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1944 - Médecine, Santé publique, Population

R. Debré. 'Organisation de la profession médicale et réforme de l’enseignement de la médecine' (texte préparé par le pr. R. Debré au Comité Médical de la Résistance, transmis au Comité Français de Libération Nationale à Alger)

(Origine du document : BIUM)

EXTRAITS



Chapitre premier : principes généraux

L’organisation de la médecine et des études médicales fait, depuis ces dernières années l’objet de nombreuses plaintes. On ne saurait être satisfait de l’état de choses actuel et tout le monde est d’accord sur la nécessité absolue de réformes. Mais si chacun est désireux d’un effort de rénovation, par contre on doit reconnaître que rien de rien de très net ne résulte des interminables discussions qui se sont ouvertes.
Or, la rénovation de la profession médicale et la refonte des études de médecine devront être l’objet des soins immédiats du futur gouvernement. En effet, le rôle du médecin devra, dans la société future, se développer : le médecin est un des agents principaux que le gouvernement devra employer pour résoudre le problème vital de la population française, pour lutter contre les maladies et les morts évitables et contre les fléaux sociaux. En même temps que l’hygiène publique, l’organisation de soins convenables pour tous les malades, quels qu’ils soient, devra être mieux assurée par une médecine mieux organisée.Enfin, le développement de alla recherche et du travail scientifique devra être placé à l’un des premiers rangs parmi les préoccupations gouvernementales, si l’on veut que la France reprenne son rang de grande puissance et de centre de rayonnement intellectuel. Aucune vraie réorganisation de la profession médicale n’est possible dans le cadre du système actuel, malgré toutes les bonnes volontés qui s’y emploient. En effet, on ne peut concevoir qu’une réforme simultanée et cohérente de la profession médicale et de l’organisation sanitaire de la France.Une fois l’accord établi sur les principes qui doivent nous orienter dans l’organisation de la profession l’équipement sanitaire du pays, le dispositif des études médicales devient plus simple à établir, et l’application des idées intéressantes émises et développées ces derniers temps dans les différents milieux médicaux, presque aisée à réaliser.Tout actuellement est vicié à la base par ces faits :

1, Que beaucoup de médecins ne sont pas instruits comme ils devraient l’être.
2, Que les médecins souffrent d’une mauvaise organisation de leur travail, tiraillés qu’ils sont entre les tendances étatiques et libérales de leur profession qui s’enchevêtrent sans trouver entre elles un juste équilibre.
3, Que les praticiens abandonnés à eux mêmes ne peuvent trouver, au cours de leur carrière, d’occasions convenables de s’instruire et de « se tenir au courant » et qu’il leur est souvent impossible de faire bénéficier leurs malades des progrès incessants de la science.
4, Qu’un certain nombre d’entre eux ont tendance à remplacer les règles morales de leur profession par la commercialisation de la médecine, ce qu’expliquent parfois, mais n’excusent pas, les difficultés de leur vie matérielle auxquelles il faudra remédier.
5, Quel les fonctionnaires de l’hygiène, en raison de la mauvaise organisation du pays, n’ont pas la place qu’ils méritent et ne jouent pas le rôle qu’ils devraient jouer.
6, Que le corps enseignant, partagé entre des tâches diverses, ne s’applique pas essentiellement à son métier.
7, Que le travail scientifique est loin d’être poursuive en France dans le domaine de la médecine comme il devrait l’être. La médecine française n’atteint pas, de beaucoup, sur le plan international, le niveau qui lui était jadis reconnu.

Il apparaît que la prochaine organisation de l’hygiène et de la médecine en France dit être guidée par les principes généraux suivants qui inspirent toute la politique de rénovation nationale. Il faudra savoir adapter les dispositions les plus modernes, nous dirions volontiers les plus audacieusement modernes, à de vieilles m‰ìurs et à des traditions qui contiennent d’excellents éléments, tout à fait respectables. Il nous semble qu’il est parfaitement possible de faire du neuf sans abîmer ce qui est digne d’être maintenu.Si l’on ne se laisse pas aveuglément diriger par des principes absolus, mais si l’on tien un comte objectif des faits, on peut parfaitement conserver et innover à la fois. Pour ce qui concerne la profession médicale par exemple, on peut ensemble les garder ou mieux, dirons nous, lui restaurer son noble caractère de profession libérale tout en créant sous la dépendance de l’Etat et des collectivités, une solide armature sanitaire.../ Un autre principe qui doit nous guider et qui conduit à la même conclusion est celui ci : il faut réaliser pour ce qui concerne la protection contre la maladie et les soins aux malades une véritable égalité entre les Français. Dans ce domaine, plus qu’en tout autre, l’égalité est sacrée. Dans ce domaine, plus qu’en tout autre, le nivellement doit être réalisé par le haut. Pour y parvenir, il faut atteindre deux objectifs : que chaque groupement familial ait son médecin, médecin de famille, bien instruit, continuant à s’instruire, convenablement honoré et point surmené ; en second lieu, que l’organisation sanitaire comporte un effort général de la collectivité pour assurer à chaque Français le bénéfice des progrès de la médecine par l’organisation de centres de médecine préventive et curative de centres de diagnostic et de soins.

1, Pour parvenir à ce double résultat, il faudra donc que chaque Français, que chaque famille française ait un médecin indépendant, exerçant librement.
2, Un effort vigoureux doit être entrepris pour réserver la médecine de soins au praticien. Il faudra lui rendre tout ce qui a été prélevé dans son domaine par les grandes sociétés industrielles, les compagnies, les banques, les diverses collectivités, l’Etat, afin que dans tous les milieux sociaux chaque famille choisisse son médecin. Le médecin de famille pour tous, dirons-nous volontiers.
3, Inversement, il faut réaliser l’accès à l’hôpital pour tous, l’hôpital devenant un véritable Centre de diagnostic et de thérapeutique pour toute la population.
4, Des centres de diagnostic et de traitements spéciaux (chirurgicaux, orthopédiques, ophtalmologiques, etc.) doivent être équipés dans les grandes villes, absorber les hôpitaux publics et les cliniques privées ou les placer sous une direction unique, la gestion matérielle étant assurée par le Ministère de la population et la direction technique par les Facultés de médecine.
5, Le corps enseignant doit être voué entièrement à sa tâche et mener une vie essentiellement hospitalière et universitaire.
6, Les Facultés de médecine doivent assurer la direction technique de tous les services hospitaliers de villes universitaires. Elles doivent être considérablement développées. Leur tâche doit être accrue par une participation active à la vie sociale, à l’élaboration et à l’exécution des mesures d’hygiène dans chaque région par le contrôle des organisations hospitalières et des centres de diagnostic et de traitements régionaux, par le contact avec les praticiens, pour lesquels aussi des cours de mise au point seront organisés.
7, D’autre part, la profession médicale doit être orientée vers la bonne mise en application de tout le programme sanitaire, dont la réalisation est urgente. Peut être n’est il pas inutile de rappeler à ce propos que la profession médicale doit être aménagée pour la prévention des maladies et le soin des malades et non pour l’intérêt des médecins. C’es en cela que consiste le caractère éminent et vraiment sacerdotal de notre profession.

Chapitre II, Médecine libérale et médecine collective. Le médecin de famille pour tous.

Actuellement la médecine française est comme tiraillée dans trois direction différentes qui représentent trois tendances professionnelles : libérale, étatique et corporative. Sur cette dernière, nous n’insisterons pas. Il ne saurait être sérieusement question de confier la santé de tous les Français à l’ensemble du corps médical agissant comme corporation indépendante, qualifiée pour gérer les hôpitaux, les établissements de soins, organiser les mesures hygiéniques, (faut il l’ajouter) défendre les fiefs médicaux. En vérité les organismes corporatifs auront un rôle suffisant s’ils surveillent la morale professionnelle, conseillent les pouvoirs publics’, défendent les intérêts des médecins et enfin établissent les contrats collectifs avec les pouvoirs publics et les groupements d’assurés.../ Dans la société française contemporaine, la médecine est considérée comme une profession libérale, ce qui signifie ou devrait signifier, car il y a une grande marge entre la théorie et la réalité, que les études sont largement ouvertes à tous, que le médecin est libre de s’établir où il lui convient sur tout le territoire du pays, que l’indépendance de sa vie professionnelle est parfaitement respectée, que le malade choisit librement son médecine, que celui ci se fait honorer à son gré, que sa conscience seule le guide dans l’obéissance aux devoirs moraux de sa profession
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Les praticiens se plaignent à juste titre de la tendance de l’Etat et des collectivités à s’ingérer dans la médecine de soins et à diminuer d’autant leur domaine.../ On nous dit que ce mouvement est irrésistible, que nous devons accepter cette tendance qui pousse vers la médecins organisée, la médecine de l’Etat, la médecine collective. Que la médecine individuelle est une sorte de médecine de luxe, que la médecine collective deviendra nécessairement la médecine de demain.On a écrit que l’instauration d’un régime socialiste impliquant la socialisation de moyens de production et d’échange et la suppression du patronat et du salariat ferait disparaître les professions libérales et provoquerait la création de vastes services d’hygiène d’assistance médicale. Rien ne me paraît moins démontré. Quelle que soit l’organisation économique de la société, et le progrès à cet égard est indispensable et urgent -, il apparaît qu’elle ne doit pas troubler le colloque singulier entre le médecin et le malade.../
Il faut (donc) éviter que les collectivités publiques et privées n’attentent à la liberté de la médecine de soins.../ (Cependant), les collectivités publiques n’en ont pas moins un rôle limité, mais fort important. (Elles doivent assurer) une assistance financière complète ou partielle aux malades qui en ont besoin. Tel est le rôle exclusif des Assurances sociales qui devront englober l’assistance médicale gratuite, les accidents du travail, les soins des mutilés, des invalides de guerre et de l’industrie’./ Qu’un contrôle soit nécessaire pour éviter les abus, rien n’est moins discutable, mais toute autre ingérence dans la médecine de soins que voudrait tenter l’Etat ou les collectivités doit être repoussée. Certes la médecine individuelle et familiale est plus coûteuse à l’Etat que la médecine collective, faite en série et à forfait, mais en cette matière l’économie n’est pas souhaitable. De cette manière l’Etat pourra obtenir que le médecin reçoive un minimum convenable, disons même confortable, de revenus professionnels.../

Chapitre III, Les Centres de diagnostic et de soins. Traitements spéciaux, chirurgie, accouchements.
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Chapitre IV, Médecine préventive et équipement sanitaire
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Chapitre V, La vie des facultés de médecine et leur avenir

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Aucune réforme des études médicales, aucune amélioration de l’état actuel n’est possible si l’on ne part du principe fondamental suivant : le corps enseignant doit être voué à sa tache le professeur et ses aides doivent passer l’essentiel de leur temps l’hôpital et au laboratoire.../ Nos maîtres s’intéressent de toutes leurs forces à l’instruction et à la vie de leurs collaborateurs directs, mais l’étudiant n’est ni orienté ni guidé, surtout dans les grandes facultés. Un maître passant sa journée à l’hôpital pourra donner (à l’étudiant) plus de temps et plus d’attention.../ Ce corps enseignant voué à sa tâche, doit il être comme l’on dit ’Äòfull time’ ? Pas d’une façon absolue ni générale. Ce qu’il faut c’est un changement de centre de gravité, mais la plus grande partie du temps consacré à l’hôpital n’exclut pas la possibilité de consultations en ville et même au loin, si le professeur prend l’engagement d’honneur de consacrer à son enseignement et à ses études la plus belle partie de ses heures et de ses efforts’./ Une pareille organisation suppose trois conditions fondamentales : que l’hôpital soit ouvert à tous les malades, que les membres du corps enseignant des Facultés de médecine changent au cours de leur vie de résidence et mènent la carrière universitaire de nos professeurs de lettres ou de sciences, comme de bien des professeurs des facultés allemandes ou des écoles américaines, que l’élite de chaque génération soit vouée très jeune à la carrière universitaire.../ Pour mettre en place ce dispositif, il faudra que dans les villes universitaires les Facultés aient à diriger techniquement tous les hôpitaux de la vielle sans exception. Plus de ces distinctions désuètes entre les services de Faculté et les services de médecins des hôpitaux ! Plus de distinctions entre les médecins des hôpitaux et les professeurs !’ .../ La Faculté de médecine installée dans tous les services hospitaliers des grandes villes deviendra donc fort naturellement le centre principal de diagnostic et soins particuliers pour toute la région. Il lui sera facile d’associer ses techniciens (anatomo pathologistes, biologistes, radiologues, physiciens, etc.) au travail des cliniciens et des thérapeutes.../

Chapitre VI L’étudiant en médecine et les études médicales

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On a beaucoup discuté sur l’utilité de telle ou telle orientation préalable avant les études médicales. Haute culture par les humanités d’une part, instruction scientifique sérieuse d’autre part sont également nécessaires. (Soit) un baccalauréat sérieux et un PCB sérieux. La valeur de la culture scientifique de base au PCB doit être maintenue en modifiant complètement son programme. L’objection souvent faite, à savoir que les médecins n’ont pas besoin de telle ou telle connaissance scientifique n’est pas juste. Le médecin a besoin d’une bonne culture scientifique. Cette acquisition ne fera pas perdre à la médecine française ses qualités de finesse clinique. L’excellente tradition clinique ne s’affaiblira pas en France, mais notre culture scientifique de fond doit être rendue plus solide. Entrée libre à la Faculté ne veut pas dire entré facile. Il faut mettre à l’épreuve la vocation des futures médecins. La Faculté de médecine est un centre de haute culture et, comme tel, ouvert largement. Mais c’est avant tout une école d’apprentissage professionnel pour le métier le plus difficile.../ Il faut donc choisir entre les jeunes hommes et cette manière limiter le nombre des médecins. La limitation du nombre de médecins doit, en effet, être en quelque sorte qualitative et non quantitative en éliminant impitoyablement les paresseux et les médiocres.../ Il faudra donc opérer la sélection assez tôt. Légère en fin de PCB, c’est en fin de première année que se fera l’élimination la plus importante../
Le stage hospitalier sera obligatoire dès la première année. L’enseignement clinique, base fondamentale, élément essentiel de l’enseignement médical, peut, en France, avec des réformes partielles, devenir supérieur à celui de tous les pays.../ Dorénavant de nombreux services seront ouverts aux étudiants de première année, puisque suivant note programme, tous les médecins des hôpitaux seront en même temps chargés d’enseignement comme maîtres de conférences. On pourra donc former des groupes de stagiaires peu nombreux.../
La fusion entre le corps hospitalier et le personnel universitaire rendra aisée cette sorte de communauté d’enseignement qui s’oppose heureusement à la dualité absurde de l’heure présente où l’étudiant zélé abandonne l’enseignement de la Faculté et n’est guidé que par de jeunes conférenciers dans le travail important que constitue la séméiologie théorique et l’étude de la nosologie élémentaire.../
L’essentiel de la réforme (proposée) est que la Faculté reprenne sa vraie place dans l’instruction théorique de tous les étudiants, les meilleurs comme les autres, que la Faculté donne et impose à tous l’enseignement de la séméiologie clinique et de la nosologie élémentaire dès la première année, donc prépare tous les étudiants à l’externat et à partir de la troisième année prépare en quelque sorte tous les étudiants à l’internat. Se trouvent donc réalisés, non l’externat et l’internat obligatoires, ce qui est leur négation, mais une préparation obligatoire commune, ceux qui n’auraient pu réussir aux concours jouissant à l’hôpital de stages bien organisés.../

L’ensemble de (ces) réformes proposent une véritable révolution. Celle-ci n’est envisageable que si des mesures transitoires facilitent le passage entre l’ancien et le nouveau régime.../ Mais, à la vérité, pour accomplir cette révolution, il faudrait qu’un ministre fut doté de pouvoirs extraordinaires, quasi dictatoriaux, lui permettant de transformer des administrations qui dépendent actuellement de divers départements et services, ce qui n’est possible que si l’on réunit sous l’autorité très puissante et très large d’un grand ministère de la Population tout l’armement sanitaire, tout l’équipement hygiénique et toute la politique de santé du pays.