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Entretien avec Jean-François Prud'homme, le 4 avril 2010 (D. Gutheleben, J.-F. Picard) suivi d'une discussion sur la thérapie génique avec Laurence Esterle le 11 avril 2011 (script K. Gay)

Prudhomme Berger
DR

Pourriez-vous dire un mot de votre background monsieur Prud’homme ?
Au cours de l’internat, j’ai eu la chance de passer un an au Canada dans le cadre d’un échange franco-québecois. Mais je n’étais qu’à moitié content parce que je ne parlais pas très bien anglais. Né en 1947, mon père avait décidé que ma formation serait latin-allemand, il considérait que pour apprendre l’anglais, il fallait d’abord faire de l’allemand. Donc quand je me suis retrouvé au Québec, je disais aux mecs que je ne parlais pas bien l’anglais et ils me répondaient : 'pas de problème, nous on ne veut pas le parler'. Donc ce n’était pas le meilleur bain linguistique… ! Bon, cela m’a tout de même permis de voir ce qu’était la médecine anglo-saxonne. Elle n’a rien à voir avec la médecine française. À l’époque pour celle-ci le clinicien était le roi, là-bas c’était le biologiste.

Quand avez-vous commencé à faire de la paillasse ?
Interne, j’ai fait de la biochimie pour devenir l’équivalent de chef de clinique assistant, bi-appartenant. J’ai travaillé dans un laboratoire de l’Assistance Publique puis dans un laboratoire de recherche à Bicêtre (Edwin Milgrom). J’ai fait des recherches sur le cancer du sein pendant treize ans. Mais si je n’avais rien fait, cela serait revenu exactement au même : le domaine était assez difficile puisqu’il concernait la portion la plus biochimique de la médecine, l’hormonologie, l’endocrinologie.

Dans quelles circonstances êtes-vous entré à Généthon ?
J’ai été recruté en janvier 1992 par Daniel Cohen. Je l’ai rencontré par hasard. Je cherchais du boulot. Quand on est assistant bi-appartenant normalement maintenant c’est au maximum quatre ans. Moi j’y suis resté douze ans. C’est le statut des précaires ! De même qu’il y a des précaires en sciences, il y avait dans le temps des précaires en médecine ! Si vous êtes nommé agrégé ça va, mais si ce n’est pas le cas, ça ne marche pas. Depuis, on a créé les mono-appartenants qui n’existaient pas à l’époque. Donc, j’ai été engagé à ‘Généthon’, un organisme que j’ai donc eu la chance de connaître à ses débuts. Vous savez que Généthon a démarré en octobre 1990. Ils avaient besoin de quelqu’un qui s’occupe de la banque d’ADN parce qu’ils avaient compris qu’il fallait le collecter sérieusement auprès des familles. Une étude génétique c’est d’un côté des familles, plus elles sont belles, en terme génétique - ça veut dire plus elles sont grandes, avec de nombreux patients, plus elles sont consanguines -, plus l’analyse génétique est facile.  

Et vous avez travaillé avec Jean Weissenbach
Daniel Cohen est parti assez rapidement (début 1993) et mon patron est devenu Jean Weissenbach. C’est avec Jean que j’ai participé aux cartes génétiques (1992 –1996), celles qui ont transformé l’analyse des maladies génétiques. La carte à laquelle j’ai participé est celle des hybrides d’irradiation, où l’on positionne des marqueurs non-polymorphes sur les chromosomes. Par la suite, malheureusement, Généthon a changé d’orientation, et en 1996-1997 Jean Weissenbach est parti pour créer le Centre National de Séquençage (CNS). 

Vous l’avez suivi au CNS ? 
Non, je suis resté à Généthon pour continuer à m’occuper de la banque d’ADN et de la collecte des familles. J’aurais dû passer au Centre National de Génotypage (CNG) avec Mark Lathrop, mais cela n’a pu se faire à cause d’une affaire de contrats et de magouilles. Je suis donc resté à Généthon alors que cet organisme était en train de se réorienter vers les thérapies géniques. Mais j’avais l’impression d’être devenu une sorte de verrue qui ne servait pas à grand-chose… J’ai quand même fait des boulots avec des gens du CNG mais pas ce qu’on aurait dû faire s’il y avait eu une évolution logique à Généthon dans l’analyse des maladies génétiques. 

Daniel Cohen est médecin, mais pas Weissenbach qui est pharmacien. Cela fait-il une différence dans l’affaire ?
Complètement. Daniel Cohen se vante d’être à la fois un musicien et un ingénieur. Un ingénieur, ce n’est pas tout à fait exact, mais il aime bien l’ingénierie. C’est lui qui est à l’origine de Généthon. C’est la rencontre de Daniel Cohen au point de vue scientifique avec Jean Dausset comme garantie scientifique et de Bernard Barataud au point de vue financier et décisionnaire. C’est donc Daniel Cohen qui a proposé à Jean Weissenbach de faire la carte génétique. Il est allé le voir à Pasteur et ce dernier est venu travailler au CEPH pendant six mois. Ils ont étudié la possibilité de faire la carte génétique. Au bout de six mois Jean a dit que c’était possible pour une centaine de marqueurs. Cohen lui a répondu qu’il en faudrait 5 000 ou 50 000 ! Jean lui a dit que ça n’était pas possible car beaucoup trop cher. Daniel lui a répondu : "ne t’en fais pas. J’en fais mon affaire"… Et c’est ainsi que les ‘Frenchies’ ont réussi à lancer l’affaire, à la surprise et au grand dépit des Américains. 

Daniel Cohen avait créé le CEPH avec son patron Jean Dausset, quel a été le rôle de celui-ci dans l’entreprise ?
C’est Dausset qui a eu cette idée très importante de collecter des grandes familles. Mais l’affaire de Dausset, effectivement c’est l’étude du HLA. Le HLA ça impliquait, entre autres, les greffes de peau… Il avait l’avantage de travailler avec les gens de la SNCF, donc il disposait d’une collection superbe de familles françaises, des familles de grande taille, des gens très fidèles. L’étude du HLA c’est l’étude de l’histo-compatibilité. Cela concerne ce qui se passe quand on greffe quelque chose d’étranger sur un individu. C’est de la biochimie. Ensuite il a essayé de transmettre cette idée que de mettre à la disposition des chercheurs des banques de cellules issues de grandes familles permettrait de travailler plus rapidement sur la compréhension du HLA.

HLA –> familles = hérédité –> génétique ?
Voilà, c’est Jean Dausset qui a eu cette idée. Celles de Daniel Cohen sont un peu comme celles de Bernard Barataud. Autrement dit passer d’une science un peu artisanale à une science quasi industrielle. Qu’est-ce que c’est un chercheur finalement ? C’est un gars qui est dans une pièce avec des bocaux à cornichons sur sa paillasse et qui a ses petites idées… Cohen comme Barataud eux avaient une vision en grand : industrialiser, automatiser, etc. Jean Weissenbach quand on lui disait que c’était facile de cartographier le génome avec des robots, ça l’énervait. Il disait que les robots c’étaient les hommes.

Soit, mais ce programme génome repose tout de même sur l’essor des biotechnologies
C’est capital dans l’histoire, ce dont j’ai d’ailleurs discuté avec Jean. Je lui ai demandé : "Tu as fait les premières cartes du génome, est-ce que tu avais le sentiment de ce que tu faisais ? 
- Oui, je savais que c’était important
- Mais à ce point là ?
- Tu as probablement raison. Je n’ai peut-être pas imaginé à quel point cela serait utilisé". 
La grosse différence entre Daniel Cohen et Jean Weissenbach, c’est que le premier est un intuitif, un type qui va très vite mais qui ne contrôle pas les choses. L’autre est un Alsacien extrêmement rigoureux, un gars qui vérifie tout. Si on dit à Jean qu’il y a un gué, il va vérifier en mettant son pied pour s’assurer qu’il y a bien une pierre. Daniel dira, lui, si on lui dit qu’il y a un gué, il dira : allez-y les gars, traversez ! Si vous prenez la carte faite par Daniel, vous verrez que son principe est essentiel et qu’elle a mobilisé les gens et des moyens, mais qu’elle est mauvaise parce que les hybrides - les chromosomes artificiels de levures créés - sont chimériques. Je me souviens de discussions dans les années 1992-1993. Jean Weissenbach disait à Daniel Cohen : "ta carte a forcément des chimères. Pourquoi ne regardes-tu pas ce qui est chimérique avec les marqueurs qu’on a individualisé ?
- Mais non, ce n’est pas chimérique et si ça l’est un peu, ça n’a pas d'importance". Il était convaincu que le chimérisme, c'est-à-dire l’hétérogénéité des fragments d’ADN humain clonés dans les chromosomes artificiels de levure (YAC) était faible, pas plus de 3 ou 4 %... Alors qu’en fait, il atteignait 80 % !

Sa carte a tout de même marqué le début de l’entreprise
Par la suite, les Américains ont fait un travail très rigoureux en utilisant les mêmes outils, mais on l’imagine à leur manière. Il y avait un génomicien américain qui est venu pour les cinq ans de Génopole, William Haseltine je crois, qui nous a dit un jour : "Je suis venu, il y a dix ans : ce que vous faisiez était génial. Je suis retourné aux Etats-Unis, j’ai fait la même chose, simplement avec plus de moyens. Je reviens dix ans plus tard et qu’est-ce que je vois ? Vous ne faites plus rien… Pourquoi ?" 
Alors Barataud lui lance : "dites à ce monsieur que c'est parce qu’on n’est pas des boy-scouts ! 
- Mais je posais la question parce que je pourrais vous aider...
- Merci, mais nous, on s’occupe des maladies rares 
- Oui mais moi, les maladies rares ça ne m’intéresse pas…"

Le passage du génome humain aux génomes bactériens marque une vraie rupture
Jean Weissenbach est le genre de personne qui, lorsqu’il se lance, veut que les choses soient parfaites. Récemment, j’ai montré à Pierre Tambourin la carte du génome humain qui n’est pas complètement terminée. Il y a des régions très difficiles à cloner et il y a forcément des erreurs. Or, le chromosome humain où il y a le moins d’erreurs est celui qu’a séquencé Jean Weissenbach. Même si ce n’est pas un grand chromosome, quand on regarde la carte récemment publiée dans ‘Science’, celui qui a seulement une erreur est le chromosome 14, le sien. Donc c’est Daniel Cohen qui a eu l’idée de Généthon, mais la notoriété des cartes de Généthon, c’est d’abord celle de Jean Weissenbach, puis de Daniel Cohen et enfin celle de Charles Auffray.

Charles Auffray avait lui aussi rencontré des problèmes de contamination
Charles Auffray n’a pas compris qu’on lui offrait des moyens considérables, mais qu’il ne pouvait pas faire en même temps deux choses dans deux endroits différents. Il est le premier à avoir fait du séquençage d’ADN complémentaires et tout le monde s’est gaussé quand il a publié ses banques : "Oh l’imbécile ! Il a séquencé des bactéries et de la levure". Il y avait effectivement une petite contamination, mais sans plus. Il a été surpris par l’agressivité des collègues et il n’a pas répondu. Il a préféré laisser courir. Effectivement, il y a eu une erreur technique et il a séquencé de la bactérie et de la levure, mais il y a un certain nombre de gènes que les gens ont dit être bactériens ou de levures et qui, en fait, sont humains. Le problème est qu’il ne contrôlait pas son équipe. Jean Weissenbach, à l’inverse, contrôle tout. Quand j’étais sous sa direction, il organisait des réunions une fois par semaine de l’ensemble du labo et il écoutait tout le monde. J’appelais ça la messe. Il ne laissait absolument rien au hasard.

Pourquoi Weissenbach a-t-il quitté Généthon ?
En fait, il en avait marre de la génétique humaine. Il s’est d’ailleurs vraiment engueulé avec Bernard Barataud et il est parti s’occuper de la génétique bactérienne. La raison était assez simple, comme il le dit lui-même : les bactéries, ça ne parle pas ! 

Mais l’ADN humain, non plus, ne parle pas…
Non, mais avant d’avoir l’ADN humain il faut causer ! Or Jean désirait mener les recherches qu’il voulait. De plus, il estimait que l’affaire du génome humain n’allait pas évoluer assez vite. Il faut voir que ce qu’a fait Généthon a consisté à mobiliser tout le monde sur un certain nombre d’objectifs et de montrer comment il fallait faire. Il lui revient d’avoir créé la première banque d’ADN et de cellules. Bien sûr, il y en avait aussi dans les hôpitaux, mais c’était artisanal. La vision de Généthon c’était la vision de  Bernard Barataud, quelqu’un de l'EDF qui a une perspective de service public. L’argent ne l’intéresse pas en soi, mais deuxièmement il sait voir grand. Si on lui dit qu’on va électrifier un quart de la France, il répond : on fait tout ou l’on ne fait rien, mais on ne reste pas entre les deux. Enfin, comme il l’explique bien dans son bouquin (‘Au nom de nos enfants’) la myopathie lui est tombée dessus comme la vérole sur le bas clergé. Il n’a pas choisi. Il a essayé de comprendre, et il est allé en particulier voir les médecins. Il raconte qu’il a vu un gars qu’on lui a présenté comme étant le chef, celui qui s’occupe le plus des myopathies, un gars dans un labo avec un bec benzène et c’est tout. Il s’est dit que ça n’était pas possible, que ça ne pouvait pas être ce gars-là, avec les moyens qu’il avait, qui allait trouver la solution pour guérir son gamin. Le gars en question, c’était Jean Demos. Ensuite ça a été Jean-Claude Kaplan et aussi Georges Schapira.

Bernard Barataud insiste beaucoup sur le rôle de François Gros pour orienter l’AFM vers la recherche...
Bernard Barataud appelait Généthon "l’opération sulfureuse". Daniel Cohen savait qu’il lançait un truc que les Américains voulaient faire et Bernard Barataud sentait que c’était du sérieux. Mais il devait mettre le conseil d’administration de l’AFM dans le coup. Ils ont créé un petit comité constitué de quatre personnes pour essayer de valider l’investissement nécessaire : Jean RosaFrançois Gros, Jean-Claude Kaplan et Jean-Louis Mandel. C’est tout simple, Jean-Louis Mandel est copain avec Jean Weissenbach (ils sont en plus nés le même jour dans la même clinique !). Il était très favorable au projet. Jean-Claude Kaplan, lui, y était très hostile. François Gros très diplomate était sans avis. C’est donc Jean Rosa qui a fait pencher la balance, ce dont Jean Weissenbach lui est très reconnaissant. Mais il y avait aussi l’hostilité de Jean Frézal qui faisait partie du conseil scientifique de l’AFM. Cela étant, et Barataud l’a toujours dit, Frézal a eu le courage et l’honnêteté de reconnaître qu’il s’était trompé. Voilà comment s’est fait Généthon !

L’apport de Généthon en médecine ?
Qu’est-ce que Généthon a changé ? Une explosion phénoménale des connaissances en génétique ! On en arrive maintenant à ce qu’on pourrait appeler la clinique inverse. Le nombre de maladies d’origine génétique ne cesse d’augmenter. Ca pose évidemment des problèmes au niveau thérapeutique. Qu’est-ce qui vous dit que si vous faites quelque chose ou que si vous ne faites rien, cela ne reviendra pas au même ? Il y a une évolution spontanée. On ne sait pas. Donc on voit bien qu’il va y avoir une accumulation très importante à faire en terme de nosologie. Du point de vue du diagnostic, il y a trois grands groupes quand on regarde l’ensemble des maladies génétiques.
- Premier groupe : les maladies génétiques où quand on regarde les signes cliniques on peut dire c’est tel gène de telle maladie, mais ce sont les moins nombreuses (10 %).
- Deuxième groupe : les maladies génétiques où vous avez un ensemble de signes cliniques, mais vous ne pouvez pas dire si c’est tel ou tel gène. Là, les évolutions sont très variables.
- Troisième groupe : les maladies dont les gènes ne sont pas encore identifiés. Donc il va y avoir une accumulation phénoménale de connaissances.
Ceci a des conséquences importantes : la prise en compte par les médecins de ces maladies, et de l’archaïsme de leur pratique. Aujourd’hui, la vision encyclopédique et classique de la médecine ne correspond plus à rien. On est passé à un mode de compréhension où les techniques priment tout et cela est dû à Bernard Barataud, à l’AFM et au Téléthon avec les maladies rares. C’est valable pour les maladies rares, mais aussi pour les maladies fréquentes. Il y a deux autres choses qui changent le paysage quand on regarde ça à très long terme. 1990 : les cartes du génome, 2003 : le séquençage, 2006 : les cellules iPS (cellules souches). L'affaire est en train d’exploser avec ces deux trucs - i.e. le séquençage et les cellules souches - qui offrent des possibilités de diagnostic, de screening des molécules et éventuellement de thérapie. On entre dans un domaine où Daniel Cohen avait compris que la médecine pouvait devenir opérationnelle grâce aux nouveaux outils des biotechs.

D’où le lancement de l’histoire du programme génome ?
Il y a un an, Jim Watson a convoqué une réunion où il a invité des historiens, des gens qui ont participé à l’aventure, des chercheurs du génome. Il y avait un Anglais (… ?) et un Français (J Weissenbach). Il leur a dit : il y a eu trois aventures exceptionnelles au cours du vingtième siècle, l’atome, le génome et la conquête spatiale. On a écrit l’histoire de l’atome, de la conquête spatiale mais pas celle du génome, il faut donc la faire ». Donc chaque pays doit collecter des documents pour ensuite les mettre dans une base de données commune aux Etats-Unis. Dans cette réunion, il y avait Francis Collins qui est maintenant directeur du NIH. Ce programme anglo-franco-US est à visée grand public, historiens et scientifiques. Peut-être y ajoutera-t-on ensuite les Allemands, les Japonais et les Chinois, ce qui serait opportun compte tenu de ce qui a été réalisé par eux au cours de cette aventure. Donc Jean a accepté, mais le problème est qu’il est surbooké… Et il ne faut pas s’y noyer. Il y a une quantité phénoménale de documents à traiter, des cahiers de laboratoire, des publications, des actes décisionnels, etc. Globalement, la période à prendre en compte se situe entre 1975 et 2003 (je rappelle que si en 2003 on a annoncé le séquençage du génome humain, c’est que nous étions 50 ans après la découverte de l’ADN). 1975, c’est le début du clonage des gènes et en 1977 le début du séquençage… Puis, c’est l’histoire du CEPH, en Europe d’EUROGEM’, puis de Généthon et ensuite c’est le CNS (Génoscope) - CNG. Au niveau de Généthon entre 1990 et 1997 ce sont les cartes du génome avec Daniel Cohen, Jean Weissenbach, Charles Auffray puis après et jusqu’à la fin essentiellement Jean Weissenbach. En 1997, avec l’arrivée d’Olivier Danos, un virologue formé à l’Institut Pasteur qui est allé aux Etats-Unis, Généthon développe un programme de vectorologie et de thérapies géniques. Mais Danos part fin 2004 et l’on rentre dans des applications cliniques de la vectorologie.

Aujourd’hui en France, sur le plan institutionnel, comment se présente l’organisation de la recherche génomique ?
Le CNS et le CNG sont donc regroupés au sein d’un groupement d’intérêt public (G.I.P.) et dépendent aujourd’hui du CEA sous le nom d’’Institut de génomique’ dont le patron est Jean Weissenbach (Jean n’était pas très satisfait que ça soit rattaché au CEA mais comme un GIP n’est pas une structure pérenne, contrairement au CEA, cela a permis de stabiliser l’entreprise). Donc, à l’instigation de Bernard Barataud, le gouvernement a investi le domaine à partir de 1997 avec la création du CNS-CNG. Il disait qu’il fallait une structure pour faire des recherches sur les médicaments et il a réussi à mobiliser les autorités locales (la Région, le département). Quant à Génopole (dirigé par Pierre Tambourin) sa fonction est d’assurer la coordination entre l’AFM, Généthon, le CNS (Génoscope); le CNG, l’Université, et les sociétés de biotechnologies. Mais le Génopole d’Evry (le G.I.P.) ne dépend pas du CEA.

Le Généthon quant à lui était la boîte à outil de Bernard Barataud. L’AFM à l’époque ne le considérait pas comme ça (mais plus comme quelque chose extérieur à l’AFM), alors qu’aujourd’hui, c’est le contraire. En 1990, Généthon avait été créé comme une association ‘loi de 1901’ par le CEPH et l’AFM. Son premier financeur à 90 % c’est l’AFM. Ce qui représente un budget de 22 M€ par an à la date d’aujourd’hui. On peut distinguer trois phases : entre 1990 et 1997, on fait les premières cartes du génome, en 1997 Jean Weissenbach s’en va et crée le CNS. Généthon avec Olivier Danos a pour nouvel objectif le développement de la thérapie génique (1997-2005). La troisième phase est l’application à l’homme de la thérapie génique à partir de 2005. Le CNG (comme avant le CNS) est créé grâce à une mobilisation de Bernard Barataud et du gouvernement qui commence à investir plus directement dans la génomique à partir de 1993-1995, mais l’AFM reste très impliquée. 

Puis il y a la création d’Istem (Institut des cellules souches pour le traitement et l’étude des maladies monogéniques-2005) et celle de l’Institut de Myologie (1996). Pour Istem, l’AFM participe à 50 % du budget de 7 millions d’euros. L’institut de Myologie a également un budget de 7 M€ et l’AFM y participe à plus de 90 %. Dernière chose à préciser : on voit bien que Généthon était une excroissance qui fonctionnait en dehors du système. C’est ce qu’a très bien compris Arnold Munnich à l’hôpital Necker qui développe un programme qui s’appelle ‘Imagine’. Munnich est conseiller spécial de Sarkozy. Le budget initial qui était de 30 M€ atteint aujourd’hui 180 M€… La deuxième personne qui a parfaitement compris le système est Philippe Froguel (‘Génomique et physiologie moléculaire des maladies métaboliques’ de l’Institut Pasteur de Lille). La troisième est Alexis Brice avec les maladies neurologiques, Alzheimer, Parkinson et toutes les autres maladies neuromusculaires à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Et puis il y a aussi l’IGBMC de Strasbourg avec la clinique de la souris. 

Donc, globalement, la France est assez puissante dans ce secteur et l’on voit bien les modifications opérées dans le domaine des études génétiques sur le plan scientifique, sur le plan médical avec les plans des maladies rares) et aussi sur le plan social avec le rôle considérable des associations de patients.

 

Discussion sur la thérapie génique avec J.-F. Prud'homme, L. Esterle et J.-F. Picard le 11 avril 2011 (script K. Gay)

 

J.-F. Prud’homme - sur les thérapies géniques, il y a un certain nombre de protagonistes - Alain Fischer, Olivier Danos, Philippe Moullier, Jean-Michel Heard, François-Loïc Cosset (Lyon), Eric Kremer (Montpellier), Frédéric Révah, Serge Braun, Fabienne Rolling (Nantes - thérapie génique oculaire), Mauro Mezzina (qui travaillait avec Sarasin puis est allé au Genethon s’occuper du GVPN ‘Gene Vector Production Network’ et qui est maintenant à l’EASCO, European Association for Scientific Career Orientation, 47 Avenue Reille, 75014 Paris), Otto Merten (Genethon) qui a travaillé longtemps chez Sandoz, Muriel Audit, virologue, responsable de la société ‘GenoSafe’ à Généthon, Marianne Minkowski, François Bienenfeld (juriste anciennement détaché à l’AFM qui assistait à toute les réunions et qui est maintenant directeur adjoint administratif de la direction de l’Europe de la recherche et de la coopération internationale (Derci) au CNRS), Patrick Aubourg et Nathalie Cartier (Hop. Saint-Vincent-de-Paul). Je précise qu’Olivier Danos est maintenant dans le pavillon Lamy où étaient dans le temps J. Lejeune ou J. Frézal au fond de l’hôpital Necker, là où  le grand Arnold Munnich et Alain Fischer sont en train d’installer leur projet ‘Imagine’. On s’aperçoit  que la thérapie génique, ce n’est pas forcément génial, mais que les chercheurs s’en sont beaucoup pré occupé à partir des années 1992-1993. Par exemple, Alain Fischer était au conseil scientifique de l’AFM.

Et puis, il y a les ‘start up’, ‘Transgene’ avec Bernard Gilly, il y a également ‘Génopoïétic’, la société qui a produit le vecteur développé par Alain Fischer et toute une portion à ‘GenCell’ avec Frédéric Revah. On pense aussi à Anne Gally et Muriel Audit qui connaissent bien cette histoire. Il y a également la société avec laquelle l’AFM a traité, ‘Cellectis’ (ingénierie des génomes et de la chirurgie génomique).

L. Esterle - J’ai cru comprendre que la question des thérapies géniques n’était pas un sujet qui plaisait aux initiateurs de l’histoire du programme génome. Cela m’intéresserait de savoir pourquoi.

J.-F. Prud’homme - Il faut se souvenir que Jean Weissenbach est alsacien, il est carré. Il aime bien que le boulot que l’on s’est engagé à faire soit fait et qu’on ne déborde pas. Pour lui, dans l’histoire du programme génome même si la thérapie génique en a dérivé, c’est une annexe. Indiscutablement, les thérapies géniques représentent un sujet passionnant, considérable, mais qui mérite en soi une étude particulière. J’ajoute enfin que Jean Weissenbach a quitté le Généthon de son propre chef et ses rapports avec l’AFM se sont dégradés. C’est le contraire de ce qui est arrivé à Olivier Danos qui s’occupait, lui, de thérapie génique et qui a été viré.

L. Esterle - Que s’est-il passé?

J.-F. Prud’homme - Je n’en n’ai jamais discuté avec Olivier, mais je peux vous raconter ce que j’ai vu. Au Généthon, j’étais initialement responsable de la banque d’ADN et de cellules, je m’occupais de la collecte. Un jour, il y a eu un problème à la banque d’ADN - une cuve est arrivée à sec et ça a fait un peu désordre. Moyennant quoi, je me suis fait virer, bien que Jean Weissenbach qui était mon patron, m’ait défendu. Je rappelle que j’ai eu initialement pour patron Daniel Cohen puis Jean Weissenbach et enfin Olivier Danos. Olivier, lui, ne m’a jamais demandé de compte. C’est quelqu’un d’intellectuellement remarquable, il comprend les choses en une demi-seconde. Si l’on voit bien comment l’AFM s’est appropriée la recherche scientifique, je pensais qu’elle aurait l’intelligence de comprendre qu’il y a d’un côté un conseil scientifique et de l’autre des administrateurs. Certes, ceux-ci avaient le droit de prendre les décisions qu’ils voulaient, mais pas d’interférer avec les conseils scientifiques de l’AFM et a fortiori du Généthon. Or, j’ai trouvé dans les archives des documents où le Conseil scientifique du Généthon est présenté comme un simple succédané de celui de l’AFM. Selon moi, la relation entre Généthon et l’AFM est le fond du problème.

J-F Picard - Cela n’est-il pas dû aux circonstances de la naissance du Généthon et au rôle de Bernard  Barataud ?

J.-F. Prud’homme - Sur un plan scientifique, l’opération Généthon n’a pas été portée par Barataud. Le Généthon a été créé parce qu’il y avait derrière un solide projet scientifique. Il ne pouvait fonctionner que parce que Jean Weissenbach faisait de la recherche comme il l’entendait et que le directeur de l’AFM, en l’occurrence Pierre Birenbeau, ne prétendait pas intervenir dans les questions scientifiques. Ce qui s’est passé ensuite, c’est que les administrateurs de l’AFM se sont pris à l’idée de piloter la recherche. Olivier Danos faisait de la recherche scientifique et il ne voulait pas rendre de comptes, alors que Barataud en exigeait en permanence, il voulait des résultats, il se mêlait de tout. Vous me direz que l’AFM était obligée, à cause du Téléthon, de rendre des comptes et de présenter des résultats. Le problème, c’est que le temps de la recherche n’est pas celui du Téléthon. En fait, l’AFM vendait en permanence la peau de l’ours sans l’avoir tué.

J-F Picard - Le sociologue Michel Callon n’a t-il pas décrit la manière dont Barataud a su développer l’AFM en s’appuyant davantage sur ses administrateurs que sur ses conseillers scientifiques ?

J.-F. Prud’homme  - Effectivement, en 1999, Michel Callon et Vololona Rabeharisoa ont été introduit dans la place, ce qui leur a permis de publier un livre, 'Le Pouvoir des malades. L'association française contre les myopathies et la recherche' (Paris, Presses de l'École des Mines, "Sciences économiques et sociales", 1999) dans lequel ils expliquent que le fonctionnement de l’AFM est particulièrement génial, qu’elle a tout réinventé. Ils décrivent la trilogie malades,  médecins, chercheurs… le Père, Le Fils et le Saint-Esprit. Mais, ensuite,  les sociologues semblent changer d’avis et ils disent que c’est le malade, vaguement le médecin, mais surtout le chercheur et l’industriel. Ainsi, Callon a fait deux bilans après la parution du livre. Dix ans et vingt ans après le Téléthon. Dans le ‘20 ans après’, il omet d’interroger les industriels alors qu’il était, soi disant, génial d’avoir réussi à vendre la thérapie génique à l’industrie pharmaceutique… En fait, le bilan est assez simple à faire et l’on comprend qu’il n’en n’ai pas parlé - il n’y a rien.

 J.-F. Picard - Quid de l’attitude de l’AFM vis-à-vis du projet de carte ?

 J.-F. Prud’homme - Avant le Téléthon, l’AFM avait décidé d’informatiser les dossiers médicaux. Cela pourrait constituer une base de données permettant de comprendre l’évolution des maladies. Mais tout le monde a tiré dessus, en premier lieu les médecins bien sûr et on a enterré le projet car cela leur prenait trop de temps pour remplir la paperasse. C’est remarquable, les gens qui avaient imaginé et défendu ce projet de dossier médical informatisé le détruisent ensuite !

 L. Esterle - Comment s’appelait ce projet de l’AFM ?

 J.-F. Prud’homme - Il s’agissait de ‘SYGEDREM’.

 J-F Picard - Pour en revenir à l’AFM, peut-on dire que les administrateurs aient outrepassé leurs compétences ? 

 J.-F. Prud’homme - J’ai bien connu l’ancienne directrice de l’AFM, aujourd’hui décédée, Claire Hamon. Elle était à l’origine kinésithérapeute et elle s’occupait de toute la portion dédiée à la kinésithérapie du ‘SRAI’ (Service régional d’action et d’information) qu’avait développé l’AFM, mais dont Bernard Barataud s’était réservé la partie scientifique. D’où la question - peut-on prétendre piloter la recherche sans bagage scientifique ?

 J-F Picard - L’installation du Généthon résulte d’un deal passé directement entre Daniel Cohen (CEPH) et Bernard Barataud (AFM). En son absence, ne peut-on penser qu’il n’y aurait vraisemblablement pas eu de programme génome français, notamment si l’on considère les atermoiements de la recherche publique ?

 J.-F. Prud’homme - L’origine de ce deal est très claire, c’est l’ERGAM, l’’Espace de recherches génétiques appliquées aux maladies neuromusculaires’ que voulait créer Daniel Cohen au CEPH pour localiser et identifier les gènes responsables des maladies génétiques. Mais il y a eu deux restrictions. La première quand, malgré les déclarations de Robert Manaranche, on s’est aperçu que les médecins ne jouaient pas le jeu et n’envoyaient pas de prélèvement d’ADN. C’est simple, la génétique n’intéressait tout simplement pas les médecins. Aujourd’hui évidemment ça a changé, les jeunes s’y intéressent car c’est devenu le meilleur moyen d’avoir des postes.  Deuxième restriction, ils voulaient analyser cet ADN avec des sondes, mais Daniel Cohen s’est aperçu qu’on ne pouvait utiliser les sondes destinées à faire les cartes avec ‘Eurogen’. Daniel Cohen est allé voir Bernard Barataud pour lui dire  « on ne peut pas utiliser l’argent fourni pour l’ERGAM, il faire autre chose ». Le CEPH avait donc reçu environ 8 MF en 1988 pour faire l’ERGAM. L’année suivante Daniel Cohen va chercher Jean Weissenbach. Celui-ci faisait la carte génétique du chromosome ‘Y’ et dit qu’il pouvait le faire sur d’autres chromosomes, puis la faire en grand. Mais il ajoute qu’il manque de moyens financiers, ce à quoi Cohen lui répond qu’il faut voir grand et qu’il fait son affaire du financement. C’est comme cela que le Généthon a été créé en filiation avec l’ERGAM.

 J-F Picard - Mais le résultat est un Généthon financé par l’AFM et non par la recherche publique…

 J.-F. Prud’homme - Certes, mais c’est ensuite que ça a dérapé. Dans les archives, on peut voir que l’AFM déclare péremptoirement en 1993 que l’on a terminé les cartes alors que la dernière carte ne sortira qu’en 1996 ! De la part de l’association, c’est quand même une incompréhension remarquable de la réalité scientifique. Autre chose m’a surpris, chaque fois que les gens de l’AFM disaient que l’on comptait 1500 maladies génétiques, Jean Weissenbach les reprenait pour leur expliquer qu’il y en avait au moins 3000. Quand ils ont enfin admis qu’il y en avait 3000, Jean a du leur répondre  que l’on en avait répertorié 4500, d’où leur réaction idiote - « mais qu’est ce qu’il raconte ce gars là ? Il dit n’importe quoi ! ». J’ai même trouvé des documents datés de 1999, où l’on dit que ce n’est plus la peine d’étudier les maladies génétiques neuromusculaires car on en a identifié pratiquement tous les gènes. Or, vérification faite, il apparaît que seulement 50 % de ces gènes avaient été identifiés… Une autre chose m’a déçu dans le fonctionnement de l’AFM, c’est ce que j’appellerai la ‘rincette’, le fait que les gens s’auto-attribuent le financement des projets, un peu comme à l’ARC où émargeaient tous nos grands mandarins. L’AFM consacre 60 % du budget à la recherche scientifique, mais en réalité le conseil scientifique ne voit passer qu’une petite portion de ces 60 %.

J-F Picard - En matière de rigueur, la gestion de l’AFM a été décortiquée par la Cour des comptes comme plusieurs audits externes. En tout état de cause, on ne saurait la comparer à l’ARC...

 J.-F. Prud’homme - C’est indiscutable, il n’y a jamais eu de détournement de fonds à l’AFM. Barataud a été d’une exigence absolue en la matière. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles il s’est fâché avec Daniel Cohen. Quand il lui demandait des chiffres pour préparer un budget,  ce dernier lui en donnait à la louche, mais dans le plus grand flou. Il a pensé comme tout le monde qu’il pouvait vendre tout cela, faire de l’industrie, du commerce. Il s’est fâché avec son maître Jean Dausset, puis il va à ‘Genset’ en 1996. En fait, alors que Jean a fait les meilleurs cartes, Daniel pensait qu’avec la capacité de séquençage existant à ‘Genset’, il allait pouvoir faire lui aussi sa carte et le rattraper. En fait, c’est Eric Lander qui a réalisé le travail  avec de la rigueur et des moyens plus importants.

L. Esterle - Qui a introduit l’idée de thérapie génique à l’AFM ?

J.-F. Prud’homme - Je dirais que le problème de l’AFM est d’être franco-française. Il faut arrêter de croire qu’ils sont ouverts sur le monde extérieur. Certes, ils l’ont un peu fait avec Pierre Birambeau qui a créé le Téléthon inspiré par la Muscular Dystrophy Association américaine.

L. Esterle - Pourtant, j’ai le sentiment que les associations américaines sur la mucoviscidose ont été une source d’inspiration pour l’AFM.

 J-F Picard - Au début, il semble qu’il y ait eu un certain tirage à l’AFM à propos de thérapie génique ?

J.-F. Prud’homme - C’est vrai. Mais quand Jean Weissenbach leur disait poliment qu’ils se trompaient, que ça allait prendre trente ans ou qu’Arnold Munnich aussi leur disait la même chose, ils n’aimaient pas ça...

 J-F Picard - Puis il y a eu l’essai d’Alain Fischer.

 J.-F. Prud’homme - Bien sûr, mais Alain Fischer le dit lui-même, de manière très honnête, quand on le qualifiait de spécialiste de la thérapie génique, il répondait - « vous vous trompez complètement, je suis un clinicien. En fait, nous avions bien compris le mécanisme de cette maladie et après en avoir discuté, on a imaginé qu'une thérapie génique, aussi médiocre soit-elle, pourrait être efficace ».  J’ajoute que s’il est vrai que l’AFM a investi dans la thérapie génique, il ne s’agit pas des sommes gigantesques et j’ajoute qu’elle a mis beaucoup de temps à comprendre l’importance des cartes.

 L. Esterle - L’AFM s’est orientée vers l’utilisation des adénovirus avec Michel Perricaudet (la mise au point des vecteurs par Généthon 3). Il faudrait retrouver la piste de ceux qui ont cristallisé ce projet de thérapie génique.

 J.-F. Prud’homme - Je sais que Marianne Minkowski s’est beaucoup fait taper sur les doigts à ce sujet.

 L. Esterle - En effet, elle a souffert. Mais quand le président de l’AFM a changé, i.e. quand Eric Molinié a succédé à Bernard Barataud, est-ce que ça a fait bouger les choses ?

 J.-F. Prud’homme - Mon opinion est qu’à l’AFM Eric Molinié a succédé à Bernard Barataud pour des raisons politiques. Or, le problème est que  ce dernier qui n’est pas un scientifique, mais qui a appris un peu de science, était assez malin pour comprendre comment fonctionnent certaines choses...

 J-F Picard - Quels sont les acquis de Généthon 3?

 J.-F. Prud’homme - Dans les archives, j’ai trouvé un papier qui montre que Glaxo Smith Kline (GSK) a obtenu une licence exclusive pour la commercialisation d’une thérapie génique pour le traitement d’une forme particulière de maladie des bébés-bulle, le déficit en adénosine désaminase  (SCID). Il va également y avoir des essais thérapeutiques sur la myopathie de Duchenne de Boulogne aux Pays-bas dont on dit que ça va poser des problèmes aux gens qui font des adénovirus.

 L. Esterle - Généthon a t-il réellement tout investi dans ce secteur?

 J.-F. Prud’homme - Je le pense. Je me suis un temps occupé de la communication à Généthon et j’ai constaté que l’AFM considérait Généthon comme une excroissance. Le Généthon, ce n’était pas leur propriété, ce n’est que plus tard  que ça l’est devenu. Quand je me présentais je disais, sous forme de blague - « je m’intéresse aux maladies qui n’intéressent pas l’AFM et l’avantage, c’est qu’il y en a beaucoup plus que les maladies neuromusculaires ». L’AFM a fini par se rendre compte qu’elle ne pouvait plus parler que des maladies neuromusculaires. Là je donnerai raison à Bernard Barataud et à Daniel Cohen qui disaient que l’AFM ne pouvait pas tout faire. Qu’au contraire, ll faut investir sur des projets ciblés et montrer que ça marchait - « on nous a dit que c’était impossible. On vous montre que c’est possible. Maintenant c’est aux pouvoirs publics de prendre le relai ».

 L. Esterle - L’AFM ne balançait-elle pas entre thérapie génique et pharmacodynamique ?

 J.-F. Prud’homme - Peut-être. Ils se sont intéressés aux corticoïdes dans la maladie de Duchenne de Boulogne…

 L. Esterle - Ce qui était plutôt de la thérapeutique palliative.

 J.-F. Prud’homme - De même, ils ont pas mal investi dans la société ‘Trophos’ sur l’amyotrophie spinale. Cette maladie représente pour eux un enjeu important, d’une part parce que c’est Arnold Munnich qui l’a caractérisée, d’autre part parce qu’ils ont investi beaucoup d’argent sur cette maladie fréquente et sévère. Mais le problème est qu’on ne connait pas le mécanisme de toutes ces maladies. Quand Arnold Munnich, Jean-Claude Kaplan ou Jean-Louis Mandel, leur expliquaient qu’il fallait d’abord comprendre le fonctionnement des maladies, l’AFM ne voulait pas entendre.

 J-F Picard - Il est vrai que dans l’histoire de la médecine, on constate que le diagnostic progresse toujours plus vite que la thérapeutique.

 J.-F. Prud’homme - Les médecins sont un peu responsables de cette situation. Ils sont très fiers d’identifier les mutations et les gènes de ces maladies. Mais je me souviens d’un patient qui était le président de l’association de la chorée de Huntington, dont le gène a été identifié si je me souviens bien en 1991 et qui me dit - « les médecins étaient très contents de me dire que j’étais atteint de la chorée de Huntington, ça tombe bien car j’ai enterré mon père (quand elle est transmise par le père, elle est plus sévère, plus précoce que si elle est transmise par la mère), donc, je me regarde dans la glace tous les jours et je me dis aujourd’hui tu es moins beau qu’hier, ma femme m’a quitté, mes enfants m’en veulent et j’ai perdu mon boulot. Alors, les médecins et leurs informations ils peuvent se les garder ! ».

 J-F Picard - Au lancement du programme génome, les Américains disent que la carte n’est qu’une étape transitoire vers le séquençage.

 J.-F. Prud’homme - Avec le séquençage de génome, on va avoir une explosion phénoménale du nombre de séquences. Le séquençage a commencé en 1995 et a abouti en 2003. C’est 300 millions de dollars, 21 équipes sur la planète, 250 personnes pour séquencer le génome d’une personne. Maintenant, on séquence à 1500 dollars et l’on va découvrir des trucs invraisemblables ! On a encore plein de gènes de maladies monogéniques à identifier (1 à 2 maladies nouvelles par semaine ; 1 à 2 gènes nouveaux par semaine) et ça va encore aller plus loin. On a ce qu’on appelle des maladies, mais qui ne sont définies que par des symptômes, par exemple l’épilepsie (trop d’électricité dans le cerveau), l’hypertension artérielle. Or, si le symptôme est trop répandu dans la population, on risque de mélanger n’importe quoi ! Le séquençage va donc permettre de préciser l’origine de toutes ces maladies. Pourquoi n’avons-nous pas fait de progrès dans les maladies psychiatriques ? D’abord parce qu’on ne sait pas décrire ces maladies-là. Qu’est-ce qui définit qu’une personne est folle ? C’est sa famille. Autre découverte importante, avec le séquençage, on est en train de s’apercevoir que les maladies génétiques complexes sont probablement une somme de maladies rares. Et là, ça va tout changer.

 L. Esterle - Ce qui ne changera pas forcément les choses au point de vue thérapeutique.

 J.-F. Prud’homme - Effectivement, c’est la probléme que rencontrent les gens qui travaillent sur les cellules souches. Une part importante du travail consiste à faire pousser des cellules avec une mutation bien définie et à chercher les marqueurs qui permettent de définir la maladie. Là, il y a encore une quantité phénoménale de boulot. Un des drames de l’AFM est que les myopathies sont probablement du point de vue de la thérapie génique, l’une des maladies génétiques où cela est le plus difficile à trouver. Si on utilise par exemple l’adénovirus il y en a un qui rentre dans le cœur, mais ce n’est pas le même que celui qui rentre dans les muscles striés.  Pourquoi l’AFM est-elle passée à la thérapie génique ? Peut être à cause d’une vision d’ingénieur - si quelque chose cloche, on change la pièce.

 L. Esterle - En définitive, que pensez-vous de l’orientation actuelle du Généthon en matière de thérapie génique ?

 J.-F. Prud’homme - En fait, ce n’est pas mon domaine, mais je pense, après en avoir discuté avec François Bienenfeld, qu’ils se sont probablement trompés en se focalisant sur un certain nombre de projets restreints. Ils sont un peu schizophrènes, ils disent qu’ils s’intéressent à toutes les maladies génétiques, mais en réalité ils ne s’intéressent qu’aux maladies neuromusculaires. Deuxièmement, ils ont ce problème classique en médecine, diagnostic versus thérapeutique.

 L. Esterle - Je ne sais pas si c’est de la schizophrénie, mais je me souviens des débats à l’AFMM quand le conseil scientifique proposait de financer d’autres maladies que la mucoviscidose. On posait la question - est-ce qu’on peut attendre des retours ? Il y avait aussi cette idée d’essayer de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier’. Je suppose que l’AFM a rencontré aussi cette tension - qu’allons-nous financer pour avoir des retours sur les maladies neuromusculaires ? J’aimerais bien voir s’ils ont essayé de se diversifier pour se donner un maximum de chances ou s’ils étaient sur une stratégie unique.

 J.-F. Prud’homme - On peut dire qu’ils ont heureusement passé la première période de discussion sur les prises de brevets. Bernard Barataud a compris qu’il ne fallait pas faire payer les cartes du génome et il a rendu service à tout le monde. Mais ensuite s’est posée la problématique du sang des patients - faut-il monter une boite de biotechnologie pour faire du fric que l’on réinvestira ? Comment dans le Téléthon on demande de l’argent aux Français, alors qu’on en gagne en vendant des trucs ? Une des raisons du succès de l’AFM et du Généthon, c’est qu’il y a eu des résultats. Un des problèmes qu’ils rencontrent aujourd’hui avec la thérapie génique est qu’il n’y a pas de résultat. Alors que s’ils avaient continué à localiser les gènes, aujourd’hui, ils seraient multimilliardaires. En ce moment les découvreurs de gènes déposent des brevets ! Jean gagne un peu d’argent pour le gène de la paralysie spastique. On n’a pas le droit de déposer un brevet pour une séquence de gènes, mais en revanche s’il y a une anomalie et que vous dites - « si vous recherchez cette anomalie parce qu’il y a cette maladie-là », c’est une information supplémentaire que vous avez mise sur la séquence et vous avez le droit de déposer un brevet.

 J-F Picard - Aujourd’hui, la clinique commence à s’intéresser à la thérapie génique.

 J.-F. Prud’homme - Oui, mais quand on regarde les grandes équipes de maladies génétiques, aujourd’hui en France, il n’y en a que trois. Celle d’Arnold Munnich à Necker, d’Alexis Brice de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière à la Pitié-Salpêtrière (avec les maladies emblématiques telles que Parkinson, Alzheimer etc.) et celle de Philippe Froguel à Lille sur le diabète. En fait, les hôpitaux se sont bien réveillés car ils étaient très mal placés au départ. Il faut savoir  que la génétique c’était des cytogénéticiens qui n’ont jamais rien compris à la génétique moléculaire… Heureusement Arnold Munnich est arrivé.

 J-F Picard - A propos de la recherche clinique, Claude Griscelli a renversé la vapeur.

 L. Esterle - …et pas seulement à l’Inserm, mais aussi à l’AP-HP.

 J.-F. Prud’homme - …avec l’aide de Pierre Royer.

 L. Esterle - Quand on analyse les programmes publics, on n’entend pratiquement jamais parler de thérapie génique (voir le programme génome du ministère de la Recherche par exemple). Cela semble vraiment une spécificité de l’AFM ne trouvez-vous pas ?

 J.-F. Prud’homme - Je reconnais que j’ai aujourd’hui une image assez négative de l’AFM. Elle ne compte plus de succès important, mais ça peut changer.

 L. Esterle - Le nombre d’essais cliniques est en train d’exploser, mais pas en ce qui concerne les maladies monogéniques.

 J.-F. Prud’homme - On compte probablement une trentaine d’essais de phase trois, mais avec une restriction très importante, la thérapie génique qui marche est une thérapie génique ex-nihilo.

 L. Esterle - Oui, car elle est contrôlable, contrairement aux autres.

 J.-F. Prud’homme - De même, si l’on commence à identifier des gènes dans des maladies dont certaines sont très sévères comme la polyarthrite rhumatoïde, c’est l’expérience accumulée qui constituera le capital. La thérapie qui est proposée actuellement, les biothérapies à base d’anticorps monoclonaux, c’est magnifique, mais dès que vous arrêtez les anticorps, ça repart trois fois plus vite. En plus, ça coûte une fortune et c’est plein d’effets secondaires.

 L. Esterle - Certes, ça n’a pas marché jusqu’à présent. Mais quand on regarde la découverte des anticorps monoclonaux et leur application clinique ça a pris trente ans. En fait, la mise au point des applications cliniques prend énormément de temps, mais les produits sont sur le marché maintenant.

 J.-F. Prud’homme - Avec des problèmes d’humanisation, de cibles, des difficultés pour disposer d’anticorps neutralisants…

 J-F Picard - Bref, quel bilan tirez-vous de ces recherches en thérapie génique?

 J.-F. Prud’homme - Je trouve que les Français ne s’en sont finalement pas si mal tirés, surtout si on compare aux Etats-Unis où ça a complètement disparu. Là bas, ils ont fait passer la thérapie génique dans des starts-up et un jour les types se sont demandés ce qu’ils y gagnaient.

 L. Esterle - Aux Etats-Unis se sont mis en place des instituts de thérapie génique comme s’il s’agissait d’un sujet en soi. A l’inverse, la stratégie d’Alain Fischer elle est totalement différente, il s’est servi de la thérapie génique comme une approche parmi d’autres (la greffe, etc.). Quant aux instituts américains, ils ont disparu parce qu’il y a eu des décès et des scandales derrière. Mais le sujet reste à approfondir.