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Une anomalie génétique est découverte dans la dégénérescence neuronale

Le magazine américain Science publie dans sa livraison du 8 mars le résultat d'une étude internationale qui met en lumière le rôle d'une anomalie génétique dans la survenue d'une dégénérescence neuronale mortelle, l'ataxie de Friedreich, chez les enfants de 5 à 15 ans. Le gène impliqué est situé sur le neuvième chromosome. Normalement, il dirige la synthèse d'une protéine, la frataxine, dont l'absence dans certains tissus serait à l'origine de lésions. UNE APPROCHE thérapeutique consisterait à apporter aux malades cette substance que leur génome ne peut synthétiser. L'ÉTUDE conduite par le professeur Jean-Louis Mandel (Université Louis-Pasteur de Strasbourg) a également permis l'identification du mécanisme génétique grâce à la mise en évidence d'une anomalie baptisée « expansion trinucléotidique ».

 JEAN-YVES NAU, Le Monde, 9 mars 1996

La publication dans les colonnes de l'hebdomadaire américain Science (daté du 8 mars) de la découverte de l'anomalie génétique responsable de l'ataxie de Friedreich marque la fin du premier travail de décryptage moléculaire des grandes maladies « classiques » neurologiques ou neurohéréditaires identifiées et décrites au cours du XIXe siècle. Elle ouvre dans le même temps, de manière inattendue, de nouvelles perspectives dans l'approche scientifique de la physiopathologie moléculaire des affections héréditaires ainsi que dans la thérapeutique de l'ataxie de Friedreich. Cette maladie a été décrite pour la première fois en 1863 par le neurologue allemand dont elle porte depuis le nom. Elle se traduit par l'apparition entre 5 et 15 ans de troubles rapidement progressifs de la coordination motrice et de la sensibilité. L'intellect est habituellement préservé. On ne dispose d'aucune thérapeutique, et la survie dépasse rarement le début de l'âge adulte. La mort est souvent le résultat des anomalies cardiaques qui sont associées aux lésions dégénératives observées dans les neurones. L'ataxie de Friedreich est la plus fréquente des affections classées dans le groupe des « ataxies héréditaires ». On estime qu'en Europe une personne sur 120 est porteuse de l'anomalie génétique à l'origine des symptômes et de la pathologie observée. Cette anomalie, qui n'est pas liée au sexe, se transmet sur le mode récessif : les porteurs de l'anomalie génétique ne sont pas atteints si cette anomalie n'existe qu'en un seul exemplaire dans leur génome. En revanche, deux parents « porteurs » peuvent donner naissance à des enfants atteints.

Identification du gène

Il y a moins de dix ans, une équipe londonienne (Susan Chamberlain, Bob Williamson) avait localisé sur le chromosome 9 le gène a priori impliqué dans cette maladie. Cette localisation fut rapidement confirmée, puis précisée, une équipe strasbourgeoise (André Hanauer) identifiant la région concernée dans la zone « 2q13 ». Toutefois, compte tenu des caractéristiques génétiques de cette région (dans laquelle les recombinaisons sont rares), il fallut attendre 1992 et les résultats d'une étude internationale pour que l'enquête puisse progresser. Grâce aux travaux de l'équipe du docteur Michel Koenig (Strasbourg), aux nouveaux outils de dépistage génétique fournis par le Centre d'étude du polymorphisme humain (Paris) et à la collaboration de près de 200 familles touchées, en France, en Italie et en Espagne, on peut cerner de manière de plus en plus fine la zone critique. Depuis un an, l'équipe strasbourgeoise dirigée par le professeur Jean-Louis Mandel reçoit le soutien actif de l'équipe italo-américaine du professeur Massimo Pandolfo (Baylor College of Medicine, Houston). La découverte publiée aujourd'hui dans Science est le fruit de cette collaboration exemplaire. Celle-ci a tout d'abord permis d'identifier avec précision le gène impliqué. Situé sur le chromosome 9, ce gène est de petite taille. Chez les personnes indemnes et non porteuses de l'anomalie, ce gène dirige la synthèse d'une protéine, constituée de 210 acides aminés. Les auteurs de cette découverte ont baptisé « frataxine » cette molécule qui ne ressemble à aucune protéine de fonction connue. Plusieurs éléments laissent penser que cette molécule pourrait être une protéine sécrétée. Les chercheurs disposent déjà des résultats préliminaires démontrant que chez les personnes « normales » cette protéine est présente dans différents tissus (moelle épinière, coeur, pancréas) qui, chez les malades, sont le siège de lésions caractéristiques (neurodégénérescence, cardiomyopathies, risques accrus de diabète). « Si les éléments dont nous disposons se confirment et si la frataxine est effectivement une protéine ou un précurseur de protéine sécrétée, on peut envisager une approche thérapeutique, qui consisterait à apporter aux malades cette substance que leur génome ne peut synthétiser, a expliqué au Monde le professeur Jean-Louis Mandel (CNRS, Inserm, université Louis-Pasteur de Strasbourg). Cet apport pourrait être du même type que ceux qui concernent les hormones ou les facteurs de croissance. Je souligne toutefois qu'il ne s'agit là que d'hypothèses qui demeurent à confirmer. » La frataxine montre par ailleurs, de manière étonnante, de très fortes similitudes avec des protéines que les séquençages systématiques du génome de la levure ou de celui du ver Caenorhabditis elegans permettent de prédire. Ces similitudes pourraient permettre d'avancer plus rapidement que prévu dans l'analyse de la fonction de la frataxine dans l'organisme humain.

L'autre aspect important de la publication de Science porte sur l'identification du mécanisme génétique impliqué dans la dégénérescence neuronale. L'étude de l'ADN de la région chromosomique concernée réalisée à Houston par Maria Dolores Motto montre de manière inattendue une augmentation de taille de ce fragment d'ADN. Et, en séquençant ce fragment, le groupe de Strasbourg a identifié la cause de cette augmentation : il s'agit d'une réplétion anormale d'un triplet de nucléotides, ces éléments unitaires de la structure de l'ADN. C'est la première fois que cette anomalie (baptisée « expansion tri-nucléotidique ») est mise en évidence dans une maladie héréditaire se transmettant sur le mode récessif. C'est la première fois également que l'on met en évidence ce triplet anormal. Les cas connus de pathologies dues à des expansions trinucléotidiques (la maladie de Steinert, la chorée de Huntington, le syndrome de l'X fragile) correspondaient à deux autres triplets, et certains en concluaient que seuls ces derniers pouvaient être concernés. « Chez les personnes normales, on n'observa dans cette région que de 9 à 25 triplets. Chez les malades, en revanche, on trouve de 200 à 900 de ces triplets, explique le professeur Mandel. C'est en outre la première fois qu'une expansion trinucléotidique est trouvée dans une partie non codante d'un gène. Il nous faut dorénavant chercher les possibles corrélations entre la taille de l'expansion et la sévérité des symptômes observés chez les malades. On pourrait ainsi peut-être établir que des expansions plus modérées, comprises par exemple entre 25 et 200, correspondent à des tableaux cliniques voisins mais d'apparition plus tardive qui ne sont pas diagnostiqués comme des ataxies de Friedreich. ». Cette nouvelle percée de la génétique moléculaire dans le champ médical permettrait ainsi, dans l'attente de ses prolongements thérapeutiques, de reprendre le classement de ces affections neurodégénératives qu'avait su établir la médecine du XIXe siècle sur la seule base de l'observation et de l'examen clinique.