Le biologiste spécialiste du cancer Dominique Stéhelin est mort
Au côté de deux chercheurs américains, il a participé à la découverte du rôle joué par les oncogènes dans le développement d’un cancer. Mais son rôle n’avait pas été reconnu par le comité Nobel. Il est mort le 5 avril, à l’âge de 75 ans.
Paul Benkimoun, le 17 avril 2019
Brillant chercheur ayant principalement travaillé sur les mécanismes biologiques de la cancérisation, Dominique Stéhelin, mort à Lille le 5 avril à l’âge de 75 ans, restera dans l’histoire comme l’une des grands oubliés du prix Nobel. Sa contribution à la découverte des oncogènes – des gènes dont l’altération entraîne le développement d’un cancer – n’avait pas été pris en compte par le jury qui distingua en 1989 pour cette avancée deux professeurs à l’université de Californie à San Francisco, Michael Bishop et Harold Varmus. A l’époque de ces travaux, le biologiste était chercheur détaché du CNRS, de 1972 à 1975, dans le laboratoire de Michael Bishop. Il revendiquait un rôle décisif dans l’identification des oncogènes arguant qu’il avait repris des recherches que d’autres avaient abandonnées à l’époque.
Dans un article pour le numéro de mars 1987 de la revue Scientific American, Michael Bishop écrivait : « En 1972, Dominique Stéhelin, Varmus et moi avons décidé de tester “l’hypothèse oncogène”, proposée par Robert Huebner et George Todaro, du National Cancer Institute. » Bishop était même plus explicite dans le même article et attribuait à Stéhelin la paternité des travaux de biologie ayant abouti à l’identification du gène « src » (pour « sarcome »), dont l’augmentation de l’activité serait liée à la progression du cancer. Le premier auteur des deux principaux articles décrivant la découverte n’était autre que Dominique Stéhelin.
« Amertume »
Ce dernier avait contesté son éviction par le jury Nobel en expliquant : « Des gens disent que le comité Nobel ne voit pas d’un bon œil d’associer les chercheurs qui ont été au niveau postdoctoral dans les laboratoires, parce que le travail est principalement un travail d’exécution sur des idées lancées par les patrons. En ce qui me concerne, je voudrais quand même rappeler que j’étais, à l’époque, payé par le CNRS et envoyé par le gouvernement français. Et je ne vois pas ce que cela aurait changé pour eux [les membres du jury] d’en mettre un troisième dans le lot, fût-il non-américain. »
Face à l’« amertume » publiquement exprimée par le scientifique français, le comité Nobel avait justifié son choix. Membre du jury, Peter Reichard avait affirmé : « Nous étions parfaitement au courant de la participation de Stéhelin au programme de recherche. Mais nous avons décidé que Bishop et Varmus en étaient les véritables responsables. Ils ont joué un rôle indispensable, ce qui n’est pas le cas de Stéhelin et d’autres. » Pour le professeur Erling Norrby, vice-président du comité Nobel, il était clair que Bishop et Varmus « avaient tiré les conclusions et mené le programme à terme », ajoutant : « Nous sommes surpris de la réaction de Stéhelin. Cela ne peut que nuire à son image. Il s’est comporté comme un paon. »
L’institution suédoise ne revint pas sur sa décision malgré la prise de position en sa faveur des deux lauréats et les déclarations de soutien de ses confrères français, du directeur général du CNRS et d’Hubert Curien, alors ministre de la recherche auprès de qui Dominique Stéhelin était conseiller de 1989 à 1993.
Premier directeur de l’Institut de biologie de Lille
Pour autant, la carrière de Dominique Stéhelin, né le 4 septembre 1943 à Thoisy-la-Berchère (Côte-d’Or), ne se résume pas à cette injustice. Il avait démontré que le virus responsable d’une tumeur chez le poulet, le sarcome de Rous, devenait cancérigène en incorporant dans son génome le gène « src » présent dans les cellules normales et en le modifiant – un travail cosigné avec Varmus et Bishop et publié en 1976 dans Nature, que le Nobel distingua. A son retour des Etats-Unis, il rejoint, en 1976, l’unité de recherche Inserm dirigée à Lille par le professeur Jean Semaille et poursuit la découverte et la caractérisation de nouveaux oncogènes.
Il dirige ensuite, de 1979 à 1991, une unité de recherche sur le campus de l’Institut Pasteur de Lille. Sur le même campus, il dirige de 1992 à 1995 le projet de l’Institut de biologie de Lille, un centre de recherche créé en 1996 par le CNRS avec le soutien de la région Nord - Pas-de-Calais et en sera le premier directeur jusqu’en 1999. Dominique Stéhelin y dirigera ensuite une unité de recherche puis une équipe. Il se consacrera notamment à l’étude des propriétés antitumorales d’un petit virus à ADN, le parvovirus H1 qui se multiplie sélectivement dans les cellules cancéreuses et les détruit.
Dominique Stéhelin en quelques dates
4 septembre 1943 Naissance à Thoisy-la-Berchère (Côte-d’Or)
1972-1975 Contribue à la découverte des oncogènes avec les professeurs américains Michael Bishop et Harold Varmus.
1976 Rejoint l’unité de recherche Inserm à Lille
1996-1999 Dirige l’Institut de biologie de Lille
5 avril 2019 Mort à Lille