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Raymond Latarjet (1911-1998)

At the birth of molecular radiation biology
Raymond Devoret *
Genotoxicology and Cell Cycle Unit, Institut Curie, Paris-Sud University Campus, Orsay, France

notice nécro : M/S 1998 14 pp. 1295-96

Raymond Latarjet fait partie de ces quelques hommes qui, avec un sens aigu de la modernité, ont su faire franchir à la science française des étapes décisives pour son développement. L'année passée au décours de la guerre à Cold Spring Harbor l'avait profondément influencé. Il se forma là-bas aux idées de la génétique nouvelle et conquérante. Dès son retour, il fonda un laboratoire de génétique microbienne tourné vers les idées et les techniques modernes. Il concentra ses recherches sur la radiocancérogenèse et sur les problèmes de la radioprotection. Pour ses travaux, Raymond Latarjet fut élu membre de l'Académie des Sciences de Paris en 1972. Il reçut de nombreux prix et fut fait Docteur Honoris Causa des universités de Leeds, Padova, Buenos Aires et Rio de Janeiro. Raymond Latarjet avait une grande passion pour la littérature et la musique. Lui-même a écrit six livres parmi lesquels « D'abord, vivre ». Cet ouvrage passionnant est émouvant car le cancer est vu aussi du point de vue du malade. Victime lui-même d'un cancer, Raymond Latarjet a montré jusqu'à sa mort une grande noblesse de caractère et un courage exemplaire dans sa lutte contre la maladie. Ce courage s'est manifesté très tôt chez Raymond Latarjet ; il était un amoureux de la montagne et un athlète de renommée internationale. Il lui a semblé naturel pour mesurer l'effet des faibles doses de rayonnements ionisants sur les bactéries lysogènes de réaliser avec ses collaborateurs une expérience au sommet du Mont-Blanc, point le moins protégé en France des radiations provenant de l'espace.

Une recherche féconde et originale

Trois séries de travaux montrent l'originalité de sa recherche. Ils concernent l'ozone atmosphérique, les mutations virales expérimentales, l'agent de la maladie de Creutzfeldt- Jakob. Au cours de son travail de thèse de Doctorat en sciences physiques, Raymond Latarjet fut le premier à penser, dès 1935, que les fluctuations quantitatives de l'ozone stratosphérique devaient avoir des répercussions biologiques au niveau du sol en particulier en modifiant le rayonnement ultraviolet d'origine solaire qui y parvient. Par le calcul, il établit les relations quantitatives entre « l'épaisseur de la couche d'ozone » et « l'activité génotoxique » (mutagène et cancérigène) du rayonnement ultraviolet d'origine solaire. Ce travail, qui avait 35 ans d'avance, passa presque inaperçu. C'est seulement en 1970, à la suite de la mise en service d'avions supersoniques commerciaux comme le Concorde que le problème fut véritablement soulevé. Les calculs alors repris et les mesures effectuées dans la stratosphère ont confirmé les relations publiées en 1935. On sait l'importance que le problème a pris depuis qu'il a été démontré que les fluoro-chloro-carbones produits industriellement diffusent jusqu'à la stratosphère où les atomes de chlore catalysent la destruction de l'ozone. Le phénomène est particulièrement élevé dans les régions polaires (trous d'ozone). Il constitue aujourd'hui l'un des chapitres majeurs de la pollution industrielle. Alors que l'on connaissait des mutants de la plupart des virus, aucune mutation virale n'avait été provoquée expérimentalement avant 1949. En irradiant par des rayons ultraviolets des bactéries infectées par un bactériophage, Raymond Latarjet produisit des mutations du phage. Cette observation, confirmée et étendue grâce à d'autres chercheurs, servit de point de départ à des expériences qui ont révélé l'existence de réparations inductibles de l'ADN lésé par les radiations ou par des composés chimiques génotoxiques. La réparation dite SOS joue un rôle-clé dans la mutagenèse provoquée. En 1970, en collaboration avec des chercheurs anglais, Raymond Latarjet a déterminé le spectre d'action de radiations ultraviolettes pseudomonochromatiques pour l'inactivation de l'agent de la tremblante du mouton (scrapie), modèle des encéphalites spongiformes. Contrairement au spectre obtenu sur les virus classiques, comme sur les cellules en culture et les micro-organismes, le spectre d'action obtenu n'était pas conforme au spectre d'absorption d'un acide nucléique. Il évoquait plutôt un spectre de protéine. Cette expérience difficile n'a jamais été reproduite, mais étant donné les conditions dans lesquelles elle fut effectuée, elle n'a non plus jamais été mise en doute. Les auteurs, Raymond Latarjet en tête, en déduisirent l'hypothèse qu'une continuité génétique pouvait être assurée dans certains systèmes non plus par un acide nucléique, mais par d'autres molécules qui pourraient être des protéines. En collaboration avec deux chercheurs américains, Raymond Latarjet a étendu ses études radiobiologiques des encéphalites spongiformes aux maladies humaines de Creutzfeldt- Jakob et du Kuru. L'ensemble de ces travaux fut communiqué en 1979 lors d'une réunion dans le Montana, consacrée à ces maladies. On sait que Stanley Prusiner, l'organisateur de cette réunion, a poursuivi des recherches qui ont abouti à la mise en évidence des prions, protéines liées au pouvoir infectieux de ces agents.

Un conseiller pour les prises de décisions publiques

Raymond Latarjet a constamment montré son dévouement au bien public en exerçant depuis 1969 son action au sein de Ligue Française Contre le Cancer. Il faut souligner qu'il y a défendu constamment les jeunes chercheurs de talent. De par sa fonction d'académicien et de spécialiste de radiobiologie et de cancérologie, Raymond Latarjet a activement participé au cours des quinze dernières années à la mise au point de rapports concernant des problèmes d'actualité appelant des prises de décisions. Citons l'accident de Three Mile Island (1979), l'accident de Tchernobyl (1986), la pollution radioactive autour des centrales nucléaires, les effets des faibles doses de radiation (contribution au rapport de l'Académie des Sciences au Gouvernement français). A la direction de la Section de Biologie de l'Institut du Radium (Institut Curie) (1954-1977), Raymond Latarjet a conçu et dirigé le développement d'une vaste extension sur le campus d'Orsay dans laquelle il a réuni un grand nombre de chercheurs de talent. Cet ensemble a été baptisé le 17 décembre 1992 « Laboratoire Raymond Latarjet », en présence du ministre de la Recherche. Ses élèves lui sont reconnaissants de l'exemple qu'il leur a donné. En leur nom, j'exprime à Madame Jacqueline Latarjet, à Bernard, Marie-France et sympathie dans le deuil qui les frappe.

[CANCER RESEARCH 59, 2256, May 1, 1999]

OBITUARY
Raymond Latarjet
1911–1998

Raymond Latarjet, scientist, explorer, author, philosopher, bonvivant, "man for all seasons." It is difficult to write an obituary for a person who was so much alive. One of us (HK) saw him for the last time last year. He used a cane to support himself but his mind and spirit were unimpaired. We still see him smiling in his half-gentle, half-ironic way. Latarjet did not suffer fools gladly, but he was never rude or abrupt in his dealings with other people. He was an innovator in his scientific endeavors in the fields of radiobiology, oncology and virology. He left his legacy in many fields; among these are the "Luria-Latarjet curves" for intracellular viral growth. Other fields, more than ten different ones, benefitted from his extensive contributions: first recognition of viral-induced mutations; mutagenic features of water soluble carcinogens; viral-induced cancers; radiobiology of slow viruses; bone marrow transplantation in radiation-compromised individuals. But what perhaps is more important was his eternal quest for things new and exciting. The study of the ozone in the atmosphere and the effect of the sun rays on terrestrial organisms by a 24-year-old Latarjet show how early in his life he was interested in phenomena which only decades later became objects of extensive study by others. Climbing mountains and participating in polar expeditions were also a testimony to this independent spirit of Latarjet. He had an incredible knowledge of literature, and his interest in music was intense since he was married to an eminent professor at the Conservatroire de Paris. Again, Latarjet searched poetry and music for some important message which may have escaped other readers. Two of us were fortunate to have been visiting scientists in his laboratory during our early years in research: one (SBL) on a leave from medical school and the other (TB) directly upon graduating from college. In each case, his love of science and generosity of spirit in opening his laboratory to fledgling scientists made lasting impressions. Besides extensive scientific writing, Latarjet also was the author of four books, one of which, "d'Abord Vivre," received the Prix de
l'Acadamie Française.

Elected to the French Academie des Sciences in 1976, Latarjet received many other honors including his membership in the Academies des Sciences et de Medicine d'Argentine and honorary doctorates from the Universities of Leeds, Rio de Janeiro, and Padua. He was the recipient of the Me´daille d'or des Sportes, the Charles Le´opold Mayer Prize of the Acade´mie des Sciences, the Grand Prix des Sciences de la Ville de Paris, the Me´daille Finsen de l'Association International de Photobiologie, le Prix Griffuel du Cancer, and the Prix de l'Institut de la Vie.

Just before his death, Latarjet was honored in the hospital by the Ambassador from Japan, who presented to him the Medal of the Empire of the Rising Sun.

Hilary Koprowski Thomas Jefferson University Philadelphia, PA
Stuart B. Levy Tufts University School of Medicine Boston, MA
Thomas Benjamin Harvard Medical School Boston, MA 2256