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Myopathies : les nouveaux labyrinthes de la thérapeutique

La découverte des gènes des maladies neuromusculaires ne permet pas de disposer immédiatement d'un traitement efficace. Un immense travail reste à faire

Le Monde, 30 juin 1993

Les colloques nationaux de l'AFM (Association française contre les myopathies) illustrent à merveille les progrès considérables accomplis par cette discipline-phare qu'est devenue la génétique moléculaire dans le champ des maladies neuromusculaires et, depuis peu, neurodégénératives. Il y aura bientot sept ans, lors du premier de ces colloques, organisé à Tours, Anthony P. Monaco (Boston) annonçait à la stupéfaction générale la découverte imminente du gène de la myopathie de Duchenne de Boulogne, l'une des plus fréquentes et des plus graves des maladies neuromusculaires à transmission héréditaire (le Monde du 2 octobre 1986). Deux ans plus tard, à Bordeaux, on détaillait la structure exacte et la fonction supposée de la protéine _ baptisée dystrophine _ fabriquée sous le contrôle de ce gène (" le Monde Sciences-Médecine " du 7 juillet 1988). Le dernier colloque national de Strasbourg vient de faire le point sur la somme considérable des données acquises sur cette dystrophine, sur les espoirs thérapeutiques qu'elle laisse entrevoir mais aussi sur la multiplicité des questions qui se posent. Ce n'est là qu'un exemple. A la différence de ce que certains esprits réducteurs pouvaient espérer ou laisser entendre, la découverte du gène à l'origine de telle ou telle maladie héréditaire n'équivaut nullement à la mise au point d'un traitement " génétique " ou " moléculaire " de l'affection en cause. Bien au contraire, tout démontre que la découverte de l'entité génique (étape indispensable au décryptage et à l'approche moléculaire de la cascade des événements physio-pathologiques) soulève bien souvent de nouveaux et multiples problèmes renvoyant à plus tard la mise au point d'un traitement efficace. Deux attitudes peuvent, dès lors, être adoptées : se désespérer d'une complexité biologique sans cesse grandissante et de l'énormité des travaux à venir ; glorifier l'approche rationnelle engagée et postuler que, quelles que soient les difficultés prochaines, la compréhension raisonnée du vivant conduira à la correction du pathologique. Tous les représentants du milieu scientifique et les responsables associatifs se rangent dans cette seconde famille de pensée à laquelle adhère une large fraction de la population française, comme le démontre, depuis plusieurs années déjà, l'énorme écho public rencontré par les opérations Téléthon. Comment prédire ? Peut-on prévoir la suite des événements et la traduction médicale des avancées accomplies dans le domaine des sciences fondamentales ?
La myopathie dite de Duchenne de Boulogne illustre pleinement l'état de cette question. On sait que cette maladie a été identifiée et décrite il y a plus d'un siècle par le physiologiste français qui lui a laissé son nom. Elle touche environ un enfant mâle sur 3 500 et se caractérise par la perte progressive de la force et de la fonction musculaire dès l'âge de quatre ou cinq ans. En dépit des matériels palliatifs mécaniques proposés, la détérioration irréversible des muscles conduit rapidement à un décès prématuré, conséquence directe d'une insuffisance respiratoire majeure. Après la découverte et l'identification du gène impliqué, puis celles de la dystrophine, les résultats et les nouveaux problèmes n'ont pas cessé. On a, par exemple, découvert que cette dystrophine était le prototype d'une vaste famille de protéines à fonctions et à localisations multiples dont l'inventaire apparaît un préalable indispensable à une approche thérapeutique rationnelle. Grâce notamment aux travaux de l'équipe de K. Campbell (université du collège de médecine de l'Iowa) on est passé de la notion de déficit en dystrophine à celle d'anomalie du complexe dystrophine-glycoprotéines. Plus précisément on sait que la dystrophine fait partie d'un complexe contenant six molécules, ce complexe étant enchâssé dans la membrane des cellules musculaires et semblant jouer un rôle tout à fait essentiel dans le maintien de l'intégrité de cette membrane. C'est dans ce contexte que les équipes des professeurs Michel Fardeau (Unité 153 de l'INSERM) et Jean-Claude Kaplan (hôpital Cochin) viennent, en collaboration avec l'équipe de M. Campbell, de lever un nouveau voile. S'intéressant à une myopathie dite " maghrébine " (identifiée en Tunisie, au Maroc et en Algérie) voisine dans ses symptômes de la maladie de Duchenne (mais touchant également les deux sexes), ces chercheurs ont découvert que cette maladie trouve son origine dans la malformation d'un gène (situé sur le chromosome numéro 13) dirigeant la synthèse d'une protéine. Cette dernière intégrait avec la dystrophine alors que celle-ci est normale chez ces malades. Différents éléments de laboratoire laissent par ailleurs penser que, contrairement à ce que l'on supposait jusqu'à présent, cette " myopathie maghrébine " peut toucher des Européens de souche ce qui, vérifié, permettrait de porter des diagnostics beaucoup plus précis sur de nombreuses symptomatologies neuro-musculaires batardes et mal identifiées.

Au-delà de la nosologie

Plus généralement les avancées de la génétique moléculaire font exploser le classique cadre de la nosologie. Les exemples sont déjà multiples. Des affections tenues pour différentes (la maladie de Thomsen et la myotonie congénitale de Becker) ne sont en réalité que les deux versions (dominante et récessive) de la même pathologie héréditaire, la différence ne portant que sur des perturbations moléculaires du même gène. Ailleurs, des maladies voisines dans leur expression clinique (myopathie de Duchenne de Boulogne et myopathie de Becker) tenues pour génétiquement différentes se révèlent avoir une origine génétique identique. Dans le premier cas, les symptômes gravissimes s'expriment tôt dans l'enfance alors que dans le second cas ils apparaissent beaucoup plus tard et peuvent laisser une espérance de vie quasi-normale.
Tout comme les maladies neuro-musculaires constituent la tête de pont de la génétique moléculaire dans la pathologie héréditaire de l'espèce humaine, la myopathie de Duchenne réunit (après la mucoviscidose) lamajorité des travaux à orientation thérapeutique immédiate. Sans retenir les récentes greffes de cellules musculaires (myoblastes) normales au sein de tissus pathologiques qui semblent apparemment quelque peu décevantes, l'espoir se fonde aujourd'hui sur les derniers résultats obtenus sur le modèle expérimental animal (souris MDX).
Il y a peu (le Monde du 19 février) plusieurs équipes françaises travaillant en collaboration sous la direction du professeur Axel Kahn (hôpital Cochin de Paris) annonçaient dans les colonnes de l'hebdomadaire britannique Nature avoir réussi à " greffer " le gène codant pour une version réduite de la dystrophine (mini-dystrophine) dans des cellules musculaires d'animaux malades, ce gène étant véhiculé par un virus (adénovirus) au patrimoine génétique transformé. " Les résultats expérimentaux obtenus montrent qu'après une telle manipulation la dystrophine est à la fois synthétisée par les cellules mais aussi fonctionnelle dans une proportion notable de fibres musculaires, et ce durant plus de trois mois. D'autres résultats plus récents mais non encore publiés apportent des arguments plus encourageants encore ", écrivions-nous alors. Le professeur Kaplan nous a confirmé à Strasbourg la réalité de ces données scientifiques. Les derniers résultats devraient, à court terme, être publiés dans la revue Nature Genetics. " Il apparaît ainsi, avec six mois de recul, que dans les tissus musculaires des souris ayant reçu une greffe du gène de la mini-dystrophie nous avons pu interrompre le processus de mort cellulaire et obtenir des images structurelles qui témoignent d'une récupération fonctionnelle. En d'autres termes, nous avons, avec cette approche expérimentale, guéri des souris MDX sur quelques centimètres cubes de leur volume musculaire. "

Greffes de gènes

Ces avancées encourageantes signifient-elles que le traitement génique de la myopathie de Duchenne et de celle de Becker sont pour demain ? Malheureusement non, tant les résultats actuels et les discours des meilleurs chercheurs donnent l'impression d'explorer de nouveaux labyrinthes thérapeutiques. Paradoxalement la découverte de la " clé " génétique d'une maladie héréditaire fait que l'on en vient à s'intéresser aux événements survenant en " aval ". " A quoi tient par exemple la fibrose qui envahit les muscles des enfants myopathes ? Comment comprendre que ces mêmes enfants, bien que privés génétiquement de dystrophine, aient une fonction musculaire normale in utero et dans les premiers mois de leur vie ? Quels sont les éléments qui font que des perturbations sur un gène identique conduit à des expressions cliniques aussi différentes que la myopathie de Duchenne ou celle de Becker ? interroge le professeur Jean-Louis Mandel (Strasbourg). Il ne faut pas oublier les approches plus classiques de pharmacologie et de prise en charge médicale ou chirurgicale, car, à la diversité des maladies répondra très certainement une diversité des solutions thérapeutiques".
L'approche de la thérapie génique prend ainsi de nouvelles dimensions. Cette thérapie consiste schématiquement à utiliser le gène comme médicament. Mais il apparaît d'ores et déjà, grâce à l'acquis de maladies neuromusculaires, que l'on devra dépasser le seul schéma de la " greffe " du gène absent ou pathologique. On envisage en particulier dès aujourd'hui la greffe de gènes dirigeant la synthèse des protéines pouvant corriger les symptômes et ralentir les processus pathologiques. Ailleurs les nouvelles compréhensions beaucoup plus fines des mécanismes physiopathologiques laissent déjà entrevoir des solutions non plus " géniques " mais, de manière beaucoup plus classique, médicamenteuses. Plus que les spectaculaires " premières thérapeutiques ", ce sont ces perspectives induites par la nouvelle lecture génétique du vivant qui constituent et constitueront l'événement dans ce domaine. Un événement qui se double de considérables problèmes éthiques puisque la clé génétique permet de prédire, non seulement in utero (diagnostic prénatal) mais aussi après la naissance et avant l'apparition des symptômes pathologiques, la survenue de maladies de gravité variable. Face aux erreurs du vivant s'agit-il d'une nouvelle libération ou d'une aliénation supplémentaire ?