Le professeur Jacques Ruffié est nommé président du Centre national de la transfusion sanguine
Le Monde, 26 décembre 1984
Le professeur Jacques Ruffié, du Collège de France, vient d'être désigné à la présidence du Centre national de transfusion sanguine, où il succède au professeur Jean Bernard. Né le 22 novembre 1921 à Limoux (Aude), le professeur Jacques Ruffié a exercé à la faculté de médecine du CHU de Purpan (Toulouse), où il occupa jusqu'en 1969 la chaire d'hématologie et la direction du centre régional de transfusion sanguine. Il est entré au Collège de France en 1972 pour y occuper la chaire d'anthropologie physique. Ses travaux ont surtout porté sur la définition des populations humaines par les facteurs génétiques du sang : l'hémotypologie dont il fut le fondateur. Le professeur Jacques Ruffié avait été chargé par le gouvernement, en mai 1984, d'un rapport sur la situation de la transfusion sanguine en France et les modifications qu'il faudrait envisager pour lui permettre d'affronter la compétition industrielle et la technologie moderne relatives aux dérivés du sang.
L'affaire du sang contaminé. L'affront et la fable
Les dépositions des professeurs Jacques Ruffié, Maurice Goudemand et Willy Rozenbaum ont dominé l'audience du jeudi 16 juillet lors du procès des responsables de la transfusion sanguine devant la 16 chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Cités par la défense du docteur Michel Garretta, leurs témoignages ont parfois été très critiques à son endroit.
Le Monde, 18 juillet 1992
M. Jacques Ruffié a déboulé dans le prétoire avec la fougue d'un rugbyman. M. Ruffié, professeur au Collège de France, enseignant aux Etats-Unis, disciple de Jean Bernard, est un Occitan bouillonnant. M. Ruffié, bon pied bon oeil, a refusé énergiquement la chaise que lui proposait le président. M. Ruffié, disons-le, a cassé la baraque. Car on eut droit à un véritable festival. Dans le registre de la confidence : " En février 1985, monsieur le président, on savait. Le docteur Job, ayant appris que je devais me faire opérer m'a dit : venez chez moi, à Broussais. Vous n'attraperez pas le sida ". Dans le registre du rouspéteur lucide : " Vous connaissez la lenteur de l'administration française, le ministère de la santé n'y échappe pas ! " Dans le registre du cartésien : " On nous explique que le sang collecté bénévolement est le plus cher du monde... Je ne comprends pas ! " Le professeur Ruffié, ennemi naturel des préciosités, était venu pour administrer un clystère collectif et dissiper quelques fausses idées sur la transfusion sanguine : " Il ne faut pas tout mélanger dans la vie. Dans le domaine de la transfusion, on a trop longtemps confondu la physique et la métaphysique, la technique et la morale. "
Les doutes du professeur Jean Bernard
Mais l'éminent professeur, stratège incontrôlable, était surtout venu pour délivrer deux messages comme on se décharge d'un fardeau. Et d'abord à propos de ce procès : " J'ai l'impression qu'on fait le procès de la médecine ! Tout de même, la transfusion sanguine a sauvé plus de personnes qu'elle n'en a tuées ! Et n'y a-t-il que des médecins responsables ? Il y a trop de zones d'ombre importantes. Je veux dire que le professeur Jacques Roux a été admirable et que le docteur Netter a fait ce qu'il a pu avec les moyens du bord. On lui avait donné un tournevis pour réparer un Boeing ! " La distribution de bons points n'eut cependant qu'un temps. Et le professeur Ruffié, qui fut un trop bref acteur dans le dramatique feuilleton de l'affaire du sang contaminé, en vint au récit de l'affront qu'il dut essuyer. Invité par le professeur Jean Bernard à lui succéder au poste de président du conseil d'administration de la Fondation de la transfusion sanguine, Jacques Ruffié fut en effet élu à l'unanimité en décembre 1984 pour être " proprement " débarqué sept semaines plus tard. Comment une pareille mésaventure peut-elle arriver à un professeur au Collège de France parrainé par le plus prestigieux des hématologues, c'est ce qu'il expliqua, encore étonné. En quelques mots, le professeur Bernard lui avait confié ses doutes et fait part de ses recommandations : " Je suis inquiet. Il y a des choses qui ne me plaisent pas au CNTS. Il faut enquêter et je n'ai plus l'âge. " Sabre au clair, le professeur Ruffié mit son nez dans les comptes du CNTS et demanda sur-le-champ une enquête financière et une enquête technique sur la qualité des produits sanguins délivrés. Ce furent, à l'évidence, deux exigences de trop.. . Le 25 février 1985, par dix-neuf voix sur vingt-quatre, le professeur était remercié au terme d'un conseil d'administration animé et violent.La fronde, confia Jacques Ruffié, était menée par M. Charles Farine, vice-président et " dictateur aux finances ", appuyé par le professeur Streiff, directeur du centre de transfusion sanguine de Nancy. Le docteur Garretta, resté sagement en retrait, ne pouvait qu'approuver cette exclusion d'un président portant brutalement des " critiques insupportables ". " Qu'auriez-vous fait si vous étiez resté président, demanda le président Jean-Louis Mazières. _ J'aurais demandé des mesures immédiates au docteur Garretta ! ", s'exclama le professeur. Car dès le mois de février 1985, Jacques Ruffié se souvient avoir évoqué le problème des concentrés sanguins destinés aux hémophiles et de leur chauffage pour inactiver le virus du sida. Pâle, la voix tremblante et accusatrice, le docteur Garretta se leva alors, une feuille de papier à la main : " Monsieur le président, j'ai là une lettre du 29 septembre 1985 du professeur Ruffié où il m'écrit beaucoup de choses. Il me demande de ne pas la rendre publique avant sa mort... Elle infirme ses déclarations. Je ne sais pas si je vais la lire ou non... Mais jamais il ne m'a parlé des concentrés destinés aux hémophiles. Je suis terrifié par sa mauvaise mémorisation. Il faut absolument qu'il vérifie ce qu'il dit dans sa mémoire, s'il vous plaît. "
Un artisan modeste
Nullement démonté, le professeur renvoya la balle au fond du court : " Je maintiens ce que j'ai dit. Je voulais une enquête globale. Je n'étais pas focalisé seulement sur le sida mais aussi sur la production. Je n'accuse pas Garretta d'avoir voulu tuer les gens. Mais deux routes étaient possibles : l'une vers l'enquête, l'autre vers le cimetière dont les tombes ne sont pas encore toutes creusées. Peut-être n'a-t-il pas pris la bonne direction. " A ce moment, la défense du docteur Garretta, qui avait fait citer le professeur Ruffié, dut comprendre son erreur... Et le professeur Maurice Goudemand, responsable du Centre de transfusion sanguine de Lille, n'arrangea rien. Sans doute sa déposition fut-elle même plus terrible, comme rehaussée par sa sérénité. Avec des allures d'artisan modeste, le professeur Goudemand, directeur du deuxième centre de fractionnement français après le CNTS, raconta en effet comment il prit l'initiative, dès le mois de février 1985, de réduire la production des concentrés sanguins non chauffés pour finalement arrêter définitivement leur fabrication en avril, soit trois mois avant le CNTS. Mais le récit du professeur toucha à la fable lorsqu'il raconta les recherches de son centre, à partir de l'été 1984. Convaincu par l'exemple de firmes étrangères qu'il fallait inactiver le virus du sida en recourant au " chauffage ", Lille finit par découvrir, avec les moyens du bord et une bonne dose de flair, une technologie simple et efficace. Il fallait, avant toute chose, ne plus ajouter de glucose dans les concentrés avant de les " chauffer ". Le CNTS, pendant ce temps, déclinait une proposition de coopération du professeur Goudemand en août 1984, préférant négocier avec la firme autrichienne Immuno. Le CNTS perdait beaucoup de temps et pas mal d'argent. Le CNTS avait l'oeil rivé sur ses comptes et ses stocks de concentrés contaminés. Pendant ce temps, Lille faisait son possible pour limiter la contamination des hémophiles : " Nous veillions depuis longtemps à ce que les hémophiles n'aient pas trop de concentrés d'avance, a précisé le professeur Goudemand. Dès juin, nous avons rappelé les produits contaminés. Environ mille à onze cents flacons nous ont été retournés. Nous les avons remplacés. Cela a duré un mois. On sait malheureusement que le CNTS, couvert par les pouvoirs publics, persévéra dans une politique diamétralement opposée jusqu'en octobre 1985. On apprit aussi qu'il pouvait arriver au CNTS de vendre d'anciens concentrés non chauffés produits par Lille quand ce centre s'évertuait à les rappeler pour les détruire...
Une incrédulité épaisse
Plus de deux ans auparavant, le professeur Willy Rozenbaum tirait pourtant déjà les sonnettes pour alerter ses pairs et l'institution des dangers de l'épidémie de sida. Il ne revient toujours pas de l'incrédulité épaisse à laquelle il se heurta. " A l'époque, expliqua-t-il, les considérations morales ou les considérations d'opinion publique prévalaient, et continuent du reste, sur les objectifs de santé. La seule oreille attentive que nous ayons eue, dès 1982, ce fut auprès du professeur Roux, à la Direction générale de la santé. " Il put mesurer le manque d'information, l'inconscience et la méfiance de tous, y compris des hémophiles, particulièrement attachés aux concentrés sanguins qui marquaient une étape singulièrement importante dans leur " libération " par rapport à d'anciennes gammes de produits plus encombrants et difficiles à s'injecter. " Au cours du premier semestre 1983, j'ai pris rendez-vous avec un représentant des hémophiles pour l'alerter des dangers courus, se rappelle le professeur Rozenbaum. Il ne m'a pas cru. Il m'a répondu que je favorisais le jeu des pouvoirs publics qui cherchaient à interrompre la fourniture des concentrés pour des raisons financières. " Alors le professeur conclut : " Nous nous étions déjà heurtés aux agressions des groupes homosexuels, puis aux représentants des Haïtiens... Nous étions un peu lassés de ce déni de la réalité. Aujourd'hui, je me pose la question : n'ai-je pas baissé les bras trop tôt ? "
LE PROCES DES RESPONSABLES DE LA TRANSFUSION SANGUINE AU TRIBUNAL DE PARIS
Les témoignages des conseillers ministériels " Ce dossier était particulièrement verrouillé "
Le Monde, 26 juillet 1992
L'audience consacrée aux anciens ministres fut aussi celle des anciens conseillers ministériels. Au point de transformer, durant douze heures, le prétoire de la 16 chambre correctionnelle en un amphithéâtre de sciences politiques. Ainsi a-t-on appris beaucoup de choses sur le rituel des réunions interministérielles de Matignon et sur l'évidente propension des notes rédigées par les conseillers à ne jamais parvenir jusqu'aux ministres... Mais, plus profondément, MM. François Gros, professeur au Collège de France et ancien conseiller scientifique de M. Laurent Fabius, Patrick Baudry, ancien conseiller de Mme Dufoix, et le docteur Claude Weisselberg, ancien conseiller de M. Hervé, sont apparus comme des hommes sincères. Les deux premiers conseillers ont été formels et ont assuré ne s'être occupés que de la généralisation du dépistage du sida. Ainsi, M. François Gros, scientifique de réputation internationale, a-t-il indiqué : " Je suis absolument formel sur un point : je n'ai pas été informé de la contamination potentielle des plasmas ni des produits non chauffés, si ce n'est assez tard, en juin. Aucun document sur le chauffage pour inactiver le virus ne m'a été transmis. " Initiateur de la réunion interministérielle du 9 mai 1985, le conseiller de Matignon, a en revanche, accéléré la mise en place du dépistage du sida : " Je ne vois pas très bien comment nous aurions pu aller beaucoup plus vite ", a-t-il déclaré. S'exprimant très calmement, le professeur Gros n'a cependant pas caché son émotion face au drame de l'affaire du sang contaminé : " Il est évident que s'il y a eu un retard et des morts... Vous imaginez dans quel état moral je me trouve. " Dans un tout autre style, M. Patrick Baudry, chargé en 1985 du dossier assurance-maladie au cabinet de Mme Dufoix, a pris plaisir à raconter comment il avait géré la mise en place financière du dépistage du sida. Révélant l'existence d'une note en date du 12 juillet 1985, M. Baudry a expliqué que son ministère avait eu le choix entre deux possibilités. Un premier projet proposait que " le Centre national de la transfusion sanguine (CNTS) soit au coeur du dispositif " grâce à un système conventionnel avec un prix d'appel pour le test du sida fixé à 24 francs. Le second projet laissait " libres les prix du marché " abaissant le test à 15 francs l'unité. " Nous étions dans le brouillard ". C'est ce dernier qui fut retenu par le ministère des affaires sociales, et M. Baudry se félicita, comme dans l'après-midi Mme Dufoix, d'avoir imposé la généralisation du dépistage à partir du 1 août au lieu du 1 octobre, date initialement fixée. " Très franchement, je n'ai pas honte de ce que j'ai fait ", conclut M. Baudry. C'était à se demander si les avocats de la défense avaient fait citer le " bon " conseiller. Le témoignage du docteur Claude Weisselberg, qui fut conseiller technique de M. Edmond Hervé, fut plus long et douloureux. Situé au point de passage obligé de toute l'information sur le sida entre les directions du ministère et son ministre, il ne fut visiblement pas saisi assez rapidement de la contamination des concentrés destinés aux hémophiles. " Si j'avais un sentiment, c'était que ce dossier était particulièrement verrouillé, dit-il au tribunal. Nous étions dans le contexte d'un sujet largement traité par des experts comme ceux de la commission consultative de la transfusion sanguine. D'autre part, une enquête de l'IGAS était en cours de réalisation. " De toute évidence accablé par le drame des hémophiles, le docteur Weisselberg a indiqué : " Des années après, on est effrayé. Mais, à l'époque, on était dans le brouillard. C'est assez facile d'être clairvoyant a posteriori. Je n'ai pas compris plus que les autres. Pardonnez-moi ! " Finalement, le conseiller avisera son ministre en juin de ce que " tous les lots sont contaminés ". Mais les produits non chauffés resteront remboursés par la sécurité sociale jusqu'au 1 octobre. " Je raisonne alors en médecin, a déclaré le docteur Weisselberg. Si on est sûr qu'une personne va mourir faute d'un produit, il faut lui donner le produit, même dangereux. " Pour le malheur de la petite communauté des hémophiles, personne _ ni les médecins prescripteurs, ni les experts de la transfusion _ ne frappera à la porte du docteur pour lui dire qu'il est possible d'importer massivement des produits chauffés pendant cette période de quelques mois.
L'affaire du sang contaminé Le conseil d'administration du CNTS n'a pas fonctionné de mars à octobre 1985
Pour quelles raisons, le gouvernement a-t-il laissé le docteur Garretta prendre le pouvoir au Centre national de transfusion sanguine (CNTS) et, du même coup, accepté l'éviction du professeur Ruffié ? Des documents inédits montrent que M. Edmond Hervé, alors secrétaire d'Etat à la santé, avait, dans un premier temps, refusé d'entériner ce coup de force en s'opposant aux délibérations du conseil d'administration du 25 février 1985. Il fallut, en octobre 1985, l'intervention du professeur Jean Bernard pour que prenne fin, à l'avantage du docteur Garretta, la crise institutionnelle qui paralysait le conseil d'administration du CNTS au moment crucial de la contamination des hémophiles par le virus du sida.
Le Monde, 22 novembre 1992
Pour sa défense dans l'affaire de la contamination des hémophiles par des produits dérivés du sang infecté par le virus du sida, le docteur Michel Garretta a notamment fait valoir que ses décisions avaient été avalisées par l'autorité de tutelle du Centre national de transfusion sanguine (CNTS), c'est-à-dire le secrétariat d'Etat à la santé. Les faits pour lesquels l'ancien directeur du CNTS a été condamné à quatre ans de prison, le 23 octobre, par la 16 chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris se sont produits entre le 21 mars et le 1 octobre 1985. Comment la tutelle ministérielle s'est-elle effectivement exercée pendant cette période ? On savait que, le 25 février 1985, le professeur Jacques Ruffié avait été évincé de la présidence du conseil d'administration de la fondation Centre national de transfusion sanguine (CNTS) sept semaines après avoir succédé à ce poste au professeur Jean Bernard. C'était le résultat d'un " putsch " fomenté par le directeur du CNTS, le docteur Michel Garretta, à l'encontre d'un gêneur qui s'inquiétait de la qualité des produits et de la situation financière du Centre (le Monde du 14 novembre). " Le professeur Ruffié reste président ". Directeur général de la santé, le professeur Jacques Roux avait tenté en vain de s'opposer à cette manoeuvre en demandant au secrétaire d'Etat à la santé, M. Edmond Hervé, de retirer son agrément au docteur Garretta. Jusqu'à aujourd'hui, il semblait que _ inexplicablement _ l'affaire en était restée là et que le représentant de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), M. Charles Farine, avait pu, sans autre obstacle, s'asseoir dans le siège laissé vacant par l'éminent hématologue, professeur au Collège de France et proche du président de la République. Il n'en a rien été. A la lumière de documents, il apparaît que, le 10 avril 1985, M. Edmond Hervé avait fait savoir par lettre à tous les membres du conseil d'administration du CNTS qu'il refusait d'entériner l'éviction du professeur Ruffié, et qu'en vertu de l'article 7 des statuts de la Fondation il avait décidé que les décisions du conseil d'administration du 25 février n'étaient pas exécutoires. M. Farine avait alors demandé des explications au secrétaire d'Etat (le 12 avril) puis à son directeur de cabinet, M. Gaston Rimareix (le 15 avril). Ce dernier répondit le 29 mai que " le professeur Ruffié reste président " du conseil d'administration. M. Farine expliquera (1) qu'à partir de ce moment il ne s'était plus senti autorisé à assumer les fonctions de président par intérim. Pendant les quatre mois qui suivirent, il ne se tint aucune nouvelle réunion du conseil d'administration. La présidence est ainsi restée vacante de fin février à début octobre, c'est-à-dire pendant toute la période-clé de l'affaire de la contamination des hémophiles. La situation s'est débloquée le 8 octobre 1985. Ce jour-là, les administrateurs du CNTS reçurent une lettre du professeur Ruffié leur annonçant sa " décision irrévocable " de ne plus présider le conseil d'administration.
Le rôle de M. Jean Bernard
Quelques jours auparavant, le 3 octobre, il avait écrit à M. Edmond Hervé pour l'informer de sa démission de la présidence du conseil d'administration (2). Il ajoutait que " Jean Bernard lui-même lui avait conseillé d'abandonner une position devenue intenable et stérile ", et il suggérait, pour lui succéder, le nom du professeur Jean-Charles Sournia. En dépit de ce dernier conseil, rien ne fera obstacle à ce que le 14 octobre M. Charles Farine avise les administrateurs qu'il allait reprendre la présidence " par intérim " du CNTS (3). Quel rôle le professeur Jean Bernard, président du conseil d'administration du CNTS jusqu'en décembre 1984, a-t-il joué dans cette reddition de son éphémère successeur et de l'autorité de tutelle ? D'une part, il a été tenu informé de l'évolution de la situation par M. Farine et il l'en a remercié début octobre dans un courrier où il notait : " Je suis pleinement d'accord avec la procédure engagée et je suis toujours heureux d'être tenu au courant ". D'autre part, selon le professeur Ruffié qui s'en était ouvert dans une lettre du 3 octobre à Edmond Hervé, le professeur Jean Bernard lui avait conseillé de démissionner. Faut-il interpréter ces éléments comme une prise de position de l'ancien président du conseil d'administration du CNTS en faveur du docteur Garretta dans le conflit qui l'opposait au professeur Ruffié ? Le professeur Jean Bernard n'a pas souhaité répondre dans l'immédiat à nos questions sur cette période.
Professeur au Collège de France M. Jacques Ruffié est chargé d'une mission sur la transfusion sanguine
Le Monde, 9 janvier 1993
M. Jacques Ruffié, professeur au Collège de France, vient d'être chargé d'une mission sur la transfusion sanguine par MM. Jack Lang et Bernard Kouchner, respectivement ministre de l'éducation nationale et de la culture et ministre de la santé et de l'action humanitaire. " Pour accompagner la réforme de la tranfusion sanguine qu'a entreprise le gouvernement, écrivent MM. Lang et Kouchner, il est nécessaire que soient repensées la place de l'activité transfusionnelle et de ses relations avec les disciplines voisines, ainsi que les modalités de son enseignement, que ce soit dans le cursus de formation initiale des étudiants en médecine comme dans l'enseignement spécialisé ". Le rapport que doit prochainement remettre M. Ruffié comportera notamment une série de mesures visant à modifier le système de recrutement des directeurs des centres régionaux et départementaux de transfusion sanguine. Entendu par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale Le professeur Dausset estime que le danger du sida a été sous-estimé en France dans les années 80. La commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la transmission du sida au cours des dix dernières années a repris ses travaux jeudi 7 janvier. Toujours boycottée par l'opposition, cette instance a entendu les professeurs Jean Dausset, prix Nobel de médecine _ pour qui le sida fut " un risque sous-estimé en France dans les années 80 ", _ Albert Herteck et Claude Olievenstein ainsi que M. Daniel Defert, président fondateur d'Aides, association de lutte contre le sida.
Le professeur Dausset ne veut pas réécrire l'histoire. Ce grand médecin, professeur honoraire au Collège de France, fondateur de France-Transplant, a brutalement découvert la nécessité du dépistage des dons de sang en juin 1985, lorsque le premier ministre de l'époque, M. Laurent Fabius, avait fait publiquement savoir qu'il avait décidé de rendre obligatoire ce dépistage-là. " Le coup de sonnette, pour moi, c'est Fabius, le 19 juin ", a-t-il déclaré devant la commission d'enquête. M. Jean-Yves Le Déaut, député (PS) de Meurthe-et-Moselle, rapporteur de la commission, lui a fait répéter, et le Prix Nobel a précisé : " Je m'inquiétais auparavant, mais je suivais les règles appliquées en matière transfusionnelle. " Un court dialogue s'est alors instauré, saisissant et instructif : " Saviez-vous qu'on a fourni durant l'été 1985 aux hémophiles des concentrés sanguins chauffés et en même temps des produits non chauffés ?, a interrogé M. Le Déaut. _ Je n'étais absolument pas informé. J'étais baigné dans une autre atmosphère scientifique, a répondu le professeur. _ Vous travailliez dans une discipline très voisine. Est-ce normal que les équipes soient aussi cloisonnées ? _ Il faut savoir que nous sommes de plus en plus spécialisés et qu'il existe une concurrence acharnée. On court après le résultat. Il n'est pas question de s'égarer. " Avec le recul, le professeur Dausset reconnaît bien volontiers que le sida fut " un risque sous-estimé en France dans les années 80 " et regrette que " les connaissances de la science n'aient pas été utilisées en temps utile ". Il note, cependant, à quel point la liste des révolutions scientifiques et médicales négligées est longue et cite, à titre d'exemple, la découverte des groupes sanguins en 1900, qui n'était toujours pas mise à profit durant la guerre de 1914-1918, ou encore la découverte de l'asepsie par Pasteur à la fin du dix-neuvième siècle, aujourd'hui méprisée au motif que les antibiotiques pourvoient à tout. " Cette négligence entraîne la mort de neuf mille patients par an dans nos hôpitaux, autant que sur les routes ! a indiqué M. Dausset. Ce peut être un scandale dans l'avenir. " Le professeur Claude Olievenstein, médecin-chef à l'hôpital Marmottan, spécialiste de la toxicomanie, a évoqué, pour sa part, le climat de " grande confusion scientifique " du début des années 80. " On parlait constamment de porteurs sains, en disant qu'ils ne développeraient pas la maladie, a-t-il remarqué. On estimait que le sida était une maladie à risque, et non pas à haut risque, comme maintenant. C'était la vision commune, y compris de grands professeurs comme M. Jean Bernard. " " La ligne Maginot de ses connaissances " Ainsi, en exceptant une " dizaine " de médecins et de scientifiques, le corps médical campait-il sur " la ligne Maginot de ses connaissances ", selon la formule du professeur Olievenstein, sans pressentir l'émergence d'une nouvelle épidémie. Le président-fondateur de l'Union nationale des associations de formation médicale continue (UNAFORMEC), le professeur Albert Herteck, est venu préciser, du reste, que les sessions de recyclage permanent ne touchaient que 25 % à 30 % des médecins. Le virus du sida, détecté en 1981, ne fut l'objet d'une brochure adressée à l'ensemble des praticiens qu'en 1987, grâce au concours de l'UNAFORMEC, de l'ordre des médecins et de quelques laboratoires pharmaceutiques généreux. On comprend que les militants de l'association de lutte contre le sida Aides aient pu se sentir marginaux. " Jusqu'en juin 1985, nous avions le sentiment d'être extrêmement minoritaires ", a rappelé M. Defert, qui avait fondé Aides après la mort de son ami le philosophe Michel Foucault. Particulièrement au fait des recherches scientifiques en cours sur le sida au début des années 80, M. Defert livre une vision très différente de celle du professeur Dausset. " Lorsque M. Fabius a annoncé à l'Assemblée nationale le dépistage obligatoire des dons de sang, a-t-il dit, je n'ai pas sauté de joie, parce que, pour moi, c'était trop tard. " Selon le président-fondateur d'Aides, il était nécessaire de lutter simultanément sur trois fronts dès 1985 : celui des toxicomanes, en assurant la distribution libre de seringues ; celui de la sexualité en autorisant la publicité en faveur des préservatifs ; celui des hémophiles, en leur fournissant des concentrés chauffés. Or M. Defert déplore que " les mesures à prendre aient été prises très lentement ". " Je suis sévère pour le ministère de la santé, a ajouté le sociologue. J'ai rencontré plusieurs fois le conseiller du ministre, le docteur Claude Weisselberg. Il me semblait timoré, soucieux d'enjeux politiques et électoraux, se demandant si telle ou telle mesure nécessaire serait acceptée par la droite. " Aussi M. Defert conclut-il que les décisions prises ou reportées ne relèvent pas " de l'état des connaissances à l'époque, mais de l'appréciation politique des responsables ". M. Haenel présidera la commission d'enquête sénatoriale sur la SNCF. _ M. Hubert Haenel (RPR, Haut-Rhin) a été élu président de la commission d'enquête sur la SNCF mise en place au Sénat. Le rapporteur sera M. Claude Belot (Charente-Maritime, rattaché Un. cent.). M. Pierre Laffitte (Rass. dém., Alpes-Maritimes) a été élu président de la mission sénatoriale d'étude sur la télévision éducative. Le rapporteur sera M. René Trégouët (RPR, Rhône).
Rectificatif. _ M. Denis Langlois, l'un des deux initiateurs de la manifestation contre la guerre organisée vendredi 8 janvier à 18 h 30 place de l'Opéra à Paris, n'est pas directeur de Politis, comme nous l'avons écrit par erreur dans le Monde du 8 janvier en le confondant avec Bernard Langlois, mais avocat et écrivain.