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François Gros : l'homme de la recherche

JEAN-FRANÇOIS AUGEREAU, Le Monde,  19 novembre 1984

TIMIDE et modeste. " Réservé même, comme les gens du Nord, dont son père, commerçant en tissus, était originaire, comme les Alsaciens aussi auxquels il se rattache par sa mère. " J'ai une hérédité Nord-Nord-Est", aime à dire François Gros, cinquante-neuf ans, ancien conseiller de Pierre Mauroy et actuel conseiller de Laurent Fabius pour les affaires scientifiques.

Une réserve qui n'est qu'apparente chez cet homme mince dont l'œil s'allume lorsqu'il parle de l'être humain et des métiers de la recherche. Une profession qu'au départ il n'avait guère choisie, et que les hasards de la vie lui feront finalement embrasser. De fait, les lettres et l'agrégation de philosophie l'attiraient au début de ses études. Sans doute aurait-il poursuivi dans cette voie si, juste avant la guerre, il n'avait eu "ce coup de foudre pour la biologie générale". Erreur de parcours ? Non pas. François Gros aime toujours parler littérature, et, si, aujourd'hui, il voit "les choses à travers leur côté social", cela lui vient peut-être de ce qu'il a "commencé [ses] études par les lettres et la philosophie". Qu'importe. Il ne deviendra pas homme de lettres ni ingénieur agronome comme son père le souhaitait. François Gros sera biologiste.

Sa voie est désormais tracée. À dix-neuf ans, il entre à l'Institut Pasteur, où il retrouvera plus tard André Lwoff, François Jacob et Jacques Monod, prix Nobel de médecine 1965. Surtout Jacques Monod, qu'il a souvent "suivi". Suivi à la Sorbonne, où il enseigne la biologie moléculaire ; suivi au Collège de France, où il tient la chaire de biologie cellulaire ; suivi, enfin, à l'Académie des sciences. L'analogie s'arrête là. Manque le prix Nobel pour ce scientifique de talent, directeur de l'Institut Pasteur en 1976, à qui l'on doit, entre autres recherches, des travaux sur les mécanismes d'action de certains antibiotiques tels que la pénicilline et la streptomycine, sur le rôle des acides nucléiques et la physiologie des gènes, sur la mise en évidence, avec Jacques Monod, de l'acide ribonucléique messager chez les bactéries et sur la régulation et la différenciation cellulaire.

Aujourd'hui encore, même s'il garde une certaine activité de recherche au travers de l'unité qu'il dirige à Pasteur et par le biais des ses cours au Collège de France, François Gros reconnaît que ses "activités réelles de recherche" se sont "beaucoup distanciées". Une situation qu'il "regrette un peu", tout en ajoutant qu'il est passionné par sa mission auprès du premier ministre. Comment ne le serait-il pas, lui qui, en 1979, lors de la remise d'un rapport sur les sciences de la vie et de la société avait demandé à Valéry Giscard d'Estaing que "le pouvoir soit un peu plus à l'écoute de la science" ? Ce fut, cependant, surtout le leader de l'opposition qui l'entendit. Une fois au pouvoir, François Mitterrand et avec lui Pierre Mauroy lui confieront l'organisation des assises régionales et du grand colloque national sur la recherche de janvier 1982.

Colloque-propagande ? Certainement pas. Pour François Gros, qui ne rejette pas a priori les contacts avec l'opposition, "il n'y a pas de science aux couleurs du socialisme", même s'"il existe un mariage naturel entre la science et le socialisme". Les origines de son engagement auprès de François Mitterrand sont d'une autre nature. Il l'a rejoint non par idéologie, mais parce que "le socialisme a une dimension humaine et admet le droit à l'erreur quand il n'est pas dogmatique". L'histoire lui ayant offert une chance de jouer les avocats de la recherche scientifique, François Gros, à qui chacun reconnaît le goût du travail bien fait, mais auquel certains reprochent parfois de ne pas " être assez un meneur d'hommes, un décideur", a plaidé et plaide toujours la cause de la recherche.

Une recherche qu'il veut ouverte sur l'extérieur et dont, malgré l'austérité, il gère les dossiers à petites touches, comme les peintres de l'école de Honfleur, qui, d'une certaine manière, lui sont très proches. De manière feutrée, en attendant de mettre une dernière main à l'émission de radio qu'il prépare sur le compositeur hongrois Béla Bartok.

 

La récolte des pois de Mendel

 Dr Escoffier-Lambiotte., LM, 1 octobre 1986

DEPUIS l'époque - il y a plus d'un siècle - où un moine autrichien, Gregor Mendel, puis un jeune chimiste suisse, Friederich Miescher, décrivaient l'un le mécanisme jusqu'alors mystérieux de l'hérédité et l'autre son composant chimique, l'histoire de la génétique s'est déroulée entre de longues périodes d'incompréhension, d'ignorance ou d'oubli et le feu d'artifice que fut - et qu'est toujours - l'éclatement de la biologie moléculaire.

Si l'on ne connaît pas encore - tâche immense - la cartographie complète du patrimoine héréditaire des hommes, de leurs chromosomes, on peut isoler leurs constituants fondamentaux - les gènes, - ceux qui commandent tous les caractères et tous les métabolismes de l'organisme. Mieux encore, il est devenu possible de les manipuler, de les transformer, de les transférer d'un substrat à un autre, d'une cellule humaine ou animale à une bactérie, conduisant celle-ci à fabriquer une substance donnée, comme la plus incroyablement productive de toutes les manufactures imaginaires.

Biotechnologies, manipulations génétiques, génétique du comportement, ou du cancer, autant de termes devenus familiers au grand public, alors qu'ils constituent chacun le fruit d'une extraordinaire accumulation de travaux, d'une aventure qui est sans nul doute l'équivalent moderne de ce que fut, dans les années 40, l'explosion de la physique nucléaire. À la percée de l'atome a succédé, non sans susciter parfois l'inquiétude, celle de la vie elle-même et de ses mécanismes les plus secrets.

François Gros, professeur au Collège de France, ancien directeur de l'Institut Pasteur et conseiller de l'Élysée et de Matignon pour les problèmes scientifiques, a été, est toujours l'un des acteurs les plus éclairés de ce qu'il faut considérer comme l'aventure scientifique majeure des temps modernes. Il en relate, dans un livre exhaustif, toutes les étapes et toutes les perspectives, et l'on ne peut qu'admirer la formidable érudition et l'esprit encyclopédique de l'un des grands biologistes de notre temps. Une formation scientifique s'impose néanmoins pour suivre une odyssée qui est loin d'être terminée et connaîtra encore de multiples rebondissements. Ceux qui ont cette formation, étudiants, chercheurs ou professeurs, apprécieront comme il convient cette véritable bible de la génétique et de la biologie moléculaire.

Dr E.-L.