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Louis Bugnard (notice inserm)

Voir aussi : 'Poussée scientifique ou demande de médecins? La recherche médicale en France de l'Institut national d'hygiène à l'Inserm', (J.-F. Picard, Sciences Sociales et Santé, 1992, 10, 4, pp. 47-106)

Louis Bugnard est né le 7 juillet 1901 à Foix (Ariège).

Ancien élève de l'Ecole Polytechnique (1920-1922), licencié es sciences physiques, docteur en médecine, agrégé de physique médicale.
Boursier Rockefeller (1932-1934) auprès du professeur AV Hill (prix Nobel de physiologie) à Londres.

Professeur de pharmacodynamie à la faculté de médecine de Toulouse (1937), professeur de physique biologique et médicale à la même faculté (1942).
Sous-directeur du centre anticancéreux (1942-1945).
Mission aux Etats-Unis, auprès du comité de recherches médicales américain (décembre 1945-avril 1946).
Directeur de l'Institut national d'hygiène (INH) à Paris (1946-1964).

Membre du conseil directeur de médecine du CNRS dès sa création, membre du comité consultatif de l'enseignement supérieur.
Membre du conseil scientifique du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), membre de la commission internationale de protection radiologique, représentant de la France au comité scientifique de l'ONU, chargé de l'étude sur les effets biologiques des rayonnements ionisants.
Créateur, dans le cadre du ministère de la Santé, du Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI).

Mobilisé comme médecin lieutenant en 1939. Chargé de mission auprès du directeur du CNRS. Responsable régional pour l'organisation du service de santé de la résistance et des maquis jusqu'à la libération (région de Toulouse), membre du comité national médical de la Résistance. Médaille de la Résistance.

Louis Bugnard est décédé le 12 juin 1978.



Hommage à Louis Bugnard par Jean Coursaget, Chef du département de biologie du CEA et Maurice Tubiana, Directeur du groupe de recherche U 66 de l'Inserm

Louis Bugnard s'est éteint le 12 juin 1978, au terme d'une longue maladie. Pour ceux de notre génération, son nom incarne la renaissance de la recherche médicale en France, mais il est aussi celui de l'homme généreux et passionné, humain et volontaire, qui a été pendant plus de 20 ans le mentor et le patron de tous les chercheurs français.

Ancien élève de l'Ecole Polytechnique, en même temps qu'il menait des recherches sur les mécanismes physico-chimiques de la régulation de la teneur du plasma en cholestérol et en glucose, il avait entrepris des études médicales.

Avant même d'avoir mené celles-ci à terme, il fut nommé à 29 ans à l'Agrégation de Physique médicale. Il compléta ensuite sa formation par un long séjour à Londres, auprès de Hill, brillant Prix Nobel, auprès de qui il avait effectué des recherches en physiologie neuromusculaire.

Puis, arriva la guerre, qui allait révéler un nouvel aspect de sa personnalité. Résistant de la première heure, il se fait remarquer par son courage, son sens de l'organisation. Il sensibilise le milieu médical toulousain et s'emploie à prévenir emprisonnements et déportations. Nommé Président du Comité médical de la résistance de la région toulousaine, il travaille alors en contact étroit avec Robert Debré, Pasteur Vallery-Radot et Maurice Meyer, qui animent la résistance médicale française.

La guerre terminée, on pense tout naturellement à lui, en 1946, pour la Direction de l'Institut national d'hygiène (INH), modeste organisme jusque-là voué essentiellement aux enquêtes épidémiologiques mais dont on veut faire l'instrument de la renaissance médicale.

Pendant 18 ans, Louis Bugnard va s'identifier avec l'INH et il en fera petit à petit, tenacement, l'Inserm. A son arrivée, il n'y a rien ou presque. Tout le personnel de l'Inserm tient dans un appartement modeste et poussiéreux de la rue Cardinet. Les laboratoires des Facultés de médecine sont vétustes et peu nombreux ; la guerre les a dépeuplés, mais elle les a aussi coupés de la communauté scientifique internationale. D'emblée, Louis Bugnard comprend que le renouveau de la recherche passe par la formation des hommes. Il consacre toute son énergie à aller les chercher. Un à un, il les recrute, les convainc d'abandonner la carrière clinique pour se consacrer à la recherche, trouve les moyens de les envoyer se former à l'étranger, aux Etats-Unis surtout, veille à ce que, à leur retour, ils aient un point de chute, un laboratoire d'accueil, des moyens de travail. Il est émouvant de relire aujourd'hui le nom de ces premiers groupes de jeunes chercheurs qui, en 1947, 1948, 1949, partent pour un an aux Etats-Unis, avec une modeste bourse et la volonté d'aller acquérir les connaissances qui leur permettront, de retour en France, de relancer certaines disciplines moribondes. Pour eux, Louis Bugnard avait prospecté les Etats-Unis pour y détecter les foyers les plus actifs de recherche biomédicale et créer, avec ces centres, un réseau de relations scientifiques et humaines dont il fait bénéficier ses poulains. Ceux-ci sont relativement peu nombreux, quelques dizaines, choisis et suivis avec une paternelle vigilance. Ils forment le noyau initial des laboratoires qui se créent. Pendant 18 années, Louis Bugnard va mener avec persévérance un combat quotidien pour assurer les moyens nécessaires à leur développement, harcelant avec une obstination têtue les pouvoirs publics pour qu'ils accordent à la recherche biomédicale une place de plus en plus grande. Les difficultés innombrables sont vaincues grâce à l'enthousiasme qui l'anime, à son sens des relations humaines, à la chaleur de sa conviction.

Mais pour vaste qu'elle soit, sa tâche à la tête de l'INH ne suffit pas à rendre compte de l'action qu'il a menée. Celle-ci a un autre volet. Par ses fibres de biophysicien, Louis Bugnard s'intéressait non seulement à l'utilisation biologique et médicale des traceurs radioactifs, mais aussi à la radiobiologie et à la protection contre les rayonnements ionisants. Il s'est employé à faire prévaloir les données scientifiques objectives sous des attitudes passionnelles ou politiques. Membre du Conseil scientifique du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), il s'était affirmé sur le plan international par son autorité. Membre de la Commission internationale de protection radiologique, il avait aussi représenté la France au Comité scientifique de l'ONU, chargé de l'étude sur les effets biologiques des rayonnements ionisants. Soucieux d'assurer la protection des travailleurs et des malades, il avait créé, en outre, dans le cadre du Ministère de la santé, le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) dont on sait le rôle essentiel qu'il a joué.

Polytechnicien, biophysicien, grand administrateur de la recherche, Louis Bugnard a dispensé ses qualités humaines et scientifiques au service de la nation et de la communauté scientifique. Dans toutes ces activités, Il a su rester humain, donnant constamment la prééminence à la chaleur des relations personnelles sur la froideur des circulaires ou des textes. Nombreux sont ceux qui ont bénéficié de son soutien et qui resteront attachés à sa mémoire.

 



Inauguration de la salle Louis Bugnard

Siège de l'Inserm, 101, rue de Tolbiac, 10ème étage
5 avril 1979


A l'occasion de l'inauguration de la salle de conférences Louis Bugnard, le 5 avril 1979, en présence de Madame Bugnard, de sa famille et de ses amis, le professeur Jean Bernard, président du conseil d'administration de l'Inserm et le professeur Jean Coursaget, directeur du département de biologie du CEA, ont retracé la vie de Louis Bugnard, rendant ainsi hommage à l'homme, au savant et au directeur général de l'Institut national d'hygiène (INH), grâce auquel notre organisme connaît son essor actuel.


Allocution du professeur Jean Bernard

Vers 1949, le bureau du directeur général de l'INH et sa salle d'attente étaient ascétiques. La salle d'attente était représentée par un banc fort dur, dans un couloir étroit. Dans le bureau, se trouvaient une table et deux chaises, dures aussi. C'est là que se place ma première rencontre avec Louis Bugnard, c'est là que, pour la première fois, je compris la grandeur de l'œuvre qu'il accomplissait.

Les chercheurs qui travaillent aujourd'hui dans nos grands instituts, entourés de merveilleuses machines, gémissant certes contre les crédits gouvernementaux qui, par définition, sont toujours insuffisants puisque la recherche est un univers en expansion, ces chercheurs ont peine à se représenter la misère de 1949, les conséquences de l'éloquence pompeuse des professeurs des années I930, de la catastrophe de 1940, l'absence d'hommes, l'absence d'idées, l'absence d'or. Quelques-uns d'entre nous, René Fauvert et Jean Hamburger surtout, avaient ébauché un redressement. Ces efforts, ces balbutiements auraient été vains sans Louis Bugnard. Luttant sur tous les fronts, conservant son cap, recevant les coups pour nous, blessé par les méchants, en souffrant mais surmontant sa souffrance, sévère avec lui-même, généreux avec tous, Louis Bugnard, en quinze ans, a créé la recherche médicale française.

Il est inspiré par sa double formation, de mathématicien et de biologiste, de polytechnicien et de médecin. Il comprend que la recherche médicale est définie par un double courant qui va du fondamental au clinique et vice-versa. Rigoureux comme un physicien, humain comme un médecin, enfin comme un bon médecin, il veut, par cette alliance de la science et de l'humanité, diminuer le malheur des hommes.

A cet objectif, il a tout sacrifié, son œuvre de grand biophysicien interrompue en plein essor, sa vie familiale - et je voudrais que l'hommage rendu aujourd'hui s'adresse aussi à Mme Bugnard qui l'a tant aidé -, sa santé si durement éprouvée depuis longtemps et dont il ne s'occupait guère, son propre bonheur.

Mais ce constant sacrifice a été fécond. Un peu partout en France se sont élevés de grands instituts de recherche médicale. En plusieurs domaines, la recherche médicale en 1979 est revenue au rang perdu depuis 1920.

Un mardi de mai 1974, je trouvais rue Bonaparte Louis Bugnard qui sortait de l'Académie de médecine. Nous sommes revenus ensemble jusqu'à la rue Las Cases, la Garonne chantant toujours dans sa voix. Il me dit tour à tour ses déceptions, ses tristesses et, néanmoins, ses espérances, ses perspectives. Je reçus en vingt minutes une émouvante et dernière leçon du fondateur de la recherche médicale française.

Nous sommes tous profondément heureux que cette salle où se réunissent tant de commissions, de conseils, où se discutent tant de questions essentielles porte désormais le nom de celui auquel la recherche médicale française doit tant et, avant tout, d'exister.


Allocution du professeur Jean Coursaget

Le Professeur Jean Bernard vient d'évoquer ses souvenirs de Louis Bugnard. Je voudrais maintenant exprimer la profonde reconnaissance de ceux qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à un moment où l'orientation vers la recherche médicale représentait un pari hasardeux, ont trouvé auprès de Louis Bugnard la compréhension, les encouragements et les appuis décisifs.

A nous tous, Louis Bugnard est apparu comme un homme d'une vive intelligence. Mais ses qualités de cœur n'étaient pas moins grandes : son enthousiasme, sa générosité et son courage ont marqué toute sa vie et son œuvre.

Pour ma part, j'ai rencontré Louis Bugnard vers la fin de l'année 1940, Comme beaucoup d'étudiants ou d'enseignants, j'avais quitté Paris pour me réfugier en zone non occupée, d'abord à Bordeaux puis à Toulouse. L'avenir était, bien entendu, plein d'incertitude et de menace. Louis Bugnard, alors professeur de biophysique médicale, prit rapidement sous sa protection ce jeune physicien, nouveau venu dans les études médicales, qui, de son côté, éprouvait une vive admiration pour ce maître dont l'intelligence, la culture scientifique et les qualités humaines impressionnaient. Dans de telles conditions, je ne tardais guère à partager son ardente inclination pour la recherche médicale. Je ne dirai jamais assez la reconnaissance que je lui dois pour une vocation génératrice de tant de joies.

Pourtant Louis Bugnard avait alors bien d'autres soucis. Il n'avait pas été insensible à l'exode des médecins et chercheurs espagnols, arrivés en grand nombre à Toulouse à partir de 1937. Aux côtés de son oncle, le professeur Camille Soula, il s'employait à aider moralement et matériellement des hommes comme Folch-Pi, Pisunera ou Diego Diaz. Mais, surtout, il s'était très vite engagé dans des mouvements de résistance à l'occupant allemand. Entouré d'adjoints résolus tel Pierre Doissans, qui serait beaucoup plus qualifié que moi-même pour évoquer cette activité clandestine, Louis Bugnard se dépensait sans compter, pour l'équipement et l'organisation du service de santé des maquis, pour la transmission des messages, la diffusion des tracts en milieu universitaire ou pour la protection des jeunes résistants.

Gabriel Nahas est parmi nous, ce soir, un des témoins de son efficacité : arrêté lui-même en 1941, c'est Louis Bugnard qui lui procure un avocat, multiplie les interventions en sa faveur et obtient finalement sa libération. Herman Fishgold ou Vladimir Jankelevitch, dont la présence est éloquente, pourraient citer bien d'autres exemples. En effet, Louis Bugnard n'hésite pas un instant à s'exposer aux risques les plus graves : il abrite à son domicile personnel des hommes menacés, cache des israélites et des aviateurs britanniques ou américains et devient délégué régional du comité médical de la résistance, le CMR, animé à Paris par Robert Debré et Pasteur Vallery-Radot et, pour la zone sud, par M. Teste, c'est-à-dire Maurice Mayer, et Pierre Klotz. Il est entouré, pour assumer ces responsabilités, par Camille Soula bien sûr mais également par Guilhem et Baudot, qui représentent les mouvements unis de la résistance (MUR). Tous les médecins résistants de la région, quelle que soit leur appartenance politique, se trouvent donc réunis autour de lui. Selon l'expression d'un jeune résistant d'alors, Louis Bugnard représentait « une bouée solide dans la nuit ». Il s'exposait dangereusement, avec naturel et simplicité, prodiguant, sans considération pour sa propre sécurité, son aide morale et matérielle.

A la Libération - qui crée à Toulouse une agitation telle que le Général de Gaulle jugera nécessaire de s'y rendre personnellement -, Louis Bugnard fera preuve de mansuétude : sévère pour les plus compromis aux côtés de l'occupant ; pour beaucoup d'autres, il se montrera indulgent et s'emploiera, surtout, à la réorganisation nécessaire, tourné résolument vers l'avenir.

Cet avenir apparaît bientôt à Louis Bugnard sous la forme d'un nouveau combat : celui de la recherche médicale. Depuis son enfance, il y est préparé. Ses parents, professeurs d'Ecole normale d'instituteurs, lui ont transmis la passion de l'enseignement et la foi dans l'amélioration de la condition humaine par la connaissance. L'Ecole polytechnique lui a apporté une solide culture en mathématiques et en physique. Et, surtout, peut-être a-t-il trouvé en son oncle Camille Soula un guide exceptionnel : son intelligence éclatante, ses insatiables curiosités, ses remarquables dons, non seulement scientifiques mais aussi littéraires, artistiques voire politiques, ont fasciné le jeune polytechnicien. Cette influence a décidé de son orientation vers la recherche médicale mais, plus encore, a véritablement forgé sa personnalité, moulée, si je puis dire, sur celle, si attachante, de celui-ci.

Yves Laporte, qui a fait, lui aussi, ses premiers travaux auprès de Camille Soula, me rappelait tout récemment combien il était rare, à cette époque, pour un petit laboratoire provincial, d'avoir su nouer et entretenir bien vivant tout un réseau de relations internationales.

Grâce à ces liens hors de nos frontières, Louis Bugnard connaîtra le rare privilège de passer deux années (1931-1933) à Londres auprès de A. V. Hill, prix Nobel, dont la riche culture s'étendait des mathématiques et de la physique à la physiologie. Auprès d'un chercheur d'une telle stature, Louis Bugnard, non seulement accomplit d'excellentes études de physiologie neuromusculaire, mais s'imprègne de l'éthique britannique en matière de recherche scientifique, pour laquelle la qualité des hommes importe plus que le thème de recherche. Hill vouera toute sa vie une profonde amitié à Louis Bugnard, qui, de son côté, ne cessera de s'inspirer de cet exemple dans la conduite de ses recherches et la direction de son laboratoire, où des hommes comme Roger Auvergnat seront à la fois ses disciples et ses amis.

Appelé en 1946 à la direction de l'INH, il se dévoue sans compter pour le développement d'une recherche biomédicale française dramatiquement démunie d'hommes et de moyens.
Il infléchit l'orientation de cet organisme, voué essentiellement jusque-là aux enquêtes épidémiologiques, pour en faire, en quelques années, l'instrument nécessaire à l'essor de la recherche médicale. Il sait s'entourer de collaborateurs efficaces dont certains sont parmi nous : Pierre Denoix, Pierre Fallot... et, bien sûr, Mme Suzanne Lazarin.
Il met toute sa confiance dans les jeunes, dès lors qu'il décèle chez eux un goût de l'effort et des aspirations intellectuelles authentiques. Il s'emploie à rassembler les moyens financiers nécessaires à leur formation outre-mer et réussit à convaincre un certain nombre de mécènes, dont la contribution vient compléter les ressources officielles très insuffisantes. Fidèle au modèle anglo-saxon et convaincu de l'importance des liens personnels directs, il conserve, le plus souvent ,des relations épistolaires avec les « boursiers » qui sont, grâce à lui, à l'étranger. Il veille à la bonne marche de leurs stages et s'inquiète de leur implantation au retour. J'ai, pour ma part, reçu, en une seule année, quinze longues lettres manuscrites de Louis Bugnard.
Une telle option représentait, à cette époque, un pari courageux car Louis Bugnard assumait ainsi la responsabilité de l'avenir des jeunes chercheurs qu'il confortait ainsi dans leur vocation. Ce pari, Louis Bugnard l'a gagné : les dizaines de jeunes chercheurs formés à l'étranger n'ont pas, pour la plupart, déçu ses espérances. Ils ont, au retour, donné l'impulsion indispensable et ce sont souvent des « boursiers de Louis Bugnard» que l'on retrouve à l'origine des bonnes équipes actuelles.

Certes les temps et les effectifs ont évolué et l'on ne pourrait songer aujourd'hui à conduire la recherche médicale nationale sur la base de relations personnelles de chaque chercheur avec le directeur général. Le nombre et la spécialisation ont rendu nécessaire le recours aux commissions de spécialistes, aux votes, à l'informatique de gestion... Louis Bugnard, tout en se réjouissant de cette croissance, regretterait profondément la prolifération de ces rouages administratifs, qui prennent difficilement en compte la chaleur humaine dont les chercheurs ont, sans aucun doute, tout particulièrement besoin.

Tel est pourtant l'un des résultats de son œuvre : la vigoureuse impulsion donnée par Louis Bugnard à la recherche médicale appelait nécessairement ses successeurs, MM. Eugène Aujaleu et Constant Burg, à la structuration administrative et à la planification scientifique, dont la réussite a rendu possible une nouvelle étape de développement.

Cette immense tâche au service de la recherche publique répondait bien au penchant naturel de Louis Bugnard à se dévouer pour l'intérêt général ; mais elle était incompatible avec une recherche personnelle dont il gardait, je crois, une certaine nostalgie. Aussi, en manière de compensation, conçut-il un vif intérêt personnel pour les méthodes isotopiques de recherche ou de diagnostic et, surtout, pour les effets biologiques des rayonnements. Il disposait, bien sûr, des bases mathématiques et physiques indispensables et avait lui-même travaillé à Toulouse, en liaison avec les radiothérapeutes, sur la dosimétrie des rayons X. Faute de pouvoir œuvrer de ses propres mains, il dut malheureusement se limiter à suivre les recherches réalisées par d'autres, soit en France - et il retrouvait là ses premiers boursiers qui s'appelaient, par exemple, Maurice Tubiana, Paul Blanquet ou... Jean Coursaget, soit à l'étranger. Ses connaissances dans ce domaine sont bientôt très appréciées : en France, il devient le conseiller du Haut-Commissaire Francis Perrin, qu'il incite à créer, puis développer, des laboratoires de recherche biologique et de radioprotection. Il fait doter l'Institut Gustave Roussy d'un Bêtatron. Sur le plan européen, il est appelé à siéger au conseil scientifique d'Euratom. Mais on peut dire, je crois, que les problèmes de radioprotection sont rapidement devenus son domaine scientifique d'élection. En effet, s'il avait su prévoir les immenses progrès apportés dans le domaine biomédical par les indicateurs radioactifs et pressentir que la radiothérapie tirerait bénéfice des nouvelles sources de rayonnement comme d'une dosimétrie rigoureuse, il avait également montré beaucoup de clairvoyance, en soulignant la nécessité de maîtriser les risques inhérents à l'utilisation croissante des rayonnements.

Les préoccupations concernant la protection des travailleurs et de la population rejoignaient, d'ailleurs, l'orientation primitive de l'INH, du temps où André Chevallier, prédécesseur de Louis Bugnard, en assumait la direction. Elles symbolisaient, en quelque sorte, la continuité de cet organisme, en jetant un pont entre les soucis de santé publique et les perspectives ouvertes par la recherche.

Dès 1955, Louis Bugnard, voyant le rapide essor de la médecine nucléaire et constatant que, dans le domaine de l'énergie nucléaire, l'avancement des recherches ouvrait la voie aux applications pratiques, préconisait la création, au ministère de la Santé, d'un service de protection contre les radiations ionisantes (SCPRI). Il avançait avec lucidité que les constructeurs de réacteurs ne pouvaient être juges et partis. Le département de protection du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), placé sous la direction d'Henri Jammet, apportait, certes, des contributions importantes, mais son appartenance lui semblait incompatible avec l'impartialité qui devait caractériser un organisme garant de la santé publique.

Le SCPRI était créé l'année suivante et il était rattaché à l'INH, devenu, en 1964, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Faisant à nouveau confiance à un jeune chercheur, Louis Bugnard choisissait Pierre Pellerin pour en assurer la direction. Aujourd'hui, grâce à ces décisions, la France est dotée d'une structure de radioprotection considérée comme la plus évoluée par beaucoup de pays.

Mais Louis Bugnard n'oublie jamais la recherche et il appelle, très tôt, l'attention sur l'action éventuelle des faibles doses de rayonnement. Le problème est toujours d'actualité car, au niveau d'irradiation considéré, il est malaisé d'avancer des preuves convaincantes de cette action, tant sur le plan somatique (cancer, leucémie) que génétique (effets sur la descendance). Pourtant, il est impératif de donner une réponse claire. Certes, l'existence de l'irradiation naturelle fournit une référence sûre, mais elle ne constitue pas une réponse véritable au problème posé.

Bien entendu, Louis Bugnard était, dans ce domaine, en relation avec les meilleurs spécialistes étrangers : aux Etats-Unis avec Lauriston Taylor, président du National Bureau of Standards, et avec K. Z. Morgan, responsable des services de radioprotection de l'AEC, en Grande-Bretagne avec Sir Ernest Rock Carling, Sir Edward Pochin, avec les professeurs Windeyer et Mayneord, en Suède avec Rolf Sievert, en République fédérale d'Allemagne avec le Professeur Holthusen de Hambourg. Encore, ne s'agit-il que des plus connus. Très estimé, Louis Bugnard sut aussi gagner leur amitié. Membre du comité scientifique des Nations Unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants, depuis sa création en 1956 jusqu'en 1970, membre jusqu'à cette même date de la Commission internationale de la protection radiologique, Louis Bugnard jouait également un rôle important auprès de l'EURATOM et de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Aujourd'hui encore, nos éminents collègues étrangers rappellent fréquemment l'estime qu'ils avaient pour sa haute compétence et l'attachement qu'ils vouaient à sa personne.

Louis Bugnard était, en effet, un homme très attachant. Il séduisait par sa sensibilité et son raffinement. Il prenait plaisir à écrire, et dans un style élégant. Il appréciait la peinture, la sculpture et s'était entouré d'artistes devenus ses amis, tels Desnoyer, Camille Saint-Saëns ou Lipchitz. Il s'exprimait souvent avec humour mais de manière aimable, plaisante, presque tendre parfois. L'accueil à son domicile était chaleureux, Mme Bugnard y contribuant par sa finesse, son dynamisme et sa bonne humeur. Le caractère affectueux de Louis Bugnard s'y épanouissait. Venait en premier lieu, bien sûr, la tendresse pour son épouse, qui lui prodiguait une affection vigilante et une admiration sans réserve et pour son fils, Claude, qui a joué un rôle si important dans sa vie et lui a procuré une grande joie en s'orientant vers les études médicales.

Mais ses relations avec les hommes qui lui inspiraient estime et sympathie étaient également empreintes d'une chaude amitié. Tous en appréciaient la qualité et ceux qui furent appelés à lui porter secours lors de sa longue et pénible maladie - en particulier les professeurs Caroli, Di Matteo, Fishgold et Hamburger - lui témoignèrent une sollicitude émouvante.

En fait, les traits de caractère de Louis Bugnard comme ses choix fondamentaux et ses activités sont révélateurs d'une même aspiration profonde. Toute son éducation le portait à croire au salut par la connaissance et adhérer avec enthousiasme à une morale fondée sur la foi en l'homme. C'est cette foi qui lui inspirait tant d'intérêt et de sympathie pour autrui. L'humanité était déjà pour lui, selon la prédiction de Paul Eluard, « la foule immense où l'homme est un ami ». A la vérité, il a toujours rêvé au bonheur de l'homme dans l'épanouissement de son être, de son intelligence, de ses libertés. Toute la vie de Louis Bugnard a été dédiée au service de cet idéal.