Sida : la recherche vaccinale dopée
L'essai mené en Thaïlande sur plus de 16 000 personnes séronégatives prouve qu'il est possible, grâce à la vaccination, de prévenir partiellement une infection par le VIH.
Paul Benkimoun, 23 octobre 2009
Les résultats détaillés de l'essai vaccinal mené contre le VIH en Thaïlande (Le Monde du 26 septembre) ont dominé la plus grande conférence scientifique mondiale sur le vaccin contre le sida ("AIDS Vaccine 2009"), qui s'est achevée jeudi 22 octobre à Paris. Quantitativement modestes, les résultats ont une signification qualitative importante : la preuve est apportée qu'il est possible d'induire une réponse du système immunitaire protégeant - encore partiellement - contre le VIH. Pour les mille scientifiques participants, c'est enfin une bonne nouvelle. Les détails communiqués lors de la conférence de Paris montrent que l'essai a été conduit en respectant les meilleures normes scientifiques. Ils confirment cependant que les outils vaccinaux utilisés dans l'essai thaïlandais devront être remplacés par d'autres, plus performants. Baptisé RV144, l'essai a été mis sur pied par le ministère de la santé publique thaïlandais, les instituts nationaux de la santé américains, ainsi que le centre de recherche Walter Reed de l'armée américaine. Il a commencé en 2003 et a inclus plus de 16 000 hommes et femmes séronégatifs, âgés de 18 à 30 ans. Il s'agissait de prouver la validité du concept qu'une vaccination pouvait prévenir l'infection par le VIH et réduire la quantité de virus dans le sang de ceux des participants qui auraient été infectés après leur entrée dans l'essai. Sur le deuxième point, l'étude ne montre pas de bénéfice. Les volontaires recevaient de manière aléatoire soit la vaccination, soit des injections d'une substance inactive. Ils ont subi des examens sur une période de trois ans et tous ceux qui se sont trouvés infectés ont bénéficié d'une prise en charge. Deux vaccins ont été combinés : le ALVAC-HIV, à raison de quatre injections étalées sur vingt-quatre semaines pour déclencher une réponse immunitaire, et le AIDSVAX B/E, injecté à deux reprises à la 12e et à la 24e semaine de l'essai, pour renforcer cette réponse. "Nous avons obtenu un effet protecteur modeste, mais significatif", a déclaré le docteur Nelson Michael, du centre de recherche Walter Reed. Utilisé seul, l'ALVAC-HIV est capable de susciter une réponse immunitaire dans seulement 20 % des cas. Dans les mêmes conditions, l'AIDSVAX B/E donne une réponse dans 90 % des cas, mais sans effet protecteur. De longs débats ont été consacrés à la méthode d'analyse des données : prise en compte des résultats de l'ensemble des participants ayant reçu leur première injection (analyse dite "en intention de traiter ") ou analyse des seuls résultats des personnes séronégatives, conformément au protocole (méthode "en intention de traiter modifiée"). Or, sept personnes se sont révélées infectées au moment de l'entrée dans l'essai et ont donc été écartées dans cette seconde approche. Selon l'analyse "en intention de traiter modifiée", jugée "plus conforme aux conditions de vie réelles" par le docteur Michael, l'efficacité du vaccin a été de 31,2 % : 51 personnes infectées parmi les vaccinées et 74 parmi celles ayant reçu l'injection placebo. Ce taux est de 26,4 % dans l'analyse "en intention de traiter ". "L'efficacité au cours de la première année est relativement élevée, de l'ordre de 60 % au cours de la première année, avant de décroître aux environs de 30 % au bout de deux ans. Cela signifie que la vaccination a bien induit une réponse immunitaire", commente le professeur Yves Lévy (service d'immunologie clinique, hôpital Henri- Mondor, Créteil). Pour les chercheurs, l'essai RV144 constitue donc à la fois un encouragement et un point de départ. "Nous devons essayer de comprendre ce qui explique l'efficacité relative de cette combinaison de vaccins et le type de réponse immunitaire induite", commente Alan Bernstein, directeur exécutif de la Global HIV Vaccine Enterprise, qui regroupe chercheurs, financeurs et militants. S'il rappelle que nous ne sommes pas encore proches d'un vaccin efficace contre le VIH, le professeur Jean-François Delfraissy, directeur de l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), se réjouit des pistes présentées à Paris. C'est le cas notamment d'un essai conduit par l'ANRS ciblant les cellules dendritiques, chargées de présenter l'antigène au système immunitaire. "Les premiers résultats montrent qu'il est possible par ce biais d'orienter vers un certain type de réponse immunitaire", indique le professeur Delfraissy. Cette démarche de "biovaccins " visant à utiliser le système immunitaire pour moduler sa réponse suscite un intérêt croissant. Le professeur Delfraissy souhaite que l'Europe renforce ses efforts et sa coordination. De son côté, Alan Bernstein s'inquiète : "C'est au moment de découvertes et de progrès importants que les financements, à cause de la crise et à cause de décisions politiques, diminuent."
Pierre Bergé crée un fonds de dotation de lutte contre le sida
Président de Sidaction, Pierre Bergé a annoncé, mardi 27 octobre, la création d'un fonds de dotation contre le sida portant son nom.
Paul Benkimoun, 28 octobre 2009
Président de Sidaction, Pierre Bergé a annoncé, mardi 27 octobre, la création d'un fonds de dotation contre le sida portant son nom. Cette nouvelle structure, entièrement financée par l'homme d'affaires, soutiendra des projets scientifiques qui auront été sélectionnés par un "comité de lutte contre le sida" créé pour l'occasion, et où figurent notamment les professeurs Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de médecine 2008, et Yves Lévy, président du comité scientifique et médical de Sidaction. "80 % des financements iront à la lutte contre le sida, mais le fonds soutiendra des projets contre d'autres maladies", a expliqué Pierre Bergé. Les projets retenus, "qui iront d'une recherche scientifique au développement d'un laboratoire ou d'un dispensaire en Afrique", a précisé Pierre Bergé, seront financés à hauteur de 2,5 millions d'euros par an, sur cinq ans.
Le Sidaction 2011 commence vendredi
"Face au sida, chaque euro en plus peut faire la différence !" : avec un slogan tout neuf, le Sidaction 2011 démarre vendredi pour trois jours à la télévision et à la radio, avec le relais de dix-huit médias afin de mobiliser les jeunes générations.
Le Monde avec AFP, 1 avril 2011
"Face au sida, chaque euro en plus peut faire la différence !" : avec un slogan tout neuf, le Sidaction 2011 démarre, vendredi 1er avril, pour trois jours à la télévision et à la radio, avec le relais de dix-huit médias afin de mobiliser les jeunes générations. Avec des dons en léger recul l'an dernier (5,6 millions d'euros), Sidaction est plus que jamais déterminé : il y a trente ans, pendant l'été 1981, les autorités médicales américaines actaient officiellement l'observation d'une mystérieuse pneumonie et d'un cancer rare de la peau surnommé "cancer gay". Deux ans plus tard, le professeur Luc Montagnier et la chercheuse en virologie Françoise Barré-Sinoussi découvraient le virus responsable du sida qui a déjà tué 25 millions de personnes au niveau mondial. TF1 et LCI, les chaînes de France Télévisions, celles des groupes Canal+ et M6, mais aussi TMC et MTV, trois stations du groupe Radio France (France Info, France Inter, France Bleu) et les radios privées Europe 1 et RTL mobiliseront leurs antennes tout le week-end pour relayer les appels aux dons. Alors que la découverte d'un vaccin relève toujours du vœu pieux, 7 000 personnes découvrent chaque année, rien qu'en France, leur séropositivité, tandis que 150 000 seraient porteuses du VIH dont 50 000 sans le savoir.
"PRIORITÉ ABSOLUE"
A la veille du Sidaction 2011, Pierre Bergé [l'un des actionnaires du Monde], vice-président de l'association, estime que "de plus en plus, chaque don compte". "La lutte contre le sida doit être une priorité absolue alors qu'il y a moins d'argent public dans une logique financière dramatique", ajoute M. Bergé, rappelant que les comptes du Sidaction qui aide la recherche, la prévention et l'aide aux malades, ont été validés par la Cour des comptes et l'Inspection générale des affaires sociales. Pour le Pr Yves Lévy, responsable du conseil scientifique de Sidaction, "les ressources actuelles sont insuffisantes pour permettre à la recherche de casser l'épidémie", notamment face à de nouvelles maladies opportunistes liées au vieillissement des malades. France 2 diffusera samedi soir 2 avril, dès 20 h 35, une émission spéciale avec la participation de nombreux artistes autour de Line Renaud, vice-présidente et co-fondatrice de Sidaction, pour commémorer trente ans de recherche internationale contre le VIH. Lara Fabian, Arielle Dombasle, Roberto Alagna, le violoniste Renaud Capuçon, Les Prêtres, Patrick Fiori, Nolwenn Leroy et Adamo participeront notamment à cette soirée qui associera variétés et airs d'opéra. Jusqu'au 11 avril, les promesses de dons sont possibles en composant le 110 ou directement sur le site Internet du Sidaction. L'envoi d'un SMS au 33000 avec le message "don", permet aussi d'aider le Sidaction.
Six défis collectifs pour la biomédecine du XXIe siècle
Tribune. Pour Yves Lévy, PDG de l’Inserm, les avancées de la médecine bouleversent l’administration du soin et l’organisation du système de santé. Ces mutations représentent de nouveaux enjeux pour la France.
23 juin 2015
Il aurait été impossible de prédire, voilà cinquante ans, les défis relevés et les progrès réalisés aujourd’hui en sciences de la vie et de la santé. Chercheurs, médecins, acteurs de santé et patients, nous avons vécu une transformation radicale des méthodes et des concepts en biomédecine. Cette révolution scientifique et technologique a peu de précédents.
Yves Lévy, en juin 2014
Alors que le séquençage d’un génome humain aura nécessité dix ans et coûté plus de 2,4 milliards de dollars (2,15 milliards d’euros), il est désormais possible de séquencer en routine, en quelques heures, la partie codante du génome pour moins de 1 000 euros. En parallèle, les données accumulées massivement sur les systèmes biologiques permettent de modéliser le vivant. Les méthodes d’intégration de ces données, ainsi que notre capacité à les analyser et modéliser, modifient aujourd’hui la conception des principes actifs des médicaments, la prédiction grâce à l’informatique des réponses aux drogues, le « screening » de molécules, et, au-delà, le vaste champ de la biologie de synthèse. La reprogrammation des cellules différenciées en cellules-souches pouvant donner tous types de cellules représente aussi une avancée majeure. Plus récemment, la technologie Crispr/Cas9 ouvre la porte à l’« editing » du génome – c’est-à-dire sa modification. Si ces transformations touchent aux gènes codant pour les cellules sexuelles, il devient alors possible de transmettre des caractères modifiés à la descendance. D’où le cri d’alarme pour un moratoire lancé par plusieurs scientifiques, dont le Prix Nobel David Baltimore. Cet exemple illustre bien que la technologie a été plus rapide que notre capacité à réfléchir et à encadrer les limites éthiques de ces nouvelles approches.
Une médecine d’un genre très différent de celle qui nous était familière
Ces avancées dessinent une médecine d’un genre très différent de celle qui nous était familière : une médecine alimentée par la recherche fondamentale, multidisciplinaire et translationnelle ; une médecine prédictive et régénérative ; une médecine de précision, mini-invasive et à haut ciblage ; une médecine dépendante de la gestion intelligente des données massives (big data) ; une médecine embarquée et téléportée, « e-médecine » qui intègre les avancées du numérique et de la robotique ; une médecine mondialisée enfin, qui doit sans cesse s’adapter. Pour le patient, ces évolutions engendrent la mise en place d’une médecine individualisée, dite aussi personnalisée ou de précision. On le voit avec les progrès considérables réalisés en oncologie : chaque tumeur a sa propre signature. Cela modifie d’ores et déjà notre définition du risque, du diagnostic et du traitement de la maladie. Ces mutations en cours bouleversent l’administration du soin et l’organisation du système de santé. Elles posent un certain nombre de défis transversaux pour la France.
Renforcer le lien entre recherches fondamentale et translationnelle
La division entre recherches fondamentale et appliquée est définitivement artificielle. La médecine translationnelle n’est pas un continuum linéaire allant de la bonne idée abstraite en laboratoire à l’application concrète au lit du patient, mais plutôt dépendante d’allers et retours, empruntant parfois des chemins de traverse, ou pouvant conduire à des impasses. Cette nouvelle donne pose la question de la prise de risque nécessaire dans le financement de cette recherche.
Développer les infrastructures d’analyse des données (big data)
En santé publique, l’analyse des données personnelles est au cœur du parcours de soins et de prévention. C’est un enjeu fort de la loi de santé, avec la mise en place du système national des données de santé (SNDS). A cela s’ajoutent la gestion des informations numériques de natures diverses (échantillons de tissus biologiques, imagerie, cohortes) et des données privées issues de multiples capteurs de bien-être utilisés par une population de plus en plus connectée et attentive à sa santé.
Permettre l’accélération de la chaîne d’innovation
Dans cette nouvelle biomédecine, une stratégie de santé passe par la reconnaissance de la complexité et de l’autonomie de l’innovation. La confusion entre politique de recherche et développement (R&D) et innovation peut être problématique : il n’existe pas de lien mécanique entre l’investissement dans la R&D et une efficacité en termes de retombées innovantes. Plutôt que de tirer au maximum la recherche vers son volet finalisé, il faut surtout financer une bonne recherche en créant les conditions opportunes d’innovation et de valorisation. A mélanger les deux, nous risquons de sacrifier des recherches de rupture à plus long terme, sans pour autant créer les vrais leviers pour innover à court terme.
Inventer un nouveau modèle économique et partenarial aux interfaces public-privé
La médecine est partagée entre recherche académique et partenaires industriels, sachant qu’un tissu industriel solide est indispensable à la maturation de l’invention puis à sa mise sur le marché. L’innovation provient de plus en plus de petites biotechs ou start-up, créées à partir de la recherche académique, reprises par l’industrie. S’y ajoutent les industriels des données, car le domaine de la santé ne sera plus la seule affaire des acteurs du médicament, du diagnostic, du dispositif ou de l’instrumentation.
Repenser les mécanismes d’évaluation et d’estimation du prix de l’innovation en santé
Il est nécessaire de garantir un équilibre entre les économies à court terme pour l’assurance-maladie d’une part, et la reconnaissance du progrès lié à un nouveau médicament d’autre part. L’émergence de la médecine de précision pose avec acuité le problème de l’évaluation de l’innovation. On va traiter des sous-types de pathologies et des sous-familles de malades, avec des bénéfices restreints sur des populations restreintes : comment assume-t-on les coûts de l’innovation jusqu’au terme de son parcours ? Et qui décide du bénéfice ?
Garantir le passage de la recherche vers la clinique puis l’égalité d’accès à l’innovation
Les approches thérapeutiques les plus prometteuses devront être testées dans des essais pilotes avant d’être étendues à une population plus large. Il devient illusoire d’organiser des essais cliniques de phase III (sur des milliers de patients) pour des cibles à faible démographie. La capacité d’innovation implique le développement d’essais adaptatifs pour juger du bénéfice potentiel d’un nouveau traitement. Dès lors, il convient de repenser la manière d’approuver la mise sur le marché de médicaments innovants, peut-être en conditionnant leur mise à disposition et leur remboursement à l’accumulation des données, de sorte que le soin puisse rester alimenté par la recherche. Les immenses espoirs soulevés par la biomédecine émergente créent des attentes que nous ne pouvons décevoir. Une réflexion collective, large, intégrant tous les acteurs, est plus que jamais nécessaire pour transformer nos progrès en une réalité partagée par tous, et pour garantir les avancées de nos connaissances.
Yves Lévy, PDG de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), président de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan).
Coronavirus et hydroxychloroquine : le couple Buzyn-Lévy cible de publications mensongères
Des messages accusent l’ancienne ministre de la santé et l’ex-directeur de l’Inserm d’avoir saboté le travail de Didier Raoult et empêché le recours à ce médicament pour lutter contre l’épidémie.
Par Assma Maad, 27 mars 2020
« Si tous ces faits sont confirmés, nous allons vers un des plus grands scandales d’Etat que la France ait connus. » Sur les réseaux sociaux, des partisans de Didier Raoult, défenseur de l’hydroxychloroquine comme remède à l’épidémie de Covid-19, sont convaincus que si les résultats de son essai clinique ont été froidement accueillis par la communauté scientifique, la « caste médiatique » n’y est pas pour rien. Selon eux, les coupables sont tout trouvés : l’ancienne ministre de la santé, Agnès Buzyn, et son mari, l’ex-directeur de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Yves Lévy. Des messages partagés des centaines de milliers de fois accusent la candidate à la Mairie de Paris et son époux d’avoir torpillé les travaux de Didier Raoult et de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection qu’il dirige à Marseille. Le tout sur fond de soupçons de conflits d’intérêts. Parmi la multitude de publications, nous en avons sélectionné deux, extrêmement virales sur Facebook.
Ce que disent les rumeurs
Dans un premier texte, il est notamment écrit qu’Yves Lévy aurait inauguré le laboratoire P4 de Wuhan « d’où le virus est sorti », que celui-ci était en conflit avec Didier Raoult et qu’il a refusé des labels à son établissement, l’IHU de Marseille. Le deuxième texte vise à son tour Yves Lévy, mais également Agnès Buzyn qui, « au mois de janvier, a classé la chloroquine, expérimentée par Didier Raoult, dans la catégorie des substances vénéneuses ». Ces publications ont un but : prouver que Didier Raoult a trouvé avec la chloroquine (il s’agit en réalité de l’hydroxychloroquine, un de ses dérivés) le remède pour lutter contre le nouveau coronavirus, et que le couple Yves Lévy-Agnès Buzyn aurait agi pour le décrédibiliser. Encore faut-il le prouver. Ici, les techniques sont bien connues : mêler de vraies informations avec des faits détournés, voire inventés. Les peurs et incertitudes engendrées par cette épidémie assurent à ces diatribes un succès certain. Yves Lévy est un médecin reconnu, spécialiste dans le domaine du VIH. En 2014, il a pris la tête de l’Inserm. Cette institution est placée sous la cotutelle des ministères de la santé et de la recherche. Lorsque sa femme, Agnès Buzyn, a été nommée ministre de la santé en mai 2017, des soupçons de conflits d’intérêts ont émergé. Dès la prise de fonctions de cette dernière, un décret avait été pris pour retirer au ministère de la santé la cotutelle de l’Inserm. Mais la situation a continué à créer l’embarras, poussant M. Lévy à retirer en 2018 sa candidature pour un second mandat. Entre Didier Raoult et Yves Lévy, il y a bien eu un différend. L’infectiologue marseillais a été l’un des premiers à dénoncer un possible conflit d’intérêts entre l’Inserm et le ministère de la santé. Il s’est aussi montré très critique envers l’institution, comme l’explique le journaliste Hervé Vaudoit, auteur de L’IHU Méditérranée Infection. Le défi de la recherche et de la médecine intégrées (éd. Michel Lafon, 2018) : « Avec des articles (…) pour déplorer que l’Inserm ait, depuis trente ans, fait sortir la recherche médicale des hôpitaux universitaires, il pouvait difficilement espérer le soutien indéfectible d’Yves Lévy. » Le conflit s’est cristallisé autour des statuts et labels de l’IHU de Marseille. Ces instituts hospitalo-universitaires bénéficiaient, depuis leur création en 2010, d’un statut de fondation de coopération scientifique, qui leur accordait une large autonomie et liberté de recherche. Or Yves Lévy plaidait pour l’abandon de ce statut, selon le journaliste Hervé Vaudoit. Quand Mme Buzyn a annoncé vouloir changer ce statut en septembre 2017, l’annonce a provoqué la colère de M. Raoult, qui s’en est ému dans la presse. Matignon a été contraint d’intervenir. Autre motif de courroux, en 2018, l’Inserm et le CNRS ont retiré leur label aux unités de recherche de l’IHU de Marseille. Une conséquence de cette bataille engagée entre les deux hommes, selon le camp Raoult. L’Inserm explique au Monde que cette décision n’émanait pas d’Yves Lévy seul : « Les projets d’unités de recherche sont évalués par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, puis par les instances d’évaluation de l’Inserm : commissions scientifiques spécialisées et conseil scientifique. Ces dernières émettent un avis sur lequel la direction de l’Inserm se base pour accepter ou non la création ou le renouvellement de l’unité avec un label Inserm. La décision a été prise à la suite du processus décrit. » En outre, la même année, un autre organisme de recherche, le CNRS, a également retiré son label aux unités de l’IHU dirigé par M. Raoult. Or, le CNRS n’a jamais été dirigé par M. Lévy.
Yves Lévy a-t-il participé à l’inauguration du laboratoire P4 à Wuhan « d’où le virus est sorti » ?
Un laboratoire P4 est un établissement de haut confinement consacré à l’étude des micro-organismes « pathogènes de classe 4 », c’est-à-dire très dangereux. En Chine, ce centre de recherche, sis à Wuhan, a été conçu en coopération avec la France, au lendemain de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère de 2003. Un accord entre les deux pays a été signé en 2004, afin de développer la prévention et la lutte contre les maladies infectieuses émergentes. Le projet a été mené en collaboration avec le laboratoire P4 Inserm Jean-Mérieux à Lyon. L’inauguration s’est déroulée le 23 février 2017 en présence du premier ministre d’alors, Bernard Cazeneuve, et d’Yves Lévy, qui faisait partie de la délégation française. Jusque-là, les publications Facebook disent vrai. Mais elles tombent dans le complotisme lorsqu’il est écrit que le nouveau coronavirus serait né dans ce centre de recherche chinois, situé à Wuhan, la ville où est apparu le SARS-CoV-2. Les chercheurs du laboratoire P4 de Wuhan ont démenti cette fausse information : « Ces rumeurs ont gravement nui à nos chercheurs, en première ligne, et sérieusement perturbé notre mission de recherche pour combattre l’épidémie. » L’Inserm précise d’ailleurs que « les coronavirus sont des agents pathogènes de classe 3 et pas de classe 4 : il n’y a donc pas de nécessité de les étudier dans un laboratoire P4 ». Les travaux se poursuivent toujours pour déterminer avec certitude l’origine de ce nouveau virus. Mais comme l’indique l’Institut Pasteur, il est très probablement d’origine animale.
Agnes Buzyn a-t-elle classé la chloroquine dans les substances vénéneuses le 13 janvier, « alors que l’épidémie se répandait en Chine » ?
L’ancienne ministre de la santé est accusée d’avoir barré volontairement l’accès à l’hydroxychloroquine, « alors que cela fait cinquante ans qu’elle est en vente libre ». Les auteurs de ce message s’interrogent : « Comment ne pas voir aussi le conflit d’intérêts avec la décision d’Agnès Buzyn qui, au mois de janvier, a classé la chloroquine, expérimentée par Didier Raoult, dans la catégorie des substances vénéneuses ? ». Un arrêté a bien été pris le 13 janvier afin de modifier la liste des substances vénéneuses, des substances aux principes actifs dangereux pour la santé. L’hydroxychloroquine est depuis en effet « classée sur la liste II ». Vendue sous la marque Plaquenil, le médicament est délivré désormais obligatoirement sur ordonnance. Mais Agnès Buzyn n’a pas agi en pleine épidémie de Covid-19. Cette décision n’a pas été prise en début d’année, mais quelques mois avant. L’Agence nationale de sécurité sanitaire avait donné son feu vert à cette nouvelle classification le 12 novembre, quelques semaines avant l’apparition du nouveau coronavirus.
Agnès Buzyn a-t-elle déclaré que « ce serait une hécatombe, et qu’il n’y avait pas de remède » ?
« Il y a quelques semaines, Agnès Buzyn a dit avoir su que ce serait une hécatombe, et qu’il n’y avait pas de remède », lit-on sur les réseaux sociaux. Cette phrase n’a jamais été prononcée telle quelle par l’ancienne ministre. Il s’agit d’une interprétation de ses « regrets » rapportés dans un article du Monde publié le 17 mars. Celle qui avait quitté son ministère pour être candidate à la Mairie de Paris, après le retrait de Benjamin Griveaux, avait confié, deux jours après le premier tour des municipales : « Quand j’ai quitté le ministère, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. » Dans un billet publié par Marianne le 18 mars, un avocat a commenté ses déclarations en employant le terme d’hécatombe : « On peut déduire de ses propos le caractère criminel du comportement des décideurs publics dont c’était la responsabilité de prendre toutes les mesures permettant d’affronter la catastrophe et d’éviter une hécatombe. » Ce texte a été très relayé sur Facebook, et repris dans d’autres messages. Contactée par Le Monde, l’équipe d’Agnès Buzyn a indiqué que cette dernière avait « repris son activité de médecin le temps de la crise », et que « la campagne est suspendue ainsi que toute activité de communication liée ». Il n’existe toujours pas de « remède » contre le nouveau coronavirus. Le traitement à base d’hydroxychloroquine, préconisé par Didier Raoult dans son essai clinique, divise encore. Actuellement, le Haut Conseil de santé publique recommande de ne l’utiliser que dans les cas sévères de Covid-19, à l’hôpital et avec l’avis des médecins. Plus d’une centaine d’études sont en cours ou en passe d’être lancés dans le monde pour trouver un traitement contre le Covid-19. Un essai européen de grande envergure coordonné par l’Inserm, Discovery, a démarré le 22 mars. Les résultats préliminaires devraient être connus d’ici environ deux semaines.
Non, « Le Monde » n’a pas qualifié de « fake news » les recherches du professeur Raoult sur la chloroquine
Le 16 février, le professeur Didier Raoult diffusait une vidéo sur YouTube et sur le site de l’institut qui l’emploie (l’IHU Méditerranée Infection) dans laquelle il expliquait l’état de ses recherches et l’espoir qu’il mettait dans un traitement à base de chloroquine contre le coronavirus. Cette vidéo était intitulée « Coronavirus : fin de partie ». Nous avons qualifié ce titre de « trompeur » et l’avons signalé comme tel à Facebook, avec qui nous avons noué un partenariat de lutte contre les fausses informations. A aucun moment nous n’avons parlé de « fake news » comme le prétend M. Raoult aujourd’hui. L’article que nous avons écrit relatait les recherches de M. Raoult (qui estimait alors « que le coronavirus était l’infection la plus facile à traiter »), tout en enjoignant à nos lecteurs d’avoir « une lecture prudente de cette annonce ». Cette évaluation n’a pas abouti à une quelconque censure de la vidéo de M. Raoult, mais à une simple mise en garde à l’attention des utilisateurs de Facebook avant qu’ils décident de la visionner. Le professeur Raoult s’est ému du fait que nous ayons signalé sa vidéo – et en l’occurrence son titre – par la voix du chargé de communication de l’IHU Méditerranée Infection. Ce dernier a cependant convenu que le titre d’origine pouvait poser problème, et l’a remplacé par un autre, plus mesuré. Cette rectification nous a amenés à retirer notre avertissement sur la vidéo. Plus largement, Didier Raoult a relativisé à plusieurs reprises aux mois de janvier et février 2020 la portée de l’épidémie en cours : « Ce virus n’est pas si méchant », déclarait-il notamment au JDD début février.
Covid- 19 : sur la piste des futurs traitements
Hervé Morin , Sandrine Cabut , Nathaniel Herzberg et Pascale Santi 6 octobre 2020
ENQUÊTELa recherche de médicaments bat son plein, à la fois pour bloquer le SARS-CoV-2et pour combattre les orages immunitaires qu’il engendre. Pour l’heure, peu d’options thérapeutiques décisives ont émergé, et une phase de plus longue haleine s’ouvre.
Neuf mois après le début de la pandémie de Covid-19, qui a déjà causé la mort de plus d’un million de personnes sur la planète, c’est toujours une course effrénée pour mettre au point vaccins et traitements. Cet engagement mené en parallèle sur deux fronts semble indispensable : même si un premier vaccin est mis sur le marché dans les prochains mois, grâce à des procédures accélérées, il est peu probable qu’il confère une protection complète, notamment chez les personnes âgées, les plus vulnérables aux formes graves de la maladie. Il reste par ailleurs de nombreuses interrogations, notamment sur la disponibilité à grande échelle, et sur l’adhésion de la population à une stratégie vaccinale. La recherche de médicaments est foisonnante, plus encore que celle sur les vaccins. Selon le site Covid-nma.com, animé par le Centre d’épidémiologie clinique de l’Hôtel-Dieu (Paris), Cochrane France, au 2 octobre, on ne compte que 86 essais vaccinaux, sur un total de 5 798 essais cliniques enregistrés, dont 1836 randomisés. Jusqu’ici, pour l’essentiel, les recherches ont porté sur des molécules déjà disponibles pour traiter d’autres pathologies. Deux principaux mécanismes d’action sont à l’étude : des propriétés antivirales, et une modulation de la réponse immunitaire, dont l’emballement est responsable des « orages cytokiniques », une des principales complications des infections à SARS-CoV-2. A ce stade, les progrès thérapeutiques les plus marquants sont à mettre au crédit de traitements non spécifiques, que les médecins ont appris à optimiser en cernant mieux cette nouvelle maladie : prescription plus systématique d’anticoagulants chez les patients hospitalisés, réduction des indications d’intubation.
La stratégie affinée
En France, 76 essais cliniques relatifs au Covid-19 sont inscrits sur le site de la base de données européenne EudraCT. Les autorisations ont été obtenues grâce à des procédures accélérées, mais au prix d’une certaine cacophonie et de redondances, faute de coordination. « Les essais cliniques se sont mis en place avec une rapidité inédite, mais le débat a été paralysé par l’hydroxychloroquine », constate Eric d’Ortenzio, coordinateur scientifique de REACTing – le consortium de l’Inserm-Aviesan qui coordonne la recherche française pendant les épidémies. Une coordination d’autant plus nécessaire qu’après une pause à la fin de la première vague, les études commencent à réinclure des patients avec la reprise de l’épidémie. Ainsi l’essai Discovery, dont le nombre de participants s’élève à 1 000 au 1er octobre, avec 42 nouveaux inclus la semaine dernière, est désormais actif en France et dans plusieurs pays d’Europe. La recherche de médicaments entre dans une phase de transition. L’enjeu est maintenant d’affiner les stratégies, par exemple en associant plusieurs produits. Il s’agit aussi de concevoir de nouvelles molécules, dédiées spécifiquement aux infections à SARS-CoV-2.
« C’est tout l’inverse de ce que l’on observe avec les vaccins : la coopération plutôt que la concurrence effrénée »
Pour éviter les couacs de la première vague, REACTing s’est vu confier la mission de mettre en place un circuit de priorisation des études évaluant des médicaments. Il travaillera avec Capnet, un comité constitué des représentants de l’ensemble des parties prenantes, qui « examine les protocoles concernant des molécules et détermine ceux devant bénéficier d’autorisations accélérées », explique l’épidémiologiste et biostatisticienne Dominique Costagliola, directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Sorbonne Université, Inserm). En parallèle, poursuit-elle, deux groupes de travail sont créés pour assurer davantage de coopération dans les essais hospitaliers, et dans ceux en médecine de ville. La Commission européenne, de son côté, a lancé une initiative commune public-privé réunissant seize organismes de recherche, quinze laboratoires pharmaceutiques et six biotech afin d’accélérer le développement des traitements. « C’est tout l’inverse de ce que l’on observe avec les vaccins : la coopération plutôt que la concurrence effrénée », souligne son coordinateur, le professeur Yves Lévy, de l’Inserm. Dotée d’un budget record de 80 millions d’euros sur cinq ans, l’initiative entend explorer les différentes approches (repositionnement de médicaments, développement de nouveaux produits) grâce à la mise en commun des ressources des laboratoires, notamment leurs bibliothèques de molécules, et à une coordination des plates-formes d’essais. « Du jamais-vu », assure Yves Lévy. A l’heure où les indicateurs de l’épidémie virent de nouveau au rouge, tour d’horizon – non exhaustif – des pistes médicamenteuses.
L’espoir de la dexaméthasone
Commençons par la dexaméthasone, premier, et jusqu’ici seul médicament avec un impact sur le pronostic vital des patients atteints par le Covid-19, ainsi que l’a montré l’essai randomisé britannique Recovery. Ce corticoïde de synthèse, peu onéreux, connu pour ses effets anti-inflammatoires et immunosuppresseurs, est recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis le 2 septembre dans les formes sévères et critiques de la maladie. Le 18 septembre, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a fait un premier pas vers son autorisation dans le traitement du Covid-19. Sur le terrain, de nombreuses équipes l’utilisent déjà depuis des mois, dans le cadre ou non d’un essai clinique. Selon des données portant sur près de 6 500 patients (dont 2 104 traités par dexaméthasone), ce corticoïde réduit d’environ 30 % la mortalité à vingt-huit jours chez ceux placés sous respirateur, et de 11 % chez ceux nécessitant de l’oxygène (New England Journal of Medicine, 17 juillet). Il n’a en revanche pas amélioré le pronostic des patients hospitalisés sans assistance respiratoire. Suite à ces signaux positifs, les autres essais randomisés de la molécule ont été interrompus. Les résultats des études les plus avancées ont fait l’objet d’une publication dans le Journal of the American Medical Association (JAMA, 2 septembre), avec une méta-analyse qui a plaidé en faveur de la dexaméthasone. Certains ne sont toutefois pas convaincus. « Depuis des décennies, le bénéfice potentiel des corticoïdes sur la mortalité des syndromes de détresse respiratoire aiguë (SDRA), du sepsis et du choc septique, a fait l’objet de nombreuses études randomisées contradictoires, et ainsi le débat reste ouvert, note le docteur Jean Carlet, ancien réanimateur et infectiologue. En ce qui concerne le Covid-19, ce sont surtout les données de Recovery qui ont fait prendre les décisions favorables, mais la méthodologie de cet essai est loin d’être parfaite. Il n’y a en particulier pas de marqueurs de sévérité, ce qui pose des questions sur la comparabilité des deux groupes. » Selon lui, d’autres études randomisées seraient impératives, avant de généraliser les prescriptions de dexaméthasone. « La méta-analyse commanditée par l’OMS a pris en compte d’autres essais que Recovery et tous montrent la même tendance, avec une taille de l’effet de même ordre, même si certaines études ne sont pas statistiquement significatives du fait de leur effectif limité », estime, de son côté, Dominique Costagliola. L’épidémiologiste souligne par ailleurs l’absence de problème de tolérance avec ce médicament.
Antiviraux en association ?
Les molécules antivirales existantes sont les premières que les laboratoires publics et privés ont tenté de « repositionner ». « C’est ce qu’on fait toujours quand survient une maladie nouvelle : c’est à la fois le plus logique et le plus rapide », explique Bruno Hoen, directeur de la recherche de l’Institut Pasteur. Logique car les virus disposent de mécanismes communs pour entrer dans les cellules et s’y répliquer. Rapide car si la production complète d’une molécule nouvelle de la paillasse à la pharmacie peut prendre dix ans, le réemploi d’un antiviral existant dispense tout à la fois de la conception et de tests de toxicité. En quelques mois, il peut être donné aux malades. Le code génétique du virus est extrait d’échantillons et stocké dans de petits tubes, au laboratoire de l’université de Louvain, en Belgique, en mai. LAYLA AERTS / KU LEUVEN Tout ce que la planète compte d’antigrippaux, antihépatite, anti-VIH a donc été évalué. « Y compris des molécules dont le mode d’action, que l’on connaissait, n’avait aucune chance de fonctionner contre un coronavirus, soupire Bruno Canard, virologue et directeur de recherche CNRS (Aix-Marseille). On aurait aussi bien pu tester la verveine-menthe. » Si quelques molécules ont montré des résultats encourageants sur culture cellulaire, seul le remdesivir, développé à l’origine contre le virus Ebola, a franchi, avec un succès mitigé, l’obstacle des essais cliniques : une réduction du temps d’hospitalisation pour les patients qui guérissent mais aucun effet sur le taux de survie. Si ce médicament est approuvé en Europe et aux Etats-Unis, le laboratoire américain Gilead a temporairement retiré sa demande de remboursement en France. Un avis de la Haute Autorité de santé (HAS) indique que « le service médical rendu est jugé faible ». « Il y a eu quatre essais cliniques internationaux sur le remdesivir, aucun ne nous montre vraiment que ce traitement est efficace », a indiqué Yazdan Yazdanpanah (hôpital Bichat) au Sénat, mardi 15 septembre. L’infectiologue, membre du conseil scientifique Covid-19 et animateur de l’essai clinique européen Discovery, qui teste le remdesivir, estime cependant qu’il convient de poursuivre son évaluation, pourquoi pas en association avec d’autres molécules. Car si pour la réutilisation pure et simple d’antiviraux existants, « la porte est fermée », selon Bruno Hoen, ils pourraient bien rentrer par la fenêtre en groupe, associés à d’autres molécules. Bruno Canard fait ainsi le parallèle avec les traitements contre le sida, restés peu efficaces jusqu’à l’arrivée des trithérapies. « Des combinaisons seront gagnantes, c’est sûr », pronostique-t-il.
L’hydroxychloroquine pas probante
L’immense terrain du repositionnement reste, lui, à arpenter. Après les quelques dizaines d’antiviraux, ce sont des milliers de médicaments – anticancéreux, antibiotiques, antiparasitaires, antihistaminiques, antipsychotiques… – qui ont été, et sont encore testés à travers le monde. Dans cette catégorie, aucun n’a suscité autant d’échos – d’espoir comme de colère – que l’hydroxychloroquine : promue en France par Didier Raoult (IHU, Marseille), en association avec un antibiotique, l’azithromycine, elle n’a toujours pas fait la démonstration de son efficacité « dans des études de phase 3 contrôlées, randomisées », les plus fiables, rappelle la HAS dans une note de veille sur les traitements contre le Covid-19. De fait, malgré la masse d’études produites depuis le début de la pandémie sur le Plaquenil (son nom commercial), aucune n’est convaincante, que ce soit in vitro (sur des cellules humaines de poumon), en prévention ou en post-exposition au virus sur l’animal (macaque), ou chez l’homme, là aussi en prophylaxie, en tout début d’infection ou dans des formes plus tardives de la maladie. Les principaux essais cliniques randomisés sur des patients hospitalisés (Recovery, Discovery, Solidarity) ont été interrompus faute d’effet bénéfique. Une métanalyse publiée fin août dans Clinical Microbiology and Infection souligne la médiocrité des études disponibles, le plus souvent entachées de biais sévères. Sa conclusion ? Pas d’effet sur la mortalité, mais risque accru de mortalité en cas d’association avec l’azithromycine, du fait de la toxicité. Didier Raoult conteste ces résultats, mais les études produites ou invoquées par son équipe ne présentent pas un niveau de preuve satisfaisant les critères les plus élevés, faute de groupes témoins permettant des comparaisons valides. Pour l’hydroxychloroquine aussi, la porte se referme…
Elargir les cibles sur le virus
Loin du tumulte engendré par l’hydroxychloroquine, un travail de fourmi, systématique, est à l’œuvre à travers le monde. Dans son laboratoire de l’université de Louvain (Belgique), Johan Neyts a ainsi balayé plus de 15 000 molécules, dans le cadre du consortium CARE, mais aussi pour d’autres collaborations. Son installation robotisée unique au monde, développée grâce notamment aux royalties du ténofovir (Truvada), l’anti-VIH le plus prescrit au monde qu’il a mis au point, a permis d’étudier l’effet de chacune d’elles sur des cellules infectées par SARS-CoV2. « Nous n’espérons pas forcément trouver le remède miracle, ce n’est toujours pas du sur-mesure, mais nous avons de vrais espoirs de peser sur la maladie », dit-il. Plusieurs molécules seraient « très prometteuses ». Son équipe s’apprête ainsi à publier des résultats « spectaculaires », observés en culture cellulaire mais aussi chez le hamster, « en prophylaxie et en traitement des premiers jours ». La puissance de ce screening systématique comporte un défaut : il ne dit rien des mécanismes d’action, ni des cibles. D’autres équipes empruntent donc le chemin inverse. A partir de données structurelles du virus et des cellules qu’il infecte, l’université de Californie à San Francisco (UCSF) a ainsi sélectionné, par analyse bioinformatique, 70 molécules – commercialisées ou ayant passé les premiers essais cliniques – et a demandé à deux équipes de recherche, une américaine et une française, de les tester parallèlement en culture cellulaire. « Une douzaine d’entre elles ont montré des résultats encourageants, indique Marco Vignuzzi, le directeur du laboratoire Populations virales et pathogénèse de l’Institut Pasteur. UCSF va entreprendre des essais cliniques avec les quatre ou cinq plus performantes. On devrait avoir les résultats dans quatre à cinq mois. » L’originalité de ce travail ne tient pas seulement dans la méthode, mais dans les cibles visées. « Habituellement, on attaque les protéines du virus nécessaires à son entrée dans la cellule ou à sa réplication. Ça a le défaut d’augmenter les risques de résistance, car les virus mutent. Or, un virus a aussi besoin de la machinerie des cellules qu’il infecte. Ce sont ces protéines des cellules humaines que nous visons. On évite l’écueil de la résistance. En revanche, on augmente les risques de toxicité. » L’équipe de Pasteur est même remontée un cran en amont et a sélectionné une deuxième liste de composants susceptibles d’agir sur certaines « kinases », des enzymes qui elles-mêmes vont modifier les protéines cibles du virus. La voie est en cours d’exploration. Si le repositionnement offre les atouts du prêt-à-porter, les chercheurs jouent aussi la carte du sur-mesure. Ainsi Johan Neyts a screené 1,2 million de molécules chimiques non utilisées, souvent sorties des bibliothèques des laboratoires pharmaceutiques rassemblés dans le consortium CARE. « Un effort immense, insiste le chercheur belge. La lumière s’allume dans 1 cas sur environ 50 000. Ensuite, on transmet nos touches aux laboratoires de biologie structurale. » A charge alors pour les collègues de Bruno Canard de comprendre les mécanismes d’action. « L’avantage de ces méthodes, explique ce dernier, c’est qu’elles peuvent faire apparaître des cibles nouvelles sur le virus, plutôt que de toujours viser les mêmes », à savoir la protéine S, qui permet l’entrée du virus dans la cellule, les protéases et les polymérases, nécessaires à sa réplication. Restera aux chimistes à créer ensuite les meilleurs dérivés pour doper l’action du produit et d’en réduire la toxicité. « Un travail de longue haleine, qui aurait dû être entamé dès 2003 et l’arrivée du premier SRAS », insiste Bruno Canard. « Pour 150 millions d’euros, on aurait eu, en dix ans, un antiviral à large spectre contre les coronavirus, que l’on aurait pu donner dès janvier aux Chinois, ajoute Johan Neyts. On n’en serait pas là aujourd’hui. »
Plasma et anticorps monoclonaux
La piste du plasma de convalescent est un repositionnement d’une autre nature, non pas d’une molécule, mais d’une technique éprouvée : transférer des anticorps produits naturellement lors du combat contre une maladie à des personnes dont la réponse immunitaire serait défaillante. Fin août, Donald Trump a ainsi annoncé l’autorisation en urgence de la transfusion du plasma sanguin de patients guéris du coronavirus à des patients hospitalisés, estimant sauver « un nombre incalculable de vies ». Le 15 septembre, dans un éditorial, le British Medical Journal (BMJ) jugeait cette autorisation « prématurée », en raison de la faiblesse des études disponibles. L’infectiologue et épidémiologiste Karine Lacombe (hôpital Saint-Antoine), qui coordonne un essai clinique sur le plasma, estime qu’« il ne constituera pas une panacée ». La nécessité de surveiller les effets secondaires interdit son administration en médecine de ville. En revanche, pour des patients immunodéprimés – traités pour des cancers par exemple –, ou présentant des formes longues de Covid-19, le plasma pourrait s’avérer « très prometteur », selon une étude qu’elle a cosignée, le 21 septembre, dans le journal Blood. Pour créer cet effet antiviral, une autre piste s’offre aux chercheurs : celle des anticorps monoclonaux, produits à partir de cellules immunitaires modifiées par génie génétique pour les diriger contre un antigène particulier. Utilisée dans la lutte contre de nombreuses maladies, dont les cancers et les maladies inflammatoires, cette approche paraît prometteuse. Le géant pharmaceutique Eli Lilly a ainsi annoncé, le 16 septembre, que dans un essai thérapeutique réalisé sur 900 personnes, le taux d’hospitalisation enregistré chez ceux qui avaient reçu sa molécule était de 1,7 %, contre 6 % pour le groupe témoin. Le 29 septembre, son concurrent Regeneron a annoncé à son tour que dans un essai randomisé, son cocktail d’anticorps avait permis de réduire la charge virale, les symptômes et le taux d’hospitalisation chez des patients. Le président américain Donald Trump, qui a demandé à recevoir ce médicament – associé à d’autres dont le remdesivir – peu après avoir annoncé sa positivité pour le SARS-CoV-2, vendredi 2 octobre, fera-t-il partie de ces bons répondeurs ? Principal défaut de cette dernière stratégie : la lourdeur de production et le coût. « Il faut tout explorer, insiste Yves Lévy, coordinateur de CARE. Nous voudrions avoir testé, d’ici à trois ans, en phase 1 et 2, un médicament repositionné, une nouvelle molécule et un anticorps monoclonal. »
Apaiser l’emballement immunitaire
Parallèlement à la recherche d’antiviraux, les chercheurs se sont attelés à un autre défi : identifier des médicaments qui apaisent l’emballement immunitaire et l’inflammation. Car il est vite apparu que la gravité du Covid-19 n’est pas tant le fait de l’atteinte virale que d’une complication redoutable : la « tempête cytokinique ». Chez certains malades, les réponses immunitaires sont excessives, entraînant une production en quantité astronomique de cytokines – un ensemble de petites protéines normalement produites en réaction aux infections… et des dégâts sur de nombreux tissus et organes. « Le Covid-19 est associé à des réactions inflammatoires et vasculaires, c’est une pathologie de l’endothélium [la paroi des vaisseaux sanguins]. Autrement dit, des micro-infarctus sont visibles partout : dans les poumons, dans le cœur, dans le rein », souligne l’immunologiste Eric Vivier. En gros, « le virus est toxique pour l’épithélium respiratoire et l’endothélium vasculaire, mais on n’a pas de cible thérapeutique spécifique pour réparer l’endothélium ou éviter qu’il ne soit lésé », ajoute l’infectiologue Xavier Lescure (hôpital Bichat). Pour contrer cette tempête de cytokines, de nombreuses pistes sont à l’essai, avec des molécules, bien souvent à nouveau des anticorps monoclonaux, agissant à différents niveaux. Lancée avec enthousiasme au printemps, la recherche d’immunomodulateurs suscite des espoirs, mais les chercheurs sont encore au milieu du labyrinthe. Des résultats d’essais commencent à arriver, mais « beaucoup de travail reste à faire pour comprendre cette nouvelle maladie et reconnaître les malades susceptibles de bénéficier de tel ou tel traitement spécifique », estime le médecin et chercheur Pierre-Louis Tharaux (Inserm). « L’identification de marqueurs prédictifs de gravité (inflammation, troubles immunitaires…) devrait permettre de mettre en place pour chaque malade le bon traitement au bon moment », ajoute Yazdan Yazdanpanah.
Etudes sur le tocilizumab
Parmi les terrains les plus déblayés, celui du tocilizumab (RoActmera), un anticorps monoclonal anti-interleukine 6 (IL-6), déjà commercialisé par Roche pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde. Fin avril, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris avait annoncé de manière précipitée des résultats positifs de cette molécule dans l’essai français randomisé Corimuno-Toci1, sans donner de détails. Ces données, qui portent sur 130 patients souffrant de pneumonie Covid-19 ayant reçu ce produit ou des soins courants, vont enfin être publiées dans une revue internationale. « Dans le groupe tocilizumab, nous avons observé une réduction de 33 % des cas d’aggravation nécessitant le passage en réanimation dans les deux semaines suivantes, mais sans effet sur la mortalité à un mois », résume Pierre-Louis Tharaux, membre du comité de coordination de l’essai. Deux études internationales randomisées de phase 3 conduites par le laboratoire Roche ont, elles, obtenu des résultats discordants. Dans l’une (Empacta), le tocilizumab a réduit le recours à la ventilation assistée dans des proportions comparables. Dans l’autre, Covacta, il n’est pas associé à une amélioration de l’état clinique des formes graves, ni à un impact sur la mortalité. Le tocilizumab est désormais testé en association avec la dexaméthasone dans un essai nommé Tocidex, mené au sein de Corimuno, une plate-forme d’études cliniques de l’AP-HP. Les résultats d’essais cliniques disponibles avec un anticorps monoclonal proche du tocilizumab agissant également au niveau du récepteur de l’IL6, le sarilumab (Kevzara, commercialisé par Sanofi Regeneron), sont en revanche négatifs. Autre anti-inflammatoire, intervenant à un niveau différent de la cascade cytokinique, l’anakinra (anti-interleukine 1) a obtenu des résultats encourageants dans plusieurs petites séries de cas (dont une cohorte française d’une cinquantaine de patients et de témoins historiques), mais les résultats d’essais randomisés sont attendus.
Les interférons, piste active
La piste des interférons (IFN) est également très active. Ces protéines, qui ont une forte activité antivirale naturelle, sont prescrites de longue date, sous une forme synthétique, dans des maladies infectieuses comme les hépatites, mais aussi en cancérologie. Dans des formes graves de Covid, des études ont mis en évidence des profils génétiques et immunologiques particuliers, qui entraînent un défaut d’activité de certains interférons, les IFN de type 1. Des résultats préliminaires, dévoilés en juillet par la société britannique Synairgen, ont montré des résultats encourageants d’un traitement inhalé à base d’interféron bêta, appelé SNG001, mais ils n’ont pas été publiés. Un autre interféron de type 1, l’IFN-alpha, va être évalué par la plate-forme de Corimuno, en association avec d’autres immuno-modulateurs. « C’est probablement au début de l’infection que l’interféron aurait un intérêt », tempère le professeur Benjamin Terrier (hôpital Cochin, APHP, université de Paris). Les chercheurs explorent aussi le blocage de la voie dite « du complément », une organisation complexe d’une trentaine de protéines participant à l’immunité anti-infectieuse. Dans leur viseur, le peptide C5a, dont l’équipe d’Eric Vivier, professeur au centre d’immunologie de Marseille-Luminy, a montré que son taux sanguin est proportionnel à la sévérité du Covid-19. Innate Pharma, la société de biotechnologies dont il est directeur scientifique, a lancé un essai randomisé avec Avdoralimab, un anticorps monoclonal qui bloque le récepteur du C5a, en cours de développement en oncologie. Ce médicament est comparé aux soins standards chez 108 patients avec une forme sévère de la maladie. Parallèlement, une molécule proche a obtenu des résultats encourageants, selon la société allemande InflaRx qui la développe, mais ces essais de phase 2 portent sur un nombre limité de patients.
Communication et finance
On ne peut terminer ce tour d’horizon sans évoquer certaines pistes exotiques – comme celle des petits anticorps des lamas ou des chameaux, dotés de capacités neutralisantes –, voire troublantes, comme celle impliquant la nicotine. Partant du constat que la proportion de fumeurs était plus faible parmi les malades du Covid-19 que dans la population générale, l’équipe de Zahir Amoura, du service de médecine interne de la Pitié-Salpêtrière, a ainsi émis fin avril l’hypothèse d’un effet « protecteur » de la nicotine. Une hypothèse passionnante, mais pas facile à manier en termes de message de santé publique… Dans un document, Santé publique France a rappelé que « parmi les individus infectés, le tabagisme est associé à des formes plus sévères et une aggravation de la maladie ». Trois études multicentriques nationales devraient être lancées prochainement pour évaluer l’effet de patchs de nicotine contre le Covid-19, coordonnées par des équipes de la Pitié-Salpêtrière. L’une portera sur des soignants exposés à un risque mais non infectés, une autre sur des patients hospitalisés en médecine, et un troisième sur des malades en réanimation. Autre candidat inattendu : le telmisartan. Ce médicament utilisé de longue date comme antihypertenseur (qui appartient à la famille des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II) pourrait limiter les lésions pulmonaires en diminuant l’inflammation. Il est notamment testé en France, dans l’essai Coverage, qui prévoit d’inclure environ 600 patients, âgés de plus de 60 ans. L’originalité de cette étude randomisée, initiée en avril à Bordeaux et désormais nationale, est de concerner des malades suivis en ambulatoire par des équipes mobiles. « C’est un essai adaptatif, qui permet au fil du temps d’ajouter ou de retirer des médicaments », précise Louis Létinier, médecin pharmacologue au CHU de Bordeaux, membre du conseil scientifique de Coverage, et cofondateur de la start-up Synapse. La palme de la piste la plus mystérieuse revient cependant à l’Institut Pasteur de Lille. Depuis quelques jours, de nombreux médias se sont fait l’écho de l’identification, par la fondation privée lilloise, d’un traitement prometteur, voire « miracle ». Le médicament, déjà sur le marché, aurait des effets antiviraux puissants contre le SARS-CoV-2, et pourrait faire rapidement l’objet d’un essai clinique puis d’une mise à disposition dans la foulée pour les malades. L’équipe dit chercher 5 millions d’euros pour poursuivre ses travaux, mais garde le secret sur la nature de la molécule. Tout en lâchant quelques indices. Il s’agit d’un produit ancien, facilement accessible et bien toléré. Repéré par un screening de 2 000 molécules, ses effets antiviraux ont été confirmés sur des cultures de cellules et un modèle d’épithélium respiratoire. L’idée est de le tester dans des phases précoces de l’infection, juste après confirmation du diagnostic. Pour l’heure, les résultats préliminaires ne sont ni publiés ni même prépubliés dans une revue scientifique. Une stratégie qui fait grincer des dents dans le milieu scientifique, sachant que beaucoup de molécules efficaces in vitro n’arrivent jamais au bout des expérimentations cliniques. Benoît Deprez, le directeur scientifique de l’Institut Pasteur Lille, assume de ne pas avoir divulgué le nom ni de s’être pressé à publier. Afin de ne pas répéter l’épisode hydroxychloroquine, justifie-t-il. « Comme c’est un médicament qu’il est facile de se procurer, nous avons voulu éviter la ruée. De plus, il y aurait eu un risque de créer une pénurie pour les patients qui en prennent habituellement », précise-t-il. Mais alors, pourquoi communiquer aujourd’hui, avec cet exercice d’équilibriste consistant à vanter des résultats préliminaires d’un produit sans en apporter publiquement la moindre preuve ? « Pour trouver des financements », admet le professeur Deprez. Des fonds, poursuit-il, l’équipe en a cherché depuis l’identification de ce médicament, en juin, se positionnant à la fois sur le secteur académique et industriel (une start-up lilloise, Apteeus, est impliquée). Les Lillois auraient même rencontré plusieurs ministres, sans résultat concret. D’où cette opération de communication maladroite. Depuis, des soutiens financiers arrivent…