGÉNÉTIQUE

Ce faisant, la Cour a laissé aux firmes de biotech une grande marge de manœuvre scientifique et juridique, leur permettant d'espérer continuer de breveter des séquençages d'ADN ayant subi une modification mineure. Elle a aussi conforté la position adoptée jusqu'ici par l'administration Obama, mêlant refus du brevetage de l'ADN et acceptation pour les copies d'ADN. Myriad a estimé que la Cour avait "validé les méthodes de recherche pour [ses] brevets". Dans la présentation de son bilan annuel 2012, la société, pour rassurer ses investisseurs, avait écrit ceci : "Hormis les 15 plaintes qu'inclut cette procédure, 500 autres plaintes ont été déposées contre 24 de nos brevets (...) liés à nos tests" sur le risque de cancer. "Nous ne pensons donc pas qu'une seule plainte puisse avoir un impact défavorable sur notre société, même au cas où notre point de vue ne prévaudrait pas." L'agence financière Reuters a d'ailleurs évoqué une "victoire partielle" de la société de biotech, et Michael Yee, analyste spécialisé chez RBC Capital Markets, dans une note aux clients, a même vu dans l'arrêté de la Cour une "victoire fondamentale" de Myriad. Mais, pour la plupart des experts, la décision des juges est un échec pour le lobby du secteur biogénétique. Celui-ci a tout du long plaidé qu'une décision défavorable au brevetage, en effrayant les investisseurs, serait néfaste pour la santé d'une industrie qui pèse 90 milliards de dollars (67,5 milliards d'euros) aux Etats-Unis. Selon l'assureur United Health Group, les dépenses globales sur les tests d'ADN devraient passer de 5 milliards de dollars en 2010 à 25 milliards à la fin de la décennie.

Cancer, le douloureux héritage familial

La génétique médicale en est encore à ses débuts. Parmi les patients suivis, seuls deux sur dix en moyenne sont clairement identifiés comme prédisposés génétiquement.

Charlotte Chabas, 14 novembre 2012

Posée au bout d'un chemin où poussent quelques herbes folles, dans un petit village de Loire-Atlantique non loin de la mer, la maison semble tout juste sortie de terre. A l'intérieur, les poutres attendent encore un coup de peinture, quelques jouets éparpillés trahissent la présence d'enfants en bas-âge, la cuisine semble sortie des pages de papier glacé d'un magazine de décoration. Un foyer flambant neuf que Claire, travailleuse sociale de 30 ans, voulait "lumineux, ouvert, coloré""En contraste, peut-être", souffle la jeune femme en sirotant une tasse de thé à la violette.

Sur le mur de l'entrée, une série de portraits, parfois fanés par les années, rappelle l'histoire de cette famille touchée par "une malédiction". A 10 ans, Claire a vu mourir sa mère, 35 ans, d'un cancer du sein. Avant elle, sa grand-mère était morte à peu près au même âge, des mêmes symptômes. Une de ses tantes a également contracté la maladie il y a quelques années. Depuis, Claire a appris que ces drames n'étaient pas une coïncidence. Comme 5 % des cancers diagnostiqués, ceux-là étaient héréditaires, dus à la mutation du gène BRCA 1. "Un nom un peu barbare, agressif, froid comme la maladie", décrit la jeune femme, avec un sourire nerveux.

"CE SERA LE CANCER QUI EMPORTERA VOTRE FEMME"

A 28 ans, mariée depuis quelques mois, Claire a consulté un oncogénéticien, spécialiste de ces prédispositions aux cancers. Avec lui, elle trace son arbre généalogique aux branches mutilées par la maladie, et procède à un test génétique. Chaque parent porteur du gène muté a, en moyenne, un risque sur deux de le transmettre à ses enfants. Le diagnostic tombe : Claire est positive au BRCA 1, ses sœurs ne le sont pas. "Je me suis sentie très isolée, c'était comme si on m'annonçait que j'étais déjà malade", résume la jeune femme, dont le flot ininterrompu de paroles semble aider à contrôler son émotion. Les médecins préviennent son mari : "Ce sera le cancer qui emportera votre femme." Chez les personnes porteuses de la mutation, l'image est toujours la même. C'est une "épée de Damoclès" qui s'installe au dessus de leur tête, une "paranoïa" qui s'insinue dans le quotidien. "Je me palpais les seins sans arrêt, je croyais sentir des boules se former sous mes doigts", décrit Claire en mimant la scène. Dans son cas, un renforcement du suivi médical semble insuffisant. "Pour ma mère, les mammographies régulières n'avaient pas permis de détecter la maladie, elle est partie en quelques mois." Sa jeunesse inquiète également les médecins. A peine diagnostiquée, Claire apprend qu'elle est enceinte, et qu'elle accueillera quelques mois plus tard une petite fille. "Ça a été l'élément déclencheur : je ne voulais pas qu'elle grandisse sans mère, comme toutes les femmes de ma famille l'avaient fait."

ABLATION PRÉVENTIVE

En décembre 2009, soutenue par toute sa famille, Claire se fait opérer pour une mastectomie, une ablation préventive des deux seins. Un "non-choix" qui s'apparentait à "de la survie", selon elle. "C'était inimaginable pour moi d'attendre la maladie, de faire subir ça un jour à mes proches", continue-t-elle de marteler. Physiquement, les conséquences sont lourdes, et lui valent toujours des douleurs chroniques encore difficiles à gérer au niveau du dos et des bras. Et surtout, il y a cette nouvelle poitrine à appréhender. Plusieurs fois, sa fille lui a d'ailleurs fait la réflexion sous la douche : "Tes seins sont cassés maman." Sous sa blouse fleurie rehaussée d'un cache-cœur noir se devine ce creux, cette "enveloppe vide", comme elle la décrit, et qu'elle avoue dans un rire nerveux trouver "moche". Mais le sacrifice valait le coup, face à la menace. "Je ne me suis jamais appropriée ma poitrine, parce qu'elle a toujours été synonyme de mort dans ma famille, j'avais l'impression que ça allait me trahir", explique-t-elle.

"IL FAUDRA TOUT ENLEVER"

La prochaine étape sera une reconstruction mammaire pour Claire, qui a eu entre-temps une seconde petite fille. D'ici à dix ans, elle devra également songer à une ablation préventive de l'utérus, pour éviter un cancer de l'ovaire très pernicieux et encore mal soigné. "Il faudra tout enlever", anticipe déjà Claire, qui avoue être plus atteinte par cette perspective. "On dit souvent que la féminité, c'est les seins, mais pour chacune c'est différent. Ma féminité, je la mets plus dans mes ovaires, dans ma vie de femme et de mère." Avec les progrès de la génétique médicale, un nombre croissant de personnes sont confrontées aux mêmes questionnements. Selon les cancers, la composante héréditaire est plus ou moins importante, mais elle concerne surtout ceux du sein, de l'ovaire, de la prostate, du côlon et de mélanomes. Concernant la mutation BRCA 1, on estime actuellement qu'une femme sur 500 est porteuse, et a huit risques sur dix de développer un cancer du sein au cours de sa vie. En 2008, plus de 30 300 consultations d'oncogénétique ont eu lieu en France, selon l'Institut national du cancer. Un chiffre en constante évolution, avec le développement notamment des métiers de la génétique et des investissements publics importants pour proposer des services spécifiques.

"ON PEUT DIMINUER LES RISQUES, MAIS PAS LES SUPPRIMER"

Depuis vingt-cinq ans, Sylviane Olschwang, oncogénéticienne à l'Institut Paoli Calmettes de Marseille, travaille sur ces questions de prédisposition. Elle conçoit sa discipline comme "la chance d'identifier les personnes à risque réel et de leur proposer un dépistage adapté." Car l'ablation préventive reste la solution "la plus extrême", selon Sylviane Olschwang, qui espère pouvoir "augmenter le nombre de patients vus avec les méthodes les moins invasives possibles." Dans la plupart des cas, l'enjeu est souvent d'accompagner au plus près les personnes à risque pour prendre en charge le plus tôt possible le patient une fois son cancer déclaré. Mais derrière ce processus se cache tout de même un enjeu éthique de taille : quel droit avons nous à anticiper une maladie ? Après son opération, Claire est passée par une courte période de dépression. Derrière cette angoisse, le sentiment d'avoir "cassé quelque chose par rapport au destin", d'avoir "rompu la spirale morbide" qui avait condamné les autres femmes de sa famille.

Pour François Eisinger, oncogénéticien à l'Institut Paoli Calmettes, la question de l'anticipation est d'autant plus problématique que nous vivons dans "une société 'risquophobe'", où les gens sont habitués à avoir des réponses immédiates à leurs maux. "Or, il ne faut jamais oublier qu'on peut diminuer les risques, mais pas les supprimer", explique-t-il. Un constat d'autant plus vrai que la génétique médicale en est encore à ses débuts, et qu'elle est loin de lever le voile sur la complexité de la maladie. Parmi les patients suivis, seuls deux sur dix en moyenne sont clairement identifiés comme prédisposés génétiquement, les autres ne repartent qu'avec une évaluation du niveau de risques. Le suivi médical pour ces personnes "relève alors simplement d'une logique de sécurité, comparable au port du casque sur un chantier. On se protège parce qu'il y a un risque que quelque chose nous tombe dessus", résume François Eisinger.

LUTTER CONTRE LE SENTIMENT D'URGENCE

Mais parvenir à rationaliser une maladie qui reste de l'ordre du virtuel reste un processus difficile. J'étais "comme un cheval au galop", se souvient Véronique, 45 ans, qui a opté pour la mastectomie après avoir appris qu'elle était positive au BRCA 1. Un sentiment d'urgence qui s'explique par ce doute constant, le sentiment "d'avoir une bombe entre les mains" et la "culpabilité" de la transmettre à ses quatre filles. C'est alors à l'équipe médicale "d'agir comme un garde-fous, et de remettre les choses dans le contexte, face à l'énormité de la maladie", explique Sylvie Dolbeault, chef de service de l'unité psycho-oncologie de l'Institut Curie. Ces "garde-fous", encore faut-il les trouver. Malgré des campagnes de sensibilisation de plus en plus importantes, l'existence des oncogénéticiens reste encore pour beaucoup de l'ordre de l'inconnu, y compris dans le corps médical. C'est le constat fait par Martine Carret, qui a tiré un livre de son expérience, Cancer ? Même pas peur ! A 44 ans, avec une tumeur de 3 centimètres indétectable par mammographie ou échographie, elle a dû se battre pour se rendre chez un oncogénéticien, alors que les médecins lui disaient qu'elle n'avait rien. "Je le sentais, j'en étais sûre", répète-t-elle encore aujourd'hui. Positive au BRCA 1, elle prévient alors les femmes de sa famille qu'elles peuvent être concernées par la maladie. La réaction des gynécologues de ses cousines la surprend : "Vous ne risquez rien. Il n'y a pas de transmission possible par le père. Revenez me voir à 50 ans !" L'information est fausse. "Nous avons réussi à les faire suivre uniquement parce que je connaissais le processus", explique Martine Carret. Après avoir lutté contre son cancer, elle s'est depuis trouvée une nouvelle cause à défendre : mettre en lumière toutes ces femmes "qui sont mortes parce que leur gynéco de quartier leur a dit qu'elles étaient paranoïaques". En 2011, lors d'une audition devant le Sénat, elle raconte notamment l'histoire de Marie, 41 ans. En 2010, alors que treize femmes de sa famille, y compris sa sœur jumelle, avaient contracté un cancer du sein, son médecin lui dit de repartir chez elle alors qu'elle sentait une masse dans son sein droit. "Certains médecins de nos jours ont trop souvent le terme 'psychosomatique' au bout de leur diagnostic et mettent des vies en danger", explique-t-elle. Martine Carret renchérit : "On critique beaucoup le surdiagnostic en matière de cancer du sein, mais pourquoi personne ne parle de sous-diagnostic ? Pour une seule femme qui se dirige vers un oncogénéticien, combien sont perdues dans le système ?" Malgré de nombreuses études sur le sujet, ce chiffre reste impossible à déterminer.

Prévenir les risques de second cancer

Un rapport publié lundi 16 décembre préconise de repérer les malades susceptibles de déclarer une nouvelle tumeur et de les aider, par exemple, à arrêter de fumer.

 Sandrine Cabut, 16 décembre 2013

Pour certains malades, cela ressemble à une double peine : un premier cancer, suivi quelques années ou des décennies plus tard par un second, qui n’est ni une métastase ni une récidive. Mais cette succession de tumeurs, sur le même organe ou non, peut souvent s’expliquer : soit par la persistance d’un comportement à risque, en premier lieu le tabagisme ; soit par d’autres facteurs, telles une prédisposition génétique ou l’utilisation de certains traitements pour soigner le premier cancer. Dans un rapport rendu public lundi 16 décembre, l’Institut national du cancer (INCa) fait le point sur les risques associés à ces « seconds cancers primitifs » (SCP) de l’adulte, afin de mieux les prévenir.

Le sujet est loin d’être anecdotique. En France, 3 millions de personnes ont ou ont déjà eu un cancer. Les experts français ont analysé la littérature internationale. Premier constat : le risque moyen de SCP après un premier diagnostic de cancer chez l’adulte apparaît « légèrement plus élevé » que le risque de cancer dans la population générale. Mais ce sur-risque est plus élevé dans certaines situations. Selon une étude américaine du National Cancer Institute, 14 % des patients ont développé un second cancer primitif vingt-cinq ans après le premier diagnostic.

PLUS LE PATIENT EST JEUNE,  PLUS LE RISQUE EST ÉLEVÉ

« L’objectif n’est pas d’alarmer, prévient d’emblée le professeur Agnès Buzyn, présidente de l’Institut national du cancer. La plupart des chiffres de ce rapport doivent d’ailleurs être relativisés, car ils proviennent d’études anglo-saxonnes déjà anciennes. Aujourd’hui, les protocoles de traitement ont pris en compte les risques de deuxième cancer, et il y a eu une désescalade thérapeutique pour les minimiser. » La plupart des malades qui ont guéri d’un cancer peuvent se considérer comme « vraiment guéris », poursuit la présidente de l’INCa, « mais certains méritent une attention particulière, qu’il s’agisse du suivi ou de mesures de prévention ».

D’abord, l’âge au moment du premier diagnostic est « un facteur de risque majeur de SCP. Plus le patient est jeune, plus le risque de développer un SCP est élevé », écrivent les experts. En cause, « une sensibilité importante aux traitements anticancéreux et/ou la possible existence d’une susceptibilité particulière au cancer ». Le professeur Agnès Buzyn souligne cependant que les cancers de l’enfant sont très rares, et que, avant même que cela soit proposé chez les adultes, les protocoles thérapeutiques ont eu tendance à s’alléger, ce qui permet de réduire les risques pour les patients traités ces dernières années.

SUSCEPTIBILITÉ GÉNÉTIQUE

Ensuite, le risque de second cancer primitif « dépend fortement de la localisation du premier cancer diagnostiqué ». Les tumeurs de la cavité buccale ou du pharynx, le lymphome de Hodgkin ou encore les cancers du larynx sont les localisations où le risque relatif de second cancer est le plus élevé, selon les données américaines. La succession de cancers peut être aussi le fait d’une susceptibilité génétique, comme une mutation du gène BRCA1 ou BRCA2 qui prédispose aux tumeurs du sein et de l’ovaire. Les effets cancérigènes de certains traitements anticancéreux, telle la radiothérapie, peuvent également être en cause. « Les tumeurs solides liées à l’irradiation n’apparaissent que très rarement dans les dix premières années suivant l’exposition. Le risque augmente avec le temps », précise l’INCa. Le lien entre l’utilisation de certaines chimiothérapies et la survenue de leucémies aiguës est aussi bien documenté.

LE DIAGNOSTIC, MOMENT PROPICE AUX CHANGEMENTS DE COMPORTEMENT

Enfin, le rapport de l’Institut du cancer insiste sur le rôle important des comportements individuels : alcool, obésité, sédentarité, mais surtout cigarette. « Le tabac est responsable de 30 % de la mortalité par cancer, et il est impliqué dans 17 localisations cancéreuses, martèle Agnès Buzyn. Au moment d’un premier cancer, les recommandations de sevrage tabagique ne sont pas systématiquement abordées par les médecins, qui ne veulent pas embêter leur patient. Mais les études disponibles montrent que l’annonce d’un diagnostic de cancer peut être un moment propice aux changements de comportements. L’arrêt du tabac doit être proposé dès la mise en route d’un traitement contre le cancer, et poursuivi à long terme. » C’est aussi le cas pour d’autres moyens de prévention comme la pratique d’une activité physique et la réduction de la consommation d’alcool.

La futurologie médicale est une urgence éthique

Laurent Alexandre, 12 mai 2014

Nous allons bientôt connaître la totalité des prédispositions génétiques des bébés. Grâce à l’effondrement du coût du séquençage ADN, un diagnostic génomique complet est déjà possible très tôt dans la grossesse à partir d’une simple prise de sang chez la mère. Il est inéluctable que ce séquençage remplace l’amniocentèse, technique beaucoup plus risquée, qui entraîne une fausse couche dans 0,5 à 1 % des cas. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) vient d’ailleurs de recommander aux pouvoirs publics d’accepter le séquençage prénatal par prélèvement sanguin maternel qui ne présente aucun risque pour la mère et le bébé. Il a toutefois souligné que la possibilité de lire tout le patrimoine génétique du bébé – au lieu de ne dépister que les trisomies – allait poser des questions éthiques majeures.  En effet, le séquençage intégral de l’ADN de l’enfant va bouleverser notre rapport à la procréation puisque des milliers de maladies pourront être dépistées systématiquement pendant la grossesse. Aujourd’hui, 97 % des trisomiques dépistés sont avortés. Ferons-nous demain différemment avec les autres pathologies alors que le désir de l’enfant parfait habite la plupart des parents ? Il est hautement probable que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) sera privilégiée dans un nombre élevé de prédispositions génétiques. L’encadrement de cette technique sera d’autant plus difficile que le séquençage prénatal, contrairement à l’amniocentèse, se pratique en début de grossesse, période où l’IVG est totalement libre.

Nous dévalons le toboggan eugéniste sans débat philosophique. Certains parents avortent déjà leurs bébés présentant une mutation des gènes BRCA1-2 qui indique une forte probabilité (70 % et 40 %) de développer à l’âge adulte un cancer du sein ou des ovaires. Indépendamment de toute considération morale, ce choix est irrationnel : il est très probable que le cancer du sein sera contrôlé en 2040 ou 2050. Autre exemple, la mutation du gène LLRK2 entraîne deux risques sur trois de développer la maladie de Parkinson, qui débute rarement avant 40 ans. Un enfant dépisté en 2015 pour cette mutation ne serait pas malade avant 2055. La décision d’interrompre une grossesse doit être prise non pas en fonction de la gravité de la maladie en 2015, mais à l’époque où la maladie toucherait l’enfant.

Voilà médecins et parents confrontés à un pari technologique : comment va évoluer la prise en charge des pathologies dans les décennies qui viennent ? Telle maladie sera-t-elle encore mortelle en 2030, 2040 ou 2060 ? Aucune structure médicale ne maîtrise la prospective à aussi long terme et le corps médical n’y a jamais réfléchi. Pourtant, il est crucial de former les médecins à la prospective technologique sauf à accepter l’avortement de nombreux bébés qui grâce aux progrès de la médecine pourraient facilement être traités dans le futur. Le CCNE pourrait structurer cette démarche. Son président, le professeur Jean-Claude Ameisen, cumule une expertise en génétique, une grande humanité et une remarquable vision prospective. Des compétences nécessaires pour ce sujet sensible qui, s’il n’est pas traité rapidement, risque de condamner, dans le silence des laboratoires et sans débat éthique, des milliers d’enfants chaque année en France.


Dominique Stoppa-Lyonnet, militante en gène-éthique

Chef du service génétique oncologique à l’Institut Curie, la chercheuse s’est battue dix ans contre la brevetabilité du génome.

Sandrine Cabut, 23 décembre 2013

On peut être une chercheuse brillante, première auteure d’un article dans le New England Journal of Medicine avant même la fin de son internat de médecine, et une femme engagée qui partage la vedette avec Angela Merkel et la résistante birmane et Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi dans un dossier du magazine Vogue Paris consacré aux « battantes ». Découverte par le public en 2001, quand elle est partie en guerre contre Myriad Genetics, une firme américaine qui voulait imposer un monopole sur des tests de susceptibilité aux cancers du sein et de l’ovaire, Dominique Stoppa-Lyonnet a vécu l’épilogue heureux de son combat pour la non-brevetabilité du génome, en juin, avec la décision de la Cour suprême américaine d’invalider les brevets sur les gènes, « produits de la nature » (« Science & médecine » du 3 juillet). A 57 ans, la généticienne fait ses premiers pas en politique, suppléante depuis juin 2012 de François Fillon, député de la 2circonscription de Paris. Mais, au quotidien, cette fidèle de l’Institut Curie (elle y est entrée en 1989, comme interne en cancérologie après une thèse en génétique), qui dirige le service d’oncogénétique, reste un médecin de famille. De ceux qui lisent dans les arbres généalogiques et l’ADN les risques de cancers. Son mari, Stanislas Lyonnet, lui aussi généticien, étudie les malformations congénitales.

PLUS DE 110 SITES DE CONSULTATIONS D’ONCOGÉNÉTIQUE SONT RECENSÉS EN FRANCE

« A l’heure où, en génétique, la frontière entre la recherche et la clinique tend à s’amenuiser, avec tous les risques d’expérimentation sauvage que cela comporte, Dominique a su garder les grands principes de la distinction entre les deux, dit Ségolène Aymé, généticienne et fondatrice d’Orphanet (portail des maladies rares). Elle a organisé son service pour être au plus près du savoir de la science, tout en respectant les individus, leur désir de savoir ou non… » Une journée passée à ses côtés suffit à s’en convaincre, la professeure Stoppa-Lyonnet sait écouter et s’entourer. Sans jamais renoncer à ses valeurs. Ses consultations consacrées aux formes familiales de tumeurs, dont elle a été l’une des pionnières en France il y a une vingtaine d’années, sont ouvertes aux patients mais aussi, à sa demande, à des juristes et des philosophes… « Ils nous ont aidés à réfléchir, à structurer cette activité », raconte la généticienne, qui a aussi compris très tôt la nécessité des bases de données informatisées pour la recherche. Deux décennies plus tard, le service de génétique oncologique de Curie (70 personnes) est toujours à la pointe des travaux dans ce domaine. Et plus de 110 sites de consultations d’oncogénétique sont recensés en France. Dix mille personnes sont testéés chaque année, à la recherche de mutations BRCA1 et BRCA2. Ces anomalies présentes chez un individu sur 400 multiplient par cinq à dix les risques de cancer du sein, par dix à cinquante celui de l’ovaire.

« MAUVAIS GÈNE »

Le dispositif est bien organisé, mais la tâche toujours délicate. Comment annoncer à une patiente à peine remise d’un cancer du sein qu’il faudrait intensifier la surveillance et lui enlever préventivement les ovaires, parce qu’elle a un « mauvais gène » ? Comment lui dire, sans la culpabiliser, qu’elle a pu le transmettre à ses filles, qu’il faut aussi tester ? Avant chaque consultation, Mme Stoppa-Lyonnet se plonge dans le dossier, vérifie les résultats. « Il faut être obsessionnel », sourit-elle. Prendre le temps des mots aussi. Les siens sont rodés mais sonnent juste, ne cherchent pas à masquer des incertitudes. Car l’oncogénétique reste une discipline en devenir : l’inventaire des gènes de prédisposition aux cancers n’est pas terminé, et les chercheurs ne cessent d’affiner l’individualisation des risques. Sans compter les nouvelles indications de ces tests génétiques pour prédire l’efficacité des traitements anticancéreux (alors appelés tests compagnons). Une évolution qui risque de faire exploser les demandes, et de reposer l’épineuse question de la propriété intellectuelle. « La décision de la Cour suprême a restauré en partie le domaine public, mais nous sommes sur la brèche pour les tests compagnons », s’inquiète la chercheuse.

THÉRAPIES CIBLÉES

C’est le cas pour les inhibiteurs de PARP, des thérapies ciblées, à l’étude dans des cancers du sein et de l’ovaire, et qui semblent plus efficaces en cas de mutation BRCA1 ou BRCA2. « Si ces médicaments sont mis sur le marché, Myriad, qui effectue les tests génétiques dans le cadre des essais cliniques, va exercer un lobbying terrible pour signer un partenariat avec leurs fabricants », prévoit-elle. Une hypothèse « inacceptable ». Comme quand cette même firme américaine de biotechnologie avait affiché ses ambitions de monopole mondial sur les tests BRCA 1 et 2. Révoltée contre le principe d’exclusivité d’une société privée et ses possibles conséquences (en termes financiers, mais aussi de recherche), et forte d’une étude de son équipe montrant que les méthodes de séquençage industriel de Myriad pouvaient être prises en défaut, Dominique Stoppa-Lyonnet s’était lancée dans une procédure d’opposition auprès de l’Office européen des brevets, en 2001. « Elle est partie seule, la fleur au fusil, avec une énergie incroyable, puis d’autres acteurs se sont ralliés au combat de Curie », raconte Catherine Goupillon, du service presse de l’Institut, qui n’a rien oublié de cette aventure d’une décennie : le travail acharné de la généticienne avec les juristes, les centaines d’interviews, l’euphorie quand l’Office européen des brevets a « cassé » le brevet de Myriad en 2004… Dix ans plus tard, Mme Stoppa-Lyonnet est « toujours heureuse dans son service », mais a « envie de construire autre chose, de s’impliquer davantage dans les réflexions sur la santé et la précarité ». Après deux mandats au comité d’éthique (le maximum), elle s’est lancée en politique, avec François Fillon. De la gène-éthique à la pol-éthique ?

 
Médecine prédictive : « Nous ne sommes qu’au début de cette exploration »

Quatre questions à Dominique Stoppa-Lyonnet, chef du service de génétique de l'Institut Curie et professeure de génétique à l'université Paris-Descartes.

Chloé Hecketsweiler, 18 août 2014

La médecine « personnalisée » est le grand champs ouvert par les nouvelles techniques de séquençage du génome. L'espoir est que la lecture et l'interprétation de plus en plus précise des informations contenues dans nos gènes permettront de mieux comprendre les mécanismes des maladies, de mieux les traiter et de les prévenir. Quand il s'agit d'estimer un risque chez une personne indemne d'une maladie donnée, on parle alors de « médecine prédictive ». Le cancer est l'un des domaines où l'augmentation des capacités de séquençage est en train de changer la donne.

Quatre questions à Dominique Stoppa-Lyonnet, chef du service de génétique de l'Institut Curie et professeure de génétique à l'université Paris-Descartes.

Que savons-nous de l'origine génétique des cancers ?

Tous sont le résultat d'une série d'altérations génétiques et épigénétiques. Le plus souvent, celles-ci ne sont pas héritées, mais acquises au fil de la vie (exposition aux mutagènes, vieillissement). Grâce aux nouvelles technologies de séquençage, nous pouvons explorer à grande échelle les mécanismes à l'origine de la transformation d'une cellule saine en cellule tumorale. Ici, ce n'est pas le génome de la personne qui est étudié, mais celui de sa tumeur.

Comment cela va-t-il changer la manière dont on soigne le cancer ?

L'idée est d'identifier des sous-groupes de malades dont les caractéristiques tumorales et la réponse aux médicaments sont semblables. L'identification de leurs caractéristiques génétiques communes permettra de leur proposer un traitement « personnalisé » : nous privilégierons certaines molécules et nous éliminerons d'emblée celles qui n'ont pas d'effet, voire sont toxiques. Nous sommes déjà en mesure de le faire pour certaines mutations bien identifiées comme celle qui affecte le gène HER2 – présent dans 15 % des cancers du sein – mais nous n'en sommes qu'au début de cette exploration. Le défi à venir est de concevoir de nouveaux médicaments adaptés à ces cibles.

Pourra-t-on davantage prévenir cette maladie ?

Nous entrons ici dans le domaine de la médecine prédictive : certaines caractéristiques génétiques constituent un facteur de risque de maladies données. N'oublions pas cependant qu'un grand nombre de facteurs de risque n'ont rien de génétique.

Concernant les prédispositions aux cancers, on retient aujourd'hui que 5 % à 10 % de la plupart des cancers fréquents (sein, côlon, ovaire, endomètre…) sont liés à un facteur génétique, en général hérité de l'un des deux parents. C'est se sachant porteuse d'une altération du gène BRCA1 qu'Angelina Jolie a choisi de subir une chirurgie mammaire de prévention. Le grand challenge est d'estimer des risques individuels les plus précis possibles en combinant données de séquençage et données cliniques. Des études d'épidémiologie génétique de grande ampleur sont nécessaires, d'où la création de grands consortiums internationaux pour explorer une maladie donnée ou pour appréhender l'ensemble de la médecine prédictive. Citons la Global Alliance for Genomics and Health, créée en 2013 et dont Illumina est partenaire.

Quelles sont les limites des tests génétiques prédictifs ?

Dans de nombreux cas, ils révèlent une augmentation du risque, mais ne permettent pas de dire si une personne donnée va ou non développer avec certitude un cancer et quand. Lorsque l'on dit que l'altération de certains gènes est associée à un risque élevé de cancer, il s'agit d'une moyenne. Aujourd'hui, tous les efforts doivent être portés pour établir des risques individuels précis. Il est à mon sens trop tôt pour pratiquer des tests de prédisposition dans la population générale. Il y a un risque de se tromper et de prise de décisions inappropriées, notamment en terme de chirurgie préventive. Il faudra en parallèle apprécier le retentissement psycho-social de cette médecine « à risque ».

Le business en or de l'ADN

Il faudra des années pour percer le secret de ces données et en mesurer la dimension éthique, mais déjà le marché des tests génétiques s'envole.

Chloé Hecketsweiler, 1 septembre 2014

In the future, your DNA will be your data. » « A l'avenir, votre ADN sera vos données. » Depuis deux ans, ce slogan de la banque HSBC accompagne les passagers dans les aéroports de monde entier. Au-dessous du slogan, la photo d'un index dont l'empreinte digitale a été remplacée par un code-barres en deux dimensions (ou QR code) qui peut être scanné au moyen d'un smartphone. Un scénario futuriste ? Au contraire ! Après quelques jours passés à San Diego, l'une des capitales américaines des sciences de la vie, cette publicité paraît presque désuète au voyageur. Car ici, l'ADN est une donnée comme les autres : on la décrypte, on l'analyse, on la partage, et, bien sûr, on la vend.

Ce qui était inimaginable il y a quelques années est devenu réalité grâce à l'effondrement spectaculaire du coût du séquençage. En 2014, on peut décrypter un génome humain pour 1 000 dollars (760 euros), contre 100 millions de dollars il y a une décennie. Mieux, quelques heures suffisent pour lire les milliards de « lettres » qui constituent notre patrimoine génétique et qui sont en quelque sorte le mode d'emploi de notre corps. Que nous révèle cette succession de A, T, C, et G, ces lettres qui s'assemblent par paires pour tricoter l'ADN ? Permettent-elles de prédire notre avenir ? La génétique est-elle la médecine du XXIe siècle ?

Alors que les scientifiques esquissent à peine les premières réponses, start-up et grands labos sont dans les starting-blocks. En 2014, le marché du séquençage et des tests génétiques pèse déjà 20 milliards de dollars avec des applications qui ne cessent de s'étendre. Dépistage de maladies héréditaires, profilage des tumeurs, recherche d'ancêtre, identification d'un criminel : l'ADN est partout le nerf de la guerre. Voyage au coeur de ce monde à la croisée de la science, du business et de l'éthique.

« GOOGLE DE L'ADN »

Le point de départ se trouve sur la Côte ouest des Etats-Unis. Nous sommes à La Jolla, le coeur scientifique de San Diego. Ici, le géant des télécommunications Qualcomm côtoie de prestigieux centres de recherche comme le Salk Institute, et les start-up se bousculent pour louer quelques précieux mètres carrés sous les pins et les embruns du Pacifique. C'est là qu'est né il y a quinze ans Illumina. Inconnue du grand public, cette société est le leader mondial du séquençage : ses robots ultrasophistiqués équipent les labos du monde entier, ses tests génétiques ont conquis les médecins aux Etats-Unis. Ce petit empire pèse déjà 25 milliards en Bourse, pour un chiffre d'affaires de 1,4 milliard de dollars en 2013. Et ce n'est qu'un début pour ce « Google de l'ADN ». En janvier, Illumina a lancé une toute nouvelle machine baptisée HiSeq X Ten, capable de décrypter un génome en moins de vingt-quatre heures pour un coût unitaire inférieur à 1 000 dollars. Cette technologie permettra de passer au crible des populations entières afin d'identifier les composantes génétiques de maladies comme le cancer. Une mine d'or pour les chercheurs et les groupes pharmaceutiques !

Fin août, Illumina a ainsi annoncé avoir signé des accords avec le laboratoire pharmaceutique français Sanofi, le britannique AstraZeneca et l'américain Johnson & Johnson. Objectif : développer un test unique permettant de renseigner le médecin sur le profil génétique de la tumeur et l'aider à choisir le meilleur cocktail de médicaments. A ce jour, 125 gènes pouvant avoir un rôle dans la genèse ou le développement des cancers ont été identifiés. « Le nombre de thérapies ciblées est encore limité, mais la majorité des 800 anticancéreux actuellement en développement visent des mutations spécifiques. Il y aura donc une demande croissante pour des tests de diagnostics adaptés », a expliqué Illumina. Autre champ prometteur pour les géants de la pharmacie : la pharmacogénomique. Aujourd'hui, de nombreux médicaments sont rejetés par les autorités de santé en raison du manque d'efficacité ou des effets secondaires constatés chez des patients. Or, cette variabilité de la réponse s'explique parfois par le profil génétique des patients. Si l'industriel découvre ce lien et met au point un test qui permet de « trier » les patients, il pourra décrocher une autorisation de mise sur le marché qui lui aurait été refusée sans cela.

MÉDECINE « SUR MESURE »

Revers de la médaille, certains médicaments largement prescrits, comme les statines (utilisées couramment pour traiter l'excès de cholestérol), pourraient voir leur indication restreinte. « Chez un patient sur deux cents, leur consommation induit du diabète », constate Eric Topol, l'une des stars de la génétique aux Etats-Unis et professeur au très prestigieux Scripps Research Institute de San Diego. « A l'échelle des Etats-Unis, où environ 20 millions de personnes consomment des statines, cela représente 100 000 cas de diabète induits. La génétique nous permettrait d'identifier ces patients à risque, mais les laboratoires ne font rien ! », s'agace-t-il.

Auteur d'un livre à succès, The Creative Destruction of Medicine, « la destruction créatrice de la médecine » (Basic Books, 2012), il souligne les limites des essais cliniques. « A l'ère de la génétique et des big data, il n'est plus acceptable d'avoir des molécules qui ne marchent que chez la moitié des patients, ou dont les effets secondaires outrepassent les bénéfices », précise cet excellent orateur, aussi à l'aise dans sa blouse blanche que dans son costume de conférencier. Dans sa croisade pour une médecine « sur-mesure » fondée sur le profil génétique des patients, il a un allié : Craig Venter. Son quartier général n'est situé qu'à quelques minutes du Scripps Research Institute, en empruntant l'élégante Torrey Pines Road. Pionnier de la génétique et homme d'affaire avisé, il a créé cette année Human Longevity, Inc., une start-up qui tente de percer les secrets de la longévité et de la bonne santé. Comment ? En séquençant le génome de dizaines de milliers de personnes et en les analysant grâce à des algorithmes surpuissants. « Ces informations auront une grande valeur pour les laboratoires », assure Craig Venter, qui a déjà acquis deux robots de séquençage low cost auprès d'Illumina (à 10 millions de dollars l'unité !). Depuis le début de l'année, ces initiatives destinées à faire parler nos gènes se multiplient. Le 1er août, le Royaume-Uni a annoncé un investissement de 300 millions de livres (378 millions d'euros) dans Genomic England, un projet destiné à séquencer le génome de 100 000 citoyens d'ici à 2017. Une semaine plus tard, l'Islande a donné son feu vert à un groupe pharmaceutique qui demande à plus de 100 000 habitants de l'île de fournir anonymement leur ADN pour les besoins de sa recherche. Cette campagne a été lancée par deCODE Genetics, filiale du groupe américain de biotechnologies Amgen, dont la base de données compte déjà 120 000 profils génétiques d'Islandais.

L'EFFET ANGELINA

Ces études, qui requièrent d'impressionnantes capacités de calcul et de modélisation, ne livreront pas leurs secrets avant plusieurs années. Mais le peu que l'on sait vaut déjà de l'or. Outre-Atlantique, les tests génétiques sont en passe de remplacer le stéthoscope dans le cabinet du médecin. Le plus prescrit cible les mutations des gènes BRCA1 et BRCA2, qui sont associées à un risque accru de développer un cancer du sein ou de l'ovaire. Il a été popularisé par l'actrice Angelina Jolie, qui en a bénéficié, et a choisi à la suite de ce test de subir une double ablation des seins. Suivant son exemple, de nombreuses femmes y ont désormais recours. Un progrès indéniable pour les patientes à risque (celles qui ont dans leur famille plusieurs cas de cancer du sein par exemple). Mais parfaitement inutile dans la majorité des cas. Car les mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 sont extrêmement rares (environ une femme sur mille) et ne sont impliqués que dans 5 % à 10 % des cancers du sein. L'effet Angelina, comme le titrait le Time en « une » de son édition du 27 mai 2013, est donc surtout une bonne affaire pour les laboratoires qui commercialisent ces tests. Le plus gros s'appelle Myriad. Cette entreprise installée à Salt Lake City (Utah) a été cofondée en 1991 par Mark Skolnick, un pionnier de la bio-informatique, qui fut parmi les premiers à explorer l'influence des gènes BRCA1 et BRCA2 et à les séquencer. C'est sur la base de ses découvertes que Myriad a lancé, au milieu des années 1990, le premier test de prédisposition aux cancers du sein et de l'ovaire. Depuis, le portefeuille de Myriad n'a cessé de s'étoffer et ses ventes de s'envoler. En 2013, elles ont ainsi atteint 613 millions de dollars, soit le double d'il y a quatre ans, en 2009. Chaque test est commercialisé autour de 2 000 dollars. Pour protéger son monopole sur ce test de prédisposition, Myriad n'a pas hésité à breveter les séquences identifiées par ses scientifiques. Cette « privatisation » de l'ADN a toutefois été invalidée en juin 2013 par la Cour suprême des Etats-Unis, qui a jugé que « l'ADN produit naturellement est un produit de la nature et n'est pas éligible pour un brevet simplement parce qu'il a été isolé ».

TERRAIN GLISSANT

Depuis ce jugement, les tests concurrents se multiplient. Au début du mois de juin, Pathway Genomics a ainsi lancé le sien, baptisé BRCATrue. Emballage rose et marketing soigné, il pourrait devenir l'un des best-sellers de cette start-up fondée en 2008 à San Diego. « C'est un marché à 1 milliard de dollars », s'enthousiasme Ardy Arianpour, directeur de la stratégie, installé dans un bureau en verre design, à l'image du siège flambant neuf de la société. Il a déjà dans sa mallette toute une panoplie de tests dits « de prédisposition », qui évaluent le risque pour un individu de développer un cancer ou une maladie cardio-vasculaire. Cette appréciation s'accompagne de conseils (activité physique, nutrition) et de médicaments auxquels le patient est susceptible de répondre. « Tous ces résultats sont fondés sur la littérature scientifique, et nos tests sont prescrits par des médecins », souligne Ardy Arianpour. Prudent, il sait que le terrain est glissant. Fin 2013, son concurrent 23andMe s'était fait taper sur les doigts par la Food and Drug Administration (en charge des autorisations de mise sur le marché) pour avoir directement ciblé les consommateurs. Depuis, cette compagnie créée par Anne Wojcicki (la femme de Sergey Brin, un des fondateurs de Google) s'est rabattue sur un autre créneau, très lucratif et moins risqué : la recherche d'ancêtres…

Angelina Jolie a subi une ablation préventive des ovaires

L'actrice avait subi il  y a deux ans une double masectomie en raison d'un risque élevé de développer un cancer lié à la présence d'un gène défectueux.

Le Monde.fr avec AFP, 24 mars 2015

Dans une lettre ouverte publiée dans le New York Times et intitulée « Diary of a surgery » (« journal d'une intervention chirurgicale »), l'actrice américaine Angelina Jolie a annoncé mardi 24 mars avoir subi l'ablation préventive des ovaires et des trompes de Fallope par crainte du cancer. La star de Hollywood avait subi il y a deux ans une double mastectomie afin de prévenir un risque élevé de développer un cancer en raison de la présence d'un gène défectueux dont elle est porteuse et l'avait également annoncé dans une tribune en mai 2013 au New York Times « My medical choice ». Un choix radical qui avait poussé de nombreuses femmes à un dépistage. La star de Hollywod précise qu'elle s'est préparée depuis longtemps à cette intervention, et souligne qu'elle a pris cette décision parce qu'elle est porteuse d'un gène appelé BRCA1 qui l'expose à un risque de 50 % de développer un cancer ovarien. « Il n'est pas facile de prendre ce genre de décision, a-t-elle reconnu. Mais il est possible de prendre le contrôle et de s'attaquer à l'avance à un enjeu pour la santé. » Cette ablation des ovaires implique une ménopause précoce pour l'épouse de Brad Pitt, âgée de 39 ans. « Je n'ai pas fait cela simplement parce que je suis porteuse du gène BRCA1, mais parce que je veux alerter les autres femmes », écrit l'ambassadrice de bonne volonté du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) dans sa lettre au New York Times. « Etre porteuse du gène BRCA ne veut pas dire qu'il faut se précipiter vers la chirurgie », ajoute Angelina Jolie, mais « dans mon cas, les médecins que j'ai consultés d'est en ouest étaient d'accord pour dire que l'ablation des ovaires et des trompes était la meilleure décision », car « trois femmes de ma famille ont succombé au cancer », a-t-elle rappelé. « Ma mère a eu un cancer des ovaires à l'âge de 49 ans et j'en ai 39 », a ajouté l'actrice, dont la mère est morte à l'âge de 56 ans de ce cancer ovarien.

Cancer du sein : prévenir le risque in vitro

Un diagnostic préimplantatoire lié à une mutation du gène BRCA1 vient d’être autorisé en France.

Sandrine Cabut, 11 juin 2015

C’est une première en France. Un couple dont la femme est porteuse d’une mutation du gène BRCA1 – prédisposant aux cancers du sein et de l’ovaire – a été autorisé à bénéficier d’un diagnostic préimplantatoire (DPI). Une technique permettant de sélectionner un embryon indemne d’une atteinte génétique avant sa réimplantation dans l’utérus. Ce cas a été évoqué au premier congrès de la Société française de médecine prédictive et personnalisée, qui s’est tenu à Montpellier les 12 et 13 juin. « Le centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal et le comité pour le DPI ont donné un avis favorable, et la procédure médicale a commencé », précise le professeur Pascal Pujol, président de cette société savante récemment créée et oncogénéticien au CHU de Montpellier.

Eviter la naissance d’enfants à hauts risques de cancers, grâce à un DPI associé à une fécondation in vitro, est une possibilité assez récente et peu répandue. Ces dernières années, cette stratégie a été principalement acceptée et pratiquée pour des prédispositions héréditaires associées à des risques de cancers très élevés et précoces (dans l’enfance ou chez le jeune adulte), et pour lesquels les moyens thérapeutiques sont limités. C’est le cas par exemple du syndrome de Li Fraumeni (une mutation du gène TP53 qui induit de nombreux cancers parfois dès l’enfance) et des rétinoblastomes héréditaires (cancers de la rétine se déclarant chez l’enfant de moins de 4 ans).

La situation est un peu différente s’agissant des mutations du gène BRCA1 ou BRCA2. Elles multiplient par 4 à 6 le risque de tumeur du sein et par 10 à 50 ­celui de tumeur de l’ovaire, mais ces cancers se déclarent plus tard dans la vie, et ils peuvent bénéficier d’autres stratégies de prévention (dépistage, chirurgie préventive…). La première naissance d’un bébé sélectionné pour être indemne d’une mutation BRCA1 a été rapportée en Angleterre en 2009. Depuis, seulement quelques dizaines d’enfants ont été ainsi conçus en ayant recours au DPI (en Belgique, aux Etats-Unis, en Espagne et en Israël…).

« Demandes recevables »

En France, si quelques demandes de DPI dans ce contexte ont été déposées, elles se sont jusqu’ici soldées par un refus ou n’ont pas abouti. En 2008, un rapport consacré à « La place du diagnostic prénatal et du DPI pour les couples à risque de cancers héréditaires » avait préconisé de ne pas modifier les dispositions législatives (qui n’ont pas établi une liste exhaustive de maladies relevant du DPI). « En ce qui concerne les mutations de BRCA1 et 2, qui sont des situations à risque intermédiaire, nous n’avons pas recommandé de recevabilité a priori de DPI, souligne la professeure Dominique Stoppa-Lyonnet, oncogénéticienne (Institut Curie et université Paris-Descartes), coordinatrice de ce rapport. Devant une histoire familiale particulièrement grave et dont le retentissement est anxiogène, certaines demandes sont cependant recevables. Ce sont toujours des discussions au cas par casEn pratique, les demandes doivent venir d’un couple. Elles restent peu nombreuses. » Le professeur Pascal Pujol déplore par ailleurs un refus de DPI dans une famille atteinte d’un syndrome de Lynch (l’équivalent des gènes BRCA pour les cancers du côlon), « parce que les cas familiaux n’étaient pas jugés assez graves ». « C’est d’une subjectivité incroyableJe ne crois pas que la dose de chagrin d’une famille doive dicter la recevabilité d’une demande », estime l’oncogénéticien. La Société française de médecine prédictive et personnalisée, qui réunit des spécialistes d’organes, des généticiens, des oncologues et des éthiciens, a justement pour ambition de favoriser la réflexion éthique dans ces domaines où les connaissances et les technologies évoluent à la vitesse de la lumière. « Les associations de patients seront largement associées à nos réflexions », ajoute Pascal Pujol, en annonçant la création de la première association française consacrée aux patients concernés par les mutations BRCA.

Un nouveau mécanisme pour expliquer le cancer du sein ?

Deux études récentes révèlent un nouveau mode de développement des cancers. Il s’agit d’épigénétique, des mutations qui, au lieu d’affecter la séquence de l’ADN, touchent des marques chimiques qui régulent l’activité de nos gènes.

Florence Rosier, 5 mars 2018

D’où vient la prédisposition au risque de cancer du sein, dans les familles atteintes ? « De 5 % à 10 % des cancers du sein sont héréditaires », estime l’Institut national du cancer (INCa). Une partie de ces cancers familiaux est aujourd’hui expliquée par des mutations génétiques, dont les plus connues affectent deux gènes nommés BRCA1 et BRCA2. Ainsi, de 40 % à 85 % des femmes porteuses d’une telle mutation développeront la maladie avant l’âge de 70 ans, contre 10 % dans la population générale. Bien que minoritaires, ces formes héréditaires concernent de très nombreuses femmes en France, où l’on enregistre 54 000 nouveaux cas de cancer du sein par an.

Le fait qu’une mutation dans un gène BRCA ne soit trouvée que chez 10 % à 20 % des femmes dans ces familles à risque amène les généticiens à s’interroger. « Le défi est de découvrir les autres anomalies du génome expliquant ces histoires familiales », relève le docteur Olivier Caron, responsable du service d’oncogénétique à l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif, Val-de-Marne). En particulier, quelle est la place, dans la transmission héréditaire de ces cancers, des « épimutations », ces changements d’activité des gènes qui sont transmis sans qu’aucune modification n’apparaisse dans la séquence de l’ADN ? Une nouvelle étude, publiée le 28 février par Nature Communications, suggère que certaines épimutations sont associées aux cancers du sein.

Un potentiel énorme pour le diagnostic

Ici s’imposent quelques explications sur l’épigénétique, qui chahute les lois de l’hérédité classique. Ce mode de transmission fascine : il n’est plus seulement fondé sur la sacro-sainte séquence de l’ADN. Avec l’épigénétique, ce sont des « marques chimiques » qui jalonnent notre génome en des sites précis et qui « allument » ou « éteignent » nos gènes. Dans notre corps, elles sont transmises d’une génération de cellules à l’autre. C’est grâce à elles que les cellules de notre cerveau diffèrent tant des cellules de notre foie ou de nos muscles, alors qu’elles possèdent toutes le même patrimoine génétique. Mais il arrive aussi que ces marques soient transmises d’une génération d’individus à l’autre. Chez les plantes, c’est même fréquent. Chez la mouche ou chez un petit ver, ce n’est peut-être pas rare. Mais chez les mammifères et chez l’homme ? Les cas formellement identifiés restent exceptionnels. Presque toujours, ces marques sont effacées lors de la production des cellules reproductrices (les gamètes) ou de la fécondation.

En 2017, l’équipe d’Edith Heard (Institut Curie, ­Inserm-CNRS, à Paris) a mis en évidence une instabilité épigénétique à l’œuvre dans les cancers du sein, en étudiant le chromosome X. Normalement, dans toutes les cellules des femmes, un des deux exemplaires du chromosome X est inactivé par un processus épigénétique. Mais « dans les cellules de certains cancers du sein, certains gènes échappent à cette inactivation. Cela pourrait contribuer au développement du cancer », résume le docteur Anne Vincent-Salomon, cosignataire de cette découverte dans Genome Research. Pour autant, l’état épigénétique du chromosome X n’est pas transmis à la génération suivante. Dans le travail publié dans Nature Communications, l’équipe de la professeure Melissa Southey, de l’université de Melbourne, a surfé sur les progrès de la lecture ultrarapide de l’« épigénome », passant au crible 480 000 sites du génome. Chacun de ces sites était-il ou non recouvert de groupes chimiques « méthyl », une des principales marques épigénétiques ? Les auteurs ont analysé les cellules du sang de 210 femmes appartenant à 25 familles à haut risque. Parmi elles, 87 ont développé un cancer du sein. Verdict : 24 sites de méthylation, retrouvés d’une génération à l’autre, étaient associés à la survenue d’un cancer du sein. L’équipe australienne a ensuite analysé ces 24 sites sur 433 femmes atteintes d’un cancer du sein invasif, comparées à autant de femmes non atteintes. Résultat : sur 4 sites, la méthylation était significativement associée au risque. Fait notable : ces sites portaient sur 4 gènes autres que les BRCA. « Parmi eux, on trouve le gène GREB1 : son activité est contrôlée par des hormones, les œstrogènes, impliquées dans des cancers du sein », observe Dominique Stoppa-Lyonnet, chef du service génétique à l’Institut Curie et professeure à l’université Paris-Descartes. Pour autant, « les variations de risque associées à la ­méthylation de ces sites restent faibles », jugent Olivier Caron et Dominique Stoppa-Lyonnet. Le risque est ainsi accru de 18 % à 26 %. Par comparaison, une mutation d’un gène BRCA multiplie ce risque par 10 ou 20 !

Cette découverte permettra-t-elle d’améliorer les tests de prédisposition génétique au cancer du sein ? « On en est encore loin », tempèrent les deux généticiens. Mais « le potentiel de cette approche est énorme pour le diagnostic des cancers, estime Déborah Bourc’his, de l’Institut ­Curie. A partir de l’ADN ou des cellules tumorales circulant dans le sang, on pourrait analyser les profils de méthylation du génome. Et en déduire l’organe dont provient la tumeur, sans biopsie. » Reste une question : ces changements épigénétiques sont-ils réellement transmis des mères à leurs filles, au sein des familles à risque ? Ou sont-ils « ré-acquis » à chaque génération par les femmes qui développeront un cancer du sein ? Ne sont-ils pas, en réalité, dus à des mutations génétiques sous-jacentes ? L’incertitude demeure. Les auteurs pointent une faiblesse de leur étude : deux tiers des femmes analysées, dans les familles à risque, avaient bénéficié d’une chimiothérapie. Ce traitement aurait-il pu altérer les marques épigénétiques ? Quoi qu’il en soit, « ce travail est intéressant car il est possible de modifier des marques épigénétiques, c’est plus facile que de corriger des mutations. On pourrait envisager de réveiller ainsi des gènes antitumeurs ou, à l’inverse, d’éteindre des oncogènes », estime Edith Heard. « Notre travail ouvre la voie au développement de médicaments épigénétiques contre le cancer du sein », renchérit Melissa Southey. De fait, il existe déjà des médicaments qui ciblent des processus épigénétiques dans différents cancers. En France, deux d’entre eux sont autorisés dans des cancers du sang. « Des dizaines de molécules épigénétiques sont en cours de développement », explique le professeur Antoine Italiano, cancérologue médical à l’Institut Bergonié à Bordeaux. Il a conduit, avec l’Institut Gustave-Roussy, un essai clinique précoce évaluant l’intérêt d’une nouvelle classe de ces molécules contre des lymphomes et des tumeurs solides rares. Il a présenté à Paris, le 5 mars, des résultats « prometteurs, avec un profil d’effets indésirables limités », lors du Congrès international sur les thérapies ciblées anti-cancer.


Le gène du cancer du sein serait sans effet sur la mortalité

Des chercheurs expliquent que la mastectomie est utile à titre préventif avant le diagnostic de cancer du sein, mais pas immédiatement après le diagnostic.

Le Monde avec AFP, 12 janvier 2018

La mutation génétique BRCA, qui avait poussé l’actrice américaine Angelina Jolie à subir une ablation des seins, n’entraîne pas une mortalité plus élevée après un diagnostic du cancer, rapporte une étude publiée vendredi 12 janvier dans The Lancet Oncology. D’après les chercheurs, l’opération est donc utile à titre préventif avant le diagnostic, mais pas immédiatement après. Les femmes porteuses de cette mutation pourraient même avoir un « avantage » leur permettant de mieux survivre dans le cas d’un cancer du sein « triple négatif », forme particulièrement difficile à traiter de la maladie.

« Les femmes auxquelles est diagnostiqué un cancer du sein précoce et qui portent une mutation BRCA se voient souvent proposer des doubles mastectomies peu après le diagnostic, a rappelé l’une des auteurs, Diana Eccles (université de Southampton, Royaume-Uni). Nos conclusions laissent penser que cette opération chirurgicale ne doit pas nécessairement être faite immédiatement, en plus des autres traitements. » Selon l’American Cancer Society, les femmes porteuses de cette mutation (BRCA-1 ou BRCA-2) ont sept chances sur dix de développer un cancer du sein avant leurs 80 ans. Elles risquent par ailleurs d’être malades plus jeunes que les autres.

Le choix d’Angelina Jolie sensé

L’étude a porté sur 2 733 Britanniques de 18 à 40 ans ayant été diagnostiquées du cancer du sein entre 2000 et 2008, dont 12 % porteuses de la mutation. Le suivi de leur dossier pendant en moyenne huit ans a montré que sur les 678 personnes ayant succombé à la maladie, le cancer du sein était en cause dans 651 cas (96 %). Mais « il n’y avait pas de différence dans la survie globale que ce soit deux, cinq ou dix ans après le diagnostic pour les femmes avec ou sans mutation BRCA », ont souligné les auteurs dans un communiqué. Une différence n’apparaît que dans un sous-groupe, les femmes atteintes du cancer du sein triple négatif. Elles ont de meilleures chances de survie, deux ans après le diagnostic, si elles sont porteuses de la mutation. Celles « qui choisissent de reporter une nouvelle opération pendant un ou deux ans pour mieux se remettre du traitement initial doivent être rassurées : cela n’aura probablement pas d’influence sur leurs chances de survie à long terme », rassurent les médecins. Faire le même choix qu’Angelina Jolie reste cependant sensé. « L’opération de réduction du risque sera toujours probablement bénéfique aux porteuses de la mutation BRCA pour empêcher un autre cancer du sein ou des ovaires de se développer à plus long terme », ont-ils expliqué.