Réunion du 12 mars 2015 au CEA-FAR pour la préparation du livre 'L'atome et le vivant' avec Gilles Bloch, André Syrota, M-T Ménager, Pascal Griset et J-F Picard, script K. Gay
Pascal Griset : Il me semble que la Direction des sciences du vivant (DSV) est créée sur l'idée de diversification des champs de recherche au CEA.
André Syrota : Auparavant cela ne s’appelait pas DSV, mais 'sciences et technologies du vivant'.
PG : Le département SDV est créé en 1987 et devient une vraie direction en 1990. L'argument consiste à dire qu’il y a un potentiel de recherche qui ne va plus être uniquement dédié au nucléaire...
AS : … et qui va bénéficier de tous les acquis de la physique, de la chimie, etc. pour irriguer d’autres champs et notamment les biotechnologies.
PG : Il y avait des rumeurs de rattachement à l’Inserm?
AS : À mon sens, la menace sur la DSV ne surgit qu'une seule fois à l'époque de Claude Allègre lorsque qu'il dit :" pas de thèses au CEA, pas de post doc au CNRS et à l’Inserm".
Gilles Bloch : Oui, le ministre ne nous aimait pas.
AS : Et puis le problème a été résolu. Enfin résolu… En 1998, Thierry Damerval était adjoint au DSV et on lui demande de préparer un plan de réduction des effectifs. Il y avait une centaine de personnes dont on disait que ça ne serait pas mal s’ils allaient ailleurs. Cela s'est déclenché brutalement. Un jour, Claude Allègre appelle Yannick d'Escatha (Adm. gen. CEA) de sa voiture : « je veux pour demain un plan pour l’évolution de la DSV ». Yannick qui était un bon élève me transmet : « tu fais le truc ». L'idée était de réduire nos effectifs de 400 personnes. Sans arrêt, j'étais convoqué rue de Grenelle par Elisabeth Dupont-Kerlan, ingénieure des ponts et chaussée, et par Jean Rey, le doyen de Necker, conseiller du ministre. Yannick d’Escatha me demande une liste d'agents. Je lui réponds : " tu n’auras pas la liste
- Mais c’est un ordre du ministre
- Je m’en fous, si je te le donne tout le CEA va l’avoir
- Mais non, je la mettrai au coffre
- Ton coffre, je le connais. Pascale Antoni (dir. com. CEA) va l'avoir et ça sera le bazar...
- Bon, débrouilles toi". Je suis alors convoqué par l’éminence grise du ministre, Vincent Courtillot, quelqu'un qui avait une haine globale du CEA. C’était assez mal parti. Finalement, j’ai eu une idée de génie. J'ai demandé à Elisabeth Dupont-Kerlan : « les 400 que vous voulez licencier, je les mets où. Je les tue ? ». Ils n’avaient pas pensé à ça! Qu'allait-on faire de ces gens?
GB : C’est un petit détail sur lequel on trébuche souvent.
AS : L’affaire s’est réglée comme ça. Pour couronner le tout, le haut-commissaire qui avait remplacé Dautray, René Pellat, était un grand ami de Claude Allègre. Je m’entendais bien avec lui. Rue de la Fédération, un jour que les travaux de Stanislas Dehaene avaient fait la couverture de 'Nature' et je viens lui montrer la revue. Il me dit très bien. Il va voir Allègre et il lui dit : « arrête tes conneries - ils se parlaient comme ça tous les deux -, regarde ce qu’ils font. C’est quand même top niveau
– Oui, je sais que c’est très bien ce qu’ils font. Mais pourquoi ne les feraient-ils pas ailleurs ? »
Allègre avait alors l'idée de transférer le SHFJ à la Pitié-Salpêtrière. Pellat lui a dit "arrêtes" et ça s’est terminé comme ça. J'en termine avec une anecdote. Pascal Colombani est devenu administrateur général du CEA, et au moment où Claude Allègre était sur le départ. Il l'appelle Colombani pour lui dire qu'il aurait besoin de trois thésards pour l’Institut de physique du Globe. Et Pascal de répondre : « mais tu disais toi-même qu’il n’y aurait plus de thésards au CEA - Bon, ça va, arrêtes ! C’est important ». C’est un peu la même chose qu’avec Arnold Munnich qui me disait d’arrêter les recrutements à l’Inserm et venait me voir pour un recrutement dans son labo…
PG : Comment voyez-vous la relation entre les SDV et les biotechs?
AS : Vous avez remarqué qu'à la DSV, il y a à la fois du fondamental et maintenant de l’appliqué et qu’autrefois il y avait un institut de recherche fondamentale (IRF). Peut-être faut-il rappeler qu'au début de l'histoire, il y a eu la volonté politique de développer le nucléaire militaire, la création de la Direction des applications militaires (DAM) que voulait le Général, puis le développement de l’électronucléaire, toujours De Gaulle, et de penser que tout ça ne pouvait que s’appuyer sur la recherche et donc de faire un institut de recherche fondamentale. Et puis, dans un deuxième temps, le CEA s'est doté d'un Institut de recherche et de développement industriel (IRDI) alors que la DSV et la DSM était dans l'IRF. Il faudrait vérifier que la DRT a dû venir de l’IRDI. C’est important ce souci de bien distinguer les trois. Ensuite, au fur et à mesure de l’évolution de la recherche, notamment des sciences du vivant avec les applications en santé, le fait d'avoir un continuum de la recherche fondamentale à la recherche appliquée s'est affirmé. Au moment où les grands labos deviennent des usines de spectro de masse, de séquençage, d’imagerie, d’informatique, etc. On comprend la force de la DSV qui, pour moi, justifie pleinement et plus que jamais la justification et l'originalité des sciences du vivant au CEA par rapport aux autres organismes scientifiques d'une part et par rapport à la physique ou à la recherche technologique de l’autre. Je prends toujours l’exemple de l’Inserm qui a raté tout le virage des biotechnologies, de l’imagerie, du séquençage, de la biologie structurale, etc., parce que dans la tête de Philippe Lazar on ne pouvait pas accepter autre chose que le labo Inserm avec quelques chercheurs et quelques techniciens. Comme je vous l’avais dit, le fait que tout le monde soit ingénieur au CEA a aussi joué un rôle facilitateur pour la DSV.
J-F Picard : Ce même phénomène a-t-il joué au Service hospitalier Frédéric Joliot (SHFJ) ?
AS : La discussion qui a eu lieu au début du SHFJ, mais je n’y étais pas, était de savoir est-ce qu’il faut faire de la radio-immunologie ou faire de l’imagerie innovante. C’était ça l’idée de Claude Kellershohn, utiliser le carbone 11 et les positons, etc. Il n’y a pas eu de radio-immunologie, heureusement d’ailleurs, et il a imaginé l’utilisation des émetteurs de positons avec et là, il y avait peu d’endroits où cela pouvait se faire. Au SHFJ, il s'agissait quand même des applications des isotopes pour les malades. C’était un service hospitalier, il y avait des infirmières, des lits d’hospitalisation, y compris des nourrissons, donc il s'agissait de faire de la clinique. Alors où mettre ce service hospitalier ? Jean Coursaget voulait le mettre à l’hôpital de Versailles, mais c’était un peu compliqué et puis ils ont découvert qu’il y avait un hôpital à Orsay, en bas de Saclay, ce qui semblait quand même plus facile.
PG : Autre question le passage du CEA en établissement public industriel et commercial (EPIC) influence t'il la DSV ou non ?
AS : Non. Au CEA, il n’y avait pas de discussions permanentes comme au Comité national du CNRS, sur le problème du statut, etc. Ce que je veux dire c’est qu' EPIC ou pas, là n'était pas la question. Alors qu'au CNRS, c'est "on va être démantelés, absorbés, etc. "
GB : Il y a, me semble t-il, une époque charnière dans les années 2000 avec la création des instituts et l’intégration de l’Institut de génomique. Je voudrais reparler des trois trajectoires. La première je la vois bien, avec l’apparition de la thématique prion, les aspects maladies infectieuses qui se sont greffées et c’est une belle histoire à raconter en partant des rayonnements... Le deuxième sujet, ce sont les expertises technologiques du CEA appliquées au vivant et c'est là qu'il faudrait parler aussi du test prion, de belles histoires et des autres technologies. Par exemple, on part de l’utilisation des radio-isotopes pour faire la physiologie et on arrive à Neurospin, etc. Par contre la troisième histoire, je ne me souviens plus comment on l’avait formulée.
PG : bioénergies, cela apparaît plus tardivement.
AS : C'est inexact. Les bioénergies avait été un grand projet de Coursaget, mais on nous a dit d’arrêter tout ça. En réalité, et parce qu’il y a toujours eu une activité très forte de photosynthèse, celui qui tenait beaucoup et qui collaborait beaucoup avec le CEA était un dénommé Pierre Joliot, le fils de Frédéric. La photosynthèse est aussi l'une des grandes forces du CEA.
GB : Je ne cherche pas à ce que chacun se retrouve dans la DSV au prorata des effectifs, mais je pense que même si pour l’avenir proche on est en train de les externaliser, la grande école de Jean Sentenac et l’ingénierie des protéines et la biologie structurale doit apparaitre quelque part.
PG : Une autre question porte sur l’installation de la DSV à Fontenay.
GB : Il faut dire comment, la baïonnette dans les reins, on a quitté la rue de la Fédération, que l'on trouve un point de chute à Fontenay et que finalement on en fait sur le plan scientifique un centre uniquement de biologie. Il est vrai qu’au début ce n’était pas vraiment la vision, c’était 'Numatec', 'Robotic'…/ Il faut mettre en perspective le fait que ce centre de Fontenay a été adopté un peu de force. Finalement, on a décidé d'y mettre Image N, qui est devenu 'Mircen', et puis chemin faisant, de l'étoffer avec la radiochimie.
AS : Je me demandais s'il ne serait pas habile de dire que DSV était aussi utile à d’autres endroits. Je pense à Bruyères-le-Châtel, à la ferme atomique que j'ai connue à l'époque où il y avait encore des vaches, des cochons et des moutons. On y bouffait le thym de Provence soit disant contaminé par Tchernobyl.
GB : À Bruyères le Châtel, il y a le Centre de Calcul Recherche et Technologie (CCRT) et le labo immunité et transmission de Roger Legrand. Dans l’imagerie et même dans la biologie structurale, on peut faire un lien avec le calcul intensif. De même pour la génomique, on a acheté des calculateurs et des moyens de stockage.
AS : Il y a eu aussi un très beau labo, que j’ai fermé d’ailleurs, à Villefranche-sur-Mer dirigé par Jean Maetz, un grand homme qui a trouvé les canaux chlorure. Il faudrait aussi mentionner les coopérations internationales, deux actions du département de biologie à Madagascar où l'on croyait découvrir de grandes réserves minières. De même au Niger où on avait créé un laboratoire de radio-immunologie au service de la population à Niamey en contrepartie des prospections faites par la Cogema... Autres contreparties au nucléaire, mais sur le plan national cette fois, à Caen avec le 'Ganil' et 'Cycéron'. Cela s'est fait parce qu’il y avait les sous-marins nucléaires à Cherbourg, l'EDF à Flamanville et la Cogema à La Hague. En Normandie où l'on a beaucoup donné au nucléaire, on a montré qu’avec les isotopes, on pouvait voir le fonctionnement du cerveau et l'on peut évoquer le rapport entre la simulation de la fusion nucléaire et celle de l'activité cérébrale.