Entretien avec Michel Delaage et Claude Escarguel à Immunotech
Maurice Connat & Jean-François Picard, le 5 janvier 1991 (source : https://histrecmed.fr/temoignages-et-biographies/temoignages)
Industrie pharmaceutique et laboratoires d'analyses
M. D. : L'industrie pharmaceutique a eu longtemps un statut corporatiste, c'est à dire de confusion du capital et du travail, qui limitait beaucoup son développement. Elle s'en est libérée avec la loi de 1941 qui a permis son développement sous formes d'entreprises au sens moderne du terme, ce qui a permis d'y injecter des capitaux importants et donc de développer la recherche. Tel n'a pas été le cas pour les laboratoires d'analyse biologique et ceci y bloque l'injection de capitaux puisque l'on confond l'outil industriel et le patrimoine du biologiste. On se plaint à la fois que nos analyses biologiques coûtent cher, mais d'autre part on maintient une loi archaïque (1975), le pharmacien a la charge des analyses biologiques qui sont sorties de l'officine, mais elles ont gardé un statut corporatiste. Ceci explique le retard de la France par rapport à la situation en Allemagne et au Japon où l'analyse biologique est faîte par des entreprises qui dépassent le millier de personnes.
Chimie et microbiologie
M. D. : Comment travaille l'industrie pharmaceutique française? je vais prendre l'exemple d'un gros industriel, Rhône Poulenc, l'un des leaders du secteur. Au départ, Rhône c'est de la chimie. Sa division pharmaceutique a mis en place toute une organisation pour 'screener' des molécules issues des micro-organismes. On envoie des gens sur le terrain pour ramasser des échantillons de sols ce qui permettrait de détecter des micro-organismes produisant une molécule intéressante. C'est un peu le schéma Flemming avec la pénicilline, mais industrialisé. Chez Rhône ils arrivaient à tester jusqu'à 25000 souches par an à la recherche de molécules utiles en cardiologie, comme antibiotiques, etc... Une fois les souches intéressantes détectées, on purifie pour en extraite le principe actif. Puis c'est de la chimie avec des têtes de série sur lesquelles on fait des broderies. L'efficacité de la recherche est donc liée à deux pôles, la chimie sans laquelle aucune investigation poussée n'aurait été faîte, sinon à rester au stade de la tisane, et le pôle microbiologique où on est assez fort en France grâce à l'Institut Pasteur.
C. E. : Si vous rapprochez la chimie et la microbiologie vous avez le cocktail qui fait l'industrie pharmaceutique. Mais je dirais que la biochimie quant à elle, a joué un rôle mineur. La biochimie au sens de Pierre Desnuelle n'a pour l'instant guère joué de rôle dans l'industrie pharmaceutique. Actuellement la biologie moléculaire commence à pénétrer dans l'industrie pharmaceutique par la petite porte. Cela veut dire qu'on l'utilise pour remplacer des animaux entiers. Par exemple, quand on s'intéresse à un antimigraineux, on a besoin de récepteurs de sérotonine. Soit on broie des cerveaux de chiens, soit on les produit pas des cellules a recombinées. Actuellement, pour la recherche sur le sida, on produit des protéines du virus dans des conditions de bonne sécurité et on peut tester l'inhibiteur.
Recherche fondamentale et recherche appliquée
M. D. : La recherche appliquée n'est pas toujours le fruit de l'exploitation des découvertes fondamentales, mais souvent le fait d'une démarche autonome dont la science fondamentale profite en retour. C'est ainsi que les recherches faites sur les gaz de combat développés pendant la guerre de 1914-1918 a fourni les outils et les concepts qui ont permis de comprendre comme fonctionnait le site actif de la trypsine et d'autres enzymes. Quand on a compris comment marchaient ces produits, on a vu qu'il s'agissait d'inhibiteurs d'enzymes covalents qui se fixaient au site actif. Reste que la recherche appliquée provoque souvent le plus profond mépris chez les chercheurs du CNRS, même s’ils ne crachent pas sur les crédits qu'elle est susceptible de leur procurer.
L'évolution des sciences du vivant
M. D. : Je vais vous dire pourquoi la recherche fondamentale ne sert plus. Pour comprendre les mécanismes fondamentaux de la transmission des caractères, de l'expression des protéines, on avait besoin des mutants et d'une organisation intellectuelle qui venait de la génétique formelle de la drosophile ou de la génétique acarienne. Or, dans la recherche publique, on a tellement dit et répété que l'on était en retard en matière de génétique que l'on a recruté des généticiens qui utilisent la biologie moléculaire pour étudier des mutants. Pourquoi la mouche a t-elle des yeux rouges, etc.. En fait, il s'agit pour eux de faire de la biologie moléculaire pour expliquer des mutations et ils font d'ailleurs de très beaux travaux. Mais la dialectique s'est inversée. On avait besoin des mutants pour comprendre la biologie moléculaire, désormais on l'utilise pour expliquer les mutants ou les maladies dans le cas de pathologies. Donc si je prends l'exemple de Claude Escarguel qui s'intéresse aux mycoplasmes, il va pouvoir cloner les gènes qui l'intéressent. Il n'a pas besoin de travailler sur une drosophile pour pouvoir comprendre ce qui se passe. Or, le CNRS dit qu'il faut que l'on recrute un vrai généticien, quelqu'un qui fait des mutants, qui les croise, qui calcule des fréquences de combinaison que l'on va aller chercher au fond de la Nouvelle Angleterre. A mon sens on a là l'une des explications du développement tardif de la génétique en France.../ On a recruté des gens qui font de la génétique formelle. Certes Thomas H. Morgan était un grand homme et son apport scientifique est immense, mais aujourd'hui cette génétique formelle est remplacée par l'étude des caractères, de leur transmission et de la cartographie du génome.
La génétique moléculaire
M. D. : Aujourd'hui, la génétique moléculaire, tout le monde peut en faire. Elle est devenue l'affaire des enzymologistes. A partir du moment où on a pu disposer d'enzymes de restriction, on a pouvait mettre la génétique formelle au placard. Mais loin de là, on a continué de l'enrichir, on lui crée des postes. J'ai été à la commission 31 du Comité national au CNRS sur la biologie animale et je me souviens que l'on trouvait scandaleux que l'on ait si peu de vrais généticiens, i.e. en génétique formelle ! .../ A mon avis, ce comportement reflète l'impérialisme de certains chercheurs en rapport avec des crédits de recherche qui sont toujours limités. Quand Jacques Monod disait que ce qui est vrai pour la mouche valait pour l'éléphant, ça se traduisait par : "arrêtez les recherches sur l'éléphant et passez-nous les crédits".
Enzymes de restriction
M. D. : On constate que la France n'avait pas d'industrie d'enzyme de restriction. Pourquoi? Alors que le catalogue des enzymes de restriction vous fait balayer toute la microbiologie. Si on n'a pas les modèles biologiques adéquats, on ne peut ni trouver, ni préparer, ni produire des enzymes de restriction. A l'inverse, aux Etats-Unis, c'est parce qu' il y avait une microbiologie vivante et diversifiée, parce qu'ils ne s'étaient pas tous braqués sur une spécialisation trop étroite, qu'ils ont pu découvrir et exploiter les enzymes de restriction, et c'est grâce à eux que l'on peut travailler.
C. E. : C'est un problème français. Notre microbiologie est bonne, au moins dans certaines voies, mais entre les mains de gens qui disposent de tout le pouvoir dans ce domaine. Dans un organisme, quand un vaisseau est bouché, s'ouvre une voie collatérale. Aux Etats-Unis, dans la recherche, il y a beaucoup plus de voies collatérales qui s'ouvrent lorsqu'une voie est bouchée.
Confère l'affaire Benveniste ...
M. D. : Je conteste le terme de scientifique attribué au soi disant phénomène de la mémoire de l'eau, c'est de la pataphysique.../ Jacques Benveniste était un chercheur délirant et connu comme tel par ses pairs. Dans l'affaire, on a trois étapes : le délire, la condamnation par les et le sauvetage par le pouvoir politique.../ Un jour il a réussi à faire passer un papier dans 'Nature', une publication qui aime bien les paradoxes, ça relance les ventes et les journalistes scientifiques ne sont pas toujours très réglo. C'est le début de la polémique. Mais, au lieu de dire à Benveniste d'arrêter ses conneries s'il ne voulait pas qu'on lui retire son unité, Philippe Lazar s'est heurté à une opposition de nature politique, les amis de Benveniste sont intervenus pour qu'il reste en place.
C. E. : Je ne dirais pas tout à fait cela. Beaucoup plus que par rapport au système américain qui laisse plus de champ libre à des affaires qui sortent des sentiers battus, j'ai souvent observé qu'aux Etats-Unis, dans les débats entre scientifiques, on n'a pas peur de s'humilier. En France, on dit : "je remercie monsieur untel, qui vient d'exposer bla, bla, bla..." et ça s'arrête en général là. Donc, quelqu'un qui est un peu délirant peut s'obstiner dans le faux et provoquer une réaction de type : "est-ce que ce type a tort ou est-ce qu'il a raison? Evitons qu'il se fasse descendre immédiatement". En fait, je ne pense pas que ce soient les politiques qui aient protégé Benveniste, je crois plutôt qu'on a essayé de le protéger d'une sanction par les pairs. On a vu des types plus délirants que lui maintenus en orbite et qui ont fini par obtenir des positions plus importantes que la sienne.
Université et grandes écoles
M. D. : On sait que la recherche française a deux origines : la Sorbonne et les universités des siècles passés qui sont des écoles de théologie peuplés de réductionnistes, les ayatollahs de la science et vous avez un autre pôle qui sont les écoles pratiques, les écoles de médecine et les écoles d'ingénieurs. Moi, ingénieur issu de l'école Polytechnique, je me sens très proche du médecin parce que j'ai la même origine socioculturelle. En revanche, je me sens très loin de l'universitaire qui est d'origine théologique. Je me sens tout à fait à l'aise avec le médecin, le pharmacien, parce que nous sommes en réalité formés à l'étude du problème et non à la transmission d'un dogme. J'ai été boursier DGRST, j'ai fait une thèse en enzymologie et je suis devenu chercheur CNRS, puis professeur à la faculté et maintenant je suis industriel. Quand je suis arrivé à l'université avec mon diplôme de polytechnicien, on l'a déclaré nul et non avenu et on m'a prié de recommencer le cursus. On m'a généreusement octroyé la première année à la fac de science et on m'a autorisé à faire sept certificats réglementaires, voilà la profondeur du fossé culturel entre l'université et les grandes écoles!
Médecins et chercheurs
M. D. : C'est à partir de la recherche appliquée qu'on développe des concepts qui constituent ce qu'on appelle la science fondamentale. A cet égard, la démarche de Jean Bernard est tout à fait exemplaire, comme celle de Jean Hamburger... Ils sont partis des problèmes concrets que leur posait leur activité clinique pour remonter vers la compréhension des phénomènes biologiques. Je voudrais attirer l'attention sur un évènement significatif qui est la loi universitaire d'Edgard Faure de 1968. Que s'est il passé à l'époque? En restructurant le système universitaire, les médecins se sont séparés des scientifiques. Autrefois les scientifiques assuraient la formation des deux premières années de médecine, il y avait un tronc commun. En 1968-1969, les médecins ont profité de la restructuration de l'Enseignement supérieur pour créer leur premier cycle parce qu'ils ont eu peur des dérives théologiques de la faculté des sciences. L'esprit qui régnait dans les facultés de science de l'époque leur a paru incompatible avec leurs objectifs professionnels. Je dis que le lien entre faculté de sciences et faculté de médecine a été rompu en 1968. L'héritage culturel des facultés de médecine est un héritage d'école à finalités professionnelles. Il est donc très différent de celui des facultés de sciences et de lettres qui relève de la théologie, du dogme et de la scolastique. Mais cela n'empêche pas les médecins d'être de parfaits corporatistes. Le fait que les polytechniciens et les médecins considèrent que leur job crée sa finalité induit une mentalité de propriétaires récoltants avec transmission du patrimoine acquis...
1980, la genèse d'Immunotech
M. D. : A Immunotech, le premier atout est d'avoir pris conscience des possibilités de l'immunologie moderne, le second est la proportion de son chiffre d'affaire consacré à la recherche. Les grosses sociétés sont lentes à se mouvoir, mais comme elles peuvent prendre le train en marche, elles n'investissent pas tout de suite dans un nouveau domaine de recherche. En 1980, on connaissait les anticorps monoclonaux développés à l'Inserm par François Kourilsky. Mais comme la grande industrie ne se mobilisait pas, elle risquait de passer à côté des applications des monoclonaux au diagnostic et à la thérapeutique. François Kourilsky qui avait joué un rôle très important dans la découverte des anticorps monoclonaux réalisée en Angleterre (César Milstein & Georges Köhler, Nobel 1984) et il a eu le souci qu'elle soit bien relayée en France. Il avait compris leur importance en termes de recherche fondamentale comme en matière d'application au diagnostic et à la thérapeutique. Il a donc incité le gouvernement et l'Inserm en particulier, a financer ce type de recherche et à former les gens à ces nouvelles technologies. Il a participé au processus de fondation d'Immunotech en incitant l'Inserm à passer une convention ad hoc au début des années 1980.Moi-même j'étais chercheur au CIML. Mais à l'époque je l'avais quitté pour aller à Bordeaux et je suis revenu ici pour lancer Immunotech.../ L'immunologie possède intrinsèquement la diversité des molécules dont on a besoin pour faire de nouveaux médicaments. Le répertoire des anticorps, des récepteurs T comprend des dizaines de millions de molécules différentes. C'est le vivier dans lequel on peut puiser pour fabriquer des monoclonaux. On a sur place une souche prélevée sur l'animal et on n'a pas besoin d'aller chercher des molécules en Patagonie.
Implantation au Centre d'Immunologie de Marseille-Luminy
M. D. : Immunotech est une société anonyme, locataire dans les locaux de l'Université. Dans les années 1960, l'Université d'Aix-Marseille avait construit à Luminy des bâtiments pléthoriques et d'ailleurs inachevés (5000 m2 inoccupés en 1991) et il était intéressant de s'y installer. C'était une carcasse, on a posé des cloisons, l'électricité, des carrelages, etc... Et nous nous avons emménagé à côté du Centre d'Immunologie CNRS-Inserm (CIML) avec lequel nous avons entretenions d'étroits rapports. Le CIML nous a fournit des chercheurs, ce qui nous permet de consacrer 30% de notre chiffre d'affaire à la recherche, ce que nous n'aurions jamais pu faire si nous nous étions installés à Vitrolles.../
Aide au diagnostic et protocoles thérapeutiques
M. D. : La façon dont on travaille à Immunotech consiste à saisir une opportunité à partir du diagnostic. Un anticorps est utilisé comme un outil de recherche, par exemple un anti récepteur. Cet anticorps sert ensuite à diagnostiquer les situations d'activation du système immunitaire. Il est aussi inhibiteur et il va servir à remettre au repos le système immunitaire, fonction thérapeutique. La même molécule va changer de statut, produit pour la recherche, produit pour diagnostic, puis produit thérapeutique. Bien sur, cela est aussi vrai pour les vaccins, pour les antigènes, pour les allergènes. Le même venin sert à tester la réactivité du sujet infecté et aussi à le désensibiliser. Mais ce processus d'intégration est resté relativement limité et je pense que l'avenir sera celui de l'intégration du diagnostic et de la thérapeutique au sein d'une même société. Actuellement ces activités sont séparées, quelques géants américains font les deux, mais dans des départements complètement distincts.../ Je prends l'exemple des anticorps que l'on utilise pour faire de l'imagerie in vivo. On utilise de l'indium 111 pour allumer des tumeurs et voir les métastases, mais ces mêmes produits, si on change l'isotope ou si on change la dose, peuvent servir à détruire la tumeur.../ Une autre évolution se dessine avec la pathologie et le fait que la biotechnologie nous amène des molécules extrêmement spécifiques Vous n'avez pas deux cancers pareils et si on veut avoir des produits efficaces qui ne concernent qu'un très petit nombre de patients, il faut isoler les molécules les plus efficaces. Ca c'est un handicap pour l'industrie pharmaceutique qui est habituée à ratisser large. Peut être qu'à cause de cette difficulté de diversification, l'industrie pharmaceutique va peut être se trouver confrontée aux mêmes problèmes que la sidérurgie. Si vous cherchez un antibiotique à large spectre, il faut stimuler 250 molécules. Mais si vous cherchez le truc qui bloque les sous-types HIV-ANDK etc..., là vous pouvez espérer trouver quelque chose grâce à la biotechnologie. L'antiviral universel n'existe plus. L'industrie pharmaceutique arrive un peu à la fin d'une période où elle a correctement dégagé ce qui était à 'large spectre' et donc à très gros marché, mais désormais les nouveaux produits, les 'orphan drugs' représentent un créneau pour les petites sociétés.
Des modèles biologiques sur lesquels travailler, les mycoplasmes
M. D. : Ce qui est un peu fâcheux, c'est la réduction du nombre des modèles biologiques, alors que la biologie moléculaire ouvre l'accès à tout être vivant et que les enzymes de restriction et les enzymes d'amplification de gènes permettent d'aborder n'importe quelle espèce vivante. A l'époque de Jacques Monod ou de François Jacob il était utile de concentrer les efforts et Jacob a préconisé de se spécialiser sur la souris, mais aujourd'hui la biologie moléculaire rend possible l'étude en direct toutes les espèces et à il ne me parait plus justifié de réduire le nombre des modèles biologiques. Il faut en garder un nombre raisonnable, parce que les modèles biologiques ne permettent pas d'étudier avec la même facilité tous les problèmes qui nous intéressent (la sexualité ne s'étudie pas facilement sur des micro-organismes, bien qu'il y ait une sexualité bactérienne, mais c'est tout de même assez spécifique). Voyez le problème posé à Claude Escarguel par les mycoplasmes sur lesquels il est l'un des seuls à travailler en France. Il est embété parce qu'il n'a pas les collections, les cultures, pour la mise au point des tests... Pourquoi, parce que les mycoplasmes sont considérés comme une espèce mineure. Il y a une quinzaine d'années, quand j'étais à Bordeaux, on parlait d'un fantasme.../
Le mot mycoplasme désigne un genre bactérien qui ne produit pas de paroi cellulaire et les mycoplasmes sont insensibles aux familles antibiotiques ciblant les parois cellulaires. Ce genre contient plus de 100 espèces de bactéries qui sont parasites ou saprotrophes.Les maladies sexuellement transmissibles bactériennes à Mycoplasma n'ont été que relativement récemment identifiées, dans les années 1980. Elles semblent en plein développement chez l'humain. Les petites tailles de cette bactérie (moins de 1 µm) et de son génome intéressent les généticiens. C'est à partir de Mycoplasma genitalium qu'a été fabriquée, en 2007, Mycoplasma laboratorium, la première bactérie construite pargénie génétique autour d'un chromosome de synthèse (chromosome artificiel bactérien) [source : Wiki] |
C. E. : Je suis pharmacien d'origine. Mon domaine, c'est l'aide au diagnostic qui débouche sur les molécules actives pour l'industrie pharmaceutique. Quand on a débuté il y a avait en gros trois éléments en France dans ce domaine : les EPST, l'Institut Pasteur et Mérieux, donc une grosse structure privée qui était le principal concurrent de Pasteur. C'est alors que sont apparues certaines niches, des demandes, issues de l'hôpital et des utilisateurs. Le marché ne disposait pas des produits qui donnaient satisfaction.../ Le problème, c'est la spécialisation. Dans la recherche si l'on ne donne pas autant d'importance à l'élément extérieur qu'à l'élément ciblé, on reste à côté du problème. A propos des mycoplasmes, on a pu regrouper autour de nous des gens qui étaient prêts de la recherche fondamentale (virologie, génie génétique) tout en continuant à travailler dans le milieu médical et déboucher sur quelque chose de général. Un point dangereux dans le milieu médical, c'est l'hyper sectorisation. Prenez le cas de l'immunologiste, il ne fait pas d'hématologie. Le bactériologiste ne fait normalement pas d'immunologie et de biochimie, mais on s'aperçoit que la solution ne vient pas de ce saucissonnage, découpée, elle provient aussi bien des connaissances biologiques, hématologiques, immunologiques, voire de la physiologie pour ne rien dire d'observations de bon sens et d'équilibre de la nature.../ |
Nécessité de la proximité avec la clinique
C. E. : A Immunotech, on est donc parti sur le mycoplasme qui désigne une famille de micro-organismes dont certaines propriétés les rapprochent des bactéries, d'autres des virus, qui sont à l'origine d'un certain nombre de maladiesinfectieuses chez l'homme (pneumopathies, MST) et on a réussi à mettre au point un test de dépistage. C'était sur un créneau un peu particulier, une niche, qui nous a permis de travailler dans des voies où l'on était relativement tranquilles sur le plan de la concurrence industrielle et commerciale. Si tout le monde avait travaillé sur le mycoplasme plutôt que sur le sida, jamais nous n'aurions existé.../
M. D. : Le sida, on comprend comment ça marche, mais on reste démuni pour le combattre. La solution viendra à mon avis de la chimie, mais je ne sais sous quelle forme. Il est possible que les gens qui font l'étude des structures vont définir la molécule qui inhibera correctement la retro transcriptase. Peut-être que des milliers de molécules que l'industrie pharmaceutique a mis au placard parce que sans intérêt, émergera une molécule intéressante.../
C. E. : On s'est donc aperçu que notre produit était pratique, on a pu l'améliorer et le développer parce que j'étais à l'hôpital et, à partir de là, on s'est dit pourquoi ne pas le commercialiser. En fait, les choses ont pu se faire ainsi parce que, face aux grosses structures que sont Mérieux ou Pasteur, la seule chance d'existence pour une petite société qui part de zéro (comme Immunotech), c'était la rapidité du passage de l'idée à la pratique. On a toujours été maître et libre de nos mouvements. On avait cent francs à dépenser, on les dépensait du jour au lendemain. On prenait des risques, ça marchait tant mieux, ça ne marchait pas tant pis, mais on avait les mains libres. C'est un du gros avantage du privé, par rapport au public. Si on avait du faire selon les normes du secteur publique, il fallait d'abord proposer une prise de brevet à la direction hospitalière, et si elle refusait, de trouver une autre voie, etc... et cela aurait abouti à un cul de sac comme dans 80% des cas. Moi j'avais suffisamment d'expérience de la réforme hospitalière, pour savoir que six ans d'investissement, de travail, de connaissance peuvent aboutir à un cul de sac.../ En revanche, la localisation de la recherche à l'hôpital est essentielle. Si nous fonctionnons comme un petit laboratoire Inserm, i.e. qui distingue la présence à l'hôpital du travail de recherche et du travail de routine, l'application immédiate de nos cogitations à la réalité nous permet d'aller très vite. Quand on a une idée qui débouche sur un cul de sac, on s'en aperçoit rapidement à l'hôpital, alors que dans une autre structure, on aurait travaillé dessus trois mois avant de la présenter et on ne s'en serait pas aperçu parce qu'il n'y a que sur l'application directe sur le malade. C'est vrai en microbiologie, comme en chimie, l'environnement matériel n'est pas le même selon que l'on travaille sur un seul germe in vitro que quand on l'étudie au sein de la flore complète dans un environnement physiologique. On a formalisé cela selon le concept du triangle : petit laboratoire de recherche appliquée avec ses chercheurs, praticiens de l'hôpital ou du secteur privé qui brasse un certain nombre de malades et enfin l'industrie chargée de la fabrication et de la vente. Plus les trois angles sont proches, mieux l'information circule.
Comités d'éthique
M. D. : Ce sont les médecins ont inventé les comités d'éthique. Mais ils se sont fait déposséder par le législateur qui y a introduit des membres du Conseil d'Etat, des représentants des syndicats... De fait, le comité d'éthique a un certain parfum idéologique, corporatiste, qui marque objectivement une limitation à l'activité scientifique.
C. E. L'éthique a des avantages et des inconvénients. Le régulateur empêche parfois d'aller plus vite, mais inversement parfois d'aller trop vite. Dans le domaine médical, procréation, génie génétique ou certains types de thérapeutiques à base d'isotopes radioactifs, l'éthique est nécessaire. Il est bon que des personnes extérieures, des médecins entre autres, amènent un peu de bon sens par rapport à certaines visées des chercheurs.