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Le Monde 8 mai 2018

Jean Gayon (1949 - 2018)

Notice nécro par Michel Veuille (Directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études, Paris Sciences Lettres)

Jean Gayon, mort le 28  avril à Paris, a contribué à renouveler les méthodes de l'histoire des sciences au cours d'une carrière consacrée à éclaircir la théorie de Darwin et l'histoire de la génétique en France. Reçu à l'agrégation de philosophie en  1972 et devenu professeur de lycée, il retourne neuf ans à l'université pour devenir biologiste, obtenant le diplôme d'études approfondies d'évolution de Paris-VII en  1983. Sa double formation de philosophe et de scientifique lui donne un pouvoir de pénétration exceptionnel dans l'histoire de la biologie, à laquelle il consacre les trente années suivantes.

Il soutient en  1989, sous la direction de François Dagognet, une thèse sur " la théorie de la sélection naturelle : Darwin et l'après-Darwin ", étude éclairante sur les contradictions du darwinisme avec les conceptions de l'hérédité du XIXe  siècle et leur résolution par la génétique au XXe  siècle. Elle est publiée en anglais aux presses universitaires de Cambridge en  1989. L'accueil d'un Français dans le cercle très fermé des " études darwiniennes ", jusqu'alors réservé aux chercheurs anglo-saxons, est un événement dans le monde de l'histoire des sciences.

Un auteur charnière

Nommé à l'université de Dijon, il inaugure une méthode de travail fondée sur les échanges entre historiens et biologistes qu'il poursuivra une fois nommé professeur à l'université Paris-VII, puis à Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Un moment-clé est sa rencontre avec l'historien des sciences américain Richard Burian, inaugurant une collaboration fructueuse qui explore le paradoxe français en génétique. La faible contribution des Français à l'histoire de la génétique était jusqu'alors attribuée à l'influence du naturaliste Lamarck, ce qui expliquerait qu'aucune chaire de génétique n'ait été créée avant 1946 en France, longtemps après les autres nations scientifiques.

Mais cette explication est contredite par les faits. Les Français ont contribué aux premières années de la génétique, de 1900 à 1911, puis s'en sont détournés avant que quelques pionniers relancent des études brillantes qui mèneront au prix Nobel historique de Jacob, Lwoff et Monod en  1965. Burian et Gayon découvrent que s'il est une constante de la biologie française, c'est celle de l'école de biologie expérimentale positiviste de la fin du XIXe  siècle dont les figures de proue furent Claude Bernard et Louis Pasteur. Les Français ont été peu tentés par la génétique tant qu'il s'agissait de suivre la transmission des gènes, mais ils en furent des pionniers dans des domaines où ils avaient des traditions de recherche fortes, la physiologie – centrée sur l'organisme – et les mathématiques.

Jean Gayon est un auteur charnière. Il partage avec les écoles françaises d'épistémologie le refus de séparer la philosophie des sciences de leur histoire. Il partage avec les chercheurs américains l'attention accordée aux sources primaires, au document, où l'on découvre des merveilles allant à l'encontre de bien des généralisations peu étayées. Il forme en thèse et en postdoctorat une brillante génération d'historiens de la biologie et les ouvre à l'international.

L'épistémologie française a une grande tradition dont elle peut être fière, de Koyré à Canguilhem, de Bachelard à Foucault. Des esprits brillants, d'admirables livres à thèse sur la base de sources connues. Jean Gayon a écrit peu de livres. Il a codirigé beaucoup d'ouvrages collectifs centrés sur un sujet décortiqué par le menu par un collectif de chercheurs de tous horizons et de tous pays. Il a rédigé beaucoup d'articles dans des revues internationales d'histoire des sciences, mais aussi dans des journaux scientifiques phares, comme Nature et Annual Review of Genetics.

Avant que la maladie l'emporte, à 68 ans, il accepta le projet d'un long livre d'interview. Il y situe sa carrière par rapport aux traditions d'histoire des sciences en France et à la philosophie en général. Sa parution prochaine aux éditions ISTE marquera certainement une date dans l'histoire des recherches sur la connaissance.

 

Bibliographie

Boris Ephrussi ('The CNRS laboratories at Gif sur Yvette', R. Burian & J. Gayon)

Boris Ephrussi et le contrôle génétique de la pigmentation de l'œil de drosophile par Jean Gayon (U. de Bourgogne)

Les sciences biologiques et médicales en France, 1920 - 1950, sous la dir. de C. Debru, J. Gayon et J-F Picard, CNRS ed., 1994