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 Mort du neurobiologiste Michel Jouvet

Célèbre pour sa découverte du sommeil paradoxal, le neurobiologiste est décédé à l’âge de 91 ans.

Sandrine Cabut,  LM, 12 octobre 2017

Infatigable explorateur des rêves et du sommeil, auxquels il a consacré cinquante ans de sa vie, le neurobiologiste Michel Jouvet est décédé dans la nuit du 2 au 3 octobre à Villeurbanne (Rhône), à l’âge de 91 ans. Avant tout connu comme le père du sommeil paradoxal, état qu’il a défini en 1959, il est aussi à l’origine du concept de mort cérébrale, dont il a décrit les signes électroencéphalographiques la même année. Il a également révélé les propriétés éveillantes d’une molécule, le modafinil, utilisée pour traiter la narcolepsie et l’hypersomnie. Michel Jouvet, qui a dirigé une unité de recherche Inserm à Lyon, a reçu de nombreux prix et distinctions, dont la médaille d’or du CNRS, en 1989. « Au niveau mondial, il fait partie des très grands, des monuments [de la recherche sur le sommeil] », a indiqué à l’AFP Pierre-Hervé Luppi (Centre de recherche en neurosciences de Lyon, CNRL), l’un de ses successeurs. La ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, a, elle, « salué la mémoire de cet éminent scientifique qui aura fait avancer la science et rayonner la France ». Il fut aussi une personnalité complexe et contrastée, avec une vie personnelle et professionnelle – souvent intriquées – très intenses. Enfant, ce natif de Lons-le-Saulnier (Jura) rêve de devenir marin. A 18 ans, alors qu’il est élève en maths sup à Lyon, la seconde guerre mondiale va changer son destin. En 1944, il entre dans la Résistance, puis s’engage dans les FFI comme chasseur alpin.

Expériences sur le chat

De retour à la vie civile, le sergent Jouvet frappe à la porte d’un laboratoire de paléontologie puis d’océanographie. Refusé, il se tourne vers la médecine, prépare en parallèle un certificat d’ethnologie, puis se spécialise en neurochirurgie. En 1954, passionné par la neurophysiologie, il commence des expériences sur le chat. Cinq ans plus tard, alors qu’il étudie avec son équipe les mécanismes de l’habituation à un stimulus chez des chats décortiqués – dont le cortex a été enlevé –, il observe qu’en plein sommeil les félins ont une activité électrique sous-corticale « semblable à celle de l’éveil » et une absence totale de tonus musculaire. Michel Jouvet propose de baptiser cet état « sommeil paradoxal ». Ce sont « des expériences “curieuses”, parfois illogiques, qui nous ont amenés, sans l’avoir cherché (par sérendipité), à découvrir un troisième état du cerveau », écrit-il dans De la science et des rêves, ses Mémoires parus en 2013 chez Odile Jacob – qui a édité six de ses livres. Dans les années 1970, il décrit et filme le « comportement onirique du chat » : une lésion d’une zone du tronc cérébral responsable de l’atonie musculaire du sommeil paradoxal entraîne des comportements complexes pendant ce stade de sommeil, comme si l’animal vivait son rêve. « Cette découverte a été l’argument fort en faveur de l’hypothèse que le rêve surgit en sommeil paradoxal et uniquement en sommeil paradoxal ; hypothèse devenue prédominante pour presque 50 ans avant d’être remise en question », note Perrine Ruby, chargée de recherche au CNRL, spécialiste du rêve.

Une longue quête

Pendant toute sa carrière, Michel Jouvet tentera d’élucider les mécanismes et les fonctions des songes. Dans ses Mémoires, il raconte par le menu cette longue quête, y compris « comment il s’est égaré ou trompé plusieurs fois ». Ce fut d’ailleurs le cas pour son modèle assimilant la phase des rêves au sommeil paradoxal, puisqu’il est désormais prouvé que ceux-ci peuvent survenir dans tous les autres stades de sommeil. Grand voyageur, bon vivant, Michel Jouvet a connu un drame familial. Le 26 juillet 1970, à 35 ans, sa première femme et collaboratrice, Danièle Mounier se jette du 11e étage, pour échapper à une maladie neurologique. Quelques mois plus tard, le chercheur commence à écrire et dessiner ses rêves. En trente-huit ans, il remplira 22 gros cahiers, contenant 7 155 souvenirs de rêves soigneusement classés. Dans un chapitre consacré à son « inconscient érotique », il fait part de 270 rêves érotiques mettant en scène 100 femmes et une crevette. Il avoue aussi au « procureur des rêves » quelque 19 meurtres commis en songe. Remarié en 1974 à une collègue médecin, Michel Jouvet a eu quatre enfants. Jusqu’aux derniers mois de sa vie, il était toujours à l’affût des dernières recherches.

Michel Jouvet en quelques dates

16 novembre 1925 Naissance à Lons-le-Saulnier (Jura)
1989 Obtient la médaille d’or du CNRS
2013 Publie « De la science et des rêves. Mémoires d’un onirologue » (Odile Jacob)
2 au 3 octobre 2017 Mort à Villeurbanne (Rhône)