HISTRECMED
La mise en place de la Sécurité sociale en 1945...
"S'il existe encore des bastilles, qu'elles s'apprêtent de bon gré à ouvrir leurs portes...". Gal. De Gaulle, Alger, juillet 1943.
le terme 'Sécurité sociale' apparait pour la première fois officiellement dans le décret du 9 sept. 1944 désignant les membres du premier gouvernement de la France libérée alors qu'Alexandre Parodi est nommé ministre du Travail et de la Sécurité sociale.
(Larcan A., Lamaire J.-F. (sous la dir.). 'De Gaulle et la médecine'. Paris, Fondation Charles de Gaulle, Synthélabo, 1995)
...telle qu’appréciée par la revue Le Concours Médical
10 janvier 1945
Les syndicats médicaux et la médecine sociale (dr. Fernand Decourt)
La loi de 1928 a été remplacée par celle de 1930 (les syndicats médicaux obtiennent le dispositif de l'entente directe pour fixer leurs honoraires)
Echos et commentaires : le projet de transformation des assurances sociales en Sécurité sociale risque d'aboutir à l'alignement des couts médicaux sur les prélèvements patronaux.
Nous risquons de nous trouver soumis aux dispositions d'un K.V.D. (Kassenärztliche Vereinigung Deutschlands),les assurances sociales allemandes adoptées pour la couverture des 800 000 requis du STO sous l'occupation.
20 janvier
Le budget de la santé publique. On nous annonce un grand ministère de la santé et de la population avec un budget de 5 milliards (budget de l'Etat 58 MdF), mais il s'agit surtout de verser leurs allocations aux médecins salariés. Echec du grand mouvement unitaire des médecins français. Conférence du professeur Robert Debré et du ministre de la Santé, François Billoux à l'hôpital des Enfants malades (13-14 janv. 1945)
30 janvier
F. Billoux annonce la reconstitution des syndicats médicaux supprimés sous Vichy à l'occasion de la mise en place de l'Ordre national des médecins (ordonnance du 15 décembre 1944). Plaidoyer du Concours Médical pour le rétablissement des syndicats et pour le pluralisme (J. Noir). Le morcellement de la médecine et de la chirurgie (J. Noir). Légitimité de la spécialisation. progrès de l'instrumentation en chirurgie, progrès de la neurochirurgie (De Martel, Clovis Vincent), clinique du sympathique avec Leriche. En médecine : vénérologie, phtisiologie, cardiologie, maladies des reins, du foie, de l'estomac. Nécessité des examens de laboratoire dans les hôpitaux (cf. Mayo à Rochester, Rouillès à Agen). L'hôpital ouvert à tous les médecins (dr. Andréassian, Parmain). A propos de la loi de 1941 (charte hospitalière), un malade envoyé à l'hôpital est en général un malade perdu pour le médecin traitant, d'où la réticence de ce dernier à vouloir s'en séparer (à part les cas d'urgence). "...Le médecin traitant doit pouvoir suivre son malade à l'hôpital".
10 février
Lettre ouverte des médecins parisiens au ministre du Travail et de la Santé à propos du projet d'ordonnance fixant les tarifs limitatifs d'honoraires. Il serait contraire à l'un des principes esentiels de la charte médicale (l'entente directe) : "les médecins craignent que l'on bouleverse les conditions d'exercice d'une profession libérale et se sentiraient atteints dans leurs légitimes intérêts.../ En conséquence : des libéraux davantage soucieux de quantité que de la qualité de leurs prestations.../ Une médecine d'assurances sociales d'une qualité technique et morale de seconde zone, alors que l'esprit de la révolution actuelle devrait être de permettre aux assurés sociaux de bénéficier au même titre que les malades aisés des soins du médecin et de la famille.../ Soit deux options : un tarif fixé par un accord collectif (c'est la préférence du min. du Travail), soit fixé par un arrété ministériel (homologation par trois ministères : Travail, Santé et Economie natonale qui serait le plus sévère!../ Le risque d'inflation, on nous répond que les ressources nécessaires seront proportionnelles aux salaires. Mais le choix entre les deux options doit être murement posé car il engage pour longtemps le sort de la médecine.../ Or, il doit être posé par les syndicats médicaux qui ne sont pas encore constitués. Quand à l'Ordre national des médecins, il est mort(!) ».
Répartition de la pénicilline fournie par les autorités US. Celle ci ne sera pas mise directement à la disposition des médecins traitants, mais distribuée dans des centres de traitement spécialisés (problème de quantité). A savoir : Lemierre à Cl. Bernard, Debré et Leveuf aux Entants malades, dr Martin à l'hop. Pasteur, Gernez à Lille, Mattei à Marseille.
20 février
G. Lavalée (président de la Confédération des syndicats médicaux français, CSMF). Avec ces projets d'ordonnance, il s'agit "...de faire de nous d'authentiques fonctionnaires.../ Je sais bien que 1944 nous a valu des bombardements plus meurtriers que celui ci . Mais nous avions au moins l'espoir d'une libération, or celui ci nous présage des chaines durables. Selon toute apparence, il nous faudra payer notre libération civique d'un asservissement professionnel".
A propos du retard des décrets d'application pour la reconstitution syndicale, s'agit il d'une manoeuvre pour faire passer les ordonnances ou de l'influence grandissante du projet d'un service de santé national?
A propos des voeux émis par le Conseil médical de la résistance (CMR) et les risques sur la liberté d'installation, "...on se croirait revenu au corporatisme de Vichy..."
28 février
Pour déplorer la subordination du ministère de la Santé à ministère du Travail et évoquer le problème du contrôle des dépenses médicales par l'administration. "S'agit il d'aligner les tarifs de consultation sur celui des accidents du travail? Il faut lutter contre la prolétarisation de la profession". La caisse des Assurances de l'Oise ose (sic) interroger les patients sur le montant des honoraires demandés par les médecins (!)
Débat à l'Assemblée consultative, intervention de Daniel Mayer (SFIO) pour demander un plan de Sécurité sociale qui aboutirait à la socialisation des Assurances sociales. Le Concours Médical déplore la subordination du ministère de la Santé à celui du Travail (problème du controle des dépenses médicales)
Assemblée du corps médical parisien à la Maison de la Chimie (18 février 1945). Le dr. P. Cibrié apporte la contradiction au dr. Descomps (CMR) à propos de la limitation des tarifs. "Les négociateurs n'ont pas vu qu'en abandonnant aussi légèrement le régime des accords collectifs, ils mettaient les médecins entre les mains de l'Etat et sapaient les fonctions de contrôle des organisations médicales".
En 1945, il y avait de nombreuses pressions pour que la Sécu dépende du ministère de la Santé publique (et non de celui du Travail, Ambroise Croizat). Certains fonctionnaires de ce ministère, de bonne foi d'ailleurs, insistèrent pour qu'il en soit ainsi. Je m'y opposais en indiquant que cela dépassait une simple bataille d'attributions entre départements ministériels. Pourquoi? Tout simplement parce que, d'une part nous ne voulions pas que la Sécurité sociale soit amenée à subvenir aux dépenses qui incombent à l'Etat pour l'équipement de la fonctionnement de l'organisation de la Santé publique et, d'autre part, qu'elle ne soit peu à peu considérée comme une société de bienfaisance.../ Etant donné son faible budget, il est tentant pour un ministère de la Santé d'accaparer celui de la Sécurité sociale et des prestations familiales. Or, il ne lui appartient en aucune manière puisqu'il est alimenté par des cotisations ouvrières et patronales qui ne sont pas autre chose qu'une part différée du salaire.../ La loi du 22 mars 1946 définit le régime général intéressant l'ensemble des salariés.../ Nous étions pour une politique de Sécurité sociale couvrant tous les travailleurs, salariés ou non. Cependant, nous n'avons jamais pensé que le bonheur des gens puisse se faire contre leur propre gré. François Billoux, Quand nous étions ministres . Paris, Ed. sociales, coll. notre temps, 1972, p. 127 et sq. |
10 mars
A propos de la liberté d'installation (P. Douriez). "Les cinq années écoulées ont laissé des traces que n'ont pas effacées les jours présents. Cette économie et ces rapports sociaux dirigés qui tant furent voués aux gémonies ne sont ils pas toujours notre lot en dépit de quelques terminologiques révolutions?"
20 mars
Vers l'étatisation de la médecine? (art. de Jean Mignon). A propos de l'ordonnance du 3 mars 1945 fixant les tarifs des honoraires par la Sécurité sociale se pose la question des dépassements autorisés d'honoraires. L'article déplore que les médecins soient exclus des conventions entre les caisses d'Assurance sociale et les hôpitaux.
31 mars
Renouveau du syndicalisme médical : la lutte entre les anciens et les nouveaux (P. Douriez)
10 avril
Discussion du budget de la santé à l'Assemblée consultative (31 mars 1945) : " ...le ministère de la Santé est il devenu un 'grand' ministère? En fait lui qui tient dans ses mains l'avenir de notre race est un gueux honteux de lui même. Il faut constater que l'Etat de 1945 reprend avec une passivité sénile les mauvais plis de 1939". Le 'Concours médical' est très critique vis à vis de m. Debidour (médecin militaire chef à Saint Pierre et Miquelon) qui défend le projet de réforme de la médecine (dit projet Debré-Nédélec) en s'en prenant à la fraude fiscale commise par les médecins, à la dichotomie (partage des honoraires). A Saint Pierre et Miquelon, dit-il, l'action des médecins militaires a fait baisser la mortalité de 50%. "En somme m. Debidour est un adepte de l'homéopathie, il prétend soigner le mal par le mal, inspirer la méfiance de leurs médecins à des Français dont on s'accorde à dire la mauvaise santé".
Argumentaire contre l'homologation des tarifs par l'Etat : "... dépourvus des secours d'un capital ou de l'aide que la Société apporte au travailleur ou au fonctionnaire, il appartient au médecin d'assurer par le seul fruit de son activité, non seulement sa subsistance et celle de sa famille, mais encore le niveau et la dignité de vie sans laquelle il ne pourrait perpétuer et renouveler sa culture scientifique, intellectuelle et morale".
De même, hostilité au projet d'un 'Office de la pharmacie' (projet Zaksas) : "on sait ce qu'il faut attendre d'un office national.... De même qu'un artisan consciencieux ne laisse pas n'importe qui tripoter ses outils, de même les médecins français à ce que des étourdis sabotent leur arsenal thérapeutique... Nous avons besoin pour soigner nos malades des produits bien étudiés, bien fabriqués, bien dosés et nous nous soucions fort peu de doctrines d'économie politique..."
20 avril
Le projet d'ordonnance sur la médecine doit fixer le statut de l'Ordre. Le problème : la division syndicale (plaidoyer pour la Confédération syndicale des médecins de France)
30 avril
A propos de l'entente directe en médecine hospitalière : l'admission à l'hôpital des malades payants (loi Huard du 21 déc. 1941) rendu possible par l'instauration de cliniques annexes (chambres seules ou à deux). C'est le successeur de Huard, le dr. Raymond Grasset qui a rétabli la salle commune (17 avril 1943).
Préconisation d'un accord entre l'administration hospitalière et les caisses d' Assurances sociales.
10 mai
'Le rôle du médecin praticien dans l'organisation de la médecine préventive' (dr. A Feil) : "seule la pratique du généraliste par rapport au savoir théorique du grand patron ou au médecin salarié limite le risque d'erreur médicale".
Cf. La responsabilité d'un médecin transfuseur de sang à propos d'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 avril 1945. Un médecin transfuseur a contaminé un opéré avec la syphilis. Au cas d'espèce, Le Concours Médical considère que la Cour d'appel n'a pas à porter de jugement scientiifque dans un domaine où ne s'applique pas le droit commun, cela revient au médecin.
31 mai
Le projet de nomenclature des actes médicaux déposé au ministère de la Santé. Commentaires du dr. Fernand Decourt, un 'anti nomenclaturiste', un tel projet avait déjà été déposé en 1944 par le défunt Conseil de l'ordre. Il ne s'agit pas de tarification, mais d'un catalogue des actes médicaux, les K et les Pc. Le Concours Médical rappelle qu'une première nomenclature avait été déposée au Journal Officiel le 30 nov. 1931, suite a la loi sur les Assurances sociales.
10 juin
Manifeste de l''Union des médecins français', le 27 mai 1945 à Paris.
Intervention de R. Debré : les problèmes qui doivent être traités : le problème démographique, la réforme de l'exercice de la profession médicale (défense de la médecine de famille), à ce sujet Debré se défend d'être l'auteur du factum mis en circulation il y a quelques mois à Paris (?) et empreint d'hostilité envers la médecine libérale, l'enseignement de la médecine, la médecine fonctionnaire, les réseaux d'assistance médico sociaux, la constitution d'un grand ministère de la population.
20 juillet, 10 aout
Le Concours Médical aborde la question du secret professionnel dans les Assurances sociales et la confidentialité du dossier médical.
20 octobre
Présentation des ordonnances d'octobre 1945 (dites ordonnances Laroque)
Conférence de presse de Parodi : le nouveau régime de l'assurance maladie préserve l'entente directe et tarifs communs, "...la loi sur la Sécurité sociale consiste à affirmer la solidarité de tous les citoyens quelque soit leur gain, face aux risques sociaux"
Principes : étendre les assurances sociales à toute la population. Mettre de l'ordre ans la gestion des caisses (une seule caisse par secteur). Principe des honoraires fixés par accord entre les syndicats médicaux et les caisses.
Commentaires : les pouvoirs publics donnent acte aux médecins qu'ils ne sont pas responsables de la rupture de l'équilibre financier des caisses. Tarifs : on a remplacé la trilogie ministérielle par une commision nationale mixte chargée d'homologuer les tarifs (conventionnement dit CH), donc les médecins ne pourront plus établir leurs tarifs qu'en accord avec les caisses... Si imbus soit on d'esprit social, on ne peut que constater l'asservissement des médecins.... leur peu de poids dans l'Etat. On leur fait place comme partie servante, comme partie prenante, on les bouscule. Telle est la loi impitoyable des masses.
La confédération des syndicats médicaux français (CSMF) devant l'ordonnance du 24 septembre 1945 (exercice et organisation de la profession de médecin). Commentaires de P. Cibrié.
Les conditions d'exercice : être diplomé de l'Etat (art 5 : qq. exemptions dans certaines circonstances pour les internes). Citoyen français. Inscrit au tableau de l'Ordre des médecins.
Organisation hospitalière à l'étude. L'expérience de Beaujon tentée en accord avec l'A.P. et le ministère de la Santé par le dr Wolfsohn (conseiller municipal de Levallois). Un 'full time' hospitalier avec possibilités de recevoir une clientèle particulière à l'hôpital. Quant aux consultations externes, l'hôpital fonctionne comme un centre de diagnostic.
Honoraires : la confédération demande l'indexation sur les salaires.
L'entente directe en discussion : les médecins conscients que l'assurance maladie peut compenser la perte de revenus due à la prolétarisation de la clientèle expriment leur accord pour fixer le montant dans 85 % des cas tels que préconisés par les caisses (Jean Mignon).
La nomenclature des actes. La médecine n'est pas seulement une technique hiérarchisée et l'art s'accomode mal des règlements. Il fallait donc trouver une nécessaire souplesse qui a été heureusement réintroduite dans le texte de l'ordonnantce. L'art 13 considère comme justifié tout honoraire supérieur au tarif s'il a pour motif la situation de fortune de l'assuré, la notoriété du praticien ou toutes autres circonstances particulières.
Les médecines repprochent aux caisses d'Assurances sociales non pas d'être trop généreuses vis à vis des assurés, mais de thésauriser, ce qui explique un déficit difficile à chiffrer, mais de plusieurs milliards de francs.
Hopitaux : le montant des honoraires sera fixés par conventions collectives entre les Caisses et les syndicats de praticiens.
Cliniques (privées) : régime du conventionnement prévu par loi du 2 avril 1942.
Le principal apport positif de la récente réforme est l'assurance de longue maladie (venir en aide aux tuberculeux).
Introduction du médecin conseil aux cotés du médecin traitant
20 novembre
Médecine et liberté. "Nous avons dit combien la collaboration syndicat-caisse nous parait souhaitable, mais ceci dans le cadre des dispositions actuelles qui constituent l'extrême limite de ce que peut accepter une profession si elle entend rester libre". Les médecins français "vomissent" la loi allemande de 1911 (sur les Ass. sociales) qui conduit les syndicats médicaux à percevoir des honoraires qu'ils reversent ensuite aux praticiens.
30 novembre
Relations médecins praticiens - médecins conseils, nécessité de l'entente, la saisine par le praticien est suggérée. Accord obtenu pour garantir le secret médical.