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Résistant, combattant ou collabo en 39-45. Le jour où Vichy a liquidé la CSMF du Dr Cibrie
Alors même que le syndicalisme médical, porté par le Dr Paul Cibrie, avait fait en 1940 des offres de service au premier gouvernement du maréchal Pétain, il fut littéralement interdit et ses biens immédiatement dévolus au Conseil supérieur de l’Ordre dont un projet existait depuis 1933. Cet été, « le Quotidien » retrace l'histoire de médecins qui se sont illustrés pendant la Seconde Guerre mondiale. Quand au printemps 1945, il vient enfin de rentrer dans ses murs huit mois après la Libération de Paris, le Dr Paul Cibrie raconte dans le numéro du « Médecin de France » paru en juillet 1945 l’humiliation qu’il avait subie cinq ans plus tôt avec la « liquidation » de la CSMF. Le secrétaire général de la confédération – plus général que secrétaire, selon ses détracteurs – n’a rien perdu du mordant qui caractérise habituellement ses relations avec ses adversaires : « Nous sommes partis après avoir signé l’inventaire établi par M. l’inspecteur des Domaines dont la courtoisie fut parfaite. Messieurs de l’Ordre arrivèrent, raides chacun comme un bâton de maréchal, daignèrent trouver la maison “digne d’eux”. Leur discourtoisie fut totale. Pas un mot, pas un geste, pas une carte. Rien : rien à l’égard des représentants présents des syndicats dont ils héritaient (!!) – ce vol légal étant pudiquement qualifié “d’héritage”. Deux seuls médecins praticiens [...] perdus dans un brillant aréopage, témoignaient du mépris bien net dans lequel on tenait la tourbe médicale. »
Un pilier du syndicalisme médical
À la veille comme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Paul Cibrie est le personnage emblématique de la vie médico-politique. Rentré de la Première Guerre en 1918, avec moult médailles au plastron, il avait été mobilisé pour la Seconde en septembre 1939 avant d’être libéré six mois plus tard pour motif d’âge (il avait 56 ans !). Mais son vrai titre de gloire était d’avoir littéralement « porté » le syndicalisme médical sur les fonts baptismaux d’abord, en 1927-1928, puis dans les coulisses lorsqu’il lui avait fallu négocier avec Louis Loucheur, ministre du Travail de l’époque, les termes du compromis ouvrant la voie aux assurances sociales. On date souvent de la Libération, et de ses ordonnances de 1944-1945, la création de la Sécurité sociale actuelle, faisant injustement litière du régime qui l’avait précédée avec quelques nuances, mais « nuances » seulement : paiement à l’acte, tarif de responsabilité, tiers-payant, convention, autodiscipline étaient autant de concepts qui faisaient déjà débat avant-guerre. Lui était l’inventeur du concept d’« entente directe », opposé à la notion de « liberté contractuelle » défendue par la majorité et les dirigeants de l'Union rescapée d’avant-1914. Mais le Dr Cibrie, provincial « monté à Paris » pour y faire carrière, était finalement moins doctrinaire que pragmatique, opportuniste, voire « social-traître » comme on ne disait pas encore. Et ses meilleurs ennemis, lorsqu’il eut accédé à la barre de la Confédération, devinrent… les mêmes barons parisiens ou lyonnais qui l’avaient porté aux affaires en 1928 !
Il aurait fourni à Pierre Laval une capsule de cyanure
Il avait en effet œuvré avec tous les pouvoirs que lui offrait le suffrage universel, y compris avec le Front populaire de 1936, heurtant alors le libéralisme de sa base qu’il engageait à investir dans des « centres de diagnostic » afin de contrer les projets de dispensaires de toutes obédiences. Son activisme était demeuré vain et il avait dû batailler pour garder le cap de la raison dans les années folles. Combattre aussi les excès de la… déraison à propos d’une prétendue pléthore professionnelle, qui avait, depuis le berceau, servi de boussole au syndicalisme médical. À cet égard, Cibrie était un xénophobe assumé, au moins sur le plan professionnel, affolé par l’immigration médicale massive des années vingt et trente. Il avait bataillé pour obtenir le vote, en 1934, d’une loi dite Armbruster, du nom du sénateur qui en avait repris la proposition, protégeant (mal) les intérêts des médecins français titulaires du diplôme d’État. Une thèse récente fait néanmoins du personnage un « antisémite qui s’ignore » sans autre démonstration qu’une relecture partiale de ses propos du moment et au motif d’une prétendue amitié avec Laval, fondée sur un seul témoignage… forcément précaire. Le médecin aurait fourni, dans d’obscures conditions, la capsule de cyanure qui aurait permis à l’homme politique d’échapper au poteau d’exécution. Mais d’autres médecins avaient enrayé l’issue fatale du poison !
Personnage controversé
À la vérité, l’histoire reste, et restera sans doute, définitivement obscure, en tout cas insuffisante à qualifier d’antisémites Cibrie et la Confédération, dans les rangs de laquelle on trouve d’ailleurs beaucoup plus de résistants que de suspects de collaboration. Ne subsiste qu’un seul élément « à charge » : l’audience accordée à trois médecins juifs sarrois (lorsque cette province avait été réinvestie par les troupes du Reich) venus lui demander son soutien pour une dérogation à la loi Armbruster. Vainement, mais le compte rendu qu’il avait fait de ce rendez-vous était un réquisitoire objectif et sincère du régime racial à ce moment déployé outre-Rhin. À sa décharge : une motion d’Assemblée générale adoptée à son initiative en solidarité aux confrères juifs allemands après 1933 et – plus éloquent encore –, le fait qu’il avait lors de l’Assemblée générale de 1938 publiquement ridiculisé les comptes du délégué de banlieue nord, un dénommé Paul Querrioux, médecin de Saint-Ouen, antisémite du haut de l’affiche. La relecture de la presse de l’époque démontre en outre qu’il prenait garde de se tenir à l’écart des banquets de l’Action française où s’exprimaient le plus ouvertement les grandes voix antisémites de l’époque. Ce qui n’empêcha Paul Cibrie de flatter le pouvoir issu du coup de force constitutionnel du 10 juillet 1940.
Au service de Vichy
Dans son dernier éditorial, intitulé « Servir », daté du 4 juillet et de la ville de Brive où il avait organisé le repli de la CSMF, il racontait : « […], nous nous sommes adressés au vice-président du Conseil avec lequel, lors de l’application en 1930 et 1931, de la loi des Assurances sociales, nous avions eu de nombreux contacts, et qui, à ce moment, avait pu se rendre compte de notre organisation, la plus complète déjà dans l’ordre corporatif. » Laval était donc le destinataire de cette missive ! Et se réclamant de la « courtoisie » de leurs échanges, il se montrait rapidement disposé à « travailler dans le sens […] indiqué par le gouvernement ». Quand il livrait copie de sa missive à Pierre Cathala, directeur de cabinet du même Laval et avec qui il était d’évidence plus intime, il précisait dans une note manuscrite : « Nous sommes particulièrement résolus à nous employer ardemment et sans faiblesse au redressement national. Nous sommes prêts, en conséquence, à prendre la place qui nous serait attribuée dans la représentation des professions envisagée par le gouvernement. »
La CSMF dissoute... pour faire place à l'Ordre
L’offre – spontanée – de service ne fait donc aucun doute alors même qu’on ne sait, à ce moment, rigoureusement rien des intentions du gouvernement. Le 20 juillet, Cibrie rentrait donc seul dans ses locaux parisiens ayant envoyé son adjoint à Vichy essayer de nouer, vainement, des contacts plus féconds avec des interlocuteurs « autorisés ». Pas de nouvelles avant le 17 septembre où on trouvait une nouvelle « offre de services » de la Confédération au gouvernement, cette fois dans les colonnes de Paris-« Soir : elle s’y déclarait disposée à mobiliser ses troupes de terrain pour y procéder au recensement des médecins étrangers – privés du droit d’exercice par une loi largement improvisée en date du 16 août – sans se cacher de son intention de les remplacer par des praticiens – français – de son choix selon les termes d’une autre loi adoptée avant la déclaration de guerre. Difficile de faire plus explicite ! Paul Cibrie savait-il à ce moment déjà, que le sort de son œuvre était déjà scellé et condamnés le syndicat et ses 20 000 adhérents, ses « œuvres » connexes (MACSF mais aussi une centrale d’achat et un système domestique de retraite), ses biens (le siège social de l’époque, boulevard Latour-Maubourg mais aussi le précédent, rue du Cherche-Midi). Le décret de dissolution fut signé le 26 octobre, le même jour que les textes officialisant la création d’un Conseil supérieur de l’Ordre et désignant ses responsables.
L'Ordre légitimé par le Général de Gaulle après la guerre
La CSMF était donc le seul syndicat frappé d’une telle infamie sans que Paul Cibrie puisse s’en offusquer, lui-même défendant la création d’un Ordre depuis … 1932. « Il eut presque suffi de changer l’étiquette – écrivait-il dans son ultime circulaire aux syndicats départementaux – en rendant le syndicat obligatoire […] et la Corporation était créée. Un “Ordre” qu’aucun d’entre vous ne reconnaîtra […]. Il est non pas corporatif mais nettement étatiste. Les “dignitaires” en sont directement nommés par le secrétaire général de la Santé. […] Sans réunions, sans avis, eux seuls administreront, réglementeront, ordonneront, jugeront. » Et avec, en guise de conclusion, cet oracle : « La foudre ne tardera pas à tomber. Retenez bien cette prédiction hélas facile. » « Le mépris vient de changer de camp », observait le même Cibrie à son retour triomphal à la Domus Medica en 1945. Il s’apprêtait pourtant à devoir cohabiter durablement avec un Conseil de l’Ordre que le général de Gaulle venait de doter de la légitimité des urnes.