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La médecine interne en France, par Pierre Godeau

Conférence donnée à la Société tunisienne de médecine interne en 1995

 

La spécialité de Médecine Interne à été créé en France il y a moins de 25 ans : c'est en effet en 1970 que la qualification de spécialiste en Médecine interne a été attribuée par l'ordre des médecins. La même année les Bulletins et Mémoires de la Société Médicale des Hôpitaux de Paris changeaient de dénomination et prenaient le nom d'Annales de Médecine Interne.

La communauté des internistes prenait conscience de son existence et diverses réunions régionales notamment à Nice, Lyon, Marseille et Paris permirent aux internistes de procéder à des échanges scientifiques fructueux, d'établir les bases de leur discipline et de poser les jalons de la Société Nationale française de Médecine Interne (SNFMI) qui vit le jour en 1979 à Lille et dont la Revue de Médecine Interne est actuellement le journal d'expression.

Parallèlement, le Syndicat des médecins spécialistes de Médecine Interne regroupait les internistes français pour la défense de leurs intérêts.

Enfin, les internistes hospitalo-universitaires sont représentés au niveau des instances universitaires dont la dénomination a changé au fil des ans : CCU - CSU et enfin CNU ; La sous-section 53-01 regroupe les professeurs de Médecine Interne et constitue avec la sous-section 53-02 (Chirurgie générale) la 53ème section du Conseil National des Universités. L'intitulé de cette section a été récemment modifié par l'adjonction de la mention : ''gériatrie. Biologie du vieillissement".

Les contacts des internistes français avec leurs collègues européens ont été établis depuis plusieurs années au sein d'une Société Scientifique: l'AEMIE (Association Européenne de Médecine Interne d'Ensemble) qui a perdu sa dernière lettre : AEMI dont la dernière présidence a été exercée par un interniste français, le Possesseur Yves LE TALLEC. Secondairement, l'AEMI a été remplacée par l'EFIlM (European Federation of InternaI Medicine) regroupant les diverses Sociétés de Médecine Interne au sein de cette Fédération dont le Président actuel est le Professeur JAEGGER, de nationalité Suisse.

En outre, les internistes français étudient actuellement les conditions de réforme ou d'aménagement de leur discipline avec leurs collègues de l'UEMS (Union Européenne des médecins spécialistes).

Cette rapide schématisation des faits marquants des 30 dernières années méconnaît un passé prestigieux. Si l'appellation "Médecine Interne'' est récente, la réalité de l'exercice de la médecine interne se confond avec l'éclosion et le développement de la médecine au cours du 20 ème siècle. Tous les grands noms qui illustrèrent la médecine française ont été sauf rares exceptions ceux de médecins qui possédaient une formation d'internistes et avaient étudié la médecine dans son ensemble avant de consacrer leur talent de clinicien ou de chercheur à un secteur particulier de la médecine. La médecine interne avait été réellement la mère des diverses spécialités et nos aînés qui contribuèrent à leur création avaient tous bénéficié d'une formation préalable globale.

C'est l'essor prodigieux et souhaitable des diverses spécialités médicales qui fît prendre conscience d'un risque : celui d'un émiettement, d'une balkanisation de la médecine, qualificatif qui avait paru désuet il y a quelques années mais dont des événements récents ont malheureusement souligné qu'il était d'une actualité brûlante.

La médecine interne française a eu en quelque sorte une nouvelle naissance en 1970. Le médecin consultant de jadis, le chef de service hospitalier de médecine ont trouvé tout naturellement leur place au sein de cette spécialité particulière. Nous envisagerons rapidement et successivement :

les données numériques concernant les internistes

les conditions d'obtention du titre d'interniste

le rôle des internistes dans le système de santé français

I - Il y a actuellement environ 2000 spécialistes en Médecine Interne en France mais les chiffres diffèrent selon les sources :

- d'après le Ministre des Affaires Sociales et de la Santé, 2000 spécialistes en Médecine Interne exerçaient en France.

Les internistes en activité représentaient en 1999, 3% des 75000 spécialistes versus 70000 généralistes. 190 sont professeurs dans des Centres Hospitaliers Universitaires. La majorité des internistes travaillent à l'Hôpital. 700 internistes ont une activité libérale mais pour la moitié d'entre eux, elle n'est pas exclusive.

Il - L'obtention de la qualification en Médecine Interne ne relève pas d'un processus homogène et les critères de qualification ont varié au cours des ans.

A ce titre, la réforme du 3ème cycle des études médicales en 1985 a entraîné une modification profonde des conditions de qualification dont la rigidité nécessitera certainement des aménagements. Ce problème n'est pas propre à la médecine interne mais concerne l'ensemble des spécialités médicales

Rappelons que pour toute spécialité, l'accès passe par le concours d'internat de spécialité (DES) et que l'étudiant doit choisir définitivement la spécialité où il exercera son activité à l'issue du 5ème semestre d'internat et ceci sans possibilité le retour.

Quoiqu'il en soit, la spécialisation en médecine interne nécessite actuellement cinq années d'internat après nomination au concours (contre 4 années pour la plupart des autres spécialités médicales). Au total, selon les succès aux divers échelons de sélection (essentiellement PCEM et concours d'internat), la qualification d'interniste est attribuée après un total de 10 à 12 années d'études médicales. Le DES de médecine interne comporte un programme d'études précis actuellement en cours de modification, une réflexion étant en cours au sein de la Commission Pédagogique de la SNFMI.

A l'issue du DES, les internistes –comme d'autres spécialistes - peuvent acquérir certaines qualifications complémentaires dans le cadre des DESC (Diplôme d'études Spécialisées Complémentaires), notamment en gériatrie, en pathologie le la nutrition, en médecine vasculaire, en réanimation médicale, en pathologie infectieuse et tropicale, en cancérologie, etc...

Toutefois ce système des DESC ne résout pas le problème de fond que l'on percevra mieux après avoir envisagé la place des internistes dans le système de soins.

III - SITUATION DES INTERNISTES DANS LE SYSTEME DE SOINS

Sur un total d'environ 2000 internistes, 700 seulement exercent une activité libérale et le plus souvent à temps partiel. C'est dire que l'exercice de la médecine interne en France est à très nette prédominance hospitalière.

Dans les Centres Hospitalo - Universitaires, 150 services environ portent l'appellation médecine interne. Dans les hôpitaux Généraux, sur les 900 services de médecine non spécialisés

recensés, un tiers seulement porte l'appellation médecine interne, les autres sont dénommés services de Médecine ou de Médecine et telle spécialité ou de Médecine générale ou encore de Médecine Polyvalente. Cette situation mérite d'être clarifiée. Elle ne peut être dissociée des perspectives générales de la politique de santé dont on le sait, un des objectifs est la fermeture d'un nombre important de lits d'hospitalisation.

Le rôle privilégié des internistes dans l'accueil - urgence dans les soins aux patients âgés, dans la prise en charge des patients atteints de SIDA, devra assurer à la médecine interne le maintien et l'amplification de ses positions au sein des Hôpitaux Généraux en collaboration étroite avec les spécialistes d'organe.

La situation est plus claire dans les Hôpitaux des Armées : il existe au moins un service de Médecine interne dans les neuf hôpitaux d'instruction des Armées (équivalents des CHU) et les 23 Centres Hospitaliers des Armées (équivalents des hôpitaux généraux). En outre, Il est bon de rappeler que les concours d'agrégation des hôpitaux militaires exigent des candidats des connaissances approfondies en Médecine Interne et que cette préservation d'une formation de base globale, maintien des traditions classiques, s'inscrit actuellement à l'avant garde des préoccupations pédagogiques modernes.

Quel est le rôle hospitalier de l'interniste au sein de ces divers services de Médecine Interne ?

Ce rôle est variable d'un service à l'autre et on ne peut que donner un schéma :

1°- La vocation de l'interniste est par définition un abord global de la médecine et du patient sans exclusion. Il est donc particulièrement habilité à héberger dans son service les patients adressés à l'hôpital par la structure d'accueil et d'urgence dont la pathologie ne relève pas à l'évidence d'un service spécialisé. Certes, les patients atteints d'une leucémie aiguë, d'une hémorragie digestive ou d'un infarctus du myocarde récent n'ont pas leur place dans un service de médecine interne et seront directement admis en milieu de réanimation polyvalente ou spécialisée selon la structure hospitalière qui les a accueillis. En revanche, la plupart des autres patients peuvent être légitimement admis en médecine interne au moins transitivement jusqu'à ce que leur pathologie soit parfaitement individualisée et requière éventuellement le passage en service spécialisé ou le retour au médecin généraliste qui les suivra en milieu extra hospitalier.

2°- Une autre mission de l'interniste hospitalier consiste à " débrouiller " et si possible à résoudre, des cas complexes, retrouvant sa vocation initiale de médecin consultant: que ces patients soient adressés par un médecin généraliste, par un spécialiste d'organe, ou consultent spontanément : maladies systémiques et générales, amaigrissement inexpliqué, asthénie chronique, fièvre, syndromes inflammatoires, syndromes psychosomatiques etc... sont le pain quotidien de l'interniste hospitalier.

3°- Relèvent également de l'hospitalisation en médecine interne les patients atteints d'une polypathologie. La fréquence de ces cas croissant évidemment avec l'âge, les services de médecine interne ont une vocation gériatrique de choix ou de nécessité. L'orientation de nombreux internistes vers la gériatrie répond à une évaluation pragmatique des besoins.

4°- Enfin, à côté de ces trois domaines bien délimités, un nombre important de services la médecine interne ont une orientation parfois prédominante dans une spécialité, conséquence de la formation, initiale ou secondaire, du chef de service et/ou des axes de recherches préférentiels.

Deux ordres de faits peuvent être distingués :

a – Exercice d'une spécialité officiellement reconnue mais non représentée localement : cardiologie, gastro-entérologie etc... il s'agit là d'anomalies qui ne peuvent se justifier que par des considérations pragmatiques et qui ne devraient être que des exceptions.

b - Exercice d'une spécialité qui répond soit à un DESC, soit à une discipline d'individualisation récente, soit à un secteur de soins et/ou de recherche encore non structuré. La liste est longue et non exhaustive. C'est une mission spécifique de l'interniste qui remplit ici parfaitement son rôle. Citons: l'hypertension artérielle, la médecine vasculaire. tant dans le versant vasculaire que thromboses, la nutrition, la médecine psychosomatique, l'allergologie, la pathologie immunitaire et dysimmunitaire.

Ce rôle de l'interniste hospitalier est indissociable du rôle pédagogique de l'interniste. Nous ne pouvons en donner qu'une esquisse. C'est à dire citer les principaux domaines en dehors de tel et tel cas particulier (résultant d'une compétence personnelle de tel ou tel interniste, dans un domaine spécialisé). Ces domaines sont au nombre de cinq :

la sémiologie médicale au cours du 1er cycle

le Certificat de Synthèse Clinique et Thérapeutique qui clôture le deuxième cycle des études médicales

le troisième cycle de Médecine Générale

le troisième cycle de spécialité pour le DES de Médecine Interne et certains DBSC

enfin la Formation Médicale Continue. Dans leurs diverses activités, les internistes sont en contact étroit avec les enseignants de thérapeutique dont un bon nombre sont de véritables internistes et ont d'ailleurs souvent la charge d'un service hospitalo-universitaire de médecine interne. Dans le même ordre d'idée, les gériatres - dont la majorité sont des internistes - les réanimateurs médicaux, les infectiologues ont des liens étroits avec la médecine interne. Le rôle formateur des services de médecine interne est bien reconnu au sein de la communauté des étudiants hospitaliers du 3ème cycle. C'est en effet dans les services de médecine interne qu'ils auront l'occasion de voir un large éventail de pathologie, des patients adultes de tous âges et de toutes conditions sociales et des maladies non triées, non diagnostiquées au départ ce qui les préparera pour le mieux à leurs fonctions ultérieures, notamment pour ceux qui s'orienteront vers la médecine générale mais également pour ceux qui se destineront à la recherche et qui auront ainsi bénéficié d'une formation de base autant humaniste que scientifique qui restera pour eux une expérience vécue indispensable à la dimension humaine du chercheur. Les services de médecine interne font souvent l'objet d'un choix préférentiel des étudiants en formation ce qui souligne le bien fondé de ces considérations.

Le rôle de l'interniste dans la recherche clinique ne doit pas pour autant être sous estimé. Certes, la complexité croissante de la médecine sous-entend une recherche de pointe de plus en plus spécifique et des sous-spécialisations au sein des diverses spécialités. Mais le privilège de l'interniste est, en revanche, de garder une vue panoramique sur l'ensemble de la médecine lui permettant de prendre contact avec spécialistes et chercheurs de divers horizons pour participer à des travaux polydisciplinaires.

Indépendamment des tendances personnelles de chaque interniste et de ses connaissances plus spécifiques dans tel ou tel domaine de la médecine, le regroupement de la majorité des internistes actifs au sein de la SNFMI (Société Nationale Française de Médecine Interne) a répondu à 3 besoins :

1 - celui du maintien et du développement de liens professionnels et amicaux

contribuant l'essor de la discipline

2 - celui d'une formation continue résultant d'un enrichissement mutuel de leurs

connaissances

3- la mise en place de structures de recherches.

Cette activité de la SNFMI s'exerce à l'occasion de deux congrès annuels qui, en juin et en décembre, rassemblent entre 600 et 1000 participants. Ces congrès comportent deux thèmes principaux, des communications libres et des communications affichées et diverses tables rondes. Les internistes y présentent leurs travaux et font appel a divers spécialistes qui sont invités à présenter des exposés sur les thèmes principaux et à participer aux tables rondes. Ils peuvent également proposer des communications qui, comme celles des membres de la SNFMI, sont soumises anonymement à un comité scientifique qui sélectionne environ 40% des propositions de communications orales et/ou affichées. Environ 80 communications orales et 300 communications affichées sont retenues et leurs résumés font l'objet d'un numéro spécial de la Revue Française de Médecine Interne. A chaque congrès, le point est fait
sur des activités de recherche coordonnées au sein de la SNFMI sous l'égide du Conseil Scientifique qui fonctionne de façon permanente. Un comité d'Interface avec l'INSERM a été mis en place depuis quelques années et une séance commune lNSERM - SNFMI est organisée annuellement. De multiples activités thématiques de recherche nationales et coordonnées regroupent des internistes de tout l'hexagone- Une bourse Marcel Simon est attribuée
annuellement par le Comité d'Interface INSERM-SNFMI à un jeune chercheur et les prix Fred Siguier récompensent annuellement 2 jeunes internistes pour leurs thèses, mémoires ou premières publications internationales. Le dynamisme de la SNFMI peut être facilement apprécié par la progression du nombre
de membres qui est passé de. 354 à 1365 entre 1979 et 1999. La répartition par tranches d'âge montre que les 2/3 ont moins de 50 ans. Enfin, leur répartition par mode d'exercice reflète assez fidèlement celui de l'ensemble des internistes puisque 402 exercent en CHU et environ 551 en CHG. - En outre la SNFMI es ouverte à d'autres spécialistes puisque 246 membres ne sont pas qualifiés en Médecine Interne. L'ouverture le la SNFMI est également attestée par la présence de nombreux membres étrangers qui représentent 6% de nos membres.

Ainsi, la Médecine Interne en France fait preuve d'une activité soutenue à tous les niveaux. Plusieurs internistes exercent les charges de Doyens ou Présidents d'Université.

Cependant, cette photographie de l'état actuel de notre discipline et ce bref historique devraient être complétés par une prospective sur son avenir. L'avenir de la Médecine lnterne est indissociable de celui de la profession médicale dans son ensemble. La formation des spécialistes d'une part (homogénéisation sur 5 ans - nécessité d'un tronc commun ou d'un arbre commun de Médecine Interne) sera à reconsidérer à l'échelon européen. D'autre part l'organisation hospitalière devra faire l'objet d'aménagements. Faudra-t-il conserver de nombreux services de spécialités juxtaposés dans les CHU ou imaginer une structure centrale commune de Médecine Interne et des structures de spécialités, numériquement moins importantes, mais disposant d'équipements techniques spécifiques ? Faudra-t-il regrouper les équipements techniques en structures autonomes à la disposition des divers services et/ ou départements ? doit-on conserver des lits d'hospitalisation propres à chaque spécialité ou ne serait-il pas plus flexible de créer un vaste ensemble de lits indifférenciés où pourront, en fonction des besoins, être hospitalisés tels ou tels types de patients ? ; A l'évidence ces questions ne doivent pas susciter une réponse unique et les situations peuvent être fort différentes d'un centre hospitalier à l'autre. Un CHG d'importance moyenne et un CHU comportant 1500 lits ne doivent pas être organisés de façon similaire.

Si une réglementation nouvelle est proposée, il ne devrait s'agir que du cadre susceptible d'aménagements et d'adaptations pragmatiques et ne pas figer dans un moule étroit la médecine hospitalière dont le rôle est évidemment de s'adapter à l'évolution permanente de la médecine et lui offrir seulement les conditions matérielles de son épanouissement au moindre coût économique et dans l'optique d'une prise en charge personnalisée et humanisée des patients, leur offrant parallèlement les meilleures garanties d'une thérapeutique efficace.

source : http://www.stmi.org.tn/docs/mifrance.htm