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Entretien avec Dominique Duguet

N. Givernaud, J.-F. Picard, le 26 février 2002 à l'Institut de Myologie, CHU Salpétrière. Texte revu par D. Duguet.
(source : https://histrecmed.fr/temoignages-et-biographies/temoignages)

Comment avez vous été recrutée par l'AFM madame Duguet ?

J'ai une formation scientifique. Après m'être occupée de l'éducation de mes enfants, j'ai pris un poste de professeur de sciences naturelles, mais ça ne m'a pas emballée. De toute façon, je n'avais pas de perspective de poste fixe avant un certain temps. Je suis mariée avec un chercheur de l'Université d'Orsay et c'est par l'intermédiaire de mon mari que j'ai fait la connaissance de François Gros (que j'avais eu par ailleurs comme Professeur à la fac). Monsieur Gros m'a invitée à venir travailler à l'AFM dont il présidait le Conseil scientifique. C'est ainsi que j'ai commencé à seconder Robert Manaranche.

Première période, les maladies neuromusculaires

Le Conseil scientifique de l'AFM existe depuis 1981. Pendant les dix premières années, l'AFM s'est intéressée à tous les aspects de la recherche concernant les maladies neuromusculaires. Nous lancions uniquement des appels d'offres Neuromusculaires pour des recherches tous azimuts, de la clinique au psychosocial, ou pour le soutien aux consultations par exemple ; c'est à dire pour tout ce que l'on pouvait faire et comprendre sur les maladies neuromusculaires et nous soutenions les équipes demandeuses, quel que soit leur organisme d'origine, CNRS, Inserm, Universités, AP-HP, etc.

Deuxième période, le Généthon

Quand le Généthon a été mis en place dans les années 1990, l'aventure génétique a pris une ampleur fantastique. L'AFM a donc choisi de soutenir la recherche en Génétique sous l'impulsion de Bernard Barataud qui a été un peu visionnaire. De plus, je crois qu'il a été très bien conseillé par Robert Manaranche et par François Gros... Ce sont eux qui lui ont fait comprendre qu'il fallait prendre le problème à la base... La communauté scientifique, tant française qu'internationale, a applaudi à ce projet qui permettrait de développer les outils de la génomique et les mettrait à sa disposition... On a aussi lancé des appels d'offres qui portaient sur la localisation et l'identification des gènes pour toutes sortes de maladies. Les labos du Généthon ne participaient pas aux appels d'offres, c'était une subvention particulière puisque le projet était d'une toute autre ampleur et qu'il était financé par l'AFM via un autre canal.

Troisième période, la 'grande tentative' des thérapies géniques

Enfin, après la publication des cartes du génome en 1997-98, l'AFM a souhaité se tourner vers la thérapie génique. Nous ressentions cette demande d'aller vers les thérapies de la part des malades. Sans arrêt, nous sommes appelés au téléphone par des gens qui nous disent qu'ils ont telle maladie et qui nous demandent ce que l'on peut faire ? Je veux dire par là que notre mission de base n'est pas de financer la recherche fondamentale, ce qui est l'affaire des établissements publics, mais de répondre à ce genre de demandes. Quand l'AFM a décidé au début de financer la recherche fondamentale c'était dans le but d'arriver aux préoccupations thérapeutiques. La politique scientifique de l'AFM a plutôt été fixée par son Conseil d'Administration que par son Conseil Scientifique, car elle est avant tout une association de malades. Donc la recherche fondamentale, c'est très bien, mais il faut qu'elle s'ouvre un jour ou l'autre vers les applications thérapeutiques. D'où la décision de s'orienter vers la thérapie génique selon un programme d'appels d'offres baptisé la 'Grande Tentative'.

Le système des appels d'offres

Comme nous avions aidé beaucoup d'équipes dans l'identification de leurs gènes, nous voulions les aider à utiliser ces connaissances pour les orienter vers la thérapie génique. On a donc lancé des appels d'offres dans ce nouveau domaine, à l'exception du Généthon, en effet, l'AFM ne rémunère pas directement de chercheurs. Notre mode de fonctionnement consiste à subventionner les labos qui répondent à nos appels. En général, ces appels d'offres débouchaient sur des subventions d'un an. Maintenant, on a étendu le délai à deux ans parce que l'on s'est rendu compte qu'il était difficile de mener un projet sur une seule année. Au terme du contrat, on évalue l'état d'avancement de la recherche à partir du renouvellement des demandes, qui comportent un compte-rendu d'activité. Souvent elle est reconduite, mais pas toujours. Au début, comme on avait très peu d'équipes sur les maladies neuromusculaires, on avait suffisamment d'argent pour soutenir pratiquement toutes les demandes. Pas la suite, comme le champ de nos programmes s'est élargi, nous avons dû renforcer nos critères de sélection ce qui nous a conduit à renforcer notre dispositif d'évaluation scientifique. C'est comme cela que nos Conseils scientifiques se sont étoffés au fil des ans. Aujourd'hui, nous avons même recours à des évaluations extérieures, à l'étranger...

Une action internationale

Avant 1995, lorsqu'une équipe étrangère obtenait un soutien de l'AFM, nous lui demandions d'envisager une collaboration avec une équipe française. Mais on s'est rendu compte que certaines recherches étaient faites à l'étranger et pas en France, parfois par des équipes de pointe. Comme notre intérêt est de faire avancer la recherche, désormais on n'impose plus cette collaboration et dans les faits notre soutien à des équipes étrangères n'a cessé de croître... Ces équipes étrangères sont principalement d'origine anglo-saxonne, mais il y en a aussi d' israéliennes et quelques unes d'origine maghrébine. Dans le cas de ces dernières, c'était surtout le cas à l'époque de l'identification des maladies génétiques, lorsque les chercheurs étaient confrontés à des pathologies qu'ils ne connaissent pas, mais qu'ils disposaient de panels de familles importants. Nous avons ainsi passé de nombreux accords avec le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Turquie, des pays où il y a beaucoup de consanguinité dans les familles, ce qui facilite l'identification des gènes pathogènes. Dans les années 1980, on l'avait fait en France pour les maladies neuromusculaires par exemple avec l'équipe de Jean-Claude Kaplan au CHU Cochin, mais on n'avait pas suffisamment de familles. Aujourd'hui, l'activité de l'AFM à l'étranger représente 15 à 20 % du volume des subventions, ce qui n'est pas négligeable.

Le problème des brevêts

Le problème qui pourrait se poser avec le financement à l'étranger est de voir échapper des brevets susceptibles d'être pris en France. Quand il y a des recherches vraiment 'chaudes', on essaye de se prémunir par contrat, surtout lorsqu'on fournit une grosse subvention comme par exemple à l'équipe de Gédéon Dreyfus aux Etats-Unis ou lors de la collaboration Harvard-Généthon. Nous tenons à ce que des clauses très strictes puissent protéger les patients français afin qu'ils ne soient pas obligés d'aller acheter leur médicament ailleurs. C'est une question devenue importante depuis trois ou quatre ans, d'autant plus que les Américains ont parfois l'impression fâcheuse que tout leur appartient !

Les relations avec les organismes publics

Personnellement, j'ai peu de relations avec les organismes publics, du moins avec leur direction. Mes contacts sont plutôt avec les chercheurs, pris individuellement, avec lesquels nous avons d'excellentes relations. Les scientifiques ont très bien compris que nous étions avant tout une association de malades et que nous n'étions pas là pour remplacer l'Inserm ou le CNRS... Il leur arrive de nous dire que si nous n'avions pas été là, ils n'auraient pas pu travailler par manque de crédits. Notre aide est un complément dans leur activité et si notre stratégie n'est pas forcément la leur, ils ont toujours joué le jeu. En revanche, au niveau de la direction des organismes publics, c'est vrai qu'il y a eu des heurts. C'est du moins ce qu'on entendait dire dans les couloirs. On nous reprochait d'influer sur leurs stratégies. Nous, nous pensions qu'ils avaient un métro de retard ! Reste que les gens du CNRS ont apporté l'idée des modèles animaux, l'idée de la recherche sur des modèles plus simples. Quant aux chercheurs de l'Inserm, ils se heurtaient au problème du modèle humain. On ne peut pas faire de la génétique expérimentale avec des êtres humains... alors qu'avec la levure, toutes les 20 minutes vous avez une nouvelle génération.

Les médecins

Au début, il semble que les médecins n'aient pas trop cru aux développements de la génétique appliquée aux maladies neuromusculaires. Mais il y avait des exceptions, par exemple Jean Frézal ou Michel Fardeau qui ont donné une forte impulsion à la recherche; le laboratoire de Mr Frézal est l'un des premiers à s'être intéressé aux pathologies humaines par la voie génétique. Mais il est vrai que la situation des médecins était difficile, je veux dire celle qui consiste à mener de front une activité de clinicien et de chercheur. Quant à faire de la génétique moléculaire, que dire sinon qu'ils n'étaient pas formés pour en faire ? En fait, je crois que nos médecins avaient de meilleures notions en immunologie qu'en génétique et, en fait, ils étaient tournés vers des activités de recherche plus pratiques, en chirurgie par exemple...