Entretien avec Michel Callon
N. Givernaud, J-F. Picard, 6 février 2002, Script : Anne Lévy-Viet (source : https://histrecmed.fr/temoignages-et-biographies/temoignages)
Histrecmed
Voir aussi : le programme génome humain et la médecine, une histoire française
Rencontre avec les associations de malades
Alors que je travaillais sur une évaluation des politiques de la recherche, nous avons été contactés par deux associations de malades, l'Association Française de lutte contre la mucoviscidose (AFLM) et l'AFM (Association française contre les myopathies). Toutes deux se posaient des questions au sujet de leur politique de soutien à la recherche. L'AFLM avait un gros problème d'organisation, son conseil scientifique principalement composé de médecins mais aussi de chercheurs (souvent les mêmes qu'à l'AFM) n'avait pas de rapport très étroit avec son conseil d'administration. Mais c'est le conseil scientifique et non pas le conseil d'administration qui prenait toutes les décisions. Après plusieurs mois de travail avec l'AFLM, nous les avons convaincus qu'il ne revenait pas nécessairement aux seuls scientifiques de prendre les décisions stratégiques. Au même moment, nous avons eu un contact avec l'AFM qui était au courant des travaux du Centre de sociologie de l'innovation (CSI) et nous leur avons demandé d'organiser une visite du Généthon. De fil en aiguille, les gens de l'AFM ont compris que nous pouvions éventuellement répondre à l'une des questions qu'ils se posaient, celle de l'évaluation des effets produits par leurs investissements dans le domaine de la recherche scientifique.
Il a fallu contrer une vision conservatrice des sciences sociales
L'AFM semblait intéressée par le projet d'évaluation de sa politique de recherche, mais il fallait passer par l'aval de la sous-commission sciences sociales (aujourd'hui supprimée) de son Conseil scientifique. Ceci nous a conduit à discuter avec les membres de la commission qui avaient une vision, je dirais un peu étroite, conservatrice, des sciences sociales. Cette commission était composée de médecins, de psychanalystes, qui nous ont questionnés, interrogés, mais sans qu'on puisse avancer beaucoup. Pour sortir de l'impasse, nous avons décidé de réaliser quelques entretiens exploratoires : nous avons pris des contacts avec des membres de l'AFM. En commençant à recueillir des données, nous avons compris que le 'modèle AFM' était complètement différent de celui de l'AFLM. Les membres de l'AFM qui n'étaient pas des professionnels, mais des porte-parole des malades (certains même des parents de malades), disposaient d'un pouvoir d'initiative sans commune mesure avec ceux de l'autre association. Nous avons donc modifié notre projet de recherche. Plus on le modifiait, moins il plaisait à la commission 'sciences sociales' de l'AFM qui aurait voulu nous cantonner à des aspects qui ne nous intéressaient pas comme l'étude des implications sociales (ou sociologiques) de la génétique. À l'inverse, plus nous avancions dans nos investigations, plus la place centrale des malades (i.e. des administrateurs) nous paraissait évidente dans le fonctionnement de cette association. Cette espèce de dialogue de sourds a duré un an, jusqu'en en 1996 je crois, c'est-à-dire à l'époque où nous leur avons mis le marché en main. Soit on continuait avec nos idées, soit on laissait tomber. En définitive, l'AFM et son président ont accepté de jouer le jeu.
Une dialectique illustrée par la relation conseil d'administration-conseil scientifique
Madame de Kepper, la fondatrice des associations de myopathes, disait que si, dans les premiers conseils d'administration, on ne rencontrait pas de médecins, c'était parce que ceux-ci ne s'intéressaient pas à ces maladies et, qu'il existait, de plus, une sorte de méfiance des administrateurs vis-à-vis des scientifiques auxquels ils reprochaient de ne pas s'intéresser suffisamment aux malades. C'est le renversement de cette dialectique qui a rendu le 'système AFM' si original. Si on essaye d'analyser les rapports entre l'AFM et la science, on dira que c'est une relation de distance et de proximité assez bien représentée dans les relations entre son conseil d'administration et son conseil scientifique. C'est François Gros, qui a une tendresse très grande pour l'AFM, et Michel Fardeau qui ont conseillé à Bernard Barataud, le président de son conseil d'administration, d'installer un conseil scientifique. Placé à sa tête, François Gros a mené ce conseil scientifique avec une grande compréhension vis-à-vis des parents de malades. C'est d'autant plus remarquable que je connais d'autres grands scientifiques qui se comportent de façon cynique vis-à-vis des associations. Il n'est pas cynique, mais il pense que tous les êtres humains le sont, ce qui lui donne une lucidité amusante. Pendant la période où il était conseiller de Laurent Fabius, il continuait de consacrer beaucoup de temps au conseil scientifique de l'AFM. Je rappelle que c'est lui qui avait appelé Marcel Boiteux (l'ancien président d'EDF devenu président de l'Institut Pasteur) pour que Bernard Barataud (agent EDF) soit mis à la disposition de l'AFM.
L'homme de la situation, Bernard Barataud
Bernard Barataud a très rapidement compris qu'il fallait à la fois croire les scientifiques et ne pas les croire, car il s'est rendu compte que sur des questions nouvelles, ils sont toujours en désaccord entre eux. Ce qui est très intéressant, c'est la manière où, dans une situation d'incertitude, de débat, de controverse, Barataud choisit les bonnes pistes. Il aime répéter, " Je ne crois jamais un scientifique tant que je n'entends pas un autre dire la même chose que lui ". Ca a l'air d'un truisme, mais je crois que la formule explique le mode de fonctionnement de l'AFM qui a choisi, dès le début , d'organiser la confrontation scientifique de manière à rendre explicite les arguments et les positions des uns et des autres. En outre, Bernard Barataud a visité beaucoup de laboratoires, il a beaucoup parlé avec les scientifiques (ce que ne font que très peu de décideurs!). Obligé de dépenser de l'argent dont il se sentait comptable, il s'est trouvé dans la situation d'un responsable politique qui doit hiérarchiser les options qu'on lui propose. En ce sens, on peut dire que la décision politique la plus importante qu'il ait prise est la construction du Généthon. Elle a provoqué des tensions au sein de l'AFM (François Gros n'était pas d'accord, cela ne l'a pas empêché de reconnaître par la suite que Barataud avait raison). Rétrospectivement, on doit reconnaître que Barataud s'est rarement trompé. Même lorsqu'il a passé la main à son successeur, Eric Molinié. Lorsqu'il m'a annoncé la nouvelle, j'ai été un peu surpris, mais je me suis rendu compte que sa décision était logique. Il avait toujours dit qu'il ne vieillirait pas avec l'AFM.Il a la capacité de dire "pour faire ce que je veux faire, il faut le laisser faire par d'autres". Tout cela est assez exceptionnel. Comment l'expliquer ? Au cours de notre recherche, nous avons assisté à des meetings dans la France profonde où les gens voulaient le toucher (comme les rois de France qui guérissaient les écrouelles ). Je me souviens d'un séminaire aux Etats-Unis où un doctorant expliquait pourquoi les participants du programme atomique américain faisaient confiance au physicien Robert Oppenheimer. Sa thèse était que le charisme d'Oppenheimer ne suffisait pas à expliquer son pouvoir et il évoquait une présence physique, une sorte d'ubiquité qui faisait qu'il se confondait pratiquement avec l'ensemble du Manhattan project. Pour Bernard Barataud, c'est pareil. Sa personne physique, son corps même, s'identifiait à l'AFM.
Une sociologie opérationnelle
Il nous semblait donc que l'AFM constituait un modèle très original, notamment du fait du rôle actif des représentants des malades. Or, nous n'arrivions pas à comprendre comment ce dispositif s'était mis en place. Nous avions rencontré des responsables de l'association qui avaient le sentiment de ne pas être de simples décideurs, mais qu'ils contribuaient aussi à la production de connaissances et c'est cela qui nous intéressait. La deuxième question que nous voulions poser à l'AFM, comme à nous-mêmes, était de savoir comment ce modèle improbable avait pu émerger. Nous leur avons expliqué que si nous arrivions à répondre à cette question, comme nous l'espérions, cela devrait les intéresser puisque cela leur permettrait de mieux comprendre et de mieux maîtriser leur propre action. Nous leur proposions une collaboration originale et désintéressée entre chercheurs en sciences sociales et acteurs. A notre grand étonnement, ils ont accepté sans discuter. Plus tard, nous nous sommes rendu compte qu'ils avaient été conscients de prendre un risque en jouant la transparence. D'ailleurs à y bien regarder, il y a toujours des conflits à l'intérieur de l'association. En nous donnant l'accès aux archives, à certains groupes, à certains services, les patrons de l'AFM savaient nécessairement ce que nous allions découvrir dans les placards, mais ils ont accepté de jouer le jeu.
L'AFM joue la transparence
Il n'en reste pas moins que nous avons été surpris par le caractère cristallin de l'association. Dans le domaine médical, de nombreux exemples montrent les interactions multiples entre l'expérience des malades, l'organisation des soins, le développement de nouvelles techniques, la recherche scientifique... Mais nous avons été étonnés par le fait que l'AFM introduisait une réelle rupture par rapport aux modèles existants. Nous avons passé sept ou huit mois dans les archives. Les gens de l'AFM nous voyaient pas parce que nous étions présents dans les locaux, mais nos relations se limitaient à Bonjour, Bonsoir ! Tout a changé lorsqu'on nous a demandé d'exposer en public nos premières réflexions. L'AFM organisait tous les deux ans de grands colloques (passionnants) dans lesquels des spécialistes français et étrangers venaient faire le point sur l'état des recherches cliniques et biologiques. En décembre 1996, l'un des organisateurs de ces colloques - celui-là se passait à Versailles - nous a demandé de faire un exposé afin de meubler une soirée. Nous étions très inquiets car nous étions au début de notre travail et, de plus, la génétique était de l'hébreu pour nous ! En fait, tout s'est très bien passé et c'est à dater de ce colloque versaillais que l'intérêt de l'AFM pour nos travaux s'est manifesté. À partir de là, notre situation par rapport à l'Association s'est profondément modifiée.
'Le pouvoir des malades'
Le premier résultat de notre recherche a été la publication d'un livre (V. Rabeharisoa, M. Callon, Le pouvoir des malades, l'AFM et la recherche, Paris, P.E.M. 1999) dans lequel nous avons mis en évidence le côté original du modèle, mais sans entrer dans le fonctionnement de l'association. Comme nous avons continué de travailler pour elle, nous avons le projet d'un nouvel ouvrage dans lequel nous voudrions donner une image plus nuancée, plus composite de l'AFM, mais sans rien retirer de l'originalité du modèle décrit dans ce premier livre, c'est-à-dire sans revenir sur le fait que des non-spécialistes ont réussi à imposer leur choix sur des sujets hautement techniques.
Éléments de comparaison : l'AFM et l'Agence nationale de recherche sida (ANRS)
Il y a deux exemples intéressants de mobilisation des patients dans les années 1990 en France pour soutenir la recherche, l'ANRS et l'AFM. Toutes deux ont joué un rôle important, mais dans des configurations radicalement différentes comme nous l'avons montré dans le livre écrit avec Pierre Lascoumes et Yamide Barthe (M. Callon, P. Lascoumes, Y. Barthe, Agir dans un monde incertain, Paris, Seuil, 2001). Avec l'AFM, nous avons un organisme qui est l'aboutissement d'un mouvement d'unification de différentes associations. Au seuil des années 1980, l'AFM obtient le monopole de la représentation des malades et elle investit lourdement dans la recherche sur les maladies neuro musculaires. Pourtant, malgré cette notoriété de monopole, elle n'a eu aucune reconnaissance des pouvoirs publics, ni en matière de recherche, ni dans le domaine du soutien médico-social. Le cas de l'ANRS est très différent puisque cette structure correspond à une initiative des pouvoirs publics dans un domaine où la mobilisation de l'opinion était très forte et alors qu'il existait plusieurs associations de malades, défendant des orientations politiques, idéologiques et des conceptions de la recherche très différentes. Enfin, et contrairement aux myopathies qui sont des maladies rares et orphelines, le sida est un enjeu économique considérable pour les laboratoires pharmaceutiques. Face à l'AFM, il n'y a aucun partenaire industriel. L'association doit aller chercher et mobiliser l'industrie pharmaceutique, ce qui n'est pas le cas pour l'ANRS et le sida. Les configurations sont donc pratiquement antithétiques. Il en résulte que l'insertion des sciences sociales dans ces deux contextes ne peut pas être identique. Dans le cas de l'AFM, la collaboration est évidente parce que l'association veut rendre intelligible sa situation de manière à mieux la maîtriser, la dominer, la développer tandis que dans le cas de l'ANRS, les forces sont tellement divisées, il y a une telle diversité d'alliances - notamment entre laboratoires pharmaceutiques, associations, structures hospitalières,... - que les sciences sociales sont souvent absorbées par un camp ou un groupe d'alliances et que, pour faire leur travail, elles doivent se tenir à distance de manière à garantir une certaine objectivité à leurs analyses. Nous, nous avons pu coopérer avec l'AFM sans mettre en péril l'objectivité de notre travail, je pense que cela aurait été bien moins facile avec l'ANRS.
Dans l'histoire de l'AFM, un point significatif est la défiance vis-à-vis du corps médical
Les témoignages des malades ou de leurs parents montrent que les myopathies ne présentaient pas d'intérêt (intellectuel) pour les médecins et les chercheurs, à quelques exceptions près comme Michel Fardeau ou Georges Schapira (et son patron Robert Debré). Arnold Munnich, par exemple, a une théorie assez intéressante pour expliquer l'intérêt d'une petite minorité de médecins pour les maladies neuromusculaires. Il évoque des réseaux sociaux avec une forte implication de médecins juifs aux positions politiques tranchées, mais cimentées par une certaine façon de concevoir la recherche clinique et scientifique. Il y aurait là une très belle histoire à écrire, mais ce n'était pas notre sujet. Ce que nous voulions démontrer, c'est que les soi-disant profanes pouvaient participer lorsqu'ils étaient concernés.
Les relations de l'AFM avec l'Inserm semblent ne pas avoir étés amènes...
Le spectre de l'Inserm est omniprésent dans cette histoire. Philippe Lazar a été résolument hostile à l'action de l'AFM et cela avec une argumentation parfaitement cohérente. Selon Lazar, les groupes de malades peuvent avoir une action très importante lorsque les associations sont multiples, diversifiées et qu'aucune n'a un monopole de fait, ni une surface financière qui lui permette de faire la pluie et le beau temps dans un établissement public (cette configuration correspondait assez bien à celle du sida). Dans le cas de l'AFM qui était devenu un véritable groupe de pression, il suspectait la défense d'intérêts particuliers et, bien entendu, il était hostile à toute velléité d'orienter la recherche publique dans des directions pas nécessairement conformes à l'intérêt général, en tout cas, qui n'avaient pas été discutées démocratiquement. L'idée était : ils font mon travail, mais sans la légitimité qui est celle d'un organisme public. Philippe Lazar défendait le modèle républicain de la division des pouvoirs dans lequel le politique délègue au scientifique le soin de produire des connaissances (cf. F. Ewald ou D. Lecourbe). Mais, comme le politique ne sait pas ce que font les chercheurs, le seul contrôle dont il dispose est celui du jugement des pairs et de la concurrence entre les chercheurs. Lazar était incapable d'imaginer un modèle de politique scientifique fonctionnant sans cette délégation de pouvoir et sans cette autonomie de la communauté scientifique.
Mais de nombreux chercheurs de l'Inserm citent aujourd'hui en exemple le 'modèle AFM'...
Effectivement et c'est très étonnant. L'argument de Philippe Lazar sur le risque de voir la recherche captée par des intérêts particuliers est parfaitement recevable en termes de politique scientifique et de politique de la santé. Mais il ne faut pas confondre l'apport des associations de malades dans la dynamique de la recherche et leur place dans le dispositif d'ensemble d'une politique scientifique. Lazar acceptait les associations pourvu qu'elles n'aient aucun pouvoir et qu'elles ramènent de l'argent pour financer une partie des recherches menées à l'Inserm. Il n'avait pas apprécié à sa juste valeur la capacité de l'AFM à imposer des thématiques intéressantes. Cela dit, il avait raison d'estimer que les interventions des associations devaient s'inscrire dans un processus de discussions destiné à choisir des orientations scientifiques, mais selon des dispositions qui n'existent toujours pas à l'heure actuelle. Il y a un côté un peu surprenant à ce qu'après avoir tiré à boulets rouges sur les associations, on semble être passé d'un extrême à l'autre lorsque l'Inserm leur déroule le tapis rouge ! Je dirais que les choix opérés par les associations doivent être discutés de la même manière que les prises de positions des chercheurs doivent être considérées avec une certaine prudence. Prenez les critiques formulées en 1990 par les scientifiques soutenus par l'AFM jusqu'à ce qu'elle décide de se lancer dans la science lourde. Les chercheurs fondamentalistes financés par l'Association ont pensé que si elle consacrait 50 ou 60 de MF au Généthon, ce serait autant de moins pour eux. Ils voyaient dans l'AFM la solution au déclin du soutien par les pouvoirs publics à la recherche fondamentale. C'est l'une des raisons pour lesquelles le programme génome humain a été critiqué par de nombreux scientifiques qui disaient que ce n'était pas de la recherche, mais de la technologie. Ces gens ont été littéralement décontenancés par cette Association qui changeait de modèle en cours de route. Après avoir financé la recherche de base, voilà qu'elle se mettait à soutenir des projets technologiques. Au lieu de s'engager dans une délégation de pouvoir à la communauté scientifique, elle passait à un régime de grands programmes qu'elle entendait piloter.
Certes, mais cela ne traduisait-il pas un certain malaise de la recherche fondamentale ?
C'est clair. Actuellement, il y a de nombreux débats en cours chez ceux qui s'intéressent aux politiques scientifiques. Il s'agit de savoir s'il faut préserver la recherche académique au sens traditionnel du terme. Certains opérateurs, notamment les économistes, pensent qu'il faut maintenir cette délégation de pouvoir dont je parlais plus haut, ce dispositif où le `politique' délègue au `scientifique' le soin de produire des connaissances. Or, ce modèle retire aux pouvoirs publics la possibilité de se prononcer sur les orientations de la recherche. Dans un article 'Est-ce que la science est un bien public ?' j'ai engagé le dialogue avec certains économistes en disant que les pouvoirs publics devaient défendre la recherche académique, mais que la justification de ce soutien ne devrait pas être ceux du modèle de la délégation pure et simple. La régulation par la concurrence entre pairs assure que les meilleurs programmes finissent par l'emporter. L'autonomie de la science est justifiée par le fait qu'elle représente un bien public et qu'elle produit des connaissances susceptibles d'être utilisées par tous. Ce que nous avons essayé de montrer au Centre de sociologie de l'innovation (CSI), c'est qu'il faut abandonner l'idée que la science de base n'est que de la production d'information. En analysant l'importance des réseaux sociotechniques et en étudiant leur dynamique, nous sommes arrivés à l'idée que le rôle de la recherche publique est de maintenir la diversité des thématiques et des problématiques scientifiques.
Quelle place doit-on faire aujourd'hui à ces nouveaux opérateurs dans le fonctionnement de la recherche ?
La réponse à cette question fait partie des points aveugles de notre travail. Il faudrait disposer d'un tableau d'ensemble et nous n'avons qu'une vue partielle à partir d'une seule association ! Au fond, je ne sais toujours pas pourquoi l'AFM a réussi à trouver la force de résister à la communauté scientifique, ou plutôt à une partie d'entre elle. Pour avancer, il faudrait sans doute explorer les relations entre Jean Dausset, Daniel Cohen et Bernard Barataud. Il y a là aussi des réseaux qui prennent l'AFM dans leurs mailles (quand Jean Dausset a eu besoin d'argent pour le CEPH, François Gros lui a conseillé d'aller voir Bernard Barataud). Il existe donc à côté de l'AFM un faisceau d'intérêts économiques, scientifiques et technologiques qui ont permis cette coalescence. C'est un sujet intéressant, mais nous ne l'avons pas traité; ce que nous avons fait, c'est de révéler l'existence de nombreuses questions posées par le rôle des associations de malades.