Mort du professeur RENÉ LERICHE
Par le PROFESSEUR ANDRÉ LEMAIRE, Le Monde, 31 décembre 1955
L'histoire gardera le nom de René Leriche comme celui d'un des plus grands chirurgiens de tous les temps. Il en est peu qui aient aussi fortement donné leur marque à leur époque. Les dix livres qu'il a publiés durant las quarante années de sa vie scientifique et professionnelle constituent une œuvra originale d'une étonnante unité : suscitée vers 1916 par l'observation des blessés de guerre, elle trouve son épanouissement et sa conclusion dans " les Bases de la chirurgie physiologique ", qu'il fit paraître au début de cette année et dont le professeur H. Mondor a pu dira qu'il est un " inépuisable livre où l'avenir trouvera peut-être des lumières qu'on n'osa encore désigner ". Entre temps il avait décrit la " maladie opératoire ", notion nouvelle à l'époque, mais si courante maintenant, jeté les bases de la chirurgie du sympathique et de la chirurgie vasculaire, écrit ce livre admirable, généreux, émouvant et deux fois réédité qu’est " la Chirurgie de la douleur ", montré la précession possible du fonctionnel sur le lésionnel, inventé cette chirurgie physiologique qui trouva ses bases dans les modalités de la via élémentaire des tissus, qu'il avait le premier pénétrée. Son idée foncière fut que la maladie n'est pas une physiologie déviée, mais une physiologie nouvelle, et qu'il faut chercher à la déceler et à la traiter à sa phase préclinique en créant dans les tissus des conditions physiologiques inverses de celles par quoi elle se réalise. Cette œuvre immense et féconde fut accomplie à Lyon, à Strasbourg, puis au Collège de France. Elle n'a pas encore porté tous ses fruits, il s'en faut de beaucoup, mais R. Leriche pouvait déjà s'enorgueillir de compter dans son école tous les chirurgiens qui exercèrent durant ces trente dernières années : beaucoup de leurs actes quotidiens participent de sa pensée. L'homme était amène, courtois, rayonnant ; son intelligence fertile, inventive, curieuse de tout et jamais conformiste, claire et brillante, fit le succès de son enseignement. Son style vigoureux, aux formules si fréquemment heureuses, ne suscita pas moins d'admiration. René Leriche fut en tous pays un prodigieux ambassadeur de la médecine française, et son " allègre disponibilité " le fit participer à d'innombrables congrès et missions : il était docteur " honoris causa " de beaucoup d'universités étrangères et membres d'autant de sociétés savantes ; il eut tous les honneurs auxquels un chirurgien de génie peut prétendre, mais il conserva toujours la simplicité la plus sincère et l'humilité la plus authentique, celle qui rend vraiment grands les êtres las plus exceptionnels.
[Le professeur René Leriche, qui a succombé presque subitement hier jeudi à un œdème aigu du poumon dans sa propriété de Cassis, était né à Roanne le 12 octobre 1819. Membre des Académies de médecine et de chirurgie, il avait été élu en 1945 à l'Académie des sciences, à la place laissée vacante par la mort de Jean-Louis Faure. Il était grand-officier de la Légion d'honneur. Au printemps dernier il s'était vu décerner le grand prix argentin Juan Peron, d'une valeur de 25 millions de francs. Les obsèques du célèbre chirurgien auront lieu demain samedi à Lyon, en l'église Sainte-Foy.]