La mort de Jean Dormont, pionnier de la lutte contre le VIH
Médecin et chercheur, il est à l’origine de deux avancées majeures dans la lutte contre le sida en faisant de la qualité des essais thérapeutiques et leur construction commune avec les associations de patients une priorité. Il est décédé le 1er février, à l’âge de 91 ans.
Jean-François Delfraissy (ancien directeur de l'ANRS), Pierre Galanaud (ancien chef de service à l'hopital Antoine-Béclère) et Jean-François Bach (membre de l'Académie de médecine), LM, 17 février 2021
Le professeur Jean Dormont, mort le 1er février à l’âge de 91 ans, a mené une brillante carrière de médecin et de chercheur à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et à l’Inserm. Au début des années 1960, Jean Dormont, proche collaborateur de Jean Hamburger, fut associé aux premières greffes de rein réalisées à l’hôpital Necker. En menant de front une activité clinique auprès des malades et une recherche fondamentale en laboratoire, il apporta une contribution décisive dans l’utilisation des médicaments immunosuppresseurs qui permirent les premiers succès durables de ces greffes. En 1970, il est nommé chef du service de médecine interne à l’hôpital Antoine-Béclère à Clamart (Hauts-de-Seine) et directeur de l’unité Inserm U131 « Néphrologie et immunopathologie ». Devenu doyen de la faculté de médecine de Paris-Sud, il se mettra en 1987 au service de la recherche sur le VIH dans la nouvelle Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS).
Deux essais majeurs dans l’histoire du VIH
Philippe Lazar, directeur général de l’Inserm, et Jean-Paul Lévy, directeur de l’ANRS, le nomment coordinateur des essais thérapeutiques de l’agence. Son rôle est de fédérer les équipes françaises qui mènent des essais cliniques afin de coordonner et d’accélérer les recherches de traitements. Il se rend alors aux Etats-Unis. « Je connaissais le potentiel des Américains, mais j’étais loin d’imaginer ce qu’ils avaient déjà mis en place : une énorme organisation établie au cœur des National Institutes of Health (NIH), à Bethesda, pour étudier de possibles molécules actives », racontait-il fin 2019. Inspiré par ce modèle, le professeur Dormont œuvre pour faire des essais thérapeutiques l’une des priorités de l’ANRS. On lui doit deux réussites majeures qui perdurent aujourd’hui et ont inspiré d’autres institutions : le contrôle étroit de la qualité des essais thérapeutiques et leur construction commune avec les associations de patients. C’est ainsi qu’est lancé en 1988 le premier essai de grande ampleur, Concorde, sous l’égide de l’ANRS et du Medical Research Council britannique. Son objectif était de déterminer à quel stade de la maladie les personnes infectées par le VIH devaient débuter la zidovudine (ou AZT). Il est suivi par l’essai ANRS 024 « ACTG 076 » qui, en partenariat avec le NIH, visait à réduire la transmission du VIH de la mère à l’enfant avec l’AZT. Ces deux essais majeurs dans l’histoire du VIH sont les premiers d’une longue série qu’il accompagnera jusqu’en 2002, date à laquelle il quitte l’agence. « L’ANRS était le seul organisme public en France, à l’époque, à soutenir massivement les essais thérapeutiques et les cohortes de patients nécessitant de recruter des milliers de volontaires », rappelait-il.
Pratique clinique attentive à tous les patients
A partir de 1990, il rassemble auprès de lui un groupe composé d’experts de différentes disciplines et d’acteurs communautaires de la lutte contre le sida. Ce groupe émettra des recommandations sur la prise en charge thérapeutique du VIH, dans un rapport publié en 1993 et actualisé régulièrement depuis. Faisant autorité auprès des professionnels de santé, ce rapport servit ensuite de modèle pour les spécialistes des hépatites. Tous ceux, nombreux (immunologistes, infectiologues, virologues, épidémiologistes…), qui ont œuvré avec Jean Dormont, sont unanimes pour saluer ses compétences professionnelles et intellectuelles et ses qualités humaines. Sa rigueur scientifique, son ouverture à la pluridisciplinarité et aux associations de patients, sa pratique clinique attentive à tous les patients firent de lui un esprit libre. En tant que doyen, ces qualités lui permirent de s’engager avec succès dans la réforme des études médicales et dans la reconnaissance universitaire de la médecine générale. Jean Dormont aura été un chef d’école productif, aimé de ses élèves, un grand serviteur de l’Etat qui, toute sa vie, a su associer exigence scientifique, humanisme et générosité.
Jean Dormont en quelques dates
28 septembre 1929 Naissance à Paris
1970 Chef du service de médecine interne à l’hôpital Antoine-Béclère à Clamart (Hauts-de-Seine)
1987 Responsable du développement des essais cliniques à l’ANRS
1er février 2021 Mort à Paris