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Colloque du XXème anniversaire de l’Inserm "Recherche médicale, santé société"
Perspectives de l’immunologie clinique, Jean-François Bach
Je suis d'accord avec François Kourilsky pour dire que, plus que toute autre discipline, l'immunologie illustre de façon parfaite les interactions qui doivent exister entre la recherche fondamentale et l'investigation clinique, interactions dont sont issus les plus importants progrès de la médecine moderne. Je crois même essentiel de ne pas séparer ces deux approches de la recherche biomédicale car, bien souvent, les raisonnements, les démarches sont parallèles, voire identiques. Faut-il rappeler que c'est de l'observation de malades atteints de myélomes que sont issues en quelques années la découverte de la structure des immunoglobulines et, plus récemment, la mise au point de la technique des hybridomes.
L'immunologie touche la plupart des secteurs de la médecine à laquelle elle a déjà beaucoup apporté. Je pense au sérodiagnostic des maladies infectieuses, à la production de puissants vaccins, à la prévention de la maladie hémolytique du nouveau-né et au succès des greffes de rein. Les progrès explosifs issus des techniques de clonage génétique et cellulaire (en particulier les hybridomes) ont ouvert des perspectives tout à fait nouvelles. Nous assistons, je crois, à une véritable révolution non seulement de l'immunologie fondamentale mais aussi clinique. Je souhaite en apporter la preuve au travers de quelques exemples récents de l'évolution de nos connaissances.
Les mécanismes de nombreuses maladies jusque là inexpliqués commencent à être appréhendés. Prenons l'exemple de la myasthénie, maladie neuromusculaire qui, il y a encore quelques années, était totalement incomprise. Nous savons maintenant que cette affection est due à la production d'anticorps « antirécepteurs », plus précisément dirigés de façon très spécifique contre certains déterminants du récepteur de l'acétylcholine : la fixation de ces autoanticorps empêche le médiateur d'exercer son action au niveau de la jonction neuromusculaire. Le concept d'anticorps - antirécepteur semble avoir une portée très générale. Il s'applique, on le sait maintenant, à la maladie de Basedow caractérisée par une hyperthyroïdie ayant pour origine des anticorps dirigés contre le récepteur de l'hormone thyréotrope (TSH), anticorps dont la fixation stimule, contrairement au cas précédent, le récepteur. D'autres pathologies pourraient également répondre à un tel mécanisme. Les pharmacologues ont beaucoup à apprendre de ces anticorps antirécepteurs, qui constituent un outil précieux pour l'étude de la structure et plus encore du fonctionnement des récepteurs. Dans un domaine différent, celui du diabète juvénile, il est maintenant bien établi que, dans la majorité des cas, est impliquée une réaction autoimmune. L'organisme produit des autoanticorps contre les cellules bêta des îlots de Langerhans, ainsi que des cellules cytotoxiques. Le processus autoimmun détruit les cellules bêta en quelques mois. Puis, la maladie suit son cours inéluctable, en dehors de tout phénomène immunologique. Le regard sur les maladies infectieuses est en passe d'être profondément modifié. La découverte des antibiotiques a apporté une révolution telle dans ce domaine que, pendant longtemps, on a pensé que l'immunité devait jouer un rôle secondaire. On s'aperçoit aujourd'hui, et l'exemple du sida l'illustre bien, que le terrain immunologique représente l'élément fondamental pour expliquer la prédisposition aux maladies infectieuses, notamment virales. La sclérose en plaques, la rectocolite hémorragique, le lupus érythémateux, toutes maladies où les phénomènes immunitaires semblent prédominants, sinon exclusifs, trouvent des commencements d'explication. Le domaine des greffes connaît une nouvelle impulsion tout à fait remarquable grâce aux progrès de l'immunosuppression. La France a joué un rôle pionnier dans l'histoire des transplantations. En 1959, le professeur Jean Hamburger, à l'hôpital Necker, effectuait les premières greffes de reins entre jumeaux hétérozygotes et Jean Dausset décrivait les groupes leucocytaires qui ont conduit au concept d'histocompatibilité chez l'homme, interaction fructueuse de deux démarches permettant à la fois le succès des greffes et la démonstration du rôle des antigènes d'histocompatibilité dans la survie de celles-ci. De façon inespérée, l'introduction des anticorps monoclonaux et de la cyclosporine a permis aux transplantations de connaître un nouvel essor. Le taux de succès des greffes de cœur atteint maintenant le niveau spectaculaire de 80%. Les greffes de foie, de pancréas sont relancées et on ose même des transplantations plus hardies, telles que les greffes simultanées rein/pancréas, cœur/poumon ou cœur/foie. Les greffes de moelle osseuse constitueront à l'évidence une thérapeutique majeure de l'avenir dont les indications déborderont rapidement les leucémies et les carences immunitaires dans lesquelles on les utilise aujourd'hui. Elles concerneront d'autres pathologies pour lesquelles le remplacement du système hématopoïétique pourrait apporter une solution définitive.
La production d'anticorps monoclonaux associée au développement de la technologie immunochimique (en particulier immunoenzymatique) a complètement renouvelé le domaine de la sérologie. L'utilisation des anticorps monoclonaux anti-cellules T a permis d'établir le typage rapide et précis des sous-populations lymphocytaires, rendant possible le diagnostic quasi instantané des proliférations malignes du système lymphoïde et des déficits immunitaires, primitifs ou acquis comme le sida. La thérapeutique immunologique a, elle aussi, remarquablement progressé. De nouveaux vaccins continuent d'apparaître comme le vaccin contre l'hépatite B et divers vaccins synthétiques. La caractérisation et l'isolement des antigènes vaccinants avec l'aide des anticorps monoclonaux et leur production éventuelle par génie génétique suscitent d'encore plus grands espoirs, en particulier dans le paludisme.Pour revenir aux maladies autoiimmunes, l'immunosuppression devrait, dans les années à venir, connaître un renouveau considérable grâce à la possibilité désormais accessible de manipuler, de façon subtile et spécifique, le système immunitaire. Au travers de l'immunomanipulation, le vieux rêve de la tolérance immunitaire sera peut-être réalisé. On sait maintenant produire et caractériser des autoanticorps monoclonaux en tous points semblables aux autoanticorps produits par les malades atteints de lupus érythémateux. Nous avons nous-mêmes caractérisé les idiotypes des autoanticorps anti-ADN produits par ces patients. A partir des antigènes spécifiques de ces autoanticorps, on peut commencer à espérer autoimmuniser, « vacciner», les malades contre leurs propres autoanticorps et donc obtenir ainsi une immunosuppression parfaitement spécifique qui ne toucherait pas au fonctionnement général du système immunitaire. Ce type d'interventions a déjà été réalisé chez l'animal avec des succès encore partiels, mais suffisamment prometteurs pour autoriser les plus grands espoirs.
Dans le cas du diabète déjà évoqué, on voit poindre la possibilité d'arrêter le développement du diabète insulino-dépendant par la cyclosporine et même d'en assurer la prévention en reconnaissant à temps les sujets à risque, à la fois par l'étude des marqueurs génétiques (gènes et antigènes HLA) et des marqueurs immunologiques (immunité humorale et cellulaire anti-îlots de Langerhans). Deux essais cliniques pilotes ont été mis en œuvre au Canada et à Paris. Leurs résultats préliminaires montrent que l'administration de cyclosporine dans les semaines qui suivent l'apparition du diabète peut arrêter l'évolution de la maladie. Ce progrès essentiel nécessite d'être confirmé à plus grande échelle. Nous avons pour cela, en accord avec le comité consultatif national d'éthique, entrepris un essai multicentrique associant les principaux centres de diabétologie français. Bien des questions se posent encore. Devra-t-on donner à vie un immunosuppresseur ? Et, surtout, l'observation préliminaire sera-t-elle vérifiée à grande échelle ? Mais le seul fait d'imaginer que l'on sera peut-être à même de prévenir un diabète, pathologie à évolution considérée jusque-là comme irréversible, constitue en soi un fait remarquable pour une maladie aussi fréquente et grave. En conclusion, et sans vouloir tomber dans un triomphalisme facile, il me parait légitime d'affirmer, devant les progrès déjà réalisés, devant les espoirs qui s'annoncent, que l'immunologie est très vraisemblablement, avec la biologie moléculaire, une des voies majeures des progrès de la médecine de demain.