Le premier centre de recherches chirurgicales créé en France a été inauguré à Strasbourg
Dr. H. FIESSINGER, Le Monde, 19 octobre 1953
Strasbourg, 17 octobre. - " C'est mon rêve d'une heure de loi en la compréhension et en la générosité des Alsaciens qui se réalise aujourd'hui ", a pu dire hier vendredi le professeur René Leriche à l'inauguration du " laboratoire Raymond Poincaré ", le premier centre de recherches chirurgicales ouvert en Europe dont vient d'être dotée officiellement la faculté de Strasbourg. L'éminent savant, avant d'occuper au Collège de France la chaire de Claude Bernard, fut, on le sait, pendant plus de dix années professeur de clinique chirurgicale à Strasbourg. Au cours d'une conférence dans la capitale alsacienne sur un sujet qui lui est cher : l'avenir de la chirurgie, il soulignait que les progrès prodigieux de la chirurgie américaine durant la période de guerre étaient dus en grande partie aux laboratoires dont elle disposait. La Société des amis de l'université de Strasbourg, désireuse alors de faire un geste en faveur de l'université, prit aussitôt la décision de faire construire pour la faculté de médecine un centre de recherches muni de tous les perfectionnements de la technique moderne, instrument de travail totalement absent dans notre pays. C'est donc avec un éclat tout particulier que le nouveau laboratoire a été inauguré dans la vieille cité alsacienne par M. Coste-Floret, ministre de la santé publique, en présence de M. Pflimlin, ancien ministre, de plusieurs personnalités et de nombreux représentants de l'Église et de l'Université. Le professeur Pautrier a retracé les tribulations de la nouvelle construction. En 1947 un devis de 15 millions était prévu. Elle a été achevée en juillet dernier et a coûté 100 millions (10 millions manquent encore pour finir de régler les comptes). La majeure partie de cette somme (11 millions seulement ont été fournis par l'État) provient de subventions accordées par des conseils généraux, des municipalités, des banques et des particuliers. Treize millions ont été donnés par la Sécurité sociale. Le bâtiment, grand pavillon rectangulaire simple et clair, est l'œuvre de l'architecte Jean Walter, spécialiste des constructions hospitalières et universitaires. C'est a lui qu'est due la faculté de médecine et de pharmacie inaugurée à Lille il y a quelques jours. Il a collaboré à l'édification de celle de Paris qui va s'ouvrir rue des Saints-Pères. Le centre de Strasbourg comprend deux services jumelés : l'un de chirurgie expérimentale, avec animalerie, chenil et salles d'opérations ; l'autre comprend toute la série des laboratoires nécessaires pour l'étude des malades avant et après l'opération, conditions essentielles du succès des difficiles techniques d'aujourd'hui : salles de physique dotées d'appareils des plus modernes comme le spectrophotomètre électronique, salles d'endocrinologie pour le dosage des hormones, laboratoires de chimie, de radiologie. La disposition des lieux est identique au rez-de-chaussée et au premier étage, qui dépendent respectivement des professeurs Alfred Weiss et René Fontaine, tous deux titulaires des chaires de clinique chirurgicale de la faculté de Strasbourg. Le professeur Pautrier a rappelé l'origine de la Société des amis de l'université de cette ville, fondée en 1910 par un groupe d'Alsaciens pour sauvegarder la culture française ; son premier président fut Raymond Poincaré, et son nom, pour cette raison, a été donné au nouveau centre, dont M. Pautrier a pu dire : " Je crois qu'il n'est pas possible de trouver plus bel instrument de travail. " Après lui, c'est à Strasbourg en particulier et à l'Alsace en général que M. Coste-Floret a rendu hommage. Il a souligné notamment que la science médicale est plus qu'aucune autre universelle. Sans doute, a dit le professeur Leriche au cours de la cérémonie, " l'observation directe de l'homme par l'homme demeure à la base de la médecine, et le demeurera toujours, parce que seule elle est humaine et assure les indispensables contacts humains qui allègent la souffrance et l'angoisse des hommes. Sur cette base nous devons ensuite construire ces bilans qui nous éclairent sur la valeur humorale et anatomique des malades et nous permettent une meilleure compréhension de ce qui les atteint Pour cela des installations sont partout nécessaires, exigences d'une époque qui s'efforce chaque jour à la recherche de la connaissance de l'homme ". Premier chaînon des centres de recherches chirurgicales, le centre de Strasbourg est un exemple pour toutes les facultés françaises.
le docteur H. FIESSINGER
Le prix Juan Peron au pr. Leriche
Le Monde, 21 mars 1955
Le prix Juan Peron, créé l'année dernière en Argentine pour récompenser les travaux accomplis par des personnalités scientifiques, artistiques ou littéraires, a été décerné hier au docteur René Leriche, membre de l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine, professeur au Collège de France. Pionnier de toute une chirurgie nouvelle, la chirurgie du sympathique, le professeur Leriche compte en France et à l'étranger, où il Jouit d'une très grand prestige, de nombreux élèves. On lui doit également d'important travaux sur la chirurgie vasculaire. Le prix, qui comprend, outre l'attribution d'une bourse de 1 million de pesos (la valeur officielle du peso est de 70 francs), une médaille d'or et un diplôme, sera remis au lauréat au cours d'une cérémonie qui aura lieu le 14 avril à Buenos-Aires.
Mort du professeur René Leriche
Pr. ANDRÉ LEMAIRE. LM, 31 décembre 1955
L'histoire gardera le nom de René Leriche comme celui d'un des plus grands chirurgiens de tous les temps. Il en est peu qui aient aussi fortement donné leur marque à leur époque. Les dix livres qu'il a publiés durant las quarante années de sa vie scientifique et professionnelle constituent une œuvra originale d'une étonnante unité : suscitée vers 1916 par l'observation des blessés de guerre, elle trouve son épanouissement et sa conclusion dans " les Bases de la chirurgie physiologique ", qu'il fit paraître au début de cette année et dont le professeur H. Mondor a pu dira qu'il est un " inépuisable livre où l'avenir trouvera peut-être des lumières qu'on n'osa encore désigner ". Entre temps il avait décrit la " maladie opératoire ", notion nouvelle à l'époque, mais si courante maintenant, jeté les bases de la chirurgie du sympathique et de la chirurgie vasculaire, écrit ce livre admirable, généreux, émouvant et deux fois réédité qu’est " la Chirurgie de la douleur ", montré la précession possible du fonctionnel sur le lésionnel, inventé cette chirurgie physiologique qui trouva ses bases dans les modalités de la via élémentaire des tissus, qu'il avait le premier pénétrée. Son idée foncière fut que la maladie n'est pas une physiologie déviée, mais une physiologie nouvelle, et qu'il faut chercher à la déceler et à la traiter à sa phase préclinique en créant dans les tissus des conditions physiologiques inverses de celles par quoi elle se réalise.
Cette œuvre immense et féconde fut accomplie à Lyon, à Strasbourg, puis au Collège de France. Elle n'a pas encore porté tous ses fruits, il s'en faut de beaucoup, mais R. Leriche pouvait déjà s'enorgueillir de compter dans son école tous les chirurgiens qui exercèrent durant ces trente dernières années : beaucoup de leurs actes quotidiens participent de sa pensée. L'homme était amène, courtois, rayonnant ; son intelligence fertile, inventive, curieuse de tout et jamais conformiste, claire et brillante, fit le succès de son enseignement. Son style vigoureux, aux formules si fréquemment heureuses, ne suscita pas moins d'admiration. René Leriche fut en tous pays un prodigieux ambassadeur de la médecine française, et son " allègre disponibilité " le fit participer à d'innombrables congrès et missions : il était docteur " honoris causa " de beaucoup d'universités étrangères et membres d'autant de sociétés savantes ; il eut tous les honneurs auxquels un chirurgien de génie peut prétendre, mais il conserva toujours la simplicité la plus sincère et l'humilité la plus authentique, celle qui rend vraiment grands les êtres las plus exceptionnels.
[Le professeur René Leriche, qui a succombé presque subitement hier jeudi à un œdème aigu du poumon dans sa propriété de Cassis, était né à Roanne le 12 octobre 1819. Membre des Académies de médecine et de chirurgie, il avait été élu en 1945 à l'Académie des sciences, à la place laissée vacante par la mort de Jean-Louis Faure. Il était grand-officier de la Légion d'honneur. Au printemps dernier il s'était vu décerner le grand prix argentin Juan Peron, d'une valeur de 25 millions de francs. Les obsèques du célèbre chirurgien auront lieu demain samedi à Lyon, en l'église Sainte-Foy.]