André Capron
(source Inserm)
André Capron est né le 30 décembre 1930 à Lens (Pas-de-Calais). Il a mené ses études secondaires aux lycées de Cambrai et de Laon et ses études supérieures dans les facultés de médecine et des sciences de Lille.
Docteur en médecine, licencié ès sciences
Maître de conférence agrégé (1961), professeur sans chaire (1966), chef du service d'immunologie au CHU de Lille (1970-2000), professeur à l'université de Lille (1970-2000), directeur du centre d'immunologie et de biologie parasitaire à l'Institut Pasteur(1975-2001), directeur de l'Institut Pasteur de Lille (1994-2000).
Directeur de l'unité de recherche Inserm 167 (1977-2000), intitulée successivement "Immunologie et biologie parasitaires" (1977-1990), puis "Immunologie des maladies transmissibles et allergiques" (1991-1994) et enfin, "Relation hôte-parasite et stratégies vaccinales" (1995-2000).
Professeur émérite à l'université de Lille et directeur honoraire de l'Institut Pasteur de Lille.
conseil scientifique de l'Inserm (1987-1991), du conseil d'administration de l'ANRS (1999-2002), du comité stratégique régional de recherche en biologie et santé (1993-2000), membre du conseil scientifique de l'École normale supérieure (depuis 2001), délégué aux relations internationales de l'Académie des sciences (depuis 2003).
Travaux de recherche
André Capron est mondialement reconnu comme l'un des fondateurs de l'immunologie parasitaire. Il a entièrement dédié sa carrière scientifique à l'étude de la biologie des parasites et à la mise au point de nouvelles stratégies de prévention des grandes endémies.
Ses premières contributions à l'immunologie des parasites se traduisirent, dès 1962, par la description de la structure antigénique des helminthes, la mise au point de méthodes de diagnostic immunologique des maladies parasitaires (bilharzioses, hydatidose, distomatose) et à la mise en évidence de parentés antigéniques entre parasite et hôte, jetant les bases du concept de mimétisme hôte-parasite, domaine que André Capron a continué à enrichir durant toute sa carrière. Il est l'auteur de nombreux travaux fondamentaux dans le déchiffrage de ce qu'il a nommé "le langage moléculaire" des parasites.
En 1980, avec l'avènement de la biologie moléculaire, il développe avec son groupe de recherche un ensemble de travaux concernant la génétique moléculaire des schistosomes, qui conduit en 1987 à l'identification de plusieurs vaccins potentiels contre les schistosomiases. L'un d'entre eux a fait l'objet de travaux sur l'animal. L'étude de son mécanisme d'action a conduit à de nouvelles stratégies d'immunisation muqueuse à l'aide de vecteurs vivants ou synthétiques. Ce vaccin, en phase d'essais cliniques depuis 1998, est le résultat de progrès considérables dans la définition d'un vaccin potentiel contre la bilharziose, seconde endémie parasitaire mondiale après le paludisme.
En même temps qu'il menait ses recherches, André Capron s'investissait activement dans le développement de la recherche biologique et médicale dans les pays en développement.
Il a ainsi créé, avec Pierre Aigrain, la première commission nationale "santé et développement", puis présidé le premier programme européen sciences et techniques en faveur du développement (1983-1987). Il a été président du programme sur la bilharziose de l'OMS (1983-1987) et, à l'issue de ce mandat, il a été membre du Scientific Advisory Group of Experts de l'OMS (1987-1999) et membre du Scientific and Technical Advisory Committee de l'OMS (1988-1992).
Distinctions – Prix
Lauréat de l'Académie nationale de médecine, prix Leveau de l'Académie nationale de médecine (1959), prix recherche et médecine de l'Institut des sciences de la santé (1984), Prix Richard Lounsbury de l'Académie des Sciences et de la National Academy of Sciences américaine (1986), Bernard Nocht Medal (1987), prix Sphères du mécénat de la Fondation Fiat France, Institut de France (1989), prix Kullmann de la Société des sciences, de l'agriculture et des arts de Lille (1989), prix international de médecine de la King Faisal Foundation (1990), prix Inserm/Académie des sciences (1993), Grand prix de la Fondation pour la recherche médicale (2000)
Docteur honoris causa de l'université de Bruxelles (1997) et de l'université de Gand (1999)
Commandeur de l'Ordre du Lion (1990), commandeur de l'Ordre national du mérite (1990),
chevalier de la Légion d'honneur (1992)
Sociétés savantes – Académies
Président de la Société française d'immunologie (1981), Elected Fellow de la New York Academy of Sciences (1984), Honorary Fellow de la London School of Tropical Medicine and Hygiene (1985), vice président de la Royal Society of Tropical Medicine and Hygiene (1987), membre honoraire de l'American Society of Tropical Medicine (1994).
Membre de l'Académie des sciences – Institut de France (1988), membre de l'Académie nationale de médecine (1991), membre honoraire étranger de l'Académie royale de médecine de Belgique (1994), membre de la New York Academy of Sciences.
Publications les plus représentatives
CAPRON A., DESSAINT J.P., CAPRON, M., BAZIN H. Specific IgE antibodies in immune adherence of normal macrophages to Schistosoma mansoni schistosomules. Nature, 253: 474-475, 1975.
CAPRON M., CAPRON A., GOETZL E.J., AUSTEN K.F. Tetrapeptides of the eosinophil chemotactic factor of anaphylaxis (ECF-A) enhance eosinophil Fc receptor. Nature, 289: 71-73, 1981.
HAQUE A., CAPRON A. Transplacental transfer of rodent microfilariae induce antigen specific tolerance in rats. Nature, 299: 361-363, 1982.
GRYZCH J.-M., CAPRON M., LAMBER P.-H., DISSOUS C., TORRES S., CAPRON A. An anti-idiotype vaccine against experimental Schistosomiasis. Nature, 316: 74-75, 1985.
BOUT D., JOSEPH M., PONTET M., VORNG H., DESLEE D., CAPRON A. Rat resistance to Schistosomiasis : Platelet - mediated cytotoxicity induced by C-reactive protein. Science, 231: 153-156, 1986.
DISSOUS C., GRZYCH J.M., CAPRON A. Schistosoma mansoni shares a protective oligo-saccharide epitope with freshwater and marine snails. Nature, 323: 443-445, 1986.
BALLOUL J.M., SONDERMEYER P., DREYER D., CAPRON M., GRZYCH J.M., PIERCE R.J., CARVALLO D., LECOCQ J.P., CAPRON A. Molecular cloning of a protective antigen against schistosomiasis. Nature, 326: 149-153, 1987.
CESBRON J.Y., CAPRON A., VARGAFTIG B.B., LAGARDE M., PINCEMAIL J., BRAQUET P., TAELMAN J., JOSEPH M. Platelets mediate the action of diethylcarbamazine on microfilariae. Nature, 325: 533-536, 1987.
CAPRON A. , DESSAINT J.P., CAPRON M., OUMA J.H., BUTTERWORTH A.E. Immunity to schistosomes : Progress toward vaccine. Science, 238: 1065-1072, 1987.
AMEISEN J.C., GUY B., LECOCQ J.P., CHAMARET S., MONTAGNIER L., LOCHE M., MACH B., TARTAR A., MOUTON Y., CAPRON A. Persistent antibody response to the HIV-I-negative regulatory factor in HIV-I infected seronegative persons. New Engl J Med, 320: 251-252,1989.
CESBRON-DELAUW M.F., GUY B., TORPIER G., PIERCE R.J., LENZEN G., CESBRON J.Y., CHARIF H., LEPAGE P., DARCY F., LECOCQ J.P., CAPRON A. Molecular characterization of a 23-kilodalton major antigen secreted by Toxoplasma gondii. Proc Natl Acad Sci (USA), 86: 7537-7541, 1989.
GROUX H., TORPIER G., MONTE D., MOUTON Y., CAPRON A., AMEISEN J.C. Activation-induced death by apoptosis in CD4+ T cells from human immunodeficiency virus-infected asymptomatic individuals. J Exp Med, 175(2): 331-40, 1992.
TRUONG M.J., GRUART V., KUSNIERZ J.P., PAPIN J.P., LOISEAU S., CAPRON A., CAPRON M. Human neutrophils express immunoglobulin E (IgE)-binding proteins (Mac-2/eBP) of the S-type lectin family : role in IgE-dependent activation. J Exp Med, 177: 243-248, 1993.
SOUSSI GOUNNI A., LAMKHIOUED B., OCHIAI K., TANAKA Y., DELAPORTE E., CAPRON A., KINET J.P., CAPRON M. High-affinity IgE receptor on eosinophils is involved in defence against parasites. Nature, 367: 183-186, 1994.
CAPRON M., CAPRON A. Immunoglobulin E and effector cells in Schistosomiasis. Science, 264: 1876-1877, 1994.
RENAULD-MONGENIE G., MIELCAREK N., CORNETTE J., SCHACHT A., CAPRON A., RIVEAU G.
Induction of mucosal immune responses against a heterologous antigen fused to filamentous hemagglutinin after intranasal immunization with recombinant Bordetella pertussis. Proc Natl Acad Sci (USA), 93: 7944-7949, 1996.
ESCRIVA H., SAFI R., HANNI C., LANGLOIS M., SAUMITOU-LAPRADE P., STEHELIN D., CAPRON A., PIERCE R., LAUDET V. Ligand binding was acquired during evolution of nuclear receptors. Proc Natl Acad Sci (USA), 94: 6803-6808, 1997.
ANGELI V., FAVEEUW C., ROYE O., FONTAINE J., TEISSIER E., CAPRON A., WOLOWCZUK I., CAPRON M., TROTTEIN F. Role of the parasite-derived prostaglandin D2 in the inhibition of epidermal Langerhans cell migration during schistosomiasis infection. J Exp Med, 193: 1135-1147, 2001.
André Capron,
Président du conseil scientifique de l'Inserm de 1987 à 1991
Bilan d'une mandature
Propos recueillis par Monique Vigy, journaliste au Figaro
André Capron, président du conseil scientifique de l'Inserm et directeur de l'Unité Inserm 167,
accueille Bruno Durieux, ministre de la santé, en présence de André Kirn, président du conseil d'administration
et Philippe Lazar, directeur général
Monique Vigy : Votre premier travail, il y a quatre ans, a été le rapport de conjoncture et de prospective. De votre point de vue actuel, en regardant ce rapport de façon rétrospective, quels éléments essentiels dégagez-vous ? Parlons d'abord des aspects positifs.
André Capron : Au risque d'être taxé d'outrecuidance, je dirais tout d'abord, que, d'une manière générale, il m'apparaît que les priorités que nous avions dégagées dans ce rapport et les moyens que nous avions définis pour les atteindre étaient les bons. Si j'avais maintenant à réécrire celui-ci, je redéfinirais les mêmes grands défis et les mêmes moyens du succès. En particulier, je crois que nous avons assuré, dans le cadre de cette mandature, un progrès important de l'organisme vers une meilleure prise en charge de la recherche clinique. Une identification plus précise de ses objectifs, un soutien accru et une démarche novatrice dans les modes de soutien de cette politique ont été mis en œuvre. Nombre de mesures concrètes sont intervenues pour assurer le dynamisme de cette politique :
• création d'une commission spécialisée des postes d'accueil pour internes et chefs de clinique, accompagnée par l'effort considérable fait par la direction générale pour l'accroissement du nombre de ces postes
• développement des interfaces entre les commissions scientifiques spécialisées et les sociétés savantes représentant les diverses spécialités médicales
• intensification des réseaux de recherche clinique, mise en place des contrats normalisés d'études pilotes, permettant l'attribution rapide de moyens légers, et des services communs conseils de recherche clinique
Au-delà de ces mesures concrètes, un esprit nouveau est entré dans l'Institut : la recherche clinique acquiert désormais une place à part entière. Je me souviens des remarques sarcastiques faites par certains de mes collègues au début de ma mandature : «La recherche clinique, c'est le serpent de mer, tout le monde en parle et personne n'y croit vraiment».Ces mêmes sarcasmes n'ont plus de raison d'être maintenant. C'est là une des évolutions les plus intéressantes de la mandature de ce conseil scientifique. D'autant plus importante à mes yeux qu'elle ne s'est pas faite aux dépens des grands axes de la recherche fondamentale. Tout cela s'est fait avec une volonté d'équilibre, alors qu'en France, trop souvent, quand on pousse une priorité, on en écarte une autre.
Voilà pour l'aspect positif.
M.V. : Avez-vous par ailleurs des "regrets" ?
A.C. : Cela est inévitable. J'en vois essentiellement deux. L'accent que nous avions mis sur la formation continue et, plus généralement, sur la gestion des ressources humaines n'a pas encore eu tout l'impact que nous souhaitions. Les problèmes de reconversion sont particulièrement aigus, comme dans toutes les grandes institutions, et plus encore dans les métiers de la recherche. Le vieillissement a un impact considérable sur des activités fondées sur la créativité, la novation. Toute une réflexion devrait être faite sur la gestion de certains personnels de recherche chez qui risque de s'installer un calme ronronnement. Garder la compétitivité de l'organisme nécessite la mise en place de moyens de reconversion.
Par ailleurs, l'évolution des sciences et des techniques conduit à l'émergence de besoins nouveaux en matière de formation. C'est un problème pour lequel il faut, tout à la fois, faire preuve d'imagination, s'adresser à des professionnels de la formation, réfléchir à des structures adaptées...
Il faut également sortir des tentations centralisatrices pour toucher beaucoup plus largement les cercles qui en ont le plus besoin. La mise en place des ateliers de formation est une grande réussite. Cependant, par définition, leur politique est élitiste : ces ateliers ne concernent guère que des domaines de pointe, certes importants, mais qui n'épuisent pas les besoins de formation et, pour des raisons trivialement matérielles, ils s'adressent à des nombres très limités de participants. Il serait peut-être utile de faire en sorte que ces ateliers de formation puissent s'organiser de manière tournante, en faisant plusieurs sessions. L'animation des scientifiques, remarquablement mise en place par l'Inserm, exige finalement un renouvellement permanent des formules, une adaptation à l'évolution de l'organisme et à la «sociologie» de la communauté scientifique", qui évolue considérablement en ce moment.
Mon second regret se rapporte à l'accent que nous avions mis sur la nécessité d'un effort plus volontariste de l'institution dans ce que nous avions appelé la «poIitique de sites». Je m'explique : la direction générale et les instances scientifiques se trouvent dans une procédure qui consiste à recevoir des demandes de création, à en déterminer la qualité scientifique et à donner ou non leur aval. Il manque dans tout cela une dimension
importante : celle de la participation active de l'organisme et de ses instances scientifiques à l'induction d'une politique qui tienne compte de diverses priorités. Priorités scientifiques, en particulier promouvoir de nouveaux thèmes et poser de nouvelles questions, mais également priorités concernant l'implantation géographique. Une certaine cohérence devrait davantage se manifester dans le choix d'implanter telle unité à tel endroit en fonction de raisons tenant à l'environnement, à la coordination ou à la coopération avec le milieu scientifique, universitaire ou hospitalier. Je crois que la direction générale va inscrire cette politique de sites dans ses priorités pour la prochaine mandature. Je m'en réjouis. Je fais aussi le souhait d'une politique plus volontariste de la direction générale et des instances scientifiques. Au risque d'être taxé de dirigisme, je dirais que, à mon sens, une institution comme l'Inserm, qui a la responsabilité de la conduite de la recherche biologique et médicale en France, doit avoir un rôle plus actif dans l'induction des projets de recherche.
M.V. : En quatre ans, l'Inserm a fermé 36 unités et en a ouvert 31. Cela correspond-t-il à la politique que le conseil avait définie pour ce qui concerne les domaines prioritaires d'intervention ?
A.C. La valeur d'une institution ne tient pas au nombre de ses unités, mais à leur qualité ! je préfère terminer cette mandature avec moins d'unités qu'il n'y en avait lorsque nous l'avons commencée, en étant assuré que le choix a été fait sur des critères d'excellence. Cela nous conduit à évoquer la notion de conflits de critères. Le conseil scientifique, et c'est là une de ses fiertés, a mené son action en respectant toujours le critère de qualité scientifique. Il s'est refusé à toute compromission, et cela l'a conduit à devoir prendre parfois des décisions assez dramatiques. Et, notamment, à appauvrir certains domaines de recherche déjà trop faiblement représentés. Mais nous ne nous sommes pas laissés impressionner par l'abandon apparent de certains domaines, lorsqu'il nous est apparu qu'ils avaient perdu leur compétitivité...
Mais à côté du critère de qualité - numéro un - viennent ensuite, obligatoirement, les exigences thématiques et, enfin et ce n'est pas notre moindre contrainte, les règles de décentralisation qui nous sont imposées. A un moment donné, survient inévitablement un conflit de critères. Cela ne signifie pas que nous avons créé en province des unités de mauvaise qualité, mais nous avons été obligés de refuser à Paris des créations sur des projets qui étaient excellents. Nos critères de qualité ont dû parfois s'effacer devant d'autres exigences. Cette opposition n'a pas toujours permis de respecter les priorités thématiques que nous nous étions nous-mêmes imposées.
M.V. : Quels sont les secteurs qui, d'après vous, se sont le mieux rapprochés des priorités, des objectifs que le conseil scientifique avait définis ? Quels sont, en revanche, parmi les sept défis majeurs identifiés, ceux qui vous paraissent avoir été le moins relevés ?
A.C. : Nous avons bien relevé un certain nombre de défis, notamment dans les domaines de la recherche clinique, du vieillissement et du cancer. En revanche, les actions n'ont guère été significatives pour ce qui concerne l'environnement, la santé mentale ou les maladies invalidantes. Ce qui pose d'ailleurs un problème : pour ces disciplines, qui ne relèvent pas de la recherche biologique traditionnelle, on perçoit bien que les instances scientifiques spécialisées ne sont pas, dans leur composition, équilibrées de manière telle qu'elles assurent la prise en charge de ces domaines avec la même priorité que celle qu'elles accordent à des questions de recherche traditionnelle. Conscient de ce problème, le conseil scientifique a proposé à la direction générale la création de trois intercommissions qui vont être mises en place dans les prochains mois. Instances de réflexion et de propositions, elles seront, pour peu qu'on les écoute, essentielles pour pallier certaines faiblesses.
M.V. : Estimez-vous que les objectifs de l'Inserm, pour ce qui concerne les critères d'implantation et la répartition Paris/province, ont été atteints ?
A.C. : Lorsqu'on fait le compte des unités et des contrats jeunes formations (CJF), le rééquilibrage Paris/province fait en quatre années est très net *. Cela étant, cette politique appelle deux remarques : d'abord, nous avons calculé que, au rythme des procédures de création, obtenir un rééquilibrage parfait sera l'œuvre d'une génération ; ensuite, il est nécessaire de se demander si cette volonté politique (qui ne repose sur aucun critère scientifique) a réellement un effet bénéfique sur l'Institut. Ma réponse est très nuancée. D'une part, dans son ensemble, la communauté scientifique est peu favorable à cette politique, qui donc devrait faire l'objet de plus d'information. D'autre part, cette politique a conduit pour Paris à un déséquilibre manifeste entre les fermetures et les ouvertures. Il s'ensuit un certain gaspillage de nos ressources, pour ne pas parler d'une certaine déstabilisation de la communauté scientifique parisienne, en particulier pour les chercheurs dont on n'a pas prévu, de manière anticipée ou simultanée, la réinsertion et la réaffectation. Il y a plus grave. On aurait pu espérer que cette politique entraînerait une migration de chercheurs vers la province. Ce qui ne s'est pas fait. Cette politique n'a eu, à ce moment, qu'un bénéfice modeste pour la province.
Enfin, on ne peut pas mener de politique de décentralisation sans l'accompagner de mesures financières incitatives. Décréter sur le papier qu'on va créer deux contrats jeunes formations en province pour un à Paris ne suffit pas. Si on veut véritablement inciter de bonnes équipes parisiennes à s'installer ailleurs que sur leur lieu de formation pour aller fertiliser Lille, Rouen ou Poitiers, il faut que des moyens particuliers soient accordés à ceux qui prennent le risque de la décentralisation. Il y a quatre ans, nous avions fait la proposition de créer des unités régionales de technologie avancée (URTA). L'idée n'a pas été retenue... Ces unités auraient pourtant constitué des structures très attractives, en permettant de doter des grands centres de province d'un plateau technique hautement performant, autour duquel des équipes de niveau élevé auraient envie de se regrouper par un processus fédératif .
* Nombres d'unités de recherche et de CJF créés : à Paris, respectivement 14 et 14 (28) ; en province, respectivement 16 et 26 (42).
M.V. : Vous avez mis en place les premiers contrats jeunes formations. Quel bilan faites-vous de cette expérience ?
A.C. : Le bilan est globalement très positif. Cette innovation a permis de mener une politique de création en province, de dynamiser des jeunes équipes, de permettre, et ce n'est pas négligeable, l'évolution harmonieuse de certains grands ensembles qui, par bourgeonnement, ont fait émerger en leur sein des équipes qui étaient mûres pour l'autonomie. Une manière très élégante de régler l'avenir de certaines grandes structures.
Mais la création des contrats jeunes formations ne va pas pourtant sans effets pervers : on en crée deux fois plus en province qu'à Paris, d'où un certain risque "d'émiettement provincial". Se pose aussi un problème crucial : l'avenir de ces structures. Par définition, 50% d'entre elles seulement vont se transformer en unités de recherche dans un délai de trois ou quatre ans. Ne laisser comme seule alternative que la disparition ou la transformation en unité ne m'apparaît pas être une démarche optimale. On pourrait imaginer, pour l'avenir, la mise en place d'une politique volontariste de fédération.
Deux hypothèses. Il s'agit d'une jeune formation en plein épanouissement, qui peut être transformée en unité sans artifices, sans se livrer au jeu du chasseur de têtes ou du sergent recruteur pour rameuter des chercheurs et cela ne pose guère de problèmes. Mais pourquoi réduire à néant, brutalement, au bout de quatre ans, les efforts de plus de 50% des CJF, alors que, parfois, se trouvent des jeunes équipes de trois, quatre ou cinq personnes, qui sont très performantes et qui, si on les fédérait, tout en préservant leur autonomie dans un grand ensemble, garderaient toute leur efficacité ? Sous réserve d'une évaluation scientifique favorable, nombre de CJF pourrait rester en fédération. Cela serait un élément très incitatif à la politique des sites.
M.V. : Les réseaux de recherche clinique permettent-ils un réel rapprochement entre les chercheurs et les cliniciens ? Est-on parvenu à l'instauration d'échanges, qu'il s'agisse de définitions d'objectifs ou de méthodologie, ou de confrontation de résultats ?
A.C. : Le pari était difficile et il a été réussi. Dans l'estimation que nous avons faite, en prenant comme critère du succès une intégration complète des perspectives des fondamentalistes et des cliniciens, nous pouvons dire qu'un tiers des réseaux a été un grand succès, permettant de faire émerger des collaborations nouvelles et très fructueuses entre chercheurs et cliniciens. Un autre tiers a eu un succès plus qu'honorable. Dans un dernier tiers, le pari ne peut être considéré comme réussi, ce qui est somme toute honorable s'agissant d'une démarche à risques. On retrouve cette impression au plan des publications scientifiques : dans 3/4 des cas, les réseaux ont donné lieu à des publications excellentes ou satisfaisantes.
Cependant, la population de chercheurs et de cliniciens capables de se livrer à cet exercice n'est pas extensible à l'infini, de sorte que le nombre des demandes se tasse, tandis que la compétitivité baisse. Cette année, le nombre de demandes atteindra pratiquement celui des possibilités * . Cela n'est pas bon. Que faire ? Conforter la formule, car elle est bonne, mais en lui donnant deux dimensions nouvelles :
- les meilleurs de ces réseaux pourraient passer d'une conception nationale à une dimension transfrontalière et européenne et contribuer à une véritable politique d'ouverture européenne de l'Institut
- un certain nombre de ces réseaux - ceux qui ont atteint un niveau d'excellence - pourraient être un instrument important pour l'établissement de liens étroits entre l'Inserm et les structures hospitalières, servir de base à la politique que le directeur général entend mener sur l'implantation de l'Inserm en milieu hospitalier, projet actuellement animé par le professeur Pierre Corvol. Dans un souci de cohérence, il serait utile que les deux analyses se rejoignent.
* En 1985, 52 demandes de réseaux de recherche clinique pour 30 acceptations. En 1990, 32 demandes pour 23 acceptations.
M.V. : La définition d'objectifs prioritaires ne risque-t-elle pas d'être un carcan et d'empêcher le développement de certaine disciplines ?
A.C. : La question est mal posée, en ce sens qu'elle participe d'une analyse très française selon laquelle lorsqu'on définit des priorités, on abandonne le reste. Dans la mesure où notre définition des priorités reposait sur l'analyse des grands problèmes de santé du moment, le seul mérite que nous avons eu fut de les identifier, de les énoncer. Nous n'avons fait que formuler de manière explicite ce qui était déjà une réalité. Je ne crois pas que la définition de priorités ait pu limiter le développement de certaines disciplines. Certes, certains rapporteurs ont pu, pour défendre un projet, arguer du fait que celui-ci se trouvait dans les priorités. Mais je peux me porter garant que, lors de nos procédures d'évaluation, nous n'avons jamais rejeté un bon projet parce qu'il n'était pas dans les priorités de l'Institut.
M.V. : Le conseil scientifique a quatre ans de vie. Vous arrivez en fin de mandature : avez-vous le sentiment que cela soit une bonne durée pour mener un travail à bien ?
A.C. : Je quitte cette présidence avec un sentiment mitigé, où le regret de quitter mes fonctions l'emporte sur un certain soulagement de ne plus avoir à les assumer. Ce regret tient d'abord à la qualité des relations que cette mission m'a permis d'entretenir avec le directeur général de l'Inserm et l'ensemble de mes collègues du conseil scientifique ; ensuite, au fait que j'ai considérablement enrichi ma culture personnelle sur les grands horizons de la recherche médicale en France. Le rôle de président du conseil scientifique peut être ce qu'on en fait... J'ai tenu à ce que celui-ci ne soit pas une chambre d'enregistrement, et à ce qu'il ait un rôle actif dans la définition et le suivi de la politique scientifique de l'Institut. Je crois y être parvenu. Si je peux me féliciter de ce que l'immense majorité des propositions faites par le conseil scientifique à la direction générale a été suivie, c'est parce qu'il y avait entre le directeur général et le conseil une volonté permanente de dialogue et un affinement réciproque de nos points de vue.
Quant au sentiment de soulagement de quitter ces fonctions, il tient au fait que c'est une mission très stressante, éprouvante : le président du conseil scientifique sert un peu de «fusible» à l'interface de la communauté scientifique et de la direction générale. Je ne suis finalement pas mécontent de revenir à mes chères études.